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Les diasporiques incendiaires

« (Les Francs) menèrent encore avec zèle le djihâd contre les musulmans ; ceux-ci, en revanche, font preuve de manque d’énergie et d’union dans la guerre, chacun essayant de laisser cette tâche aux autres (...). On est saisi d’un étonnement profond à la vue de ces souverains qui continuent à mener une vie aisée et tranquille lorsque survient une telle catastrophe ». Cette assertion du juriste syrien al-Sulamî, auteur du premier traité sur le djihâd en 1105, témoigne de la situation perturbée de la Syrie, aux prises avec, d’une part, les affrontements géopolitiques entre factions rivales dans le Bilad al-Sham et, d’autre part, l’avancée franque en Méditerranée orientale. Cette double menace (ennemis de l’intérieur et ennemis de l’extérieur) semble être aujourd’hui sinon un invariant, du moins réactivée sous de nouvelles formes à la faveur de la radicalisation de l’islamisme politique sonnant définitivement le glas du projet panarabiste. Par-delà le contexte des croisades, un acteur géopolitique incontournable mériterait un large développement : les diasporiques incendiaires, comptables de la balkanisation avancée du Proche et Moyen-Orient. Les diasporiques représentent des populations dispersées dans le monde (occidental), stipendiées par les pays occidentaux mais également par leurs alliés du Golfe, tout en cultivant le projet fantasmé de retour dans leur pays d’origine. Depuis la fin de la Guerre froide, cette région historique du Dar al-Islam, constitue le principal horizon de conquête des armées néo-latines. Signe des temps, les vagues migratoires depuis 2011 ont réactivé sur le devant de la scène internationale la problématique du djihad dont les ramifications se lisent jusqu’au cœur du Dar al-Harb.

Leur argumentaire

Leur argumentaire diffusionniste consiste tout autant à promouvoir le programme politique de transition démocratique suivant l’allégorie de la Destinée manifeste qu’à dénoncer pêle mêle la bureaucratie, la violence policière ou la censure, en d’autres termes, l’autoritarisme des pays de départ, en évitant soigneusement toute critique acerbe vis-à-vis des pays d’accueil. Surtout, leur objectif affiché converge avec l’agenda militaire des puissance occidentales dans le cadre des différentes coalisions internationales menées depuis 1990 par les États-Unis et leurs alliés européens. Dans ces contextes, leur stratégie assumée consiste, depuis les périphéries, à attaquer les pouvoirs centraux en place selon l’argumentaire de la non légitimité politique. Ce modèle d’action khaldunien est déployé très largement en Syrie, en Irak, mais également en Turquie et en Iran. Aussi, la Turquie, alliée des États-Unis et membre de l’Otan, est-elle accusée de schizophrénie et de cultiver les ambivalences diplomatiques au nom du réalisme politique : le pays soutiendrait officieusement le djihadisme mondialisé et, partant, l’État islamique dans le cadre de la lutte contre le mouvement kurde du PKK, tout en combattant officiellement le terrorisme mondial. À l’évidence, la militarisation des mouvements irrédentistes a conduit à une situation de guerre dans la région. C’est de ce constat qu’il convient de jeter une lumière crue sur le rôle du mouvement indépendantiste kurde dont le programme consiste moins à défendre leurs intérêts que ceux des Occidentaux. C’est donc depuis l’Occident que s’élabore et se diffuse l’argumentaire droitsdel’hommiste de l’opposition syrienne à l’étranger dans une sempiternelle dénonciation du déficit démocratique du régime de Bachar al-Assad. Ainsi, les manifestations célébrées le vendredi dans la capitale seraient systématiquement réprimées par les troupes de Bachar. Bien plus, les images du pays et de la société seraient interdites à l’intérieur mais autorisées à l’extérieur, précisément dans le monde arabo-musulman (les Occidentaux étant très éloignés de cette culture) : l’industrie du film et du divertissement syrienne est célébrée chaque année dans les festivals d’Oran, de Carthage ou de Marrakech. Des réalisateurs syriens établis à l’étranger accusent l’Organisation nationale pour le cinéma de déni de réalité. Au festival international du film de Locarno, Ziad Kalthoum, né à Homs en 1981, qui réalisa un film sur les femmes kurdes, présenta le documentaire Le Sergent immortel (2013). Ziad Kalthoum, réserviste dans l’armée syrienne, refusa de combattre contre les Kurdes de Syrie avant de devenir assistant réalisateur au côté de Mohammad Malas et de se refugier à Berlin. De même, Le sourire de Hassan (2014), long métrage de fiction, retrace l’histoire d’un pilote qui tombe en montagne avant d’être sauvé par un moine. Une jeune fille ouvre la radio : Monte Carlo annonce l’invasion étasunienne de l’Irak et la fuite des Kurdes. Le film, pourtant en co-production avec l’ONC, aurait été censuré pour avoir évoqué la question kurde. L’internationalisation de la question kurde par le truchement de la production cinématographique a pour effet de raviver le sentiment anti-baathiste parmi la jeunesse arabe, largement encouragée par les élites mondialisées. C’est en ce sens que l’opposant politique syrien Imad Eddine al-Rachid chercha en 2013 du soutien aux États-Unis mais aussi auprès de Médecins sans frontières pour dénoncer l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar. De même, la journaliste « indépendance », Garance Le Caisne, qui a vécu au Caire dans les années 1990, a couvert les « printemps arabes » notamment pour Le Journal du dimanche et L’Obs, avant de se rendre en Syrie. Dans l’ouvrage Au cœur de la machine de mort syrienne : Opération César (2015), elle dénonce la torture en Syrie, après avoir passé (seulement) des dizaines d’heures avec César (un nom de code), originaire des marges syriennes du Rif, chargé de photographier entre 2012 et 2014 les cadavres de détenus en prison, avant de quitter le pays pour les États-Unis où il est accueilli en juillet 2014 par Even Mc Cullin, membre du Congrès. Conformément au protocole d’accueil des réfugiés politiques arabes, il se rend au musée de l’Holocauste avant de rencontrer Samantha Powell et Ed Royce, président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre du Congrès. Ses clichés seraient des preuves de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Toutefois, Stephen Rapp, ambassadeur étasunien chargé de la justice internationale, indiqua que sur 27 000 photographies seules 5 500 seraient exploitables. C’est en janvier 2014, que David Crane, ancien procureur, rédigea le premier rapport sur l’affaire. Tandis qu’en janvier 2015, dans le magazine Foreign Affairs, le président syrien nia l’existence de ce photographe de la police militaire. L’opposition syrienne à l’étranger cherche à se constituer ainsi des soutiens auprès des Occidentaux, pourtant comptables du nouveau désordre mondial, en articulant la thématique de la torture à la question kurde.

