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Du français (IV)

En 2003, le romaniste autrichien Hans Goebl publie ses Regards dialectométriques sur les données de l’Atlas linguistique de la France (ALF) : relations quantitatives et structures de profondeur (Estudis Romànics XXV) : 1421 cartes de l’Atlas linguistique de la France qui délimitent clairement tous les groupes et sous-groupes du français. Il montre, par exemple, la scission entre le français-sud-champenois-berrichon et le normand-angevin-gallo.

Le français de Paris émerge au XIIIe siècle comme l’idiome dominant avec un statut particulier. Le linguiste et alchimiste anglais Robert Bacon, auteur d’une grammaire du grec et d’une grammaire de l’hébreu qui remodela la distinction entre signe naturel et signe construit, qualifie le français de Paris de puros (« En France, on rencontre plusieurs dialectes entre les Picards, les Normands, les purs Français, les Bourguignons et les autres »). Dans la conscience collective, la langue maternelle étant, comme son nom l’indique, la langue de la mère, celle apprise à la maison, elle jouit d’un statut bien inférieur à celui du français de Paris et à celui du latin. Le françois cesse d’être simplement le français de l’Île de France : la « vraie langue » est le français du roi. Ce qui n’était pas gagné dans la mesure où, durant le Haut Moyen Âge, Paris avait été une bourgade comparée à Lyon, Bordeaux, Arles ou Autun (dont le théâtre pouvait contenir 20 000 personnes). Paris ne deviendra la ville la plus peuplée d’Europe du Nord qu’au XIIe siècle. Au sud du pays, le parler de la classe dirigeante de Toulouse n’aura jamais un statut aussi élevé que celui du français du roi. Mais l’occitan comme langue administrative se développa aux XIIIe et XIVe siècles. La langue possédait un lexique original. A mi-chemin entre le gallo-roman et l’ibéro roman, l’occitan comprenait plusieurs centaines de mots issus du latin qui n’existaient ni dans la langue d’oïl ni dans le franco-provençal. Par ailleurs, du VIe au XIIIe siècle, l’Occitanie connut une réelle unité politique sous l’autorité des comtes de Barcelone (on se souvient de Guifred le Velu, Guifré el Pilós en catalan, père de la lignée dont le nom signifie “paix victorieuse” et qui a donné Joffre en français, comme quoi tout se tient), branche cadette des ducs d’Aquitaine. Ces comtes régnèrent sur la Catalogne, le Languedoc, le Roussillon, le Rouergue, le Velay, la Provence. La littérature courtoise des troubadours occitans enrichit une langue qui devint à la fois poétique et savante (le fin’amor consistant à séduire une dame de qualité, généralement mariée, en lui récitant des poèmes). En tant que langue administrative, l’occitan ne commença à reculer devant le français qu’à partir du XVe siècle.

Pour sa part, la langue d’oïl se généralisa dans la littérature à partir du XIIe siècle et dans l’administration à partir du XIIIe. L’augmentation des échanges entre les différentes régions intensifia les emprunts entre les différents dialectes, ce qui renforça la richesse et l’unité de la langue. C’est au XIIIe siècle également que l’écriture oïl remplaça progressivement le latin dans le domaine administratif. Ainsi, en 1510, le roi Louis XII (le « Père du peuple ») exige l’emploi du « vulgaire et langage du pays » (“vulgaire” n’est à l’époque nullement péjoratif) dans la rédaction des documents de justice, jusqu’alors promulgués, selon les cas, en français, en latin et en occitan. Ce processus durera deux bons siècles. Il ne s’acheva dans le sud de la France que vers 1700 (en Catalogne). En 1530, avec la fondation du Collège de France par François Ier et Guillaume Budé, la langue française est utilisée pour la première fois dans une classe d’enseignement. Le barbier-chirurgien Ambroise Paré, qui n’était pas docteur et qui ne connaissait ni le latin ni le grec, publie ses traités en français : « Je n’ai voulu escrire en autre langaige que le vulgaire de nostre nation, ne voulant estre de ces curieux, et par trop supersticieux, qui veulent cabaliser les arts et les serrer soubs les loix de quelque langue particulière ». Le protestant Calvin écrit en français au roi Edouard VI.

Son grand œuvre subversif, Le Traité des reliques, est rédigé dans un français très moderne qui démystifie la bondieuserie : « Il y a puis après ce qui touche au corps de notre Seigneur : ou bien tout ce qu’ils ont pu ramasser pour faire reliques en sa mémoire, au lieu de son corps. Premièrement, la crèche en laquelle il fut posé à sa nativité, se montre à Rome en l’église Notre-Dame la Majeure. Là même, en l’église Saint-Paul, le drapeau dont il fut enveloppé : combien qu’il y en a quelque lambeau à Saint-Salvador en Espagne. Son berceau est aussi bien à Rome, avec la chemise que lui fit la vierge Marie sa mère. Item, en l’église Saint-Jacques, à Rome, on montre l’autel sur lequel il fut posé au temple à sa présentation, comme s’il y eût eu lors plusieurs autels, ainsi qu’on en fait à la papauté tant qu’on veut. Ainsi en cela ils mentent sans couleur. Voilà ce qu’ils ont eu pour le temps de l’enfance de Jésus-Christ. Il n’est jà métier de disputer beaucoup où c’est qu’ils ont trouvé tout ce bagage, si longtemps depuis la mort de Jésus-Christ. Car il n’y a nul de si petit jugement, qui ne voie la folie. Par toute l’histoire évangélique, il n’y a pas un seul mot de ces choses. Du temps des apôtres, jamais on n’en ouït parler. Environ cinquante ans après la mort de Jésus-Christ, Jérusalem fut saccagée et détruite. Tant de docteurs anciens ont écrit depuis, faisant mention des choses qui étaient de leur temps, même de la croix et des clous qu’Hélène trouva ! De tous ces menus fatras ils n’en disent mot. Qui plus est, du temps de saint Grégoire, il n’est point question qu’il y eût rien de tout cela à Rome, comme on voit par ses écrits. Après la mort duquel Rome a été plusieurs fois prise, pillée et quasi du tout ruinée. Quand tout cela sera considéré, que saurait-on dire autre chose, sinon que tout cela a été controuvé pour abuser le simple peuple ? »

(à suivre)

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Hélène Berr. Journal. Paris, Tallandier, 2008.
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