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Retour vers l’ancien monde : De la pathétique instrumentalisation du « Parcours mémoriel » par le président Macron

Ainsi donc le premier 11 novembre du Grand dirigeant français, espoir de toute l’Europe et de bien au delà, a été l’occasion d’un Grand et Beau discours prononcé avec ce ton inimitable de l’Homme qui a vu l’homme qui sait comment on influe sur le destin du monde. Et dans le bon sens [1].

Et voilà notre apprenti sorcier des faits de civilisation qui s’est emparé de la sacro-sainte commémoration et a pensé faire son miel du cortège d’émotions qu’elle véhicule encore. Il a cependant cette fois-ci évité les hurlements, comprenant tout de même que ce n’est pas le lieu.
Mais avec cette confiance confondante en sa bonne étoile, ou plutôt en sa dialectique imparable, le voici qui fonce tête baissée dans les poncifs que l’on pensait appartenir à un très ancien monde, et dans les totems que les gens raisonnables contournent avec prudence. Au risque de lever de bien vilains lièvres. Il y a de l’Achille Talon dans cet homme là.

Et hop, une louche grandiloquente sur nos héroïques poilus. Et vlan et un collier de grands mots soigneusement enfilés, vidés de tout sens par le contexte et usés jusqu’à la corde par ses prédécesseurs. De si grands mots dont la sincérité est si peu crédibles qu’ils font irrésistiblement penser aux discours sonores et prétentieux du maire de Champignac [2].

Car que veut dire toute cette mise en scène communicationnelle ? Quel est le but de cette grandiloquence éculée, truffée de langue de bois ? Comment interpréter cette prétention à un discours de portée historique sensé s’adresser aux peuples, mais joué devant leurs dirigeants dans une partition surtout marquée de prétention et d’hypocrisie ? Comment croire un seul mot de ce galimatias quand la « Chanson de Craonne » reste encore étouffée ? Ses vérités paraissent-elles donc encore si dangereuses ?

Hé bien une seule signification est possible : M. Macron par son ton solennel et emphatique entend rappeler que le récit de cette guerre emblématique doit rester celui des dirigeants, des chefs militaires, doit répéter la geste patriotique et consensuelle de Foch en De Gaulle en Mitterrand Sarkozy et Macron [3]. Qu’il ne doit jamais se dire que cette guerre fut le résultat de politiques inconsidérées, de coups de pokers ineptes joués des deux côtés par des militaires inconscients et avides de gloire, par des industriels avisés, par des politiques aveugles. Qu’elle avait des enjeux économiques, financiers, coloniaux, impériaux, des enjeux de domination. Qu’elle a été mal conçue, mal dirigée, que seule la terreur militaire, la censure et la propagande mensongère ont permis de la poursuivre jusqu’à épuisement. Que nombre de soldats ne la vivaient que comme un sacrifice inutile... Il reste essentiel, au fond et toujours, d’en dissimuler les aspects de classe, de faire oublier qu’elle n’est que la continuation de la guerre économique par d’autres moyens, comme on le sait [4].

Qu’il n’y a pas eu de victoire, mais une usure absolue de tous les camps, finalement interrompue par une Amérique sonnant la fin de partie et assurant derechef sa suprématie.

M. Macron entend surtout ne pas rappeler la lucidité et le courage de Jaurès, ne jamais parler du procès de son assassin, enterrant si opportunément cet épisode clé [5].

Il s’agit au fond, car la « mémoire » des chefs n’a pas d’autre but, de saisir cette grande occasion de légitimer présent et futur à l’aune d’un passé sanglant écrit par les classes dirigeantes.

On sait que notre Grand Président croit au roman national, et on devine qu’on a dû lui faire des fiches sur les ouvrages de Yuval Harari, mais il y a des limites à la crédulité des peuples [6].
M. Macron et ses équipes ont pourtant tranché : pour survivre, pour conserver le pouvoir, pour « réformer » toujours plus, il faudra brouiller les pistes, il faudra mentir encore, dissimuler, trahir, égarer le plus longtemps possible. Et pour cela mobiliser toutes les ficelles de la rhétorique politique ; or les thèmes de la guerre, de la patrie, de l’unité nationale et du sacrifice consenti restent des « éléments de langage » clés du pouvoir dans les moments difficiles.

Pourtant M. Macron n’a pas compris, et aucun de ses conseillers non plus semble-t-il, que si il y a là peut-être une manière de gagner du temps, de remporter de petites victoires tactiques, l’effet dans la durée est catastrophique, destructeur. Il n’a pas compris (ou c’est bien imité) que c’est cela même qui ronge la confiance, que c’est cela même qui mine la démocratie dont il se gargarise. Que cette suite d’inepties, de vérités partielles, de contre-vérités et de langue de bois dévalorise sa parole et celle de tout le personnel politique, et cela pour longtemps et de manière pernicieuse. Lui et ses pairs feindront ensuite, l’air pénétré et grave, de s’interroger sur le désenchantement, sur le populisme, sur le complotisme, et demain peut-être sur le surgissement de leaders autrement dangereux que l’épouvantail consacrée. Car, même sans approcher son don de divination et son profond sens de l’Histoire, chacun d’entre nous ressent la duplicité de son discours et s’en révolte secrètement.

Et en effet, en quoi consiste l’exercice auquel le président français s’est livré lors de la commémoration officielle ? Au travestissement de la vérité de ce conflit fondateur, d’une partie de la vérité en tous cas, et précisément de celle qu’a vécue la troupe, de celle qu’ont raconté nos grands-parents, de celle que dirigeants et chefs de guerre, à peine signé l’armistice, se sont efforcés de masquer, de ré-écrire, d’euphémiser, de subtiliser aux rescapés. Cette guerre fut une apogée de la domination de classe, et il est essentiel de le masquer par des mots ronflants, par des arguties trompeuses mais qui ont fait leurs preuves avec leur cortège de monuments aux morts, de sonneries de clairons et de panoplies de médailles.

