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Les dissidents doivent être clairs sur la différence entre les faits et le récit

Un politicien pourra mener une campagne sans faille, dire tout ce qu’il faut avec sincérité, tenir des positions largement populaires et avoir un bilan impeccable en tant qu’élu, mais s’il dit des choses qui contrarient les puissants, le récit peut être remanié pour le présenter comme un fou, incompétent, non éligible, perfide et tout et tout, pour l’empêcher d’accéder un jour au pouvoir.

Un journaliste d’investigation pourra passer des mois à rédiger un article qui incrimine sévèrement des personnes extrêmement puissantes. Il pourra exposer tous les faits, fournir toutes les sources, s’exprimer avec clarté et et concision, et obtenir une couverture complète dans un journal grand public, mais des personnes extrêmement puissantes peuvent user de leur influence sur la classe politique/médiatique pour modifier rapidement le récit à la suite de cet article afin d’annuler presque complètement son impact en le rendant insignifiant.

Un média spécialisé dans la publication de fuites pourra créer une boîte aux lettres innovante pour protéger l’anonymat des lanceurs d’alerte, ouvrant ainsi la possibilité d’apporter de la transparence et faire rendre des comptes au pouvoir. Il pourra prendre le plus grand soin et appliquer les normes les plus rigoureuses pour confirmer l’authenticité des documents et protéger l’identité des sources, et il pourra obtenir des documents véritablement explosifs qui exposent des quantités effroyables de corruption et de malversations. Mais des gens extrêmement puissants peuvent changer le récit autour, et bientôt des millions de personnes croiront qu’il s’agit d’une opération du Kremlin et que son fondateur est un violeur nazi puant qui maltraite son chat.

Nous l’avons déjà vu. Nous vivons dans un monde où quelqu’un peut dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, ne commettre aucune erreur, avoir beaucoup de chance et recevoir beaucoup de soutien, mais s’il fait quoi que ce soit qui contrarie les pouvoirs en place, le récit pourra être modifié pour étouffer sa capacité à agir pour faire le bien.

Et si je parle tant de récit, c’est parce que c’est à cela que tous nos problèmes se résument en fin de compte. La capacité de la classe ploutocratique et de ses agences gouvernementales à manipuler la façon dont les gens pensent, agissent et votent est la seule chose qui maintient en place l’ordre mondial unipolaire, écocidaire et omnicidaire, C’est pourquoi des milliards et des milliards de dollars sont investis dans les médias ploutocratiques, les think tanks, les projets pour censurer Internet, et autres campagnes d’influence. Toute tentative de remplacer cet ordre mondial par un système au service de l’humanité au lieu de quelques riches sociopathes doit nécessairement comprendre et interagir avec cette dynamique.

Connaissez-vous la différence entre les faits et la narration ? En êtes-vous sûr ? La capacité d’être aussi lucide que possible sur la différence entre les données brutes et l’histoire qui est construite autour est absolument essentielle pour comprendre et combattre la machine de propagande de l’establishment.

Prenons l’exemple de Russiagate. Le récit est que Donald Trump conspire secrètement avec le gouvernement russe pour subvertir les intérêts étasuniens et faire avancer les programmes du Kremlin. Mais quels sont les faits ? Les faits sont que quelques personnes qui ont été associées à Trump pendant sa campagne présidentielle ont été condamnées et ont plaidé coupables d’avoir commis des délits de procédures et d’avoir eu des relations sournoises avec des pays qui ne sont pas la Russie, tandis que Trump a organisé une intervention de changement de régime contre le Venezuela, bombardé la Syrie, armé l’Ukraine, appliqué une révision du dispositif nucléaire avec une position plus agressive envers la Russie, retiré des Etats-Unis du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, expulsé des diplomates russes, sanctionné des oligarques russes, élargi et obtenu plus de fonds pour l’OTAN. L’écart entre le récit et les faits ne pourrait pas être plus grand.

