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Phoenix 2.0 – Après le Vietnam, l’Afghanistan

La semaine dernière, le nouveau chef de la CIA, Mike Pompeo, a émis en public la menace de faire de la CIA une « agence beaucoup plus féroce ». Son premier pas dans cette direction a été de libérer les gangs de tueurs parrainés par la CIA contre le peuple afghan :

Le CIA étend ses opérations secrètes en Afghanistan, en envoyant de petites équipes d’officiers et de mercenaires bien entraînés soutenir les forces afghanes pour poursuivre et éliminer les militants talibans dans tout le pays ...

Cette initiative de la C.I.A. permettra d’augmenter le nombre des missions effectuées par les unités militaires, ce qui signifie qu’une plus grande partie du rôle des États-Unis dans les combats en Afghanistan sera cachée au public.

Cela ne va pas être une simple campagne contre-insurrectionnelle, même si certains ne manqueront pas de l’affirmer. Une campagne anti-insurrectionnelle doit intégrer plusieurs éléments : la politique, la sécurité, l’économie et l’information. Elle ne peut réussir que si elle soutient une autorité légitime.

Le gouvernement afghan actuel a peu de légitimité. Il a été soudoyé par l’ambassade des États-Unis après qu’une immense fraude électorale, connue de tous, a menacé de se transformer en chaos total. En août, le directeur de la CIA, Mike Pompeo, a rencontré le président afghan Ashraf Ghani pour discuter probablement du nouveau plan. Mais la campagne annoncée aujourd’hui n’a pas de composante politique ni économique. Une campagne centrée uniquement sur la « sécurité » aboutira à une hasardeuse expédition de tortures et de meurtres hors-sol, qui n’aura pas de résultats positifs.

La campagne sera une aubaine pour les talibans. Elle tuera probablement quelques insurgés alignés sur les talibans ici et là, mais elle aliènera beaucoup d’Afghans. La plupart des combattants talibans sont des locaux. Les tuer crée de nouvelles recrues locales pour l’insurrection. Et cela lui apportera également une meilleure couverture de la population pour les opérations futures.

Une campagne similaire a eu lieu pendant la guerre du Vietnam sous le nom d’Opération Phoenix. A l’époque, quelque 50 000 sud-vietnamiens, tous « soupçonnés de communisme », ont été tués par les gangs de la CIA qui écumaient le pays :

L’Opération [Phoenix] a été conçue pour identifier et « neutraliser » (via l’infiltration, la capture, le contre-terrorisme, l’interrogatoire et l’assassinat) l’infrastructure du Front de Libération Nationale du Vietnam du Sud (FLN ou Viet Cong). La CIA l’a décrite comme « un ensemble de programmes qui visaient à attaquer et détruire l’infrastructure politique viêt-cong ». Les deux principales composantes du programme étaient les Unités de reconnaissance provinciales (UPR) et les centres d’interrogation régionaux. Les UPR devaient tuer ou capturer des membres présumés du FLN, ainsi que des civils censés avoir des informations sur les activités du FLN. Beaucoup de ces personnes ont ensuite été emmenées dans des centres d’interrogatoire où la plupart auraient été torturées dans le but d’obtenir des renseignements sur les activités des Viet Cong dans la région. L’information obtenue dans ces centres était ensuite transmise aux commandants militaires qui l’utilisaient pour envoyer les UPR dans de nouvelles missions d’enlèvements et d’assassinats.

Le programme Phoenix avait été intégré dans un programme de développement politique et économique civil plus large appelé CORDS. Les historiens sont largement arrivés à la conclusion que Phoenix n’avait pas atteint ses objectifs malgré le souci de l’intégrer à un contexte plus large. Le soutien passif de la population pour les Viet Cong a augmenté à cause de la campagne.

Depuis quelques années, la RAND Corporation du Pentagone déploie des efforts révisionnistes pour modifier la vision de cette opération. Ils prétendent que la campagne s’est bien déroulée. Mais ceux qui ont participé à l’opération (voir vidéos partie 1 et partie 2) racontent une autre histoire. La brutalité de la campagne, qui scandalisa le public, fut l’une des raisons pour lesquelles les Etats-Unis ont décidé de mettre fin à la guerre.

La campagne qui vient d’être annoncée ressemble à Phoenix mais n’a aucune composante politique. Elle n’est pas conçue pour pacifier les insurgés mais pour éliminer la résistance une bonne fois pour toutes :

La nouvelle opération sera dirigée par de petites unités connues sous le nom d’équipes de poursuite antiterroriste. Elles sont gérées par des officiers paramilitaires de la CIA appartenant à la Division des activités spéciales de l’Agence et par des agents de la Direction nationale de la sécurité, le service de renseignement afghan ; elles incluent des troupes étasuniennes d’élite du Commandement des opérations spéciales interarmées. La majorité des forces appartiennent cependant à la milice afghane.

