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La bombe Saakachvili prête à exploser (Rabkor.ru)

Saakachvili n’a pas fait exploser la Transnistrie, comme l’avaient décrété certains politologues russes. Il vise exclusivement l’Ukraine. C’est là que se trouve le front principal de l’action de cet homme politique nettement réactionnaire. Mais réussira-t-il à obtenir des changements, et si oui, lesquels ? Que veut l’Occident et que ne peuvent pas donner les oligarques d’Ukraine ?

Les autorités ukrainiennes se sont efforcées de recevoir le soutien inconditionnel de l’Occident, recherchant de nouveaux motifs pour toucher de l’argent. Elles se sont fâchées avec Moscou, l’ont provoquée, et ont montré par tous les moyens à l’Union Européenne et aux Etats-Unis, qu’elles se défendaient d’une agression. Et en même temps, l’ « agresseur » endiguait et stérilisait le soulèvement de la Nouvelle-Russie (Novorossia) dans le Donbass, le rendant de fait sans danger et quasi inoffensif pour les gouvernements de Kiev. Pratiquement tous les partisans du mouvement de la Nouvelle-Russie comprennent que les autorités russes ont non seulement reconnu la junte de Kiev de 2014 comme le gouvernement légal du pays, mais qu’elles n’ont en plus pas permis le rattachement avec la Russie des territoires de l’état ukrainien dont les coutures craquent de partout.

C’est pourquoi, s’il y a bien quelqu’un qui a sauvé l’Ukraine en tant qu’état intégralement banderiste, c’est bien Moscou, et non pas Washington ou Bruxelles. C’est justement pour cela qu’ils sont convaincus maintenant qu’il faut que les changements en Ukraine soient poursuivis. En 2015, l’Occident a mené sa campagne pour mettre en place un gouvernement de technocrates en Ukraine, afin de remplacer le cabinet d’Arseni Iatseniouk, qui incarnait le compromis oligarchique.

Mais quand s’est produite la démission du gouvernement, un nouveau cabinet de compromis oligarchique est venu le remplacer, et l’information a commencé à filtrer parmi les experts que les élites ukrainiennes cherchaient à revenir à la situation dans laquelle elles étaient, assises entre deux chaises, c’est-à-dire qu’elles souhaitaient l’apaisement avec la Russie.

Toutefois, le FMI tient l’état ukrainien à sa merci. En 2015, il ne lui a pas fourni l’argent pour rembourser la dette à la Russie. Cela conduisit Kiev au défaut de paiement, chose que le monde a tenté de ne pas remarquer et même de ne pas considérer comme tel. Le pouvoir ukrainien s’est vu obligé de se disputer avec le gouvernement de la Russie au sujet de questions financières alors même qu’en Occident on le critiquait de plus en plus durement, qu’on lui exigeait de plus en plus en lui donnant de moins en moins. Porochenko, Iatseniouk et d’autres acteurs de la « révolution de la dignité » ont brusquement rehaussé leur statut. Porochenko s’est retrouvé à la place de collecteur de capitaux qu’avait occupée le président-oligarque Victor Ianoukovitch. Mais une grande frayeur s’est emparée de lui, la peur des élections et du châtiment qui viendrait de l’Occident.

La version qui jouit de plus de popularité en Russie est que la déstabilisation de la Transnistrie était l’un des objectifs du régime de Kiev et de Mikheil Saakachvili en personne. Certains analystes l’ont bien signalé : Saakachvili a été nommé gouverneur de l’oblast (région) d’Odessa pour assurer le blocus de la Transnistrie et créer les conditions d’une éventuelle entrée des troupes ukrainiennes sur le territoire de la république non reconnue. La presse russe a évoqué toutes les provocations qui allaient précéder cela. Le directeur du Centre d’élaboration d’une politique globale, Serguei Gorodnikov a déclaré :

« Saakachvili a été placé dans la région d’Odessa et de nombreux analystes ont déclaré que c’était pour faire exploser la situation en Transnistrie. En utilisant les provocations. »

Cependant, l’analyse qu’on a fait en Russie de la situation autour de la Transnistrie a failli omettre certains éléments.

Il est possible que Saakachvili n’ait pas eu pour objectif initial de s’occuper de la république voisine de la région d’Odessa. Il est également peu probable qu’il ait été nommé à Odessa justement pour cela. Par la suite, ce sont les déclarations du chef de l’administration d’Odessa qui l’ont-elles-mêmes confirmé. Ainsi, dans l’une de ses interviews, Saakachvili a-t-il déclaré : « nous allons arracher le volant par une méthode constitutionnelle ».Si l’on tient compte du fait que sa candidature au poste de premier ministre, de même que celle d’autres « technocrates » parachutés de l’étranger, a été ignorée, et que le bloc de l’oligarchie locale a repoussé les réformateurs au lieu de les renforcer, alors on a affaire à un conflit de politique intérieure qui s’est aggravé dans le pays.

