RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Du feu et des cendres pour épaissir l’enfumage politique

Un immense volcan vient d'embraser Haïti les 6 et 7 juillet 2018. Aux quatre coins du pays de nombreux foyers de feu dégagent de longues colonnes de fumée qui viennent épaissir l'enfumage des politiques conduites par le pouvoir d'essence macoute soutenu, à bras le corps, par la comunauté internationale depuis 2011. Des mesures inflationnistes sur le carburant prises par le gouvernement, en échange d'un hypothétique prêt de 95 millions de dollars du FMI, ont mis le feu à la poudrière. À l'heure des premiers bilans, il est utile de demander qui assumera les responsabilités ? Comment un pouvoir qui a dilapidé quelque 3 milliards de dollars de PetroCaribe en 3 ans avec l'aide de la communauté internationale peut-il s'aliéner la colère du peuple pour si peu ? Suffira-t-il aussi d'abandonner ces mesures pour que tout rentre dans l'ordre ? Ne faudra-t-il pas que les décideurs assument la responsabilité des conséquences de leur décision et démissionnent pour donner un semblant de normalité à ce pays combien déjà martyrisé ?

Une logistique mobilisant d’énormes ressources financières et politiques

Les événements qui se sont déroulés durant ces derniers jours doivent interpeller les Haïtiens tant par leur violence inouïe, témoignant au demeurant de la vulnérabilité dans laquelle le pays baigne, que par l’incompétence et l’irresponsabilité des décideurs politiques et de leurs sponsors nationaux et internationaux.

Il y a une grande majorité qui se retrouve victime d’une double médiocrité exercée comme pression au sommet et à la base de la pyramide sociale. Mais leur accommodement, leur silence et leur opportunisme les rendent davantage complices de la médiocrité de ceux d’en haut, alors qu’ils devraient œuvrer dans la résistance pour contribuer à desserrer l’étreinte par l’émancipation de ceux d’en bas.

Beaucoup de choses seront dites par d’autres, et sans doute avec plus d’acuité, ce n’est pas nécessaire d’en rajouter. Nous nous contenterons de relever deux choses dans ce qui s’est passé en Haïti entre les 6 et 7 juillet 2018 ; et pour finir nous ferons une suggestion à ceux et celles qui, de par leur position sociale ou de par leur fonction, peuvent influer sur l’opinion et jouer un rôle pour ramener Haïti vers une gouvernance rationnelle.

Il n’échappe à aucune intelligence que les événements des 6 et 7 juillet 2018 ont exigé le déploiement d’une logistique qui requiert le contrôle d’énormes ressources financières et de puissants leviers politiques. À l’évidence, il n’appartient pas au premier quidam de pouvoir immobiliser pendant 48 heures toutes les unités de la police, si promptes d’habitude à intervenir brutalement quand les écoliers descendent dans les rues pour réclamer des professeurs dans leur salle de classe, alors que tout le pays brûlait par l’activation de foyers de feu intelligemment coordonnés et synchronisés.

Personne ne viendra nous dire que ce sont les "faiblesses" de l’opposition qui sont responsables de ces émeutes. Car de forces, l’opposition n’en a plus ; noyée qu’elle est dans son impuissance et dans sa stratégie du “ plat-ventrisme ”. Il n’est pour autant pas interdit de croire que les instigateurs du mouvement ont perdu en chemin le contrôle de leurs opérations. Ce qui explique l’ampleur des dégêts. Ils ont visiblement sous-estimés le degré de colère et l’intense aigreur de la population vis-à-vis de l’arrogance et du mépris affichés par les décideurs politiques et les élites économiques notamment pendant ces sept ans de pouvoir Tèt Kale. Encore qu’il n’est pas exclu que ce soient des rivalités bourgeoises entre les factions alliées du pouvoir qui s’entredéchirent pour le contrôle des maigres ressources de l’État en exploitant la colère du peuple.

Un bilan qu’il faut assumer responsablement

Les images qui circulent sur les réseaux sociaux et dans les médias n’ont rien à envier à la désolation que présentent les villes détruites en Syrie et en Lybie par les guerres commanditées par les grandes puissances pour piller les ressources des peuples du sud. À première vue, le bilan est extrêmement lourd, pour ne pas dire apocalyptique. Et ce seront les mêmes qui paieront les frais.

Le trésor public, notamment à travers l’ONA, sera au rendez-vous pour compenser les pertes des entrepreneurs, les pouvoirs publics seront redevables et soumis aux quatre volontés du secteur privé, et les politiques continueront d’avoir les coudées franches pour transformer les ressources de l’État en rente pour leur famille et leurs alliés. Mais jusqu’où continuerons-nous d’aller plus loin dans l’indigence ? Sommes-nous si peu capables de responsabilité ? À quoi sert d’être intelligents encore en Haïti si nous devons être gouvernés en permanence par la tyrannie de la bêtise ?