Leur stratégie

Leur stratégie mondialiste consiste à se greffer aux pôles mondiaux de la contestation comme aux réseaux sociaux, qui représentent des relais essentiels de la propagande activiste 2.0. Pour Khaled Abdulwahed, réalisateur du film d’animation Bullet (2013), c’est par l’image que l’information doit passer. Au cœur du conflit civil syrien s’esquisse le nouveau visage de la production filmique mondialisée, eu égard au film documentaire franco-syrien Eau argentée réalisé par Oussama Mohammad et Wiam Simav Bedirxan et présenté au festival international du film de Cannes en 2014. La même année, à Paris, le mouvement « vague blanche pour la Syrie » a conduit à la réalisation de vingt courts-métrages sur l’activisme syrien accompagnés de commentaires d’artistes internationaux. Bien plus, les collectifs Al-Share’ for Media and Development et Kayani représentent les deux principales plateformes de diffusion de la propagande activiste syrienne. De même, Bidayat, un groupe de travail qui produit les artistes Abdallah al-Hakawati (Tatouages) et Adnan Jetto (Basil), propose des formations en Syrie, au Liban et en Turquie, ce qui témoignerait de la capacité d’ancrage du sentiment anti-Bachar notamment dans les marges à dominante kurde, mais également dans les périphéries des grandes villes, nouveaux bastions du Jabhat al-Nosra ? Bachar aurait ainsi perdu l’adhésion des quartiers populaires où le bassthisme serait moins ancré. Les bombardements réguliers du camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, dans la banlieue de Damas, en marquent le paroxysme. Le discours des artistes syriens, du fait de leur adhésion au principe de la démocratie libérale, se distingue du langage de l’islamisme politique modéré (Front islamique de libération syrien) ou salafiste (front islamique syrien) ; ce qui invalide ou tout du moins nuance la thèse d’un front commun anti-Bachar. Aussi, les carrières sont-elles révélatrices des évolutions idéologiques d’une génération de réalisateurs syriens, nés après 1945 et formés à Moscou à l’Institut de la Cinématographie Gerasimov. Ainsi, Mohammad Malas étudia à Moscou, avant de travailler pour la télévision syrienne puis de présenter en 2013 son film Ladder to Damascus au festival international du film de Toronto. Tandis que Omar Amiralay étudia dès 1968 à Paris à la Fémis avant d’entrer en conflit avec l’État syrien à la sortie de son documentaire, La vie quotidienne dans un village syrien (1971-1972) jusqu’à sa mort en 2011. Plus récemment, Mayar al-Roumi, auteur du court-métrage Le Voyage de Rabia (2007), étudia également à la Fémis. Hala Abdallah, réalisatrice, scénariste et productrice syrienne, précisa que l’arrivée au pouvoir de Bachar avait suscité beaucoup d’espoir dans la jeunesse syrienne. La rhétorique de l’opposition syrienne, relayée par les réseaux sociaux ainsi que les événements artistiques de dimension mondiale, tend à hypertrophier le travail de réalisateurs comme Reem el-Ghazi (Damascus Rain, 2013), Yaseed Sayed (Point Zéro, 2013), Basseel Shahade (Saturday Morning Gift, 2011), Randa Maddah (Light Horizon, 2012), Yasmeen Fanari (ABC Double Speak, 2010) ou encore Reem Ali qui est l’auteur du documentaire L’Écume (2006) sur l’activisme d’un couple (la tante de la réalisatrice) qui fait de la prison avant de quitter le pays. Le film aurait été censuré pour avoir abordé les thématiques de la prison et du départ.

