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Neymar-Venezuela : deux histoires imbibées de pétrole

D’un côté, il y a le transfert au PSG du footballeur brésilien Neymar, présenté comme un joueur fantastique. De l’autre, le Venezuela en proie à une recrudescence de violences perpétrées au sein des manifestations organisées par l’opposition au Président socialiste Nicolas Maduro qui se retrouve, force est de le constater, totalement diabolisé par la presse française. De prime abord, ces deux sagas aux traitements médiatiques antagonistes peuvent paraître dépourvues de rapport.

Pourtant, quand on y regarde de plus près, on se rend compte que ces deux évènements ont pour toile de fond des intérêts pétroliers et gaziers.

Avant tout ne perdons pas de vue que Neymar est payé et acheté par la pétro-monarchie du Qatar dont la stratégie est d’utiliser le football pour enjoliver son image. D’autre part, il y a les États-Unis, premiers importateurs de pétrole vénézuélien, qui cherchent depuis toujours à contrôler les réserves d’hydrocarbures de ce pays qui possède en effet plus de pétrole que l’Arabie saoudite.
Et comme le Venezuela se trouve à proximité des États-Unis, le coup de l’acheminement d’hydrocarbures y est très avantageux pour les sociétés américaines (3 jours de transport pour le pétrole du Venezuela et 3 semaines pour le pétrole du Golfe).

Traitements médiatiques

A propos du transfert de Neymar, le plus souvent la presse prend soin de cautionner indirectement l’opération par l’intermédiaire de tierces personnes en particulier des sportifs et des politiques. Peu importe d’où vient l’argent, la France « pays des droits de l’homme » s’extasie sans vergogne devant un évènement qui aurait été perçu comme impudique il y a encore peu de temps.

Pour tenter de justifier l’injustifiable, beaucoup de nos journaux, vont jusqu’à évoquer les caisses de l’Etat : « Neymar est une bénédiction pour le budget de la France » nous dit-on…

En ce qui concerne les évènements du Venezuela, les titres des chroniques ci-dessous ne laissent planer aucun doute sur la tendance de nos médias :

Alors une fois encore, interrogeons-nous sur la solidité des arguments qui nous sont présentés.

Première question : quels sont les droits des qataris et ceux des vénézuéliens ?

Les partis politiques ne sont pas autorisés au Qatar. Et pour cause : le Qatar est une monarchie absolue héréditaire. La famille al-Thani est au pouvoir depuis 1971. La charia dans sa forme wahhabite est la base institutionnelle du système juridique qatari. Dès lors, la peine par flagellation est prévue pour la consommation d’alcool et les relations sexuelles hors mariage ou homosexuelles. Le code pénal du Qatar prévoit une peine de 100 coups de fouet pour un couple adultère constitué d’une femme et d’un homme musulmans. La peine de mort est prévue lorsqu’il s’agit d’une femme musulmane et d’un homme non-musulman. Ces sanctions ne sont pas symboliques, elles sont réellement appliquées. D’ailleurs fréquemment des personnes (principalement des ressortissants étrangers) reçoivent des peines de flagellation et coups de fouet pour « relations sexuelles illicites » ou consommation d’alcool.

Considérons également que le Qatar ne garantit pas la liberté d’expression ou de la presse. Ainsi en 2013 le poète qatarien Mohammed al-Ajami fut condamné à 15 ans de prison, au prétexte qu’il a souhaité que le « printemps » soit une saison qui n’oublie pas de faire un tour par le Qatar. Ce pays de droit divin l’a d’abord condamné à mort avant que la sentence ne soit « généreusement » commuée.

