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"Au Nicaragua, les étudiants universitaires ont été victimes du terrorisme putschiste"

À l’occasion du 59ème anniversaire du massacre ayant eu lieu durant la dictature somoziste, l’Union Nationale des Étudiants du Nicaragua (UNEN) a lancé le 23 juillet un appel à la mobilisation dans plusieurs villes du pays. Cette marche a eu lieu quelques jours après l’évacuation de l’Université Nationale Autonome du Nicaragua à Managua, décrite par les grands médias comme un nouvel épisode de “répression” exercée contre les étudiants. Que s’est-il réellement passé et quelle a été la chronologie des faits ? Nous avons comparé les affirmations véhiculées par ces médias avec la réalité du terrain. Une occasion idéale pour écouter le témoignage du président de l’UNEN, Luis Manuel Andino Paiz.

* * *

Quel message les étudiants mobilisés dans la marche du 23 juillet ont-ils défendu par rapport à la situation de crise que traverse le Nicaragua actuellement ?

Depuis le début de la crise, l’Union Nationale des Étudiants du Nicaragua (UNEN) a toujours exprimé et réitéré l’appel à la paix, le respect du droit d’autrui, le dialogue et la tolérance.

Lors de la marche du 23 juillet, nous avons exigé que justice soit faite pour chacun des étudiants décédés ainsi que pour tous les nicaraguayens qui ont perdu la vie. Nous exigeons également que les recherches continuent pour faire la lumière sur chacune de ces morts et ceux qui en sont responsables, qu’on poursuive tous ceux qui y ont participé intellectuellement ou matériellement pour actes de terrorisme et déstabilisation de l’État du Nicaragua en accord avec les lois en vigueur.

Nous demandons aussi aux organismes internationaux de droits de l’homme présents au Nicaragua, comme la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) qu’ils prennent en considération ce qui suit : “Droits Humains pour tous, Justice pour tous, Non à la distinction politique, Non au découpage de la vérité”.

Quelle est l’importance historique de la date que vous avez commémoré durant la marche ?

Le Mouvement Étudiant Nicaraguayen s’est consacré le long de son histoire à la défense de l’autonomie universitaire et la lutte contre la dictature somoziste. Il a ainsi été à la tête des efforts réalisés autour du budget signé par l’État et dédié au fonctionnement des universités depuis 1960. Ce dernier est passé de 2% dans les années 90 pour atteindre un 6% constitutionnel, qui représente ce dont on dispose actuellement grâce à la gestion du projet dirigé par le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN).

Durant toute cette période, on a assisté à la mort de beaucoup de jeunes. Il est cependant important de connaître la mémoire historique de cette lutte estudiantine et c’est pour cela que nous remémorons ce 23 juillet 1959, en le plaçant dans le cadre de la dictature somoziste. C’est là qu’un groupe d’étudiants universitaires de la ville de León ont manifesté contre un massacre qui a eu lieu un mois auparavant dans un endroit connu sous le nom de “El Chaparral” à la frontière entre le Honduras et le Nicaragua. Plusieurs jeunes y avaient perdu la vie, on y a compté des dizaines de blessés et plusieurs leaders étudiants ont été détenus dont Carlos Fonseca Amador, qui deviendra plus tard l’un des fondateurs du FSLN.

Durant ce massacre, la Garde Somoziste a assassiné 4 jeunes : Erick Ramírez, José Rubí, Sergio Saldaña et Mauricio Martínez. Il y a eu en plus plus de 100 blessés et plusieurs détenus. Grâce à leur lutte inébranlable, ces jeunes universitaires et leaders étudiants sont considérés par le peuple Nicaraguayen comme des Héros et des Martyrs de cette cause. C’est ainsi qu’en 1984, le 23 juillet fût décrété Journée de l’Étudiant Nicaraguayen pour leur rendre hommage.

