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Haïti, cet improbable pays !

Un peuple meurt sous le poids de ses indigences, l'histoire d'une épopée, celle de Vertières, se gomme sous la pesanteur des impostures qui jalonnent l'existence de ceux et de celles qui ont hérité, des aïeux, l’indépendance. La légende des peuples n'est pas éternelle, elle s'estompe et tombe dans l'oubli, faute de dignité active et mobilisatrice. Vertières n'est qu'un mythe du passé, éclaboussé par l'échec d'un collectif dont ses représentants illustres n'ont pas assez d'honneur et de dignité pour transformer leur présent en une source d’exaltation capable de magnifier les épopées du passé. Ils se contentent de vivre dans les rêves d’ailleurs et de profiter de leurs petites accointances avec les anciens maîtres. Les peuples qui survivent dans la mémoire humaine relèvent bien haut la flamme de leur dignité pour réinventer les faits de gloire de leur passé. Quand ils sont impuissants, insignifiants, ils dérivent dans l’espace-temps comme d’indigentes épaves refusées par tous les ports d’escale.

De l’impuissance à l’insignifiance

Entre corruption et misère, entre défaillance institutionnelle et instabilité, entre désespérance et envies d’ailleurs, entre terrorisme d’état et colère violente des masses, entre escroquerie et soumission, entre impunité et inertie, le chaos haïtien s’enlise et perpétue le drame et la détresse d’une population d’environ onze millions d’âmes.
Preuve s’il en fallait que le nombre ne fait pas la puissance et qu’en situation de déficit d’intelligence, aussi nombreux qu’on puisse être, on sera toujours insignifiant.

Onze millions de personnes qui se laissent terroriser par une poignée de médiocres et de corrompus, cela s’appelle de l’impuissance. Onze millions d’êtres humains qui se laissent réduire à l’état d’insignifiance absolue par une poignée de migrants dont la prospérité des affaires sur le temps semble conférer le statut particulier de nouveaux colons, cela s’appelle de l’insignifiance. Quand toute une collectivité, constituée de groupuscules sociaux dispersés, désarticulés, désunis, dérive sans repères, sans leadership et sans organisation dans un écosystème où la seule regle est la survie, cela s’appelle du gâchis humain. L’impuissance conjuguée à l’insignifiance induit l’inertie. Et celle-ci, agissant dans un espace-temps qui déforme la conscience par une permanente imposture, conduit à cette structure chaotique appelée indigence.
C’est d’ailleurs l’indigence qui nous pousse à exalter un passé glorieux que nous nous acharnons pourtant par nos actions à effacer de la mémoire collective et de la conscience humaine. Quand un peuple ne sait pas s’indigner du mal-être qui le désintègre, et qu’il reste figé dans la célébration de petites commémorations du passé au lieu d’agir sur son présent pour s’offrir un autre avenir, c’est qu’il n’a plus conscience de sa dignité, de sa valeur et de son humanité. Les peuples indignes n’ont ni honneur, ni valeur.

Onze millions de vies se retrouvent ainsi mutilées et livrées à la cupidité des groupes locaux et à l’expérimentation des donneurs d’ordre internationaux. Onze millions d’âmes dans les barbelés d’une structure économique archaïque reproduisant des rapports sociaux qui sont autant de survivance de l’esclavage.

On eût dit que l’indépendance a été trafiquée, dénaturée, retournée et subtilisée au profit de ceux de qui elle cherchait justement à libérer les esclaves. Pour survivre et perdurer, cette structure sociale s’est recyclée à travers le temps et l’histoire sur les mêmes bases indigentes. De nouveaux contre-maîtres, venus d’ailleurs, avec la complicité ou la passivité des arrières petits-fils des anciens maitres, poursuivent l’héritage d’une ignoble et vie exploitation.
Haiti est-elle encore une terre de liberté ? Haiti ne serait-elle pas qu’une enclave indigente que les puissants essaient de contenir loin de leur souci pour oublier que c’est cette désolation est leur œuvre.

De l’honneur comme de la dignité

À l’évidence, Haiti n’est pas un pays. Ce n’est un lieu d’indigence offrant quelques occasions d’affaires et quelques attractions touristiques. Haiti n’est pas habitée. C’est un lieu d’expérimentation exploité par des projets d’enfumage. Le drame social qui s’y joue a transformé cette partie de l’île en un enfer pour les masses qui veulent la fuir et en un lieu de transit pour les autres qui peuvent s’offrir une seconde résidence dans d’autres ailleurs paradisiaques. Pourtant, pour masquer l’indigence qu’ils mettent en œuvre, ceux qui vendent le mythe de leur réussite s’activent à mettre en valeur, comme patrimoine culturel, le décor exotique de quelques plages et la beauté somptueuse de quelques paysages. Ce n’est pas étonnant qu’en certains milieux, on cherche à réduire cette multitude chaotique à un joli logo destiné à être inscrit sur une carte touristique.