C’est au groupe de l’oligarchie que Saakachvili s’apprête à arracher le volant. En 2014, et pour une partie de 2015, celle-ci a tâché de tirer parti de sa lutte contre « l’agression russe ». Les attaques de Kiev contre la Transnistrie ont aidé les élites ukrainiennes à profiter de la recharge financière en provenance des Etats-Unis et de l’Union européenne. Cependant, convaincus que Moscou ne se battra plus pour l’Ukraine, et que la crise mondiale reprend avec force, l’Occident a pris la décision de commencer à se servir plus activement des ressources du pays conquis.

Les Etats-Unis et l’Union européenne en ont assez de l’audace du mendiant qui leur soutire l’aumône. Comme le signale Nailya Amirova, professeure agrégée d’économie politique à l’Université russe d’économie Plekhanov, les dirigeants de l’Union européenne et des Etats-Unis en savent plus au sujet d’une « deuxième crise » qu’ils ne veulent bien le montrer aux observateurs, à tous ceux qui bénéficient des statistiques officielles mais pas forcément exactes.

« Dans ces conditions, ils veulent recevoir plus de l’Ukraine. Depuis longtemps, on a promis à celle-ci un « Plan Marshall » de 100 milliards d’euros. Un argent que le pays pourrait commencer à toucher tout de suite, dès qu’ils auront compris en Occident que leurs sociétés peuvent tirer un profit rapide (en actifs et en bénéfices)d’ au moins 200 milliards d’euros ».

C’est une question politique. L’Occident est obligé d’abaisser les coûts pour ses sociétés en Ukraine, ce qui suppose d’éliminer la corruption généralisée et le clientélisme oligarchique. Il faut aussi garantir le transfert de ressources qui se fait des entreprises locales de plus de valeur et de l’état vers le capital transnational. Voilà tout ce que doit donner le gouvernement des réformes et des « technocrates ». Il sera difficile de le constituer sans explosion politique, et le détonateur le plus fiable et le plus populaire parmi la population locale est en ce moment Saakachvili.

Il est vrai que si l’on en juge par le rôle qu’on lui a attribué de détonateur pour la Transnistrie, alors il faut dire que Saakachvili n’est pas en mesure de faire exploser la situation politique. Ce qui joue contre lui, c’est son passé géorgien, sa carrière de jeune néolibéral pro-américain qui s’est propulsé en avant et qui a démontré sa capacité à réprimer l’opposition et éliminer les secteurs de l’état qui étaient à son avis inefficaces. Il ne s’agissait pas seulement de la police corrompue, mais aussi d’une médecine abordable, ou plutôt des restes du système de santé soviétique. C’est la raison pour laquelle cela vaudrait la peine de rappeler aux partisans de réformes soi-disant purement technocratiques en Ukraine que l’état coûtera moins cher, mais que ce sera aux au détriment de la population, qui n’en verra aucun avantage économique, et qui au contraire va perdre ses droits et sa protection sociale.

Saakachvili s’apprête à faire exploser le processus politique en Ukraine. Il peut compter sur un nouveau soutien financier de l’étranger, à l’heure même où les sommes données au gouvernement ukrainien sont plus dosées.

Et ses moindres faits et gestes seront surveillés de près. Les Etats-Unis et l’Union européenne ne sauraient tolérer que les dirigeants ukrainiens conspirent secrètement avec ceux de Moscou. La Russie restera l’ennemi principal en Europe, une menace pour l’UE et le centre possible d’une intégration fondée sur des principes nouveaux. Mais tant qu’elle vise l’apaisement avec l’Occident, on peut changer le parti au pouvoir en Ukraine. A la place d’une coalition oligarchique qui a déjà accompli une bonne partie de la sale besogne (la hausse des tarifs, par exemple), il faut bien un parti de réformes néolibérales radicales constitué de personnes de confiance.

Faire exploser l’Ukraine au plan politique, voilà ce que vont faire là les politiques qui y sont parachutés. Ce qui joue en leur faveur, ce sont les fiascos de l’équipe dirigeante post-maïdan, l’absence d’un mouvement de résistance de masse, la naïveté et la dépolitisation des travailleurs. