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Où il était dit en 2003 ce que les médias nous apprennent en 2017

Gênes 2001, G8 : « Comme le scorpion, mon frère », polar altermondialiste (suite).

Chapitre 12. Le centre de torture. La caserne Bolzaneto.
Ce nom d’une caserne de la périphérie de Gênes a fait le tour du monde. Utilisé comme centre de rétention pour le G8, il est devenu un centre de torture. Des dizaines de témoignages concordent : matraquages sur la plante des pieds, crachats, détenus contraints à entonner des chants des Chemises Noires de Mussolini, menaces de viol pour les femmes. Et la litanie des insultes haineuses : « Pédé, bâtard, communiste de merde. Drogué ! Où est ta came ? planquée dans ton cul ? On va t’ausculter ». Les menaces viriles : « Ta copine, je vais me la faire. Elle est pas vérolée ? ».

— Toi, là, le maigrichon bouclé, assieds-toi ici, en face de moi et répète-moi un peu ce que tu as dit quand mon collègue t’a demandé de vider tes poches.
Le policier, un géant rubicond et ventripotent, aux cheveux roux, se tient debout, derrière une table en bois, un pied posé sur sa chaise.
— J’ai dit que j’ai perdu mes papiers.
— Ben voyons ! Et qu’est-ce que tu foutais, rue Batisti ?
— J’accompagnais une amie journaliste en reportage.
— Tu faisais rien de mal, alors.
— Non.
— Anonyme et innocent.
— Je la regardais travailler, je veux être photographe.
— Ah ! tu étais en stage ?
— Heu, si l’on veut. Je voulais voir comment elle…
— Bon, assez ri. On s’est renseigné. T’es un lanceur de pavé et tu as passé ta journée à nous traiter de salauds. Comment tu t’appelles, connard ? Ton prénom, d’abord.
— Matteo.
— Plus fort, j’entends rien. Comment tu dis ?
— MATTEO.

Un coup de poing lui brise le nez, le soulève de sa chaise et l’envoie à l’autre bout de la pièce. Sa tête heurte le mur, il tombe à genoux. Groggy. Un seau d’eau le réveille.

— Debout ! connard ! Comment tu dis que tu t’appelles ?
— Matteo.
Son nez pisse le sang. Il cherche un mouchoir dans la poche de son jean.
Un autre coup de poing lui fait éclater la pommette. Le sang gicle, coule sur sa joue, le long de son cou et s’insinue dans sa chemise. Il tombe encore à genoux.

— Debout, connard. Ton nom est Staline. Compris ? Comment tu t’appelles ?
— …
Il a renoncé à s’éponger. Il attend le prochain coup.
— Tu réponds ? TON NOM ?
— Matteo.
Un coup de pied dans le ventre le plie en deux. Il se roule sur le sol, ivre de douleur et de rage.
— TON NOM, CONNARD ?
— Matteo.

La semelle l’atteint à la tempe, il perd connaissance et ne sent plus les coups de rangers qui s’acharnent sur son dos, ses reins. Enfin, la brute se calme, lassée par l’absence de réaction de cette masse inerte qui prétendait garder le prénom choisi par ses parents.

— Vous avez compris, les autres ? Toi, là. Viens ici. C’est quoi ton nom ?
Un garçon pâle s’approche en claudiquant, le visage boursouflé, le front strié de coulures écarlates qui commencent à s’encroûter.
— Staline.
Le tortionnaire pousse un barrissement de triomphe.
— Voilà, c’est pas compliqué ! La pédagogie policière italienne fera le tour du monde. Il caresse la joue du garçon. Tu apprends vite, toi. Et moi, Staline, tu sais comment je m’appelle ?
— Non.
Une formidable gifle le fait pivoter, il tombe.
— Je m’appelle Benito. Comment je m’appelle ?
— Benito.
— Trrrrrès bien. Va avec les autres. Et, quand je vous interrogerai, n’oubliez pas votre nom ni le mien.

Miraculeusement évadée de la rue Batisti, Claudia [journaliste] a pris des notes pour un article. Rentrée chez elle, elle en rédige la première mouture sans plus tarder. Puis, à se relire, elle se demande quel journal voudra la publier et quels lecteurs voudront la croire :
« Les prisonniers sont alignés contre un mur de la pièce, décoré de portraits de Mussolini et d’images pornographiques. Debout durant des heures sans même pouvoir aller aux toilettes, ils attendent les nouvelles raclées. De temps en temps, « Benito » et quelques collègues s’approchent pour les bastonner, serrer des cous, le pouce appuyant sur la veine jugulaire, relâcher en exigeant d’entendre crier « Vive le Duce ! ». Par jeu, ils cognent des têtes aux murs, tordent des seins ou des testicules avec des commentaires gras et des rires sonores.

Et aucun espoir de voir cesser le cauchemar. Les manifestants ou simples passants arrêtés au hasard des rues ont mariné ainsi des heures et des heures, dans leurs excréments et dans l’urine de policiers qui leur pissaient dessus. Un homme se tord de douleur sur le sol de ciment, la rate éclatée. Des matraques, prometteuses de sodomie, s’insinuent entre les jambes des filles. Et partout du sang, des pleurs, des hurlements. Des abdications : « Je m’appelle Staline », « Oui, Benito ». Et les cascades de rires des bourreaux.
L’horreur est telle que, selon certains témoignages, des policiers compatissants, profitant de moments d’absence de leurs collègues bouchers, offrent de l’eau et des cigarettes aux suppliciés. Quelques-uns même, soucieux de se démarquer s’en ouvriront à la presse en précisant à chaque fois, prudence et peur obligent, que les responsables ne sont pas de leur unité, mais d’une autre.

Cependant, il ne s’agissait pas de débordements incontrôlés. Un policier de la brigade d’intervention rapide de la caserne Bolzaneto s’est confié à Repubblica : il a vu le chef du département de la police pénitentiaire spécialisée dans les affaires « délicates » (maffieuses) regarder ses hommes à l’œuvre, sans s’émouvoir des bastonnades. Quatre députés de l’Alliance Nationale ont été remarqués dans la salle d’opération de la gendarmerie, sourds aux cris de douleurs, aux choc des corps, aux slogans lancés qui traversaient les murs : « Vive le Duce ! Vive Pinochet ! ».
On sait aussi que des hauts responsables de la police italienne étaient à Gênes, que des membres du Gouvernement se trouvaient au centre nerveux commandant les opérations. Gianfranco Fini, leader des fascistes de l’Alliance nationale a passé la nuit dans les locaux de la « questure » (préfecture) de Gênes. Epris de Justice (il en est le ministre), Roberto Casteli était là aussi.

Les exactions ne sauraient donc être imputées à des débordements incontrôlés. Au demeurant, un policier a confié à notre confrère Repubblica que l’ordre est arrivé directement de Rome, demandant d’arrêter le plus de monde possible à n’importe quel prix. N’importe quel prix ! ».

Tel est le projet d’article de la journaliste sur le lieu de détention des malheureux raflés en pleine nuit dans l’école Diaz, et le Media Center. Lieux a priori calmes et protégés, sanctuaires où la presse exerçait son droit, celui d’informer, comme il est de règle en démocratie. Lieux où l’infortuné Matteo, las des affrontements de rue, avait voulu passer un moment, pour voir et comprendre [...] ».

Maxime VIVAS
« Comme le scorpion, mon frère », polar altermondialiste, 2003.

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