Ainsi donc l’été n’a pas porté conseil à M. Macron et à son gouvernement, et la nouvelle Assemblée Nationale a adopté en juillet la sixième prolongation de cet état d’exception, passant outre les nombreuses réticences et oppositions exprimées tant par des juristes que par des associations défendant les libertés publiques (Libération, 6 juillet 2017). Qui plus est, la « version consolidée de la Loi relative à l’état d’urgence, qui traduit les intentions du nouveau pouvoir de sortir de l’état d’urgence tout en conservant des mesures exceptionnelles (Le Figaro, 8 juin 2017) recèle des conditions d’application permettant une très large interprétation : « atteintes graves à l’ordre public » ; « événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique »... (Légifrance, 27 août 2017). On sait d’ailleurs que les dispositions en vigueur ont avant tout permis de restreindre la liberté de manifester.
Les perquisitions de nuit, souvent violentes et humiliantes, et les assignations à résidence, qui empêchent les gens de travailler ou d’aller à l’école normalement, ont, entre autres mesures, traumatisé des centaines de personnes. Leurs droits à la vie privée, à la liberté de mouvement, d’expression, d’association et à la liberté ont été bafoués au nom de la sécurité [1].
Les classes possédantes, où que ce soit dans le monde, paraissent en position de force. Au plan électoral elles savent s’organiser pour sortir victorieuses, fut-ce au prix d’une abstention massive, et se retrouvent aux commandes avec un pourcentage dérisoire de voix. Les oppositions structurées traditionnelles, partis ou syndicats, elles aussi atteintes par le discrédit, et dans une grande errance stratégique ne les inquiètent plus.
Ces classes dominantes semblent donc temporairement maîtresses du terrain. Mais elles ne sont pas dupes et savent que leur jeu est largement éventé. Elles savent qu’elles ne peuvent résoudre ni l’équation du travail, ni celle de la répartition des richesses, ni même celle de la démocratie. Tout est pour elles soumis à la logique de profit et à la domination financière, le premier gouvernement de l’ère macronnienne le démontre chaque jour.
La seule chose qui peut donc les inquiéter est « ce qui bout dans la marmite », la force de mouvements sociaux imprévisibles et qui leur échappent. Les événements de Tunisie, d’Égypte et d’ailleurs et leurs éventuelles répliques sont leur principale inquiétude. Et c’est là qu’il faut chercher l’origine de leur volonté de se doter par avance de tous les outils de contrôle des peuples et des mouvements sociaux. Tous savent en effet que la colère gronde, et que l’impuissance politique accroît dangereusement les tensions...
Bien sûr, l’avènement de cette société policière peut s’opérer subrepticement et de manière rampante, et la France à cet égard peut être fière de son leadership, comme s’en enorgueillissait benoîtement Mme Alliot-Marie il y a peu d’années [2].
Mais toute occasion, qu’il s’agisse de faits divers spectaculaires ou d’accidents dramatiques permet une surenchère et des avancées beaucoup plus brutales. Et les actions terroristes, à cet égard, sont particulièrement favorable à une exploitation cynique. Révoltantes à juste titre, elles permettent aux pouvoirs de créer un large consensus inespéré où toute voix discordante est aisément mise à l’index : qui naguère put se permettre de ne pas « être Charlie » ?
Alors le champ est libre pour la répression, l’amalgame et l’arbitraire, et bien vite les « bavures » policières deviennent acceptables devant l’état de « guerre totale » déclaré aux plus hauts niveaux [3]. Toute action revendicative déterminée peut être assimilée à une forme de terrorisme, et les débordements deviennent acceptables.
Dans cette brèche s’engouffrent alors tous les tenants d’un surarmement des forces de l’ordre, de moyens de contrôle renforcés, et d’une législation durcie. Jusqu’à l’invraisemblable paroxysme du projet d’inscription de l’exception dans la constitution.
Nous en sommes là, et les mises en garde provenant de sphères multiples (associations telles qu’Amnesty international [4] ou Human Rights Watch, collectif d’avocats, magistrats, cour Européenne...) [5] sont malheureusement de peu de poids face à la paranoïa sécuritaire voulue et déclenchée au niveau politique, puis relayée par les grands médias.
Nous en sommes là, et déjà l’on constate que ces lois d’exception se montrent d’une grande utilité dans le contrôle des mouvements sociaux sinon dans la réduction du risque terroriste, et frappent essentiellement des militants politiques. De la gauche radicale de préférence [6].
Lors de la COP 21 à Paris, fin novembre 2015, l’état d’urgence a été utilisé pour interdire toute manifestation. En guise de protestation, des dizaines de paires de chaussures anonymes ont recouvert la place de la République.
Mais il frappe également les migrants [7].
Il est d’ailleurs très symbolique que l’état d’urgence prenne ses racines dans la guerre d’Algérie, où il eut déjà pour but de réprimer la révolte indépendantiste afin de perpétuer la domination coloniale. Et que comme à cette époque, volontairement ou pas, ses moyens répressifs se trompent de cible.
Il est donc grand temps de se dresser contre cette dérive orchestrée, et c’est pourquoi, au sein du Front Social qui grandit cet automne, de nombreuses voix réclament que l’État d’urgence soit l’une des cibles principales des mouvements qui viennent.