Voici maintenant un siècle que cette supercherie dure ; on la croirait aujourd’hui inutile, mais on découvre avec stupéfaction que bien au contraire elle paraît à nouveau nécessaire à nos dirigeants, et conduit Macron à la réintroduire, dissimulée sous un verbiage d’apparence pacifiste. Or il faudrait que quelqu’un lui fasse entendre que ce n’est pas ainsi que l’on tirera la moindre leçon susceptible de nous épargner le retour de la guerre. Il faudrait que nous le comprenions tous.

La question que l’on peut se poser est en fait une alternative : peut-on faire crédit au président d’un minimum de sincérité doublée d’une épaisse couche d’ignorance, de naïveté, d’improvisation ? Ou bien doit-on au contraire penser que lui, ses semblables, ses prédécesseurs et ses conseillers savent exactement pourquoi ils tiennent ces discours qui toujours recèlent cette volonté de domination, masquée sous toutes sortes de faux fuyants. Ces discours qui périodiquement conduisent au retour de la guerre. Car seule la dénonciation des mécanismes qui ont conduit au déclenchement de cette guerre et de tant d’autres, de ceux qui ont permis qu’elle se poursuive sans fin, pourraient un jour éviter son retour. Mais cette sincérité, cette émancipation des esprits leur paraissent bien trop périlleux pour leur pouvoir.

Ne faudrait-il pas en effet, si l’on veut traquer vraiment les forces guerrières, reconnaître, dénoncer les enjeux et les mots qui bien avant 1914 laissaient présager de la catastrophe ? Qui la préparaient et la rendaient chaque jour plus probable. De la dramatisation de la question d’Alsace-Lorraine aux crédits de réarmement, puis à l’allongement du service militaire ; de la concurrence coloniale culminant au Maroc en 1905 aux rivalités commerciales, économiques et financières. Car ces vrais motifs n’ont pas disparu, et ce sont bien des affrontements impériaux sur fond de concurrence exacerbée qui font à nouveau planer le risque de guerre.

Ne faudrait-il pas au contraire cesser de masquer les sinistres réalités et leurs acteurs derrière le romantisme de la défense de la patrie en danger par toute sa jeunesse héroïque et prête au sacrifice ?

Or voici que notre imprudent président se risque à une acrobatique dialectique où il tente de restaurer ce bien commode « patriotisme » en affirmant une hypothétique opposition avec le méchant nationalisme. Ce dernier étant probablement le patriotisme des autres [7].

Patriotisme sans doute lorsqu’un peuple est agressé, spolié, occupé. Ce fut le cas des « indigènes » de l’Algérie. Mais quid du patriotisme qui conduit à asservir les autres sous de faux prétextes ?
Le voici ailleurs qui tente inconsidérément de restaurer la figure de l’ex- maréchal Pétain tout en arguant de la grandeur universaliste de la France [8].

Il aurait importé au contraire de ne pas poursuivre des récits partiaux, tronqués, falsifiés et dangereux. Ces récits qui révèlent le mépris du fantassin, comme en temps de paix si souvent transparaît le mépris du travailleur. Il aurait fallu renoncer à dissimuler encore les inconséquences des gouvernants, les erreurs du commandement. Son obstination à préparer la guerre précédente en espérant s’absoudre de sa défaite, et à faire réparer les fautes stratégiques et les inepties de la doctrine par les fantassins, et pour la gloire des chefs. Là réside en effet l’une des causes majeures du massacre des soldats « prêts à donner leur vie ».

Dans cette période cruciale, déjà, les paroles des politiques préparent les actes, tissées de mensonges, d’aveuglement, voire de bêtise superbe [9].

Quelle impudence en effet, que de chanter encore l’esprit de sacrifice de nos malheureux ancêtres en omettant de rappeler quelles doctrines militaires et quels ordres les y ont contraints...

Des historiens critiques, retraçant les credo des stratèges plus tard maréchalisés notent :

../..Se développe ainsi le concept d’offensive à outrance, soutenu par la quasi-totalité des généraux de l’époque (Bonnal, Cardot, Langlois) et enseigné dans les écoles militaires comme celle de Saint-Cyr. ../..

Le colonel de Grandmaison [10] explique l’importance décisive du combat rapproché (utilisation de la baïonnette). En définitive, l’image de la percée glorieuse du XIXe siècle demeure ../.. L’armée française a toujours une guerre de retard. (Wikipédia).

../.. L’échec militaire sur le front ouest peut se constater, du côté français, par l’opiniâtreté du chef d’état-major général de l’armée française Joseph Joffre.

../.. et l’on peut retenir cette phrase attribuée au Général Lucien Cardot :

« Il faut des massacres et l’on ne va sur le champ de bataille que pour se faire massacrer »..
(Wikipédia)

Au crédit de l’intelligence stratégique du haut commandement, l’on n’oubliera pas de verser, bien sûr, l’impréparation des défenses de Verdun, que Joffre et ses généraux laissèrent à la merci de l’assaut allemand de février 1916, refusant de considérer l’hypothèse d’une offensive alors même que Falkenhayn la préparait activement. Et voilà donc un tour de passe-passe de plus par lequel l’impéritie des chefs fut muée en un mythe grandiose au prix de la vie de 150.000 soldats français. Et par lequel la critique de la myopie du commandement fit place au récit de l’héroïsme des sans-grade [11]. Tant il est vrai, comme le résume si bien Jules Roy, que « Les erreurs des chefs se payent avec le sang des soldats » [12].