Le Venezuela est une république fédérale de type démocratie parlementaire multi-partiste. La peine de mort y a été abolie dès 1863 (1981 en France, loi Badinter). Le président est élu au suffrage universel pour six ans renouvelables une fois. De ce fait le pouvoir politique actuel accepte les sensibilités politiques qui lui sont opposés. Selon l’ex-président américain Jimmy Carter qui, au travers de la « Fondation Carter », surveille les processus électoraux dans le monde, le Venezuela possède « le meilleur système électoral au monde ». En septembre 2012, Carlos Álvarez, Chef de la Mission d’observation électorale qui rassemble les douze pays de l’Amérique du Sud, a déclaré : « il est intéressant de souligner un élément que très peu connaissent, je parle surtout de ceux qui analysent la réalité depuis les préjugés, c’est que le Venezuela possède aujourd’hui un des systèmes électoraux les plus vigoureux et les plus avancés technologiquement de l’Amérique Latine, qui garantit la transparence, le contrôle et la surveillance du scrutin ».

Deuxième question : Qatar – Venezuela, quelle opposition politique ?

Puisqu’elle n’existe pas, nous ne pouvons rien pu dire sur l’opposition au Qatar. En revanche nous pouvons dire de l’opposition (de droite et des beaux quartiers) vénézuélienne qu’elle est soutenue financièrement par Washington. Cette ingérence se traduit par exemple par la réaction du très à droite sénateur républicain Marco Rubio qui a appelé très récemment à la tenue d’élections au Venezuela, supervisées par l’administration américaine… Autre sénateur américain avec une rhétorique identique, le démocrate John Kerry qui en 2014 sous la présidence d’Obama fustige Caracas en appelant à cesser « cette campagne de terreur ». Les assertions de Kerry seront finalement réfutées par The Guardian, qui est pourtant très souvent aligné sur les positions occidentales. Pour le journal britannique, John Kerry est déconnecté de la réalité. Le Guardian précise « ce ne sont pas seulement les pauvres qui s’abstiennent de manifester à Caracas, c’est pratiquement tout le monde à l’exception de quelques zones riches, où de petits groupes de manifestants se livrent à des batailles nocturnes avec les forces de sécurité ».

Et cette opposition présentée comme démocratique appelle fréquemment l’armée à la rejoindre. En 2002, le pacte républicain sera rompu après une tentative de coup d’état qui visait à renverser le président Chavez, qui avorta grâce à la détermination des classes les plus déshéritées. En 2017, le peuple du Venezuela a voté en faveur d’une nouvelle Constitution qui a pour principal objectif de graver dans le marbre un certain nombre de droits sociaux. Et une fois de plus le président américain, cette fois-ci Donald Trump, promet de réagir sévèrement contre le Venezuela.

Troisième question : quelles sont les préoccupations géopolitiques du Qatar et celles du Venezuela ?

Le Qatar est un partenaire de L’OTAN, et donc de facto un partenaire militaire de la France. Par ailleurs le Qatar est le suspect numéro 1 du financement du terrorisme. Mais ce dernier point ne rebute pas nos gouvernements successifs, ni le complexe militaro-industriel français, qui ne l’oublions pas participe au financement de la presse. Le Qatar est l’un des principaux acheteurs d’armes de la France. En 2015 elle a vendu pour 6,3 milliards d’euros de matériels d’armement au Qatar.

Le Venezuela est le pays avec la plus grande réserve de pétrole au monde. Un élément évident pour les enjeux géostratégiques, mais très peu mentionné et pris en compte dans les médias. En 2016 le Venezuela a exprimé sa profonde préoccupation en ce qui concerne l’éventualité d’une coopération militaire entre la Colombie et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Pour les dirigeants Vénézuéliens, cette annonce est une trahison de la parole donnée par le président Santos en 2010 au Président Hugo Chavez. En effet, le président Santos s’était engagé à ne pas établir une alliance militaire avec l’OTAN.

Au classement des importations d’armes, qui sans nul doute est le meilleur curseur pour évaluer le niveau d’agressivité d’un état, les dernières statistiques disponibles pour le Venezuela (2013) montrent que ce pays a importé pour 2, 3 millions de dollars d’armes. En comparaison la même année le Qatar a déboursé 51, 4 millions de dollars, soit 49 millions de dollars de plus que le Venezuela. En 2014, la Colombie s’est hissée au 20ème rang des pays importateurs d’armes avec une dépense de 119 millions de dollars, soit une augmentation de 46 millions de dollars par rapport à l’année 2013.

