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Palestine : Sharon, la colonisation et la guerre globale préventive.


solidaritéS, 20 décembre 2005.


Michel Warschawski, de passage en Suisse, nous donne son analyse de la situation. Militant antisioniste israélien, il est le co-directeur de l’Alternative Information Center (Centre d’information et de documentation israélo-palestinien).

Voix parmi les plus radicales de la gauche israélienne, et pacifiste de longue date, Michel Warschawski lutte depuis plus de trente ans pour une « paix juste » avec les Palestinien-ne-s et pour une démocratisation de l’Etat d’Israël.


Il y a un certain bouleversement sur la scène politique israélienne, pourrais-tu nous expliquer les enjeux actuels ?

Nous avons deux phénomènes, deux crises parallèles qui traversent la classe politique israélienne : l’une, c’est apparemment l’écroulement du Likoud, avec le départ non seulement d’Ariel Sharon, mais de celui qui était le président du comité central du Likoud, Tzahi Hanegbi, et du ministre de la défense, Shaul Mofaz. C’est une crise grave, qui laisse l’extrême droite et les groupes mafieux dans une position quasi-groupusculaire. Je suggérerais cependant d’être prudent : le Likoud est un label. Je pense que la crise de sa direction politique ne se traduira pas par un effondrement total de son électorat. Pour des dizaines et des dizaines de milliers de personnes, le Likoud, c’est leur maison, quel qu’en soit le dirigeant politique. On vote Likoud par appartenance, par fidélité, et je crois que les journalistes se trompent s’ils pensent que le Likoud va être complètement effacé de la place politique ou marginalisé.

La deuxième crise, c’est l’élection à une faible majorité d’Amir Peretz à la tête du parti travailliste. Ca, c’est un phénomène, à mon avis, extrêmement positif, qui réouvre un débat politique. Le départ du Likoud d’Ariel Sharon ne débouche pas sur un débat politique. Il recèle certes des enjeux politiques, mais dominés par un débat délirant avec l’extrême droite et des intérêts mafieux. Ce que représente Amir Peretz, c’est une double rupture, qu’il ne faut pas exagérer mais qui est réelle, avec ce qui avait été le discours consensuel depuis sept ans, plus ou moins depuis la venue au pouvoir d’Ehoud Barak, en tous les cas depuis Camp David. Ce discours comprenait le soutien unilatéral à la carte militaire et à la recolonisation, sous prétexte de lutte contre le terrorisme. Le discours ultra-sécuritaire et unilatéral ne correspond pas à la position d’Amir Peretz. Il a toujours dit qu’il était pour reprendre les négociations, et donc pour envisager une politique de compromis. Cependant, il ne se démarque pas des grandes lignes du consensus sioniste : il a répété son opposition au droit au retour des réfugié-e-s et à la restitution de Jérusalem-Est. Est-ce que son compromis est acceptable, je ne le pense pas, mais c’est une autre question.


Quelle est la situation sociale aujourd’hui en Israël ?

Tout cela se déroule sur fond de libéralisme brutal, qui a réussi en peu de temps à détruire une partie des structures existantes de l’état social et de la fonction publique. Ce qui se passe aujourd’hui au niveau social est d’une violence sans précédent. Voilà une société dévastée, dans ces six dernières années, par la politique néolibérale, qui conduit à une double rupture du consensus, et je pense que l’élection d’Amir Peretz représente un véritable courant d’air frais dans ce contexte. La sécurité sociale israélienne était déjà alarmante, mais aujourd’hui on coupe partout : les allocations de vieillesse, les allocations de chômage, les rentes de veuve, etc. 33 % d’enfants vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Le système de l’enseignement et de la santé se dégrade à toute vitesse. A ce propos, Peretz a le mérite de rouvrir un débat qui n’existait plus. C’est bien ce qui fait sa popularité. Il est identifié à des combats très concrets sur ces choses-là , c’est son drapeau et il oblige tous les partis traditionnels à se redéfinir là -dessus. Cela dit, il ne faut pas se faire d’illusions : Amir Peretz ne représente qu’un retour au travaillisme traditionnel, rien de plus.


Est-ce que ces changements dont tu viens de parler modifient le projet politique de Sharon ?