Peinture murale de la révolution représentant la violence de la dictature face aux étudiants qui protestaient contre le massacre de Chaparral

La responsabilité de maintenir l’héritage de tous nos Héros et Martyrs vivants incombe à la UNEN. C’est pour cela que cette année des milliers de jeunes, étudiants, enseignants, personnel administratif de toutes les universités du pays et la population en général ont manifesté pour commémorer cette date qui est évoquée au fil du temps avec une fierté teintée de douleur mais surtout avec un sentiment fort d’engagement. Étant donné le contexte actuel, cela s’est transformé en une éphéméride où tous les étudiants universitaires ainsi que les familles des victimes du terrorisme putschiste ont exigé que justice soit faite, qu’une enquête soit réalisée, que les droits de l’homme soient respectés et qu’on répare tous les dommages causés dans le Nicaragua qui avait connu le développement, la paix et l’amour durant 11 ans.

Pouvez-vous nous expliquer brièvement l’histoire de l’UNEN ?

L’Union Nationale des Étudiants du Nicaragua a 104 ans d’existence ; le renforcement de l’Université a entraîné la nécessité de créer une organisation estudiantine qui représente les intérêts et la problématique des étudiants, tenant compte du fait que le milieu étudiant a eu dès le début des nécessités propres, des processus de crise, de nouvelles responsabilités et même certaines difficultés au sein de l’environnement universitaire. C’est ainsi que le 15 septembre 1914, on a assisté à la création du Centre Universitaire de l’Université Nationale (CUUN) au sein de l’Université Nationale Autonome de Léon.

Nom historique du mouvement estudiantin de l’éducation supérieure au Nicaragua, le CUUN deviendra l’organisation représentative des étudiants universitaires de l’Université Nationale. Il est régi par des principes fondamentaux tels que l’unité estudiantine, le patriotisme, la solidarité, l’honnêteté, la démocratie, la justice sociale. Principes qui sont d’ailleurs en vigueur au sein de notre organisation.

De 1959 à 1977, sept congrès d’étudiants universitaires ont été réalisés. Leurs résolutions visaient à réaffirmer les orientations vers lesquelles devait évoluer le mouvement estudiantin dans sa lutte pour l’autonomie, pour le budget alloué aux étudiants et pour la formation d’un co-gouvernement universitaire qui exercera une véritable influence au sein de l’Université en faveur du bien-être étudiant. En revanche, c’est le huitième congrès du Mouvement Étudiant Universitaire qui marque le point culminant de la phase de lutte anti-impérialiste du mouvement, de par son rôle au sein de la société et de défense du processus révolutionnaire.

Ce congrès a été réalisé en juillet 1981 dans la ville de Léon avec la participation de groupes d’étudiants et de jeunes de toutes les universités existantes. C’est de là qu’est concrètement apparue la dénomination “Union Nationale des Étudiants du Nicaragua (UNEN)”, s’érigeant ainsi comme “la seule organisation capable de représenter l’ensemble des étudiants de l’éducation supérieure au Nicaragua”.

L’UNEN s’est engagée avec l’État et la société pour faire profiter les universités publiques des avantages qui lui sont offerts et ce à travers le 6% constitutionnel, la devise de notre organisation étant “le futur de la patrie est entre nos mains”.

L’Université Nationale Autonome du Nicaragua (UNAN-Managua) a été assiégée par des barricades (“tranques” en espagnol, ndR) depuis le mois de mai ; le 13 juillet, elle a été finalement évacuée par les autorités ce qui a donné lieu à plusieurs détentions et de nouvelles manifestations contre la répression présumée. Comment évaluez-vous ces actes de protestation ?

La libération de l’Université est due à une attaque perpétrée par un groupe de délinquants retranchés contre une caravane sandiniste qui se dirigeait vers le lieu de célébration de l’anniversaire du “Retrait vers Masaya” le 13 juillet. Je considère que toute protestation liée à cet incident est sans fondements parce que, en premier lieu, ceux qui prenaient l’université en otage étaient des délinquants, membres de gangs et drogués. Le peu d’étudiants qu’il y avait avaient perdu leur statut d’étudiant parce qu’ils ont provoqué et permis la destruction et le pillage de l’université, devenant ainsi complices et co-auteurs des faits.