Quatrième question : quelles sont les situations économiques et sociales du Qatar et du Venezuela ?

L’économie du Qatar présente des performances remarquables. Même si le taux de croissance est passé de 16% en 2010 à 4,7% en 2015, le Qatar jouit toujours du plus fort taux de croissance de la région. L’émirat dispose des troisièmes réserves mondiales de gaz.

Si avec l’aide du pétrole et du gaz, le Qatar dépense des sommes astronomiques pour parfaire son image via le football, ce pays n’a pas la moindre préoccupation sociale. Bien au contraire, organisateur de la coupe du monde de football en 2022, selon beaucoup d’ONG le Qatar exploite des travailleurs qui vivent dans des logements sordides et surpeuplés.

Le Venezuela quant à lui traverse une grave crise politique, économique et sociale. Les médias attribuent la crise à la chute du cours du pétrole. Maurice Lemoine, journaliste spécialiste de l’Amérique latine et ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique, nous rappelle qu’en 1998, à l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez, le baril de pétrole se vendait à 7 dollars et il n’y avait ni pénurie ni crise économique. Donc l’explication de la crise par la chute des cours du pétrole ne tient pas, même si l’augmentation du prix du pétrole a aidé le Président Hugo Chavez par le passé à mettre en place des programmes sociaux.

Discussion entre Nixon et Kissinger attestant du renversement d’Allende

Maurice Lemoine voit dans les évènements récents la copie conforme de ce qui s’est passé en 1972 / 1973 au Chili, où la crise fut délibérément organisée afin de provoquer le Coup d’État politique d’Augusto Pinochet. Avec l’aval des États-Unis et le soutien de la CIA et du MI6, la prise du pouvoir de Pinochet déboucha sur l’instauration du premier laboratoire du néolibéralisme.

En résumé, Maurice Lemoine explique qu’au Venezuela, nous ne sommes pas dans une économie dirigiste, mais dans un processus de consultation populaire. De ce fait il y a des monopoles et donc des intérêts privés qui contrôlent à leur guise le circuit des produits de première nécessité. Ainsi comprenons bien que si les étalages des supermarchés sont vides, nous retrouvons les produits et denrées au marché noir vendus 10 fois leur prix. Dans cette affaire l’information que nous devons retenir, indique Maurice Lemoine, est que la première chose qu’a fait la nouvelle Assemblée nationale (de droite) après avoir gagné les élections de 2015, fut de faire passer une loi qui amnistie les spéculateurs de biens de première nécessité. C’est à dire, insiste Maurice Lemoine, que l’opposition au Président Maduro a purement et simplement avoué à la face du Monde ce qu’elle a fait depuis 2002. Et il ajoute que l’opposition peut même déclencher contre le Président un référendum révocatoire, mais cela ne l’intéresse pas car elle veut aller encore plus vite, ce qui implique de renverser le Président Maduro rapidement.

Sur la Radio Télévision Suisse, Maurice Lemoine met au défi l’animateur du journal du matin de lui fournir le nom d’un journaliste emprisonné pour délit d’opinion, ce à quoi le rédacteur de la RTS lui répond Leopoldo López. Maurice Lemoine répond à son tour, il n’est pas journaliste et il est incarcéré parce qu’il est considéré comme responsable de “l’opération de la salida” (« la sortie ») qui s’était soldée par 43 morts entre février et mai 2014. Leopoldo Lopez, qui fut formé à Harvard aux États-Unis et que la presse présente parfois comme un martyr, est sorti de prison le mois dernier pour être assigné à résidence.