Non. Au contraire, le départ d’Ariel Sharon du Likoud, où il aurait pu être élu, mais où il aurait eu de la peine à mettre en oeuvre sa politique, vise à mener à bien sa politique, dont l’objectif prioritaire est la colonisation. Sharon n’a pas changé. Sharon a des objectifs stratégiques à long terme qui ont toujours été les siens, qu’il ne cache pas d’ailleurs. Sharon a un projet bien défini qui vise à en finir avec la feuille de route et à mettre un Etat palestinien « dans le formol ». Son but est d’accentuer la présence israélienne, de la mer au Jourdain, exception faite de ces « cantons » où les Palestiniens devront s’autogérer. Des sortes de bantoustans, qu’on va caractériser comme Etats palestiniens. Ce projet de « cantonalisation » vise à faire des Palestinien-ne-s, des « présents absents », expropriés.

La seule chose nouvelle, à part l’ouverture conditionnée de Rafah, qui vient d’ailleurs de se refermer après l’attentat de Netanya (attentat qui a eu lieu au début décembre et qui a coûté la vie à cinq Israéliens), c’est la volonté déclarée d’Ariel Sharon, mais qui n’est pas nouvelle, d’entreprendre à terme, si les Palestinien-nes respectent la trêve d’une façon substantielle, des retraits similaires unilatéraux d’autres zones qu’il ne veut pas gérer pour poursuivre la colonisation. C’est ça le plan Sharon. Ce n’est pas un compromis, c’est un plan global qu’il veut mettre en oeuvre, et qu’il avait des difficultés à faire avancer avec le Likoud, à cause de ses divisions internes. Il n’empêche que Sharon, dans sa volonté de recolonisation, veut appliquer à long terme la méthode d’une guerre globale et préventive.


Sur cet arrière-fond assez sombre, une lueur est tout de même porteuse d’espoir : qu’en est-il des mouvements de résistance à l’intérieur d’Israël ?

Ce n’est certainement pas une frange significative de la population. La grande majorité de la population jusqu’à aujourd’hui - mais cela peut changer - se situe dans le cadre de la lutte d’autodéfense contre « le terrorisme ». Le discours sécuritaire qui a été développé par Ehoud Barak et repris par Ariel Sharon reste le cadre dominant de la grande majorité de la population israélienne, avec lequel je doute même qu’Amir Peretz puisse rompre, même s’il prône une politique plus équilibrée.

De l’autre côté, il n’y a pas d’alternative politique en mesure d’organiser des mobilisations de masse en faveur du retrait des territoires. Il y a certainement des milliers d’Israélien-ne-s qui adhèrent à des organisations comme les « Femmes en noir », « Refuznik » (soldats et officiers contre le service dans les territoires occupés), ou d’autres organisations contre l’occupation, mais tout ça reste insuffisant pour justifier un quelconque optimiste. Cette situation constitue un gros problème pour un Etat qui est peu familiarisé avec les règles du jeu démocratique et qui court le risque d’une crise institutionnelle et d’une désintégration sociale.

Il existe tout de même une opposition importante d’hommes et de femmes, très jeunes pour la plupart, une petite minorité d’opposant-e-s qui ont aujourd’hui une voix morale contre l’injustice et qui expriment une protestation dissidente très ferme. Une génération qui s’est mobilisée contre le Mur et pour laquelle le Mur est la plus grande des annexions. Une génération qui agit de concert avec les Palestinien-ne-s, ce qui n’était pas le cas auparavant. La dernière rencontre que nous avons eue à Bethléem, au début décembre, était importante. Elle regroupait trois cents militant-e-s, dont quatre-vingt Israélien-ne-s, qui avaient dû se mettre dans l’illégalité pour rejoindre la réunion, deux cents Palestinien-ne-s et une vingtaine d’Internationaux. Cette rencontre a permis, au-delà du travail politique commun, au-delà des projets, au-delà des actes de protestation contre le Mur, d’avancer deux revendications importantes, dont le gel immédiat de la colonisation et un observatoire international pour imposer des sanctions.


Sous quels auspices auront lieu les élections en Palestine ?

La dernière phase des élections municipales, si j’en crois mes amis de Naplouse, vont déboucher sur un raz-de-marée du Hamas dans certaines villes. D’une façon générale, quel que soit le résultat de ces élections municipales, on sent le renforcement du Hamas comme force politique, même s’il n’est pas encore majoritaire. Mais je ne suis pas sûr que le Hamas veuille vraiment être majoritaire à cette étape-là . Il préfère être une force d’opposition plutôt que d’avoir la responsabilité du pouvoir. C’est mon analyse, je peux me tromper évidemment.