Les phrases creuses et bien pensantes dont résonne le discours du 11 novembre 2018 sont donc émaillées de faux-fuyants ronflants. On pourrait bien entendu se contenter de le déplorer avec un sourire navré. Mais elles occultent tant de malheurs et œuvrent à en rendre tant d’autres possibles qu’il faut plutôt blêmir de rage et en dénoncer l’imposture.

Florilège et contrepoint du beau discours macronien [13]

’Jamais, vous m’entendez, je ne laisserai la dent des démolisseurs fouler au pied ces vieilles pierres dont le front chargé d’histoire a bercé le cadre où nos pères ont fait leurs premiers pas et dans le sein desquelles dort un passé glorieux qui tient l’œil fixé sur ses fils respectueux...’

(Discours du maire de Champignac, Le voyageur du Mésozoïque, note 2)

En effet, ce n’est pas perdre son temps que de ré-écouter ce discours de commémoration, de scruter ses mots et ses formules et de tenter d’en comprendre le double sens. Point d’innocence en effet dans ce texte, mais un projet de restauration d’un certain ordre social où la grandeur de l’Armée tiendrait un rôle central. Cet ordre social, précisément, qui a mené nos grands-pères à Craonne et fait de M. Macron le digne descendant des dirigeants de l ’époque.

L’appel de l’idéal

D’emblée, l’auditeur ébahi doit supporter d’entendre réaffirmée une volonté unanime de venir des quatre coins de l’Empire défendre la généreuse mère patrie si injustement agressée.

« ../.. cet immense cortège des combattants où défilent des soldats de la métropole et de l’empire, des légionnaires et des garibaldiens avec des étrangers venus du monde entier, parce que la France représentait, pour eux, tout ce qu’il y avait de beau dans le monde . »

Si certains de ces idéalistes existaient sans doute, l’image d’Épinal, fait évidemment bon marché des travaux mettant en doute le fameux enthousiasme d’un départ « la fleur au fusil » [14]. Elle omet également de parler des conditions de recrutement de ces troupes et de l’utilisation qui en a été faite [15]. Puis aussi, elle omet de rappeler combien cette confiance, si elle a jamais existé, était bien mal placée et fut maintes fois trahie, en 14-18 comme plus tard.

Après la Libération, les soldats des colonies sont chaleureusement fêtés, comme les autres, lors des défilés de la Victoire sur les Champs Élysées, le 11 novembre 1944 ou encore les 8 mai et 14 juillet 1945.
Mais leur amertume est grande quand ils découvrent après la démobilisation qu’ils devront se satisfaire de pensions inférieures du tiers ou de moitié à celles de leurs compagnons d’armes européens, malgré les demandes expresses de leurs officiers [16].

Mentionnons aussi la reconnaissance de notre pays envers les sénégalais qui avaient combattu sur le front (en 39-45), et eurent l’outrecuidance d’en réclamer la solde...

Les faits, non contestés, sont que dans la nuit du 1er décembre 1944, des Tirailleurs sénégalais, rapatriés à Dakar après être sortis des prisons allemandes, ont réclamé leurs soldes, refusant de rentrer chez eux. La réaction des autorités françaises a été d’en abattre un certain nombre [17].

La folie des hommes

Puis c’est encore l’héroïsme, les phrases ronflantes et vides sur la « folie des hommes ».

J’ai vu les villages détruits qui n’avaient plus d’habitants pour les reconstruire et qui ne sont aujourd’hui encore que le témoignage, pierre sur pierre, de la folie des hommes !

M. Macron a donc « vu » Fleury-devant-Douaumont ! Mais qui donc était son prof d’histoire ?

Platitude que cette formule éculée. « La guerre, gross malheur ! » dit-on paraît-il outre Rhin.

Mais d’où vient donc cette « folie », qui donc l’a orchestrée, de quels hommes s’agit-il, et quels son ceux qui ont tenté de l’arrêter ? Lorsqu’on se penche sur cette question, on retombe immanquablement sur le « pragmatisme » des dirigeants politiques, et sur les intérêts impérialistes qu’ils défendaient. Là est la folie des hommes, des hommes de pouvoir, tandis que d’autres, au péril de leur vie tentent encore de guérir cette folie contagieuse. D’autres dont le nom n’est pas même mentionné par le Grand Penseur Macron. Il ne s’agit pas d’un point de détail, car ce sont aujourd’hui, en Libye, en Syrie, au Mali, au Yémen, les mêmes considérations qui guident nos dirigeants et leur dictent leurs mots hypocrites. Même si pour l’heure les victimes sont des peuples éloignés. La même folie ?

Aux derniers jours de l’avant-guerre, disons-le puisque Macron l’ignore, Jean Jaurès parcourt la France pour tenter encore l’impossible. Il est à Vaise le 25 juillet 1914, où il exprime sa détresse et sa colère, et dénonce les causes prévisibles.

Ce jour-là, le gouvernement présidé par l’ancien compagnon de route de Jean Jaurès, Aristide Briand, déposait sur le bureau de la Chambre des députés le projet que les socialistes, unis derrière leur chef de file Jean Jaurès, vont combattre de toutes leurs forces. (La « Loi des 3 ans »)
Jaurès vient à Lyon, le 25 Juillet 1914 pour crier le mélange de tristesse, d’angoisse et d’espérance qui l’étreint à la veille de la guerre :cette guerre qui se profile, et qui, il le sait, va écraser toute une jeunesse et avec elle une partie de l’espérance des peuples
 [18]. Les dirigeants, eux, semblent l’ignorer.