Par ailleurs, il est important de noter que la NED (National Endowment for Democracy, Fondation nationale pour la Démocratie), fondée en 1983 sous le gouvernement de Ronald Reagan, verse à la droite vénézuélienne plusieurs millions de dollars chaque année. L’apanage de la NED est donc de financer les groupes d’opposants favorables aux intérêts américains. Selon le New-York Times (article de mars 1997), une pratique qui permet d’éviter à la CIA de “mettre les mains dans le cambouis”. N’en déplaise à certains redresseurs de torts, cette dernière affirmation est en effet irréfutable et facile à recouper du fait qu’en septembre 1991, Allen Weinstein, le législateur qui fixa les règles de la NED, déclara dans les colonnes du Washington Post : « Beaucoup de ce que nous faisons aujourd’hui a été fait par la CIA il y a 25 ans de manière clandestine ». Enfin, “cerise sur le gâteau”, Carl Gershman, premier président de la NED, expliquait sans ambages « Il serait terrible pour les groupes démocratiques du monde entier d’être vus comme subventionnés par la CIA. Nous avons vu cela dans les années 1960, et c’est pour cela qu’on y a mis un terme. C’est parce que nous n’avons pas pu continuer à le faire que la fondation la NED a été créée ».

A propos des violences, il est instructif de savoir que la majorité des victimes des manifestations au Venezuela ne sont pas des opposants au gouvernement Maduro, mais des policiers, morts par tir d’armes à feu. Enfin beaucoup d’autres victimes sont lynchées en public par des forces de l’opposition au simple motif d’êtres chavistes.

Quoi qu’en disent les agents de diffusion de la propagande néocons / atlantiste, les faits attestent formellement que nous sommes dans la continuité d’un mode opératoire qui fonctionne depuis plusieurs décennies. Plus haut dans ce paragraphe nous avons vu le coup d’état de 1973 au Chili, mais il y a aussi le Coup d’État au Guatemala en 1954, le soutien étasunien à la dictature argentine de Videla et plus largement la tristement célèbre opération Condor qui fit rage dans toute l’Amérique du Sud. Dans le reste du monde, nous retrouvons ce scénario par exemple en Iran, en Afghanistan en Afrique, en Asie du Sud-Est… et cette liste est loin d’être exhaustive.

Conclusion

Il y a 443 ans, Étienne de La Boétie alors âgé de 16 ou 18 ans écrivit le « Discours sur la servitude volontaire« . Dans le chapitre sur la volonté de soumission, La Boétie développe l’idée que l’une des raisons pour laquelle les peuples se maintiennent dans la servitude est que les tyrans usent de plusieurs subterfuges comme par exemple les jeux. A la lecture de La Boétie, le transfert record de Neymar, payé de surcroît avec de l’argent sale, démontre que notre petite oligarchie au discours pourtant empreint de modernité et de droitdelhommisme nous ramène plusieurs siècles en arrière. Les membres de cette “caste politico-médiatique”, puisqu’il s’agit bien de cela, détournent le regard devant les agissements d’un état féodal et barbare.

En revanche ces mêmes individus n’ont pas le moindre scrupule quand ils donnent des leçons à un pays laïc et démocratique qui utilise sa principale ressource pour élaborer des projets sociaux. Nous sommes néanmoins informés sur les véritables enjeux de l’ingérence occidentale, car çà et là des fuites de documents, ou bien encore des témoignages de première main confirment que les causes des guerres ne sont généralement pas celles données par les gouvernements occidentaux.

Très récemment, la propagande a occulté la réalité barbare de notre intervention en Libye. Pour promouvoir cette guerre, les chantres de l’interventionnisme nous ont répété à longueur de journées que cette fois-ci la guerre était saine et complètement désintéressée. Pourtant, quelques mois plus tard, de nombreux reportages ont fini par nous démontrer que les véritables motivations du bloc atlantiste étaient une fois de plus de s’emparer des richesses locales, à savoir le gaz et le pétrole. De nombreux indices convergents et un même dénominateur commun (les hydrocarbures), pourtant là encore avec le Venezuela la rhétorique ne varie pas d’un iota. Malgré un “story-telling” jonché de cailloux blancs, avec force et acharnement nos professionnels de l’indignation sélective s’efforcent par tous les moyens de minimiser l’influence étasunienne en Amérique latine.

ANTICONS Observatoire du néo-conservatisme

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Viktor DEDAJ

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