Leurs limites

Leurs moyens d’action restent limités du fait de l’éloignement idéologique avec la base électorale, fidèle soit au parti Baas soit, depuis 2013, à la nouvelle alliance islamiste au sein d’al-Jabhat al-Islamiyyah. Ni la propagande anti-Bachar, ni encore la minorité confessionnelle du clan alaouite, ni enfin le risque de morcellement territorial n’ont réussi à altérer la popularité de Bachar. Plus encore, leur travail manque de réflexion et d’analyse comparative. Dans toute démocratie libérale et davantage encore dans le contexte français de l’État d’urgence, les manifestations non autorisées et bien plus les saccages d’édifices publics et de monuments patrimoniaux tomberaient sous le joug d’une répression à tous crins au motif de la préservation de l’ordre social contre un danger imminent. De même, les autorisations préalables jusqu’à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en France ou encore la censure cinématographique sous l’empire du code Hays entre 1934 et 1966 aux États-Unis invitent vivement à réviser l’approche surévaluée de l’Occident porteur tout à la fois de progrès et de liberté. Le festival Mobile, dans le nord de la Syrie, qui rassemble plus de trente points de projection ainsi que le festival des œuvres activistes dans l’amphithéâtre romain de Bosra, dans le sud, qui accueille également des films professionnels, comme Round Trip de Mayar al-Roumi (2012) ou Le Sergent immortel de Ziad Kalthoum (2013), montrent que des rassemblements de masse sont possibles allant jusqu’à infléchir la politique culturelle et sociale du pays.

Partout où se sont engagées les puissances occidentales, la paix a fait défaut. Les guerres ou à tout le moins les tentatives de déstabilisation menées contre les régimes baathistes (Irak et Syrie) et socialistes (Algérie, Côte d’Ivoire, Venezuela, Brésil) depuis la fin des années 1990 s’inscrivent dans une sorte de réactivation des conflits conventionnels de type Guerre froide, mettant en question le discours démocratique des partisans du hard power. Tandis que dans le même temps, seules les guerres dites non conventionnelles occupent l’attention médiatique ainsi que la production scientifique. À l’évidence la schizophrénie vient des dirigeants occidentaux, eu égard à la célèbre formule de l’ancien ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius pour qui Jabhat al-Nosra « font du bon boulot sur le terrain » (2012). Les chefs d’État et de gouvernement occidentaux souffrent à bien des égards de nombreuses contradictions, parmi lesquelles l’attachement à la souveraineté et au patriotisme dans le cadre d’un État fort ; principes pourtant abhorrés lorsqu’ils sont appliqués à la Russie, à la Syrie ou à la Turquie. C’est à la suite des attentats de Paris de janvier 2015, que le président de la République François Hollande décide de consacrer l’année 2016 à la Marseillaise, afin d’associer le peuple français, et particulièrement la jeunesse, à l’histoire de la Nation.

Bien que le déploiement mondial d’une jeunesse politisée, active sur les réseaux sociaux, et acquise au droit d’ingérence semble plutôt efficient, la vitalité du clan Assad, soutenu notamment par la Russie et l’Iran rend caduc le rêve d’un rétablissement des États chrétiens d’Orient.

»» http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5232337
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DE QUOI SARKOZY EST-IL LE NOM ?
Alain BADIOU
« Entre nous, ce n’est pas parce qu’un président est élu que, pour des gens d’expérience comme nous, il se passe quelque chose. » C’est dans ces termes - souverains - qu’Alain Badiou commente, auprès de son auditoire de l’École normale supérieure, les résultats d’une élection qui désorientent passablement celui-ci, s’ils ne le découragent pas. Autrement dit, une élection même présidentielle n’est plus en mesure de faire que quelque chose se passe - de constituer un événement (tout au plus (…)
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Le plus troublant pour moi était la soif de meurtre témoignée par les membres de l’US Air Force. Ils déshumanisaient les personnes qu’ils abattaient et dont la vie ne semblait avoir aucune valeur. Ils les appelaient "dead bastards" et se félicitaient pour leur habilité à les tuer en masse.

Chelsea (Bradley) Manning

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