Lorsque nous avons dit que pénétrer par la force, par les armes au Maroc, c’était ouvrir l’ère des ambitions, des convoitises et des conflits, on nous a dénoncés comme de mauvais Français et c’est nous qui avions le souci de la France.../..

Et alors notre ministre des Affaires étrangères disait à l’Autriche : « Nous vous passons la Bosnie-Herzégovine, à condition que vous nous passiez le Maroc »../..

Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s’il nous reste quelque chose, s’il nous reste quelques heures, nous redoublerons d’efforts pour prévenir la catastrophe.

Le 1er mars, l’Humanité, en France, et Vowärts, en Allemagne, publient un même texte en allemand et en français : « C’est le même cri contre la guerre, la même condamnation de la paix armée qui retentit à la fois dans les deux pays. [19] »

Voilà donc, M. Macron des hommes que la « folie » épargnait et dont le souvenir vous fait défaut.

Voilà ceux qui parlaient vraiment de toutes leurs forces pour la paix, voilà ceux qui se défendaient de la « folie » orchestrée et dont vous gommez intentionnellement le souvenir pour vous contenter de formules de café-comptoir. Voilà précisément pourquoi vos incantations ne sont que des impostures.

Souvenons nous... certes, mais de quoi ?

Et voici à l’œuvre la traduction de « l’itinérance mémorielle » :

« Souvenons-nous ! N’oublions pas ! Car le souvenir de ces sacrifices nous exhorte à être dignes de ceux qui sont morts pour nous, pour que nous puissions vivre libres ! »

Mais que peut bien signifier cette formule ? Au pied de la lettre, elle suggère que nous devrions, nous aussi, être éventuellement prêts au sacrifice, faire nôtres l’obéissance, l’adhésion aveugle aux raisons de la guerre, et la foi en nos dirigeants.

Mais si l’on y voyait autre chose ?

Mais si pour être « dignes » de ces ancêtres, il fallait justement connaître les raisons exactes de leur disparition. Car comment être dignes des « fusillés pour l’exemple » ? Comment être dignes de ceux que l’on a contraints à courir sans espoir face à la mitraille, sous la menace d’’une accusation de défection face à l’ennemi ? Dignes de ceux qui furent enterrés vifs dans leurs tranchées ?
Et si la dignité, la fidélité à ces ancêtres était de se souvenir de leurs plaintes, de chanter avec eux la Chanson de Craonne ? D’exiger le jugement des responsables militaires de leurs souffrances et de leurs vies gâchées ? Si c’était glorifier la lucidité des mutins de 17 tentant de freiner, justement, la « folie » de leurs chefs au péril de leur vie, sous la menace du peloton d’exécution de leurs frères ?

Si c’était s’opposer aujourd’hui aux menées guerrières de nos dirigeants ? Aux ventes d’armes ? A la militarisation de la société et au retour en grâce des généraux ?

Nos valeurs universelles

Découvrons avec M. Macron les vertus congénitales de la France éternelle :

« Cette vision de la France comme Nation généreuse, de la France comme projet, de la France porteuse de valeurs universelles, a été dans ces heures sombres exactement le contraire de l’égoïsme d’un peuple qui ne regarde que ses intérêts »

On a déjà souligné plus haut à quel point les causes de la guerre de 14-18 étaient totalement dénuées de considérations terre-à-terre, et à quel point tout calcul égoïste en était exclu... mais scrutons aussi cette idéalisation « cliché » de la France.

Si l’on se penche par exemple sur l’abolition de l’esclavage, on constate qu’en dépit de nombreux aller-retours, le Danemark et la Suède mettent fin à la « traite des noirs » avant la fin du XVIII° siècle, Haïti abolit l’esclavage en 1804, le Chili en 1823, le Mexique en 1829, l’Angleterre en 1838. La France l’abolit enfin de manière définitive en 1848.

Du côté du droit de vote des femmes, même constat : L’URSS naissante accorde le droit de vote aux femmes en 1917, les États-Unis l’établissent en 1920, le Royaume-Uni en 1928, la France en octobre 1944. La chronologie établie par Wikipédia montre que la France est plus prompte à cette avancée que le Liban, la Bolivie, Haïti ou l’Arabie saoudite, mais moins que Cuba, l’Ouzbékistan ou la Birmanie.

Enfin, du côté de l’obsession impériale, si le Royaume-Uni donne son indépendance à l’Inde en 1947, la France s’accrochera à « son » Indochine jusqu’en 1954 et mènera une guerre inutile jusqu’en 1962 pour retarder l’indépendance l’Algérie. 15 ans après l’Inde !

Non pas qu’il s’agisse de « battre sa coulpe » et de sous-estimer l’importance de ces valeurs et de ce qu’elles doivent sans doute à la France. Mais à ces valeurs justement, l’hypocrisie, la dissimulation et la manipulation ne conviennent pas.

Certes ces « valeurs universelles » existent et constituent l’une des grandeurs du Récit National. Mais nos dirigeants successifs s’en gargarisent bien aisément, oubliant les trahisons qu’elles ont subi maintes fois, et les invoquant comme si elles étaient leurs alors qu’elles découlent si souvent des idées mêmes qu’ils combattent pied-à-pied.

Ce sont ces récits tronqués et partisans qui discréditent le discours politique, invalident vos paroles et font douter de la sincérité du panégyrique.

La communion des peuples européens dans la commémoration

Puis voici le couplet sur la liberté éclairant le Monde...