Le Hamas est à la fois très sûr de regrouper des votes de protestation. Il y a un fort vent de protestation favorable au Hamas, y compris dans des villes chrétiennes comme Bethléem, où c’est le Hamas qui rencontre le plus de popularité. Le Hamas risque d’être le premier parti à Ramallah, donc il y aura de toute façon un très net renforcement du Hamas. En ce qui concerne le Fatah, les primaires ont plébiscité Marwan Barghouti, ce qui est à mes yeux très bon signe : un rejet des militant-e-s de base de la façon traditionnelle de gouverner, souvent identifiée à l’Autorité. En Europe, on parle souvent de corruption. Je n’aime pas ce mot. Il s’agit plutôt d’une incapacité à gouverner. C’est plus que de la corruption, c’est un système qui ne marche pas et qui ne peut d’ailleurs pas marcher en présence de l’occupation.


Le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien s’interroge : comment agir dans une telle situation qui paraît dans l’impasse ?

Il faut agir dans le long terme : on n’est pas dans une situation où il faut s’attendre à des victoires stratégiques dans le court et moyen terme. On est dans un contexte international qui n’est pas favorable. Je donnerai pour exemple la rencontre officielle, publique, pour un stage commun, avec des photos de presse, d’officiers supérieurs des armées israélienne, égyptienne, syrienne, marocaine et tunisienne, avec l’OTAN, réunion qui s’est tenue en Israël, dans l’Etat Major de l’aviation israélienne. Lorsque les Etats arabes se permettent de se réunir en Israël pour une coopération militaire, cela contribue à accroître la faiblesse du mouvement national palestinien, son isolement et la prééminence du discours sécuritaire au niveau global.

La lutte contre le terrorisme justifie les alliances qui isolent encore plus les Palestinien-ne-s, qui les met dans cette situation délicate d’isolement total s’ils n’acceptent pas les compromis voulus par Israël. Je pense que cette situation très difficile pour le peuple palestinien implique une grande responsabilité pour le mouvement de solidarité. Il faut mieux adapter les objectifs des mobilisations au niveau du possible, et surtout renforcer la conscience des militant-e-s. La question est de savoir comment le mouvement de solidarité international peut aider la Palestine à résister, comment il peut l’aider aussi à mettre en difficulté l’occupant. C’est une guérilla politique, je dirais, plus qu’une confrontation, comme on a pu la connaître avec le mouvement anti-guerre en 2003. Il s’agit de maintenir un état d’alerte, même si on sait que les chances de réussite ne sont pas toujours très grandes. Dans ce sens-là , toute campagne contre la collaboration militaire, comme cela est fait en Italie et en Suisse, prend toute son importance.

Il faut par ailleurs se fixer des objectifs sur lesquels on peut gagner, même s’ils sont modestes. Un mouvement a besoin de petites victoires, mais il faut savoir adapter les victoires aux rapports de force. La prise de position de l’ensemble de la « communauté internationale », à part Israël et les Etats-Unis, qui a repris les conclusions de l’Assemblée Générale des Nations Unies, doivent nous donner un levier pour nous adresser aux politiques. Parallèlement, l’extrême prudence, l’indécence, des prises de position des Etats de l’Union Européenne, des gouvernements, des partis politiques souvent, et le recul qu’on peut observer dans certains partis de gauche et dans les syndicats, qui aujourd’hui nourrissent l’illusion « Sharon homme de paix », nous obligent peut-être de réviser à la baisse certaines de nos revendications. Il faut comprendre que ce qui était audible il y a deux ans n’est plus audible aujourd’hui, et cela nous oblige à revoir nos objectifs.

J’ajoute un point qui est important : dans nos priorités, et ça c’est nouveau pour le mouvement de solidarité, il y avait peu de place pour les explications : les choses étaient simples ; la partie sensibilisation de ce qui se passe « qui sont les bons, qui sont les mauvais » n’était pas nécessaire. L’horreur du Mur parlait d’elle-même. Or, on a de nouveau le besoin d’expliquer plus. Même dans les partis de gauche, il faut réexpliquer ce que c’est que la paix et que Sharon n’est pas un homme de paix.

 Propos recueillis par Pierrette ISELIN

 Source : www.solidarites.ch/journal


Évacuation des colonies : tactique et stratégie de l’occupation, par Cinzia Nachira.

Israël, l’ethnocentrisme colonise, interview de Michel Warschavsky, par Thomas Schaffroth - il manifesto.



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