Toute l’intelligence collective se mobilise pour gommer à tout prix la réalité afin de faire place au virtuel, au superficiel. Habituée à tant de simplification, l’intelligence collective s’est atrophiée. Paralysée, elle ne sait plus se situer dans cette fractale gigantesque qui se déploie. Plombée par l’inertie, elle ne peut plus trouver la voie pour sortir de ce chaos qui s’éternise et déshumanise. Terrifiée, devant le spectacle de sa propre déchéance, toute une collectivité, impuissante, assiste à son agonie. Tétanisée par la peur ou par la lourdeur de sa propre insignifiance, la population haïtienne, toute catégorie confondue, se laisse engloutir dans les pièges mouvants de ce qui s’apparente à un véritable impensé structurel.
Un peuple meurt sous le poids de ses indigences, l’histoire d’une épopée, celle de Vertières, se gomme sous le poids des impostures qui jalonnent l’existence de ceux et de celles qui ont hérité de l’indépendance. La légende des peuples n’est pas éternelle, elle s’estompe et tombe dans l’oubli, faute de dignité active et mobilisatrice. Vertières n’est qu’un mythe du passé, dépassé, éclaboussé par l’échec d’un collectif dont ses représentants illustres n’ont ni assez d’honneur ni assez de dignité pour raviver et maintenir active la flamme de cette épopée par un présent honorable.

Ce n’est pourtant pas la fin du rêve. Une utopie se réinvente toujours même enfouie dans les consciences endormies. Il suffit de faire jaillir l’étincelle pour que la magie reprenne. Il suffit de trouver le bon tempo pour que le chant s’égrène. Il suffit que les gens se souviennent et réapprennent à redevenir intègres et fiers pour refuser d’être pris en charge par des médiocres, et la mémoire collective se mettra à vibrer, à s’enflammer, malgré la désolation, pour guider le passage dans l’obscurité et s’imposer à la mémoire humaine.

Mais comment relever le défi du déshonneur ? Et comment se relever quand les pieds ne parviennent plus à s’adhérer au sol et glissent dans les flaques indigentes laissées au sol par les vidangeurs de l’urgence ?

Ni plus ni moins qu’en s’indignant collectivement. Ni plus ni moins qu’en laissant briller sa petite étincelle de vive, mais d’intelligente, colère pour faire rougir ceux d’à côté afin que le regroupement s’enflamme dans le ciel pour illuminer la plaine. S’indigner offre toujours un prétexte pour recouvrer une certaine dignité perdue, absente ou même improbable. C’est toujours en situation que se pose le problème de la dignité qui ne peut pas se contenter d’être une posture voire une imposture. Rien n’est plus déshonorant que le spectacle d’un peuple qui hypothèque sa liberté par envie de s’offrir un peu de tranquillité ou de bonheur. Les peuples indignes n’ont pas d’honneur et sans honneur le bonheur n’est qu’un voile qui cache d’insoutenables laideurs. Un peuple qui ne sait pas relever le défi du déshonneur mérite de disparaitre.

Non, la légende des peuples n’est pas éternelle, comme, d’ailleurs, les faits de gloire de leur passé. Quand ceux-ci ne trouvent plus dans le présent des raisons d’être magnifiés, ils s’estompent et tombent dans l’oubli. Il en est ainsi pour les peuples. Ils meurent dans la mémoire humaine quand ils sont à court de dignité. Les peuples, dont la mémoire survit au temps et s’impose à l’histoire universelle, sont ceux qui résistent et qui ont l’honorabilité et le courage de toujours maintenir leur dignité pour réinventer leur passé. Mais quand ils ne sont plus qu’impuissance et qu’insignifiance, ils dérivent dans l’espace-temps comme d’indigentes épaves que refusent tous les ports d’escale. Pour ne pas disparaitre et tomber dans l’oubli, il faut que le présent vivifie les sacrifices du passé. Il faut que par une dignité assumée et sans cesse renouvelée, le peuple magnifie dans sa mémoire collective un rêve infini de dignité qui s’imposera aux autres comme un mythe à perpétuer. Á l’échelle de l’univers, les étoiles lointaines connaissent le même sort, quand elles ont fini de brûler leur hydrogène (leur dignité), elles implosent sous leur propre poids, s’estompent dans la nuit et deviennent un gigantesque trou noir qui absorbent toute la lumière dans leur course folle.

Ne dit-on pas que nous sommes des poussières d’étoiles ? Avec raison, car les peuples sont comme les poussières d’étoiles, éclatants de lumière dans leur dignité, obscurs et sombres dans leur enfumage. L’étoile qui brûle son oxygène devient un trou noir, immense corps absorbant qui ne laisse plus passer la lumière et engloutit tout ce qui brille. Le peuple qui renonce à sa dignité devient une indigence qui ne valorise plus l’intelligence, mais médiatise à outrance la médiocrité et l’escroquerie.

Heureusement que, sur elles, nous avons l’avantage de la conscience et que nous pouvons, à tout moment, raviver la flamme de notre dignité pour briller à nouveau.

Voilà le dilemme que les Haïtiens doivent résoudre : continuer de vivre dans l’insignifiance en restant un peuple qui vit de l’assistance internationale ou s’indigner de colères intelligentes pour se prendre en mains et scintiller, même fébrilement, pour avancer dignement.

Erno Renoncourt

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« Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à le faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »

John Swinton, célèbre journaliste, le 25 septembre 1880, lors d’un banquet à New York quand on lui propose de porter un toast à la liberté de la presse

(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

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