RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Etats-Unis : Les services de renseignement demandent aux Américains de leur « faire confiance les yeux fermés » (The Hill)

Si la première victime de la guerre est bien la vérité, comme nous le rappelle le vieil adage, force est de constater que la première victime de la Nouvelle Guerre Froide est l’ironie. Nos plus aguerris journalistes n’ont pas l’air d’avoir repéré l’ironie Orwéllienne du Sénateur John McCain demandant au directeur National du Renseignement (Director of National Intelligence, DNI) James Clapper si Julian Assange avait une quelconque crédibilité, durant l’audition de vendredi dernier au Sénat. Assange a maintenu que les emails –hackés oui fuités- du Parti Démocrate ne venait pas du gouvernement russe, ou d’un quelconque autre gouvernement.

Comme nous le savons déjà, Clapper a menti au Congrès au sujet d’une sérieuse violation des droits constitutionnels de millions d’américains. Ce mensonge est un délit pour lequel il aurait d‘ailleurs pu être poursuivi.

En mars 2013, Clapper a menti en répondant « Non monsieur » à la question : « Est-ce que la NSA collecte un quelconque type d’information sur des millions, ou des centaines de millions d’Américains ? ». Il admettra plus tard que sa réponse s’éloignait de la vérité.

Clapper a menti de nouveau durant l’audition de vendredi, lorsqu’il a dit qu’Assange était « inculpé » pour un « délit sexuel ». Dans les faits, Assange n’est inculpé de rien, et le gouvernement suédois ne l’a accusé d’aucun délit. En fait, c’est un prisonnier politique et le Groupe de travail sur les détentions arbitraires des Nations Unies a déclaré qu’il était détenu de façon arbitraire depuis 2010 par le Royaume Uni et la Suède, et a ordonné sa libération avec une compensation. Dès les premiers jours de sa persécution politique, il a proposé de coopérer avec les autorités suédoises à toutes les enquêtes le visant, et annoncé sa disposition à se faire interroger à n’importe quel moment Londres. Il ne peut pas retourner en Suède sans avoir la garanti qu’il ne sera pas envoyé ensuite aux États-Unis, où il risque vraisemblablement la prison (avant même d’être jugé) pour avoir divulgué des documents fuités qui exposent les crimes de guerre américains et d’autres tout aussi gênants. Tout indique que les Ministères des affaires étrangères suédois et britannique collaborent avec le gouvernement des États-Unis afin de le maintenir emprisonné.

Si un jury devait se prononcer sur le témoignage de Clapper face à celui d’Assange, le choix serait rapidement fait. Clapper est un menteur en série certifié, et en 10 ans de révélations de Wikileaks il apparaît qu’Assange n’a jamais menti.
Ceci dit, il est entièrement possible que le gouvernement Russe soit impliqué dans l’affaire des méls hackés, et Assange et Wikileaks ne sont pas nécessairement en mesure d’identifier la source originale de la fuite, ce qui est très compliqué à faire. Néanmoins, Nous le peuple [1] attendons toujours que nous soient présentées les preuves du soi-disant piratage informatique russe.

Mais les médias se sont montrés tellement distraits par l’effervescence suscitée par l’organisation de la soirée à thème aux relents d’Amérique des années 50 ayant pour thème « détestons Poutine et la Russie comme s’il n’y avait pas de lendemain », que l’absence de preuves est devenu presque sans importance dans le discours médiatique dominant. Le rapport du DNI publié vendredi, censé fournir au public les preuves selon lesquelles le gouvernement Russe aurait piraté des méls dans le but d’influencer les élections américaines, ne contient en fait aucune preuve le confirmant. Il était évident que Trump était le candidat préféré de Poutine et de son gouvernement. Mais nous n’avons pas besoin de preuves pour nous en rendre compte, la simple logique suffit. Quel gouvernement ne favoriserait pas un candidat qui promet de meilleures relations ?

