De tous les préjugés auxquels nous sommes confrontés (juges ou victimes), il en est un qui est tellement ancré (je n’ai pas écrit « encré ») que sa prise de conscience choque. Sauf quand on en est victime ... parce que, dans ce cas, les stratégies d’évitement, depuis l’enfance, sont multiples et épuisantes.
C’est un préjugé contre une différence invisible. Ceux qui en sont victimes admettent et confessent leur faute originelle, et parmi ceux qui les jugent, peu s’interrogent sur le fondement de leur loi.
Nombreux sont ceux qui, devant un texte à l’orthographe approximative, qu’il soit lettre de candidature, article de blog ou profil de réseau social, l’ont rejeté, le qualifiant d’une façon ou d’une autre de « pas sérieux » et sans valeur.
On nous dit à l’école que la sélection se fait par les mathématiques, elle se fait aussi, et jusqu’à l’âge adulte, par l’orthographe, cette norme complexe issue de la tradition, souvent justifiée mais parfois irrationnelle.
Avec le spectacle « La convivialité », deux linguistes et professeurs belges nous offrent une conférence illustrée et vivante où on parle de la langue française, de son rapport à l’orthographe, de l’origine de celle-ci et de certaines conséquences de sa normalisation, comme outil de pouvoir ou de ségrégation.
J’y ai appris beaucoup de choses, en particulier que Voltaire, Stendhal ou Flaubert, entre autres, n’attachaient que peu d’importance à l’orthographe « académique ». Et que La Bruyère, Molière, Corneille ou La Fontaine utilisaient une orthographe non unifiée – ce qui n’a pas nui à leur postérité non plus.
Saviez-vous que les premiers académiciens ont établi certaines règles d’orthographe (et les indissociables exceptions) sur des erreurs et approximations aujourd’hui bien identifiées ?
Il fallait sans doute être belge (ou de toute autre nationalité avec une composante francophone) pour être aussi attaché à sa langue maternelle française tout en ayant le recul culturel suffisant pour s’affranchir des réflexes français chauvins usuels. J’assume personnellement la plupart des réflexes chauvins en question, mais je n’ai pas eu d’argument face à cette réalité : le son « ssss » peut s’écrire de douze (12) façons différentes ...
Les auteurs-intervenants Arnaud Hoedt et Jérôme Piron ne proposent pas d’autres révolutions que des pistes de réflexion : et si quelques règles grammaticales composées d’exceptions étaient simplifiées, quel autre impact que des erreurs en moins dans les dictées de nos jeunes ? Et si des linguistes participaient aussi aux travaux de l’Académie Française ? Et si nous admettions que notre langue écrite peut rester vivante et adaptée à ses locuteurs et scripteurs, afin de s’occuper du fond, et que la forme redevienne un simple outil au service de la communication ?
L’idée n’est surtout pas de forcer une orthographe phonétique comme cela a été fait dans certains pays, mais d’observer l’usage, et que l’outil « orthographe » redevienne à terme à notre service et non plus un moyen de discrimination ...
Le spectacle « La convivialité » est en tournée en France et en Belgique, le texte est publié également. Tous les renseignements sont sur le site www.laconvivialite.com.
Eva Duxeri