Deuxièmement, il n’y a eu aucun type de répression dans l’enceinte de l’université. La récupération des locaux a été possible lorsque justement ils les ont eux-mêmes abandonnés en s’enfuyant après avoir perpétré l’attaque sur la caravane.

Troisièmement, tous ceux qui étaient à l’intérieur de l’université se sont retranchés dans une église proche à partir de laquelle ils ont tiré des coups de feu en signe de provocation à l’intention des autorités qui étaient disposés à récupérer les installations de l’université

La prise du campus universitaire pendant une longue période représente une violation des droits de l’homme universels tels que l’éducation et le travail. Cela a également affecté la libre circulation de la population dans le secteur, l’Université s’étant transformée en un poste de commandement régi par la délinquance. On y distribuait de la drogue et on y consommait de manière excessive de l’alcool et de la drogue. Sans compter le sentiment de peur, d’angoisse et d’intimidation que cela a provoqué auprès des communautés voisines.

Quelles ont été les conséquences de cette occupation sur la vie universitaire ?

Les dégâts causés à la vie universitaire sont immenses : nous avons perdu 3 mois de cours de licence et de master spécialisé altérant ainsi énormément le calendrier académique sans parler de la destruction des laboratoires d’informatique, de recherches scientifiques et des laboratoires pratiques de santé.

N’oublions pas le saccage de moyens audiovisuels consacrés à l’enseignement, les dégâts infligés à l’infrastructure de l’ensemble de l’université ainsi qu’aux résidences des boursières internes, l’incendie des installations, le vol, le démontage des véhicules institutionnels, la destruction de bureaux administratifs et des salles de classe.

Ces dommages ont provoqué 5 ans de régression de l’université et la suspension de la formation de professionnels, le développement académique, technologique et de recherches.

Pourtant, le discours médiatique à l’extérieur présente les étudiants universitaires comme étant le noyau des protestations contre le gouvernement. Pensez-vous que cette image corresponde à la réalité ?

Non, elle ne correspond pas à la réalité. S’il est vrai qu’il y a bien eu des étudiants universitaires qui ont participé aux manifestations, c’était dû à une manipulation médiatique qui avait relayé une fausse information sur le décès d’un étudiant universitaire dans le secteur de l’Université Centroaméricaine (UCA) le 18 avril. Cet événement était totalement faux puisque aucun cadavre n’avait apparu. Ce fût utilisé pour motiver la participation des étudiants et de la population en général mais certaines bandes de jeunes financées par l’opposition y ont aussi participé.

Nous devons mettre l’accent sur le fait que la plupart des étudiants qui ont participé aux manifestations venaient d’universités privées liées directement à l’oligarchie nicaraguayenne et dépourvues d’organisation estudiantine. C’est comme cela que certaines personnes se sont autoproclamées “leader” sans pour autant être actif et n’ont pas été reconnus à plusieurs reprises par les manifestants mêmes.

Connaissez-vous des cas d’étudiants victimes de l’opposition ? Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est réellement passé ?

Tous les étudiants universitaires sont victimes des actions terroristes causées par l’opposition putschiste, à partir du moment qu’ils sont influencés et manipulés par certains médias et réseaux sociaux ; il faut que justice soit faite, peu importe les conditions dans lesquelles ils sont décédés. Jusqu’au début du mois de juillet, l’UNEN a comptabilisé 10 morts parmi les étudiants universitaires et un blessé grave parmi les dirigeants.

Il y a lieu de souligner que des affrontements ont eu lieu dans la capitale Managua le 18, 19, 20, 21 et 22 avril. Aucun étudiant n’y a perdu la vie ; il y a bien eu 4 étudiants morts mais cela a eu lieu en dehors de Managua.