Mais ça n’a pas d’importance, n’est-ce pas ? Les propagandistes ont réussi à mobiliser tout le monde autour de l’idée que Poutine aurait réussi à influencer les plus hauts niveaux du gouvernement des EU, sans la moindre preuve à l’appui. C’est un pur récit, mais il a été utilisé pour fabriquer un cadre conceptuel qui permet de miner quiconque conteste l’ordre mondial unipolaire en l’accusant d’être un partisan du Kremlin, de Jill Stein à Tulsi Gabbard en passant par Glenn Greenwald et Rand Paul. Pour appuyer ce récit, ils n’ont que des insinuations et des sous-entendus, mais cela leur suffit.

Cette dynamique ne se limite d’ailleurs pas au pouvoir politique. Dans une relation violente, par exemple, l’agresseur doit contrôler le récit de ce qui se passe pour empêcher la victime de partir : je t’ai frappé parce que tu m’as tellement énervé par tes actions que j’ai perdu le contrôle. Je ne couche pas avec quelqu’un d’autre, tu es paranoïaque et fou. Tu ne peux pas partir, personne ne t’aimera et tu échoueras tout seul. Le contrôle narratif est le pouvoir, du plus petit groupe de personnes au plus grand.

Quiconque veut légitimement contester le statu quo se trouvera nécessairement confronté à ce mur protecteur de narration dont s’entoure le pouvoir en place, il est donc important de savoir comment lutter contre.

Il y a beaucoup d’excellents médias alternatifs et beaucoup de bons politiciens et militants dissidents, mais le problème qu’ils rencontrent encore et toujours, c’est qu’ils restent souvent calmes et monotones tout en répétant des faits durs et froids. C’est un problème parce que pendant qu’ils essaient de combattre calmement le statu quo en utilisant des données brutes, l’establishment produit des récits étincelants, là où il faut. Ils font appel aux émotions, ils condensent leurs histoires en clips sonores accrocheurs de 20 secondes et ils n’utilisent les faits que lorsque que les faits servent leur récit.

Je ne dis pas que les dissidents devraient abandonner la vérité et les faits ; si vous n’essayez pas de construire un monde basé sur la vérité, pour quoi vous battez-vous ? Mais il est absolument essentiel non seulement de dire la vérité, mais aussi de prendre le contrôle du récit. Informez-vous, puis racontez. Faites que votre récit soit intéressant. Faites qu’il soit drôle. Les militants peuvent être parmi les personnes les plus sèches et les plus ennuyeuses qui soient, croyant que la justesse de leur propos compense le fait que personne ne s’intéresse à ce qu’ils ont à dire. Bordel de merde ! Si vous voulez faire passer un message, rendez-le intéressant ! Quel intérêt de parler si personne n’écoute ? Avoir raison ne suffit pas.

Les humains sont des animaux qui racontent des histoires ; et cela a toujours été le cas, depuis que nous avons inventé le langage et les feux de camp. Si vous voulez réveiller les gens, vous allez devoir vous adapter à cette réalité. Etre capable de balancer des données sur un sujet ne suffit pas pour faire avancer la cause. Ce que l’ establishment comprend et ce que la plupart des dissidents ne comprennent pas, c’est que les gens écoutent des histoires, pas des données, et plus l’histoire est intéressante, mieux c’est. Le Russiagate n’a pas gagné en popularité parce que c’est vrai, mais parce que c’est une histoire scandaleuse où le président des États-Unis conspire avec des forces malfaisantes et fait l’objet de chantage pour une nuit de sport aquatique avec des prostituées russes.

Alors racontez des histoires. Racontez des histoires vraies et intéressantes. Combattez leurs histoires intéressantes et trompeuses avec des histoires intéressantes et vraies ; la sincérité résonne chez les gens autrement que les récits fabriqués par des groupes de réflexion. Si suffisamment d’entre nous trouvent des façons authentiquement intéressantes, drôles, amusantes et colorées pour transmettre nos récits, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne soient repris et diffusés par le public sous la forme d’une bonne réplique ou une vidéo virale. Aidez à combattre la guerre narrative contre l’establishment ploutocratique qui étrangle notre espèce, et amusez-vous à le faisant. Plus vous vous amuserez à le faire, mieux ce sera.

Caitlin Johnstone

Traduction "comme je dis toujours, ne pas se prendre au sérieux, mais prendre son combat très au sérieux" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

»» https://medium.com/@caityjohnstone/...
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