Près de la moitié du rapport, consistant en attaques contre des média russes dont la chaîne de télévision Russia Today, est bon pour la poubelle. Voilà une autre situation ironique : les médias qui ont fait basculer l’élection en faveur de Trump n’étaient pas Russes mais bien Américains, malgré le fait que la plupart de ses journalistes et des éditorialistes trouvaient le candidat répulsif. L’énorme avantage de Trump en matière de publicité gratuite e l’a pas seulement fait gagner al primaire, mais aussi la présidentielle. Ce sont les médias US qui ont donné beaucoup d’importance à la lettre du directeur du FBI James Comey, en l’utilisant pour supplanter les scandales de Trump, dont les accusations de harcèlement sexuel, lors des 11 derniers jours –qui sont cruciaux- durant lesquels des millions d’électeurs choisissent leur candidat.

Autre fait ironique : les Etats-Unis influencent des élections (et renversent des gouvernements) dans le monde entier depuis plus d’un siècle. Combien de centaines de millions de personnes, en passant de l’Indonésie au Chili et des douzaines d’autres pays, auraient préféré que les Etats-Unis se limitent à faire dans leurs pays seulement ce dont on accuse aujourd’hui la Russie ? Bien sûr il ne s’agît pas ici de justifier les interventions étrangères, mais si nous voulons comprendre la situation il faut tenir compte de ces faits. L’intervention de Washington en Ukraine, par exemple, a aidé à faire basculer ce pays dans une guerre civile qui est à la base de l’actuelle situation de Guerre Froide entre les Etats-Unis et la Russie.

La couverture médiatique est digne d’un spectacle de cirque, tout particulièrement avec les acrobaties de divers hommes politiques qui jonglent avec des enjeux de Guerre Froide et de paix et qui seraient bien stupides de croire en la bonne foi des agences de renseignement, après que celles-ci aient menti tellement de fois, des supposées armes de destruction massives en Irak à la résolution du Golfe du Tonkin ayant entraîné la Guerre du Vietnam.

L’histoire officielle signale qu’ils ne peuvent pas révéler comment ils savent ce que le gouvernement Russe a fait parce que cela compromettrait leurs sources et/ou leurs méthodes. Désolé les amis, mais vous êtes en train de menacer d’empirer encore plus les relations avec une superpuissance possédant l’arme nucléaire, alors vous devez vous montrer plus convaincants. Comme l’a dit George W. Bush, « Bernez-moi une fois, honte à vous... Bernez-moi deux fois... On ne peut pas se faire berner à chaque fois ! »

Mark Weisbrot

Mark Weisbrot est co-directeur du Center for Economic and Policy Research CEPR), basé à Washington, Etats-Unis ; il préside aussi l’organisation Just Foreign Policy. Il est l’auteur du livre "Echec. Ce que les ‘experts’ n’ont pas compris au sujet de l’économie globale" (Akal, Madrid, 2016).

Traduit par Luis Alberto Reygada pour Le Grand Soir
Twitter : @la_reygada

NDT :

[1] « We the people » dans le texte, en référence aux premiers mots du préambule de la Constitution des États-Unis d’Amérique.

»» http://thehill.com/blogs/pundits-bl...
URL de cet article 31415
   
Même Thème
L’horreur impériale. Les États-Unis et l’hégémonie mondiale
Michael PARENTI
Enfin traduit en français. Notes de lecture, par Patrick Gillard. La critique de l’impérialisme made in USA La critique de l’impérialisme américain a le vent en poupe, notamment en Europe. Pour preuve, il suffit d’ouvrir Le Monde diplomatique de novembre 2004. Sans même évoquer les résultats des élections américaines, dont les analyses paraîtront en décembre, le mensuel de référence francophone en matière d’actualité internationale ne consacre pas moins de deux articles à cette (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

La misère ne rassemble pas, elle détruit la réciprocité.

Wolfgang Sofsky

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.