« Combattante du droit, combattante de la Liberté, la France serait toujours et à jamais le soldat de l’idéal. » (M. Macron citant G. Clemenceau)

Et pourquoi pas aussi Got mit uns ?

Si l’on peut à la rigueur comprendre que, tout à l’enthousiasme de la fin de la guerre, Clemenceau se soit laissé aller à cette grandiloquence, la voici qui frise l’indécence, un siècle plus tard, à la lumière des heures moins glorieuses et moins nobles que put traverser le pays, et alors qu’on met en avant la grande communion des peuples.

Veut-il nous faire croire, M. Macron, qu’il ne sait pas que le même discours pourrait être tenu par les autres protagonistes, que le même discours est toujours tenu des deux côtés ? Ne voit-il pas que ces mêmes mots devraient également être prêtés à nos anciens ennemis, sauf à proclamer soudain dans la grande kermesse où il pérore aux côtés de Mme Merkel, que les soldats allemands, eux, défendaient avec le même courage et la même abnégation le non droit, la soumission, la tyrannie, la bassesse ?

Tous les sans-grade, en tous cas, firent l’expérience d’une « liberté » bien particulière, à l’aune de l’arbitraire militaire le plus absolu.

Enfin, dès l’armistice signée, la justice s’étend sur le monde, révèle un Macron en verve

« Dès 1918, nos prédécesseurs ont tenté de bâtir la paix, ils ont imaginé les premières coopérations internationales, ils ont démantelé les empires... »

Il est possible que, terrifiés pas ce qu’ils venaient d’orchestrer, certain des Grands dirigeants du monde aient sincèrement désiré éviter la réédition de telles horreurs. Mais sont-ils pour autant allés au delà de leurs intérêts cyniques, immédiats et calculables ?

Ah, vraiment ? Ils auraient démantelé les empires ? Au secours Blanquer ! Macron est nul en histoire !

Ils ont démantelé les empires des perdants, s’en sont appropriés les lambeaux restants quand ils l’ont pu, ou en ont fait des états tampons de leurs ambitions ou de leurs peurs. Quant aux fameuses valeurs morales de la France, elles l’ont poussée à agrandir et maintenir son propre empire jusqu’à l’aveuglement, jusqu’à la catastrophe, jusqu’à de nouvelles guerres justement, et jusqu’à la défaite pour parachever l’ouvrage.

En 1919, le traité de Versailles entérine la fin de l’Empire colonial allemand, dont les vainqueurs se partagent les colonies sous mandat de la Société des Nations :la France obtient la majeure partie du Cameroun et la partie orientale du Togo, qu’elle partage avec l’Empire britannique [20] ;

A Versailles Les préoccupations des peuples vivant sur les territoires est peu à peu négligée au profit des intérêts nationaux. L’Allemagne est également privée de ses colonies [21].

Et la jeunesse « accepta de mourir » donnant ainsi aux dirigeants actuels « le visage de l’espérance »

« ../.. voyez tant de vos dirigeants rassemblés ../.. Chacun d’eux est le visage de cette espérance pour laquelle toute une jeunesse accepta de mourir » ! ../..

Il faut tout d’abord noter ici que « Chacun d’eux » renvoie aux « dirigeants rassemblés ../.. sur cette dalle sacrée ». On compte donc parmi les visages de cette espérance ceux des présidents Idriss Déby, Sassou-Nguesso, Hashim Thaçi, dont on trouvera dans un article de Jacques-Marie Bourget le CV instructif qui démontre à quel point « ... l’esprit de conciliation l’emporte sur la tentation du cynisme » [22].

Mais ouvrez des livres, M. Macron, regardez des films, relisez les discours de Jaurès, si jamais vous les avez un jour écoutés. cherchez-y si cette jeunesse acceptait de mourir. Quelques irréductibles, quelques incorrigibles baroudeurs, quelques patriotes frisant le fanatisme, oui. Oui, ils existent, ces héros et partout ; ici les Péguy, là bas les Junger, mais ils sont peu nombreux, et tous les mobilisés et rappelés ne partageaient pas leur enthousiasme.Toute une jeunesse non.

Tous étaient emplis de courage, ils étaient endurants, ils étaient tenaces et solides et capables de supporter des conditions infâmes tandis que leurs chefs et commanditaires étudiaient les cartes dans des châteaux abrités.

Et cela en effet est admirable. Mais en aucun cas ne doit vous servir à faire oublier QUI joua et abusa de leur courage et de leur abnégation, avec quelle inconscience coupable et à quelles fins.

Ils pouvaient être stoïques, fatalistes, ne pas savoir que faire, comme aujourd’hui devant votre politique inique beaucoup sont paralysés. Ils ont pu accepter leur sort. Faire le gros dos et compter sur la chance.

Mais surtout, ils étaient résignés. Ils étaient façonnés, dressés. Ils avaient été dressés par votre armée, certains par deux années de service avant même le grand carnage. D’autres même, plus jeunes, dès les enfants de troupe [23]. Par une armée capable d’envoyer Dreyfus en Guyane pour masquer ses mensonges, pour protéger son « honneur » qui en avait grand besoin. Conditionnés par les enseignants même qui devaient répéter d’année en année l’hexagone amputé, la nécessité de récupérer l’Alsace-Lorraine. Surveillés par vos gendarmes dès qu’ils s’éloignaient du front, menacés d’être mutés en 1° ligne au moindre écart ou fusillés pour l’exemple s’ils ne se montraient pas assez empressés d’accepter de mourir. Encerclés même par « l’arrière » que l’on voit si bien à l’œuvre dans « A l’ouest rien de nouveau... », et dont on mesure aussi le poids dans le film français « Blanche Maupas ». Beau travail de la propagande de guerre.

