À quelque chose il faut que malheur soit bon : ma perspicacité ( ;-) prise en défaut par le discours de Manuel Ochsenreiter, s’est rétablie lorsque je suis allée voir tout le contexte sur le Saker, c’est-à-dire le Manifeste de Chisinau, pour une Plus Grande Europe, où j’ai lu ceci ( voir mon second post) :
11. La civilisation européenne a pour fondement historique le christianisme qui s’est lui-même greffé sur le grandiose héritage gréco-latin. C’est au christianisme, sous ses diverses formes, qu’il revient de garantir dans le respect et la tolérance réciproques, dans l’espace civilisationnel de la Plus Grande Europe, la sérénité matérielle et spirituelle des différentes confessions historiquement présentes sur le continent.
Alors je vais tenter de répondre à mes propres questions telles que je les posais :
1) - D’où sort cette nouvelle construction géopolitique ?
– Elle sort des officines d’Occident (chrétien), qui matraquait les étudiants en 68, suivi d’Ordre Nouveau, qui matraquait les colleurs d’affiches communistes, et tous leurs héritiers, Le Pen, Madelin, Dévedjian etc., ; il s’agit donc d’une extrême-droite (comme l’a très bien vu act), qui plus est intégriste. La religion comme facteur de « sérénité matérielle et spirituelle » (dit le Manifeste), c’est l’ordre moral, c’est Travail, Famille, Patrie, c’est le racisme et la xénophobie devenus respectables, c’est une forme de domination absolue (comme la monarchie « de droit divin »), domination soit déguisée (il suffit de maintenir la population dans l’obéissance), soit violente et ouvertement liberticide. Et pourquoi pas une forme de Tea Party généralisé ? Comme imprégnation et embrigadement de la jeunesse, les Évangélistes sont aussi terrifiants qu’efficaces...
2) - Qu’est-ce que ce projet qui se veut ‘multipolaire’ ?
- C’est un impérialisme des blocs, mais impérialiste quand même, devenu en l’occurence « Eurasiatique » : la présence de la Russie au colloque de Chisinau évoque sous une autre forme la rhétorique gaulliste de la Grande Europe « de l’Atlantique à l’Oural », mais rappelons-nous que c’est auprès de banquiers russes que Marine Le Pen a trouvé des emprunts pour financer sa campagne électorale. Il y a de tout en Russie, comme chez nous. Le Manifeste déclare que cette Plus Grande Europe, qu’il appelle une « Europe réelle (qui n’a rien à voir avec le soviet de Bruxelles) » doit refuser « de se voir dicter ses politiques ou ses choix envers ses voisins du Sud et de l’Est ».
Il ne s’agit donc plus de sortir de l’Europe actuelle (qualifiée de soviétique par le Manifeste, c’est tout dire !!!), mais au contraire de recréer un nouveau bloc élargi, capable de tenir tête à la « thalassocratie » atlantique. Étant donné que dans le Manifeste, rien n’est dit sur les multinationales qui régissent l’économie mondiale, ni sur le FMI, ni sur l’OMC, ni de tout le reste, on peut penser que le « dialogue à voix multiples » préconisé entre les « pôles », et qui se veut rassurant, oublie complètement que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage », et que donc une « multi-polarité » de ce genre ne peut engendrer que la concurrence féroce et les guerres de conquête que nous avons sous les yeux pour l’accaparement des matières premières. Présenter comme une « alternative au capitalisme financier » le... capitalisme tout court, quelle belle espérance ! Quant à la Moldavie d’aujourd’hui, il y aurait beaucoup à en dire, d’après ce que j’ai pu voir....
3) - Un programme de propagande pour renforcer effectivement les droites et extrêmes-droites de tous les pays ?
– Oui, il est devenu tout-à-fait clair que le Manifeste de Chisinau, c’est cela, quand on pense aux actuels gouvernements des pays de l’UE à l’Est. Voilà encore un échantillon :
Nous imaginons cette Plus Grande Europe comme une puissance géopolitique souveraine, détentrice d’une identité culturelle affirmée, cultivant ses propres modèles sociétaux et politiques (adossés aux principes de l’ancienne tradition démocratique européenne et aux valeurs morales du christianisme), avec ses propres capacités de défense (y compris nucléaires), et avec ses propres accès stratégiques aux énergies fossiles et nouvelles, ainsi qu’aux ressources minérales et organiques.
La concurrence libre et non faussée, en somme.
Dans le Manifeste, il n’est pas question non plus de réfléchir à l’organisation sociale :
Nous devons établir, édicter et annoncer pour l’humanité, des ensembles de normes non contraignantes dont la conception sera uniquement guidée par le principe général de la conformité à l’identité nationale, aux lois, aux traditions et aux choix collectifs de chaque nation.
Et voilà l’huile de ricin de retour !
Résumons, car on peut maintenant y voir un peu plus clair dans les motivations qui ont poussé un contributeur à demander à LGS la publication de cet article.
Les possibilités pratiques (idéologiques et électorales) en France sont les suivantes :
Ou bien Mélenchon et le mouvement de la FI, malgré les trahisons et les sottises d’une gauche prétendument « rassembleuse », parviennent à réveiller les abstentionnistes et à détromper jusqu’aux électeurs du FN (fâchés mais non fascho), de façon à imposer un changement radical d’orientation politique et économique. Pour cela, il faudrait que les luttes se développent avec un objectif politique et non seulement syndical. Voir ICI.
Ou bien la droite traditionnelle (PS gouvernemental compris = système Macron), de plus en plus oppressive, continue à maintenir dans le dégoût de la politique et dans la résignation la majorité de la population, auquel cas l’abstention lui profitera, et elle sera facilement réélue par sa minorité votante de bourgeois grands et petits.
Ou bien le FN deviendra tout-à-fait populaire à force de propagande mensongère pseudo-sociale et pseudo-anticapitaliste (sincère ou non, comme le discours se Manuel Ochsenreiter), et l’Europe, France comprise, sombrera dans le chaos dont elle et déjà menacée.
Non, il n’est pas de compromis idéologique ni politique possibles avec de telles conceptions. C’est de la lutte de terrain que tout dépend.
Rappel : à Sapir qui préconisait une alliance tactique avec le FN pour sortir de l’euro, Lordon avait répondu avec CLARTÉ...