Ces étudiants décédés sont les suivants :

1. Cristian Emilio Cadenas, étudiant de la UNAN-León qui est mort calciné le 20 avril en défendant les installations du Centre Universitaire de l’Université Nacionale (CUUN) brûlées par un groupe de l’opposition dans la ville de León, devenant ainsi le premier étudiant décédé.

2. Orlando Francisco Pérez Corrales, étudiant à l’UNAN-Managua et Franco Alexander Valdivia Machado, étudiant à l’UNIVAL (université privée dépourvue d’organisation estudiantine), décédés le 20 avril dans les rues de la ville d’Estelí lors d’affrontements avec les habitants.

3. Alvaro Alberto Gómez Montalván, étudiant à l’UNAN-Managua qui est également décédé le 20 avril dans la ville de Masaya ; les raisons de son décès sont encore inconnues.

Au milieu, Leonel Morales, president de la UNEN-UPOLI, lors d’une conférence de presse au cours de laquelle il a dénoncé l’occupation de l’université, ce qui lui a valu des menaces et une tentative d’assassinat

Nous voulons mettre l’accent sur ce qui est arrivé au président de l’Union Nationale des Étudiants du Nicaragua (UNEN) de l’Université Polytechnique du Nicaragua (UPOLI), Leonel Morales, qui a été membre de la table de dialogue national avec le gouvernement. Il a été victime d’enlèvement, de torture et de tentative d’assassinat en date du 13 juin de l’année en cours de la part de groupes criminels parrainés par la droite. Notre dirigeant a été retrouvé dans un cours d’eau avec trois blessures par balle situées au niveau du thorax, de l’abdomen et du cou. Il portait également plusieurs traces de coups sur le corps…

Ceci dément ainsi la campagne médiatique de “massacre étudiant” à Managua puisqu’aucun étudiant n’est mort lors de ces manifestations et que ceux qui sont décédés ont perdu la vie dans des circonstances et des dates distinctes ayant eu lieu après le 30 mai.

Comment évaluez-vous les politiques mises en œuvre par le gouvernement sandiniste par rapport à la période néolibérale ?

En 2007, le Commandant Daniel Ortega retourne au pouvoir exécutif à travers le FSLN après 16 ans de gouvernements néolibéraux, lesquels jusqu’alors n’avaient jamais développé de plan national pour sortir le pays de la pauvreté. Ce n’est qu’à l’arrivée au pouvoir du président Enrique Bolaños (2005) qu’une proposition a été faite n’impliquant pas l’ensemble des secteurs de la société et n’apportant pas non plus de solutions aux problèmes nationaux. C’est finalement le Front Sandiniste de Libération Nationale qui a établi les lignes directrices, programmes et politiques du Plan National de Développement Humain (2012-2016).

Ce programme visait la croissance économique à travers la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales, la récupération des valeurs et de l’identité nicaraguayennes, la revendication des droits humains, environnementaux et culturels, et surtout l’accroissement du travail qui a toujours constitué un droit violé et nié au peuple.

Ce plan est composé de douze recommandations qui englobent de manière intégrale tous les aspects qui visent la transformation et le développement humain du peuple nicaraguayen, chacune d’entre elles étant composée de politiques et de programmes établis à travers le dialogue, la consultation et la participation directe des secteurs impliqués. En outre, ce plan est fondé sur la base du modèle chrétien, socialiste et solidaire du pouvoir citoyen qui met en valeur le rôle de l’État dans la conduite du progrès économique et social ainsi que celui du peuple souverain dans le processus de décision nationale.

Pour cette raison, nous considérons que les politiques mises en œuvre au niveau du Plan National de Développement Humain (PNDH) s’ajustent réellement à une société comme la nôtre, puisqu’elles se basent sur le ressenti du peuple nicaraguayen, les besoins de l’entreprise privée et du paysan producteur, ouvrant la voie à ce que ce soit un plan de gouvernance intégrale qui inclut chacun des aspects et secteurs de la société pour stimuler le changement, le progrès et le développement de la nation.

Luis Manuel Andino Paiz.

Interview par Alex Anfruns pour Investig’action

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