Et s’ils parlaient de « la Der des Der », c’était pour tenter de croire qu’ils seraient les derniers à avoir dû endurer une telle inhumanité. Pour espérer qu’à cette sanglante duperie on ne prendrait pas leurs fils et les fils de leurs fils... Pour croire que la vérité complète serait dite un jour sur ce qu’on leur avait fait faire et fait endurer. Eh bien il leur fallut s’armer de patience, et c’est en France que l’on dut attendre le plus longtemps pour que des cinéastes enfin retracent cette guerre, tandis que l’Amérique, l’Angleterre, l’Italie s’y risquaient bien avant [24]. Et de ce point de vue, ce n’est pas le discours de M. Macron qui leur rendra justice..

Oseriez-vous dire aussi que c’est pour cette espérance que les dizaines de milliers de jeunes gens que vos illustres collègues de la 4° république ont envoyés se faire tuer en Algérie « acceptaient de donner leur vie » ? Peut-être, car votre suffisance ose tout.

Comme projet, des phrases de patronage :

« Soyons sans relâche, sans honte, sans crainte ces femmes et ces hommes de bonne volonté ! ».

Certes, mais la bonne volonté ne suffit pas. Il faut aussi chercher les responsables. Les désigner. Non pas nommément, non pas pour les punir il est trop tard et à quoi bon, mais ès qualité pour mettre en évidence les aspects de classe, les aspects liés à la domination.

L’Histoire menace parfois de reprendre son cours tragique et de compromettre notre héritage de paix, que nous croyions avoir définitivement scellé du sang de nos ancêtres.
« Que ce jour anniversaire soit donc celui où se renouvelle l’éternelle fidélité à nos morts » 

Dans quel but énoncer de telles phrases qu’on croirait sorties d’une série fiction grandiloquente ? Et en quoi consiste donc cette « fidélité » ? Ne serait-ce pas qu’un mot creux de plus ?

Sans plus de précision, elle est le cœur du mécanisme par lequel, vos prédécesseurs et vous, vous êtes approprié l’âme des soldats après avoir présidé à la destruction de leurs corps ; avez fait parler les chefs militaires à leur place, et tenté de maintenir intacts les mécanismes qui ont permis de poursuivre cette guerre, et en ont légitimé bien d’autres. Et aujourd’hui, en perpétuant ce discours momifié et phraseur, vous œuvrez à légitimer celles que vous menez encore, loin des caméras, et à rendre possibles les suivantes dont vous parlez déjà, en les accréditant.

Et pour parachever l’œuvre, un rapide volet « vert » et humaniste.

« Ensemble, nous pouvons conjurer ces menaces que sont le spectre du réchauffement climatique, la pauvreté, la faim, la maladie, les inégalités, l’ignorance. »

Quel bel universalisme, quelle pensée globale et synthétique !

Il y a dans le verbe de M. Macron la prétention à incarner la sagesse d’Ulysse. Un Ulysse dont l’Odyssée se serait déroulée dans les salons des banques et dans les couloirs de Bercy, dont les Charybde et Scylla seraient le départ de ses ministres et la révolte des Gilets Jaunes.
Quelle hypocrisie dans l’invocation de ces arguments à la mode auxquels ne manquerait qu’une allusion à la détresse des ours polaires... ?

Les Grands défis du monde résumés et conjurés en une courte phrase. Le « spectre du réchauffement climatique » qui soudain vous apparaît... alors que vous savez pertinemment que la préservation de l’environnement est fondamentalement incompatible avec le type de développement, avec le type de société que vous vous escrimez à faire survivre...

Ensemble, dites vous ? Y a-t-il un seul d’entre vos pairs qui se place à la hauteur de ces beaux enjeux ? Et qu’allez-vous donc apporter à ces pairs alors que vous avez poussé au départ votre emblématique ministre de l’écologie sans cesse trahi, et que vous avez dépensé tant d’énergie à nous expliquer que les inégalités, non seulement sont inévitables, mais sont le moteur du seul monde que vous connaissiez. Ces « inégalités » portées par les « millionnaires » dont vous souhaitez la multiplication, par ces « premiers de cordée » à qui vous faites la courte-échelle et dont bon nombre s’enfuient avec la caisse ou se spécialisent dans l’évasion fiscale...

On ne pouvait mieux que vous souligner le lien entre guerre et lutte des classes...

Puis enfin, cette belle allocution débouche sur des adresses subrepticement politiques et désintéressées

« Ensemble, nous pouvons rompre avec la nouvelle « trahison des clercs » qui est à l’œuvre, celle qui alimente les contre-vérités, accepte les injustices qui minent nos peuples, nourrit les extrêmes et l’obscurantisme contemporain »

Qui sont donc ces clercs ? Vos adversaires politiques, sans doute, car il ne s’en trouve aucun parmi vos soutiens j’imagine ? Clercs de gauche comme clercs de droite, tous « nourrissant les extrêmes », n’est-ce pas ? Alors qu’il est si simple et lumineux de feindre de ne se situer nulle part, en promettant d’être ici et ailleurs « en même temps », en plein milieu d’un gué entretenant tous les flous.

Honte à tous ceux qui douteraient de la Mondialisation heureuse

Et pour clore, un bel exemple de langue de bois où il s’agit au fond de discréditer élégamment la résistance au libre échange roi (le fameux « repli ») en l’associant à des horreurs. De quel coté est la domination ?

« Ruiner cet espoir par fascination pour le repli, la violence et la domination serait une erreur dont les générations futures nous feraient, à juste titre, porter la responsabilité historique ».

