Entretien. Antipresse
Liliane Held-Khawam fut l’un des premiers « désinvités » de l’Antipresse (n° 17 du 27.3.2016). L’entretien que nous avions réalisé alors au sujet du détournement des institutions publiques et des coutumes héritées vers un nouveau modèle, transversal et transnational, de pouvoir et de « gestion » de la masse humaine avait marqué les esprits. L’éminente analyste des stratégies financières globales revient aujourd’hui avec un livre impressionnant, Dépossession (éd. Réorganisation du Monde) où elle dresse un tableau dense et argumenté du « hold-up » planétaire sur l’ensemble des moyens dont disposent les peuples et les individus.
Qu’est-ce que la Dépossession ?
Vous suivez depuis des années l’évolution de la finance mondiale au travers de votre blog, qui est devenu une référence. Pourquoi doubler ce travail acharné d’un livre ? En quoi les deux se complètent-ils ?
Sur mon site, je ne peux faire que des analyses ponctuelles. Dans le livre, je cherche plutôt à intégrer les informations collectées durant ces 7 dernières années, et essaye de dégager le modèle qui les sous-tend. Nous avons énormément d’informations. Beaucoup de choses sont publiées par les autorités, mais le public ne bénéficie pas d’analyses de ces données souvent très techniques.
Une autre raison est le fait que je n’ai plus le temps d’écrire dans la « presse papier ». Du coup, avec mon site, je ne touche que les internautes. Avec des livres, j’ai envie d’aller à la rencontre des non-internautes…
Pourquoi ce titre dramatique de Dépossession ? Qui est dépossédé, et de quoi ? Par quelles sources étayez-vous cette mise en garde ?
Le livre démarre avec les grandes crises du début du XXe siècle. En y regardant de plus près, on se rend compte par exemple que la panique bancaire de 1907 a eu de grands effets sur l’opinion publique et a participé à forcer la main de l’État américain à créer en décembre 1913 la Réserve fédérale. Ces grandes crises financières vont au fil du temps, justifier le financement par les États des banques. Le rôle très ambigu des banques centrales, en tant que pivot entre les sphères publique et privée de la haute finance internationale, est essentiel. Il va participer à paupériser les États et enrichir un certain microcosme de la planète finance. Au fur et à mesure des recherches, j’ai aussi découvert la globalisation des politiques monétaires nationales pour servir une seule et unique stratégie mondiale coachée par la BRI.
Un autre exemple de dépossession est le transfert de privilèges régaliens essentiels à la vie des États et à la démocratie vers le même microcosme financier.
Au fur et à mesure de l’analyse, on découvre un faisceau d’avantages convergeant vers les mêmes gros acteurs.
La chose est si vraie que le marché global de la finance n’en est plus un tant la concentration des richesses va croissant pour finir par être centralisée essentiellement entre les mains de quatre grands gestionnaires d’actifs, dont le leader est Blackrock qui est un sous-traitant privilégié, entre autres, de certaines banques centrales. (Ainsi M. Philip Hildebrand a rejoint le groupe suite à son éviction de la BNS).
Progressivement, nous prenons conscience au fil du livre de la coopération très étroite entre quelques grandes banques too big to fail, les banquiers centraux et les gestionnaires d’actifs. Parallèlement à la progression de cette entente, nous ne pouvons que constater la paupérisation des populations…
Vous semblez ramener les gigantesques flux de la finance mondiale à un nombre somme toute très restreint d’opérateurs. Comment définissez-vous ce « club » ? Comment y entre-t-on ?
Ce n’est pas moi qui réduis, mais des enquêtes. Notamment une très importante étude menée par des chercheurs de l’EPFZ qui ont constaté en 2011, suite à la crise des subprimes, que « les participations de 737 firmes dans les autres entreprises du réseau leur permettent de contrôler 80 % de la valeur (mesurée par le chiffre d’affaires) de la totalité du réseau des 43 000 entreprises multinationales de la planète. Et que 147 firmes contrôlent 40 % de cette valeur totale. De plus, l’ampleur des participations croisées entre ces 147 firmes, dont les trois quarts appartiennent au secteur financier, leur permet de se contrôler mutuellement, ce qui en fait une “super-entité économique dans le réseau global des grandes sociétés” ». Ils ont conclu que « l’hyperconcentration du système financier accroît le risque systémique et pose des problèmes de libre concurrence. »
Dépossession montre que la dynamique a augmenté et que les risques liés à la crise des subprimes n’ont pas faibli. Bien au contraire, les produits dérivés atteignent selon des sources le chiffre de 1,2 quadrillion. Ces risques hautement concentrés entre les mains de quelques établissements bancaires too big to fail, c’est-à-dire garantis par l’argent du contribuable sont une arme de destruction massive planétaire dans un marché oligopolistique. Cela signifie que nous sommes otages d’une oligarchie qui peut décider du jour et de l’heure où l’on soufflera la planète finance pour instaurer le nouvel ordre monétaire qui devient inéluctable.
Il est moins une pour comprendre et décider qui va mettre en place ce nouvel ordre : la micro-élite privée ou les collectivités publiques. C’est là qu’entre en jeu l’endettement des États que tout le monde semble admettre comme une évidence, mais qui ne l’est pas pour tout économiste indépendant.
Jusqu’ici, l’économie globale a été essentiellement pilotée par des protagonistes occidentaux, plus exactement anglo-saxons, et organisée autour du dollar. Nous voyons aujourd’hui d’autres pays, notamment ceux du BRICS, tenter de contourner ce monopole au nom d’un monde multipolaire. Est-ce le début d’un réel conflit de civilisations ou une fausse confrontation ?
Les BRICS ne peuvent rien faire. Le système est UN, puissamment enchevêtré, et les BRICS en font partie. Pour le meilleur et le pire.
Comment voyez-vous le paysage économique et financier du monde à 5 et à 10 ans ?
Je pense que nous nous dirigeons vers un système ou l’essentiel des richesses aura été collectivisé par un petit nombre de privés. Quant à l’essentiel de l’humanité, elle devra se satisfaire de ce qui est appelé l’économie de partage dotée d’un revenu de base universel. Il se pourrait que les cryptomonnaies se développent dans le cadre local de ce système.
Les flux financiers réels seront aux mains de l’étage supérieur supranational. Et à ce niveau, l’or reprendra toute sa place.
Que recommandez-vous à ceux qui ont quelques économies ou placements en bourse ?
De rembourser les dettes pour éviter d’être redevable aux banquiers, et si possible d’investir dans des terres agricoles.
Slobodan Despot pour le Drone d’Antipresse.
https://antipresse.net/docs/037322301/Drone_037.pdf?mc_cid=7f54df55f7
Dépossession disponible ici :
1) En direct sur le site : https://reorganisationdumonde.com/produit/depossession/?currency=CHF
2) Des points de vente : https://reorganisationdumonde.com/points-de-vente/
Chez votre libraire avec cette identification EAN 13 : 9782970126201
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