Décembre 2018. Le mouvement des « Gilets Jaunes » déstabilise le gouvernement de MM Macron & Philippe. Mais bien vite, l’équipe En Marche redécouvre les vertus de la « condamnation des violences », voire de leur mise en scène. Et corollairement celles de la démonstration de force du pouvoir. Et cela n’est pas sans rappeler un certain épisode haut en couleurs...
En décembre 2010, on s’en souvient, s’allume la « révolution de Jasmin », partie du village de Sidi Bouzid et du suicide de Mohammed Bouazizi. Très vite, appuyé sur la colère sourde de la population frappée par un chômage très élevé, et amplifié par la répression policière qui frappe chaque velléité de revendication, le mouvement s’étend à tout le pays. Des manifestations continues et des arrêts de travail allant jusqu’à la grève générale déstabilisent le pouvoir autoritaire de M. Ben Ali.
Autoritaire certes, et bénéficiant aussi de nombreux appuis extérieurs, en particulier en France [1], où nombre de responsables politiques font preuve à l’égard du régime d’une grande et naïve mansuétude, quand ce n’est pas d’une certaine complicité [2].
Du coup, très gênés aux entournures, les dirigeants français manquent singulièrement de réflexes et de vivacité intellectuelle et éthique lorsqu’il s’agit de se prononcer sur les « événements de Tunisie ». C’est en particulier le cas de la corporation sarkozienne, qui peine à reconnaître là le soulèvement d’un peuple, pour n’y voir qu’un trouble à l’ordre public. Car, comme on dit en novlangue politico-scientifique, on ne change pas d’un seul coup le « logiciel » d’un parti politique, et encore moins « l’ADN » d’un président élu après une spectaculaire mise en scène de l’insécurité sur fond de voitures s’embrasant dans la nuit des banlieues...
Il apparaît cependant très vite [3] que l’on a bel et bien affaire à une dictature sévère et corrompue tentant de faire face à une population manipulée, tenue en laisse par une police impitoyable, et frappée par la misère, le chômage et la domination d’une caste. Si, bien vite, les élites de la gauche (éventuellement caviar), nombre d’intellectuels, des journaux et des organes politiques décryptent le surgissement d’une jeunesse et d’un peuple et dénoncent la répression et l’appui indirect de la France [4], en sarkozie la réaction sera singulièrement à contre-temps, et fort révélatrice.
C’est alors, en effet, que Mme Alliot-Marie, ministre d’État, ministre des Affaires étrangères et européennes réussit le génial numéro de bravoure qui couronnera sa fulgurante carrière politique.
N’écoutant que son courage, ses intérêts, et ses inclinations philosophiques, elle propose à la représentation nationale de voler au secours de l’ordre public ben-alien menacée par ces racailles et ces casseurs « laborieux ». Sa générosité universaliste, en effet, lui souffle que ce ne sont pas 700 km de méditerranée qui vont empêcher la France de porter secours à un pays ami.
Et que propose à la tribune Mme Alliot-Marie, sous l’œil approbateur de l’austère Fillon ? De faire bénéficier M. Ben Ali de l’avance française en matière d’ordre public.
Son intuition politique sans faille lui souffle en effet cette formule historique, par laquelle elle propose que « le savoir-faire de nos forces de sécurité, qui est reconnu dans le monde entier, permette de régler des situations sécuritaires de ce type ». [5]
Las ! Inconsciente du changement de tempo de la musique, la dame se prend lamentablement les pieds dans le tapis, et la gamelle qu’elle ramasse gravera son nom dans l’histoire du mandat de M. Sarkozy.
Or quelle injustice ! Quelle ingratitude !
Car la dite compétence à la française n’était pas un fantasme de la dame des affaires étrangères, oh, que non ! Et tandis que son nom s’effaçait lentement de la mémoire des français, ce « savoir faire » s’affinait d’année en année, d’Hortefeux en Guéant, en Valls, en Collomb, puis en Castaner enfin. Sous leurs impulsions républicaines, les stratégies et outillage de robocops suivirent les plus belles tendances de l’innovation en matière de « situations sécuritaires ». Pour rester le leader en la matière, en effet, ils savaient qu’il faut être toujours en avance d’un LDB 40 ou d’une grenade « assourdissante ».
Tant il est vrai que s’il reste de bon ton de se réclamer de la prise de la Bastille, il faut laisser entendre que celle-ci jamais ne troubla l’ordre public, ou bien que si les manants de 1789 étaient bien un peuple, ceux d’aujourd’hui ne sauraient être autre-chose que des casseurs et des « ultras » dont le bord reste à déterminer. Et les Gilets jaunes, des apprentis « radicalisés » donc, relevant sans le moindre doute du savoir-faire sus-nommé.
Cependant, atteint d’un léger déficit acoustique et n’ayant pas eu connaissance de la mirifique offre du Dr Afflelou, M. Castaner n’entendit pas tout de suite le bruit du désordre, et ne sut pas dégainer à temps la belle caisse à outils initiée par sa prédécesseure. Ou peut-être ne la trouva-t-il pas tout de suite. Ou peut-être...
Quoi qu’il en soit, la démonstration du fameux savoir-faire, en ce samedi 1er décembre, fut si désastreuse, et « l’ordre public » si malmené, que Mme Alliot-Marie dut en trembler dans sa circonscription.
Mais l’habile et versatile politique se reprit bien vite.
Et c’est bien à une revanche de Mme Alliot-Marie que nous avons assisté en ce mémorable samedi 8 décembre 2018, à une éclatante revanche démontrant à la face du monde l’avance française en matière de protection de la plus belle avenue du monde. Et des environs jusqu’à Mantes-la jolie.
Belle revanche, qui a fait éclater à la face du monde l’universalisme du pays des droits de l’homme, capable, pour garantir sa fière devise, de mobiliser « 90 000 forces de l’ordre », de faire protéger les Champs Élysées par des blindés, de placer un milliers de personnes en détention préventive.
Et de « protéger contre eux-mêmes » des dizaines d’adolescents enfin domptés, sans craindre une seconde que l’image ne rappelle les camps du général Pinochet ou celui de Drancy...
Gérard Collet