Tout adversaire de votre conception étouffante du libre échange, de votre vision unique et étroite d’un « monde meilleur » doit être disqualifié par votre rhétorique, renvoyé à la violence et à la domination. Qui sait pourquoi quand la domination semble aujourd’hui de votre seul fait ?

Alors, qu’avez-vous donc oublié, omis, dans votre commémoration emblématique ?

Vous avez parlé de la paix mais jamais de la parole des soldats.
Jamais de la lucidité de Jaurès et de son combat
Jamais vous n’avez énoncé la vérité sur les batailles, sur les causes des massacres que vous déplorez. Jamais évoqué la situation révolutionnaire de l’Allemagne de 1918, qui explique pourtant si bien la fin de la guerre, jamais les erreurs de Versailles qui éclairent la suite de l’histoire.

Jamais le fait que les soldats n’avaient pas seulement « consenti », mais avaient été contraints sous la menace d’être fusillés.

Jamais non plus parlé de l’aveuglement du personnel politique, de M. Poincaré qui, fasciné par les fastes et les défilés militaires du Tsar de Russie avait cru son alliance invincible, nonobstant là encore les avertissements de Jaurès, qui lui avait compris la situation réelle de cet empire.

Reste alors la grande question, M. Macron. Celle que se posent beaucoup de ceux qui entendent ébahis votre platissime et prétentieux discours. Qui donc comptez vous duper avec de tels mots ? Qui comptez-vous égarer et à qui s’adressent de telles sornettes ? A Mme Merkel votre partenaire privilégiée mais bien à la peine, à M. Poutine, ou encore à l’un des chefs d’état de l’Ex Empire Français ? Ou bien tiens, ne serait-ce pas plutôt au peuple français, ces moins que rien qui bien qu’inscrits à l’ANPE depuis des mois n’ont pas encore appris à traverser la rue ?

Et dans quel but chercher encore à les égarer ?

Est-ce pour conforter votre « Roman national et ses vertus supposées ?

Pour la défense de l’Armée, votre dernier rempart en ces temps incertains, comme le déclare benoîtement un ex officier de l’armée de l’air [25] ?

Pour vos guerres néocoloniales et les ventes d’armes dont elles dopent les chiffres ?

Ou plus prosaïquement pour le maintien de votre fragile pouvoir et des intérêts de vos amis ?

La guerre, dit l’adage, est la continuation de l’économie par d’autre moyens. Eh bien la guerre des classes elle aussi s’y poursuit. Et là où en temps de paix les premiers de cordée envoient leurs équipiers au fond des mines, sur les poutrelles vertigineuses des tours du « progrès » ou dans la poussière de l’amiante, en temps de guerre ce n’est plus la sueur de « ceux qui ne sont rien » qui est requise par les chefs, mais bien leur sang.

Bien sûr on pourrait sourire avec indulgence à ces discours champignaciens : après tout c’est le jeu, il faut bien quelqu’un s’y colle... et vous aimez tant le faire. Comment priver de ce plaisir un enfant si gâté ?

Mais non hélas, ça n’a rien d’anodin, rien de risible et vous n’inaugurez pas une statue. Vous parlez aux peuples d’Europe dans une mise en scène qui mobilise tous les dirigeants, vos alter-ego assumeurs. Ça n’a rien d’anodin et vos mots sont étudiés pour nous dire quelque-chose. Pour légitimer, réaffirmer encore le bien fondé du néolibéralisme, « guerre de tous contre tous », mais selon vous facteur essentiel de paix. Pour nier encore le déterminisme et le rôle de vos guerres. Pour nous préparer à l’éventualité de celles que vous jugerez un jour nécessaires. Pour légitimer, dans l’instant, celles que vous menez aujourd’hui, et celles que vous alimentez des armes de vos industries de mort.

Ainsi œuvrez-vous de manière hypocrite et mortifère à perpétuer la possibilité de la guerre en vous drapant dans des mots trop grands et trop beaux pour vos buts, en vous abritant derrière le sacrifice rituel de nos grands pères, convoqués une fois encore pour protéger votre pouvoir.

Gérard COLLET

[2Personnage de la série Spirou et Fantasio issu des imaginations fertiles de Franquin et Henri Gillain dont on trouvera des extraits plus loin.

[3Voir : https://journals.openedition.org/lisa/4844. (Cet article) tente de mettre en avant les enjeux de la commémoration pendant la guerre en interrogeant d’un côté, les relations entrecroisées entre le culte des morts et le travail du deuil et, de l’autre, celles entre le sacrifice des morts et la culture de guerre, c’est-à-dire les constellations d’images et les schémas de pensée qui ont permis la justification de la guerre. Dans cette perspective, nous plaçons l’émergence du culte du souvenir des morts de la Grande Guerre sous le prisme de la mobilisation nationale et de la guerre totale.

[4Voir J. Attali, l’Express, déc 2013 : « On rêve donc aujourd’hui d’entendre dire que nous sommes en guerre économique, de voir des ministres unis, formant un véritable état-major agissant sans sourciller autour d’un président déterminé. Et qu’on ne dise pas que la gestion d’une crise économique est plus complexe que celle d’une guerre :l’une comme l’autre mettent en jeu la vie d’hommes et de femmes, en des péripéties parfois dramatiques et souvent changeantes. Il faudrait donc apprendre à combattre la crise avec le même acharnement, la même absence de souci de popularité, le même décorum, la même mise en scène,le même vocabulaire que contre un ennemi de l’extérieur. Dans les deux cas. la patrie est en danger. »

[5A l’époque, le meurtrier fut acquitté pour ce crime jugé alors patriotique. Voir : https://www.ina.fr/video/CAB93040725

[6Dans son premier best-seller (Sapiens), Yuval Harari insiste sur l’importance du récit national dans la constitution des empires...