Il va sans dire qu’il ne suffira pas, pour calmer les esprits, de revenir sur cette décision malencontreuse. Logiquement, elle aurait dû être pesée mille fois dans la balance avant que d’être prise. Puisque confrontée raisonnablement à la précarité ambiante et à la grogne sociale sous-jacente, elle devrait être abandonnée. Maintenant que le feu a été mis aux poudres, et que le pays sort aveuglé et suffoqué par la fumée épaisse qui s’est ajoutée à l’enfumage des décisions politiques de ces 18 mois, il faut que les responsabilités soient assumées. Et dans le contexte actuel, se montrer responsable est une attitude qui doit être collectivement partagée.

Pour le pouvoir exécutif et législatif, il faut un exercice responsable capable de redonner confiance dans la gouvernance publique. Si le parlement avait su jouer son rôle de contrôle, le pouvoir exécutif n’aurait pas été aussi à l’aise pour plonger le pays dans cette crise. Le parlement doit remettre en question sa gouvernance et faciliter l’émergence d’une direction mixte incluant d’autres forces politiques n’appartenant pas à la majorité au pouvoir. C’est un minimum dont on pourra se contenter à défaut d’exiger la dissolution du parlement. Le gouvernement ne peut pas continuer à exercer son autorité quand il a perdu en 48 heures le contrôle de tout et sur tout. Il doit dans son intégralité démissionner pour faciliter la mise en œuvre d’une politique crédible. C’est son aveuglement qui l’a poussé à ignorer les signaux pourtant visibles qui annonçaient cette catastrophe sociale.

Ne pas encourager cet exercice de responsabilité est un éloge à l’impunité qui peut être fatal pour la démocratie, pour les institutions et pour ce qu’il reste d’Haïti. En même temps, les forces de progrès, s’il en existe encore, doivent sortir de leur inertie pour orienter la gouvernance dans le sens d’une éthique de la responsabilité. Les gens de la société civile, les médias, les patrons de presse, les acteurs culturels, tous ceux qui ont une certaine influence sur l’opinion publique, ne doivent pas se contenter d’être des alliés du pouvoir.

C’est dans ces périodes de crise qu’ils doivent jouer leur rôle pour suppléer à la défaillance des décideurs. L’opinion publique haïtienne doit exiger unanimement la démission du gouvernement. Dans tous les pays où il y a un minimum de respect pour la vie, la fonction de dirigeants s’accompagne d’un principe de responsabilité inviolable. C‘est ce pacte éthique minimal qu’il faut encourager pour reprendre la main sur le processus et empêcher que, dans le vide de nos silences et de nos inactions, ne s’infiltrent des monstres qui viennent amplifier le chaos. Une démission du gouvernement s’impose, pendant qu’il est encore temps, pour réorienter la gouvernance politique. Car on ne peut pas être l’auteur d’un dommage collectif aussi désastreux et continuer à exercer le pouvoir et à jouir des avantages et des privilèges qui ont permis de prendre la décision. C’est ce minimum décent qui fait fonctionner une société. Faute de quoi, vous légitimez toutes les violences. Einstein disait à juste titre que " les hommes n’ont de valeur que s’ils peuvent se libérer de leur moi " pour s’ouvrir à une démarche éthique et responsable.

Diriger n’a de sens que si ceux qui accèdent à cette fonction se comportent de manière que leurs actions soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine... Á moins que les Haïtiens ne soient que des bêtes, c’est-à-dire les espèces d’une nouvelle sous-humanité en devenir. Et là encore, nous devons assumer que nous ne sommes, comme disait un certain homme puissant, qu’un trou de merde qui empeste.

Erno Renoncourt

URL de cet article 33564
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Le Printemps des Sayanim
Jacob COHEN
Interview de l’auteur. Pourquoi ce titre ? J’ai voulu que le terme « sayanim » apparaisse d’emblée et interpelle le lecteur. On se pose la question, et la définition se trouve juste dans les premières lignes de la 4e. La problématique est installée, sans faux-fuyants, et sans réserve. Idéalement, j’aimerais que ce terme entre dans le vocabulaire courant, dans les analyses, et dans les commentaires. Voulez-vous nous la rappeler ? Les sayanim - informateurs en hébreu - sont des juifs de la diaspora (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« (...) on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot. »

Karl Marx, Friedrich Engels
Manifeste du Parti Communiste (1848)

Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.