Il y a seulement quelques douzaines d’officiers dans la division des activités spéciales de la CIA qui peuvent participer activement à une telle campagne. Le début de l’article laisse penser que les « sociétés paramilitaires privées » joueront un rôle important. Au mois d’août, Eric Prince, l’ancien chef de la société privée de mercenaires Blackwater, a fait du lobbying auprès de l’administration Trump pour que la guerre en Afghanistan soit menée par des entreprises paramilitaires. On peut donc penser que Prince et d’autres rejetons de Blackwater seront impliqués dans la nouvelle campagne de la CIA. C’est la Direction Nationale afghane de la Sécurité (DNS) qui sera chargé de faire l’essentiel du travail de renseignement sur le terrain.

La DNS a été créée par la CIA à partir d’éléments de l’ancienne Alliance du Nord, les opposants aux Talibans d’origine. À la fin des années 1990, l’Alliance du Nord dirigée par Ahmed Shah Massoud était financée par la CIA. Le chef des renseignements de Shah Massoud, Amrullah Saleh, qui a la double nationalité, a été formé par la CIA. Après l’invasion américaine en Afghanistan, Saleh a dirigé le nouveau service de renseignement, la DNS. Puis, le président Hamid Karzaï a limogé Saleh en 2010 parce qu’il s’opposait à ces efforts pour se réconcilier avec les talibans. En mars 2017, le président actuel, Ashraf Ghani, a nommé M. Saleh au poste de ministre d’État à la réforme de la sécurité. Saleh a démissionné (?) en juin après que Ghani a conclu an accord de paix avec Gulbuddin Hekmatyar, un chef de guerre opposé au gouvernement et ancien allié des talibans.

Saleh est un Tadjik pur et dur, et un extrémiste impitoyable. Il se méfie des Pachtounes, le principal groupe ethnique d’Afghanistan et la base populaire des talibans. Saleh a récemment fondé son propre parti politique. Il a évidemment de plus larges ambitions. Il a toujours eu d’excellentes relations avec la CIA, et tout particulièrement avec son centre anti-terroriste radical. Il est fort probable qu’il a participé à la planification de cette nouvelle campagne.

Dans le Nord de l’Afghanistan où il y a une certaine mixité ethnique, les milices locales dirigées par la Direction Nationale afghane de la Sécurité (DNS) se livreront probablement à un nettoyage ethnique à grande échelle. Dans le sud et l’est pashtoune, elles n’auront aucun soutien local car ces milices terrorisent le pays depuis pas mal de temps :

Cela fait des années que le principal travail des officiers paramilitaires de la CIA dans le pays est la formation des milices afghanes. Le CIA a également utilisé des membres de ces milices indigènes pour développer des réseaux d’informateurs et recueillir des renseignements.

Les commandos étasuniens – qui font partie du programme Omega du Pentagone qui prête des forces d’opérations spéciales au CIA – permettent aux troupes conventionnelles de collaborer avec les milices afghanes lorsqu’elles ont besoin de soutien aérien ou d’évacuations médicales. [...]

Les milices écument le pays depuis longtemps et ont été accusées de tuer aveuglément les civils afghans lors de raids et des frappes aériennes.

On sait déjà comment finira cette campagne. La CIA elle-même a peu ou pas de sources d’information indépendantes dans le pays. Elle dépendra de la Direction Nationale afghane de la Sécurité (DNS) truffée de proches tadjik de Saleh, et de membres des milices ethniques et tribales. Chacune de ces entités a son propre agenda. Une campagne de « sécurité » comme celle qui est planifiée dépend d’un bon renseignement. Qui, dans tel ou tel hameau, est membre des Taliban ? Faute de sources locales sures, la milice, sous la direction de la CIA ou d’une société privée, aura recours à une torture extrêmement brutale. Ils vont supplicier les « informateurs » et les « suspects » jusqu’à ce qu’ils leur donnent les noms d’une nouvelle série de « suspects ». Répétez l’opération autant de fois que nécessaire*– à la fin, tous les « suspects » seront tués.

Le nouveau plan a été intentionnellement « fuite » au New York Times par « deux hauts fonctionnaires des États-Unis » qui présentent l’opération sous un jour positif :

La mission a été planifiée parce que nous savons tous que pour amener les talibans à la table des négociations – un élément clé de la stratégie de M. Trump pour le pays – les États-Unis doivent combattre les insurgés de manière offensive.

Cette affirmation n’a bien sûr aucun sens. Les États-Unis « combattent les insurgés de manière offensive » depuis des années déjà. Les talibans ont toujours été prêts à négocier. Leur principale condition pour un accord de paix est que les forces américaines mettent fin à leur occupation et quittent le pays. Les États-Unis ne veulent tout simplement pas le faire. Tuer plus de « suspects » d’être un sympathisant des talibans ne changera pas la position des talibans et ne rendra pas de sérieuses négociations plus probables.

Dans cinq ans, quand la brutalité indicible et la vanité de cette campagne seront sous les feux de la rampe, le NYT sera choqué, CHOQUÉ, qu’une telle campagne ait jamais pu avoir lieu.

Moon of Alabama

Traduction : Dominique Muselet

Note :
*En anglais : Rinse-repeat. C’est la formule qu’on trouve dans les notices des bouteilles de shampoing.

»» http://www.moonofalabama.org/2017/1...
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