[7Si distinguo il y a entre ces deux « valeurs », elle tient probablement au contexte et non à la propriété congénitale que posséderait une nation (la France bien entendu) sur les grands mots et les idées généreuses et universelles.

[8Qu’importe le défaitisme de juin 40 qui eût conduit un simple soldat au conseil de guerre ; mais comment et pourquoi effacer l’indignité absolue, la tâche ineffaçable de lois livrant des citoyens français à l’ennemi ?

[9Voir les archives de l’Expo 14 de la BNF (http://expositions.bnf.fr/guerre14/arret/03_3.htm). Le grand dispositif de propagande, mis en place par les élites gouvernantes, condamna à mort des milliers d’hommes partis la fleur au fusil. Tandis que les lettres du général Gallieni et les carnets du général Duplessis dénoncent l’incompétence d’une partie de la haute hiérarchie militaire.
Voir : http://www.exponaute.com/magazine/2014/04/30/les-causes-intimes-de-la-guerre-14-18-devoilees/

[10Voir son Règlement d’infanterie de 1913.

[11Le même mépris fut d’ailleurs ressenti outre-Rhin : « Bataille inutile donc, et le soi-disant plan de Falkenhayn fut ressenti comme une sorte de coup de poignard dans le dos des soldats : ils s’étaient sacrifiés devant Verdun pour y entrer et par cette victoire, faire finir une guerre dont personne ne voulait plus, et voilà qu’on leur disait qu’il s’était agi seulement de saigner les Français. C’est pour ça qu’on les avait eux-mêmes saignés ! Un sacrifice inutile donc, ce qui fit perdre tout ’sacré’ au souvenir de Verdun. (Verdun 1916, Antoine Prost et Gerd Krumeich, Tallandier, 2015.)

[12Jules Roy, La bataille de Diên-Biên-Phû. (Cité de mémoire). Le commandant du camp de Diên Biên Phû, où moururent plus de 2000 soldats de l’armée française, reçut le grade de général à quelques jours de la défaite, et rentra de captivité au bout de quatre mois. Les deux tiers des prisonniers, eux, ne rentrèrent jamais.

[13A part la première, les citations proviennent du discours officiel.

[14« Ils sont partis la fleur au fusil ». Petite fabrique médiatique de la mémoire d’un mythe contemporain. http://www.cinema-et-histoire.fr/aout-1914-le-depart-la-fleur-au-fusil-un-mythe/

[15Le général Charles Mangin, qui a participé à l’expédition de Fachoda, publie en 1910 La Force noire. Dans ce livre à succès, il présente l’Empire comme une réserve inépuisable de chair à canon susceptible de compenser la faiblesse de la population métropolitaine en cas de conflit avec l’Allemagne.
../.. C’est surtout en 1917, pendant l’offensive du Chemin des Dames, qu’elles seront engagées en masse. Des bataillons de tirailleurs sénégalais sous les ordres du général Mangin sont lancés à l’assaut d’un plateau escarpé. Les mitrailleuses allemandes font des ravages. 15 000 Africains présents face aux lignes allemandes, 6 000 mourront le 16 avril. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Chemin_des_Dames)

[17https://www.lesinrocks.com/2018/11/17/actualite/emmanuel-macron-va-t-il-enfin-reconnaitre-le-massacre-de-thiaroye-111144590/
Même Jean-Jacques Becker, pour qui l’utilisation des coloniaux comme « chair à canon » est une légende, reconnaît :

« Après la guerre, ces musulmans croyaient obtenir une meilleure reconnaissance. Mais rien ne vint. »

[18Il y a un siècle, Jean Jaurès enflammait Le Pré-Saint-Gervais. http://www.humanite.fr/politique/il-y-un-siecle-jean-jaures-enflammait-le-pre-saint-542191

[20https://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_colonial_allemand#Liquidation_de_l’empire_colonial_allemand_à_la_fin_de_la_Première_Guerre_mondiale

[23Car en ces temps de patriotisme, si on n’était majeur qu’à 21 ans on était bien capable d’ « accepter de mourir » dès 19 ans. cf. http://centenaire.org/fr/espace-pedagogique/pistes-pedagogiques/lordre-de-mobilisation-generale

[24Le Pantalon (1997) ; Capitaine Conan (1996) ; Ceux de 14 (2014) ; La Vie et rien d’autre (1989) ; Blanche Maupas (2009) ; les Croix de bois (1932) ; ailleurs : Les sentiers de la gloire (1935) ; les hommes contre (1970) ; Johnny s’en va-t-en guerre (1971) ; .

[25M. Guillemain, rédacteur sur le site très « droitier » Riposte Laïque : En ces temps plus qu’incertains, où un embrasement généralisé de nos banlieues n’est pas exclu, c’est sur notre police et notre armée que reposera votre pouvoir. Ces deux forces sont les piliers de la République. (https://ripostelaique.com/edouard-philippe-comment-avez-vous-ose-rendre-hommage-a-ho-chi-minh.html)


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Un nouvel art de militer
DIVERS
Ils sont le visage de la contestation des années 2000. Jeudi Noir, Déboulonneurs, Brigade activiste des clowns, Désobéissants, Anonymous... au-delà des formes traditionnelles que sont la grève ou la manifestation, une nouvelle génération de militants est apparue dans l’espace médiatique et agite régulièrement le cours de l’actualité. Chez eux, pas de chef, pas de violence, pas de longs discours théoriques, mais un goût prononcé pour l’humour et les mises en scènes spectaculaires, et un sens (…)
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