Le chantier de Delanoë et d’Hidalgo
L’histoire n’est pas récente, elle remonte même à 1976 lorsqu’un un premier contrat cède à Unibail les Halles en concession pour quatre-vingts ans. En échange de la construction du Forum des Halles, Unibail se serait alors engagé à verser l’équivalent de 6,7 millions d’euros et un loyer de... 20 euros/m2 par an. Construit sur l’ancien emplacement des pavillons Baltard qui constituaient les Halles de Paris, le Forum des Halles, première version, est inauguré en 1979. En 2002, l’idée de sa rénovation fait néanmoins relativement consensus parmi les élus de Paris. Chantier majeur de l’ère Delanoë, elle démarre finalement en 2010, dans le cadre de la réhabilitation de ce quartier du centre de Paris. L’inauguration en grande pompe de la fameuse Canopée, en avril 2016 (1), marqua une étape importante de ce long chantier.
Lors de cette cérémonie, comme le rapporte Le Parisien, Anne Hidalgo, Maire de Paris, a déclaré : « Ce lieu blessé, abîmé, il fallait le réparer, panser la plaie ». Bertrand Delanoë, son prédécesseur à l’Hôtel de Ville, a lui aussi exprimé sa satisfaction : « Il fallait réconcilier le cœur de Paris avec son histoire et son environnement ». Bien. Et Anne Hidalgo d’ajouter : « La couleur [de la Canopée], je la trouve magnifique et le coût, je l’assume, surtout lorsqu’il n’y a que 14 % de dépassement sur un chantier lancé depuis dix ans » (2). Comment l’édile peut-elle à ce point minimiser le l’explosion du coût des travaux ? Là, il faut des explications.
À vos calculettes !
Le rapport d’observation de la Chambre régionale des comptes – dévoilé par Le Canard Enchaîné et Le Figaro le 24 octobre 2018 – est très clair à ce sujet : le coût des travaux est passé de 760 millions en 2009 – au moment où le programme a été précisé – à plus d’un milliard en 2016, soit plus de 30 % de hausse. Alors, d’où vient le taux de 14 % cité par Anne Hidalgo lors de l’inauguration d’avril 2016 ? Tout simplement d’une évaluation qui fut révélée en juillet 2014 à partir d’un document interne de la Mairie. À cette date, déjà, Jean-François Legaret, élu de l’opposition et Maire du 1er arrondissement, parlait de « dérapage généralisé, en termes de délai, de complexité, de coût, dérapage à tous les étages » (3).
Ce que ce rapport ne dit pas, c’est que la Mairie de Paris avait elle-même chiffré le coût à 250 millions d’euros en 2006. Faites les calculs pour mesurer l’ampleur de la gabegie qui commence à faire parler d’elle, à la veille des élections municipales de 2020... Mais ce que dit bien le rapport, ce sont les astuces comptables qui ont permis de réduire la facture par un tour de passe-passe consistant à réduire le périmètre du projet et en faire sortir la remise à neuf des voiries du quartier.
Du grand art
La Chambre régionale des comptes ne se contente pas de pointer du doigt le dérapage des coûts, elle passe aussi en revue les avantages octroyés par l’Hôtel de Ville au promoteur Unibail, propriétaire du site. Elle décrit une série de "dysfonctionnements" qui a permis à la société de racheter à bas coût l’immense centre commercial. Selon les rapporteurs, Unibail-Rodamco – que dirigea Guillaume Poitrinal jusqu’en 2013, avant de se reconvertir dans la construction en bois, nouvelle lubie de la Mairie de Paris ! – aurait réussi à racheter pour 142 millions d’euros (entre 2009 et 2015) la « propriété d’un domaine immobilier rénové par la Ville, de près de 100 000 m2 en plein centre de paris ». Soit seulement 1 420 euros le m2 pour « l’un des parcs de commerce les plus fréquentés de France ».
Affaire sacrément rentable, récompensant surtout la patience du promoteur. Lancé en 2003, le projet de rénovation peine en effet à démarrer jusqu’en 2007, moment où Guillaume Poitrinal met la pression : négociations bloquées et menaces de recours sans fin... La démarche est payante, au sens propre : en 2008, selon Le Canard Enchaîné, la Mairie de Paris aurait abandonné à Unibail la propriété du centre commercial, plus les parkings et des dépendances du domaine public, cession qui sera votée par le Conseil municipal en novembre 2010 pour 238 millions d’euros (4). Pourtant, dès 2008, une note interne – émanant de la direction des finances et celle de l’urbanisme – adressée à Anne Hidalgo, alors première adjointe de Bertrand Delanoë, alarmait l’élue sur le fait que « Unibail serait le principal bénéficiaire de l’opération d’aménagement » et préconisait de « rétablir un meilleur rapport de force »... En 2011, Unibail est, de fait, propriétaire. Bien joué, serait-on tenté de dire s’il ne s’agissait pas in fine de l’argent public.
Le « promoteur préféré de la Mairie de Paris » ?
Que répond le promoteur ? Pour Unibail-Rodamco-Westfield, « Les chiffres évoqués (par Le Canard Enchaîné) ne reflètent pas la réalité des investissements effectués par Unibail-Rodamco-Westfield. Toutes les opérations relatives à cet espace ont été réalisées de manière transparente et dans le respect des règles fixées par les instances municipales et nationales compétentes. Les services de l’État ont rendu des avis cohérents avec deux expertises indépendantes préalables sur les montants des opérations foncières » (5). Circulez, rien à voir. Selon Le Canard Enchaîné, Unibail serait pourtant « le promoteur préféré de la Mairie de Paris ». Rien à voir, vraiment ? Parions qu’à la veille des élections de 2020, vu le nombre de candidats – dont beaucoup de proches de Bertrand Delanoë, bien des langues vont se délier.
Marie Bernard
(1) http://www.leparisien.fr/paris-75/paris-la-canopee-ouvre-apres-cinq-ans-de-travaux-04-04-2016-5686703.php
(2) http://www.leparisien.fr/paris-75/la-canopee-des-halles-inauguree-en-grande-pompe-05-04-2016-5689575.php
(3) https://www.batiactu.com/edito/chantier-des-halles---pourquoi-la-facture-grimpe-e-38767.php
(4) https://www.nouvelobs.com/politique/20150722.OBS2977/comment-unibail-a-mis-la-main-sur-les-chantiers-parisiens.html
(5) https://www.capital.fr/economie-politique/forum-des-halles-les-avantages-faramineux-accordes-par-la-mairie-a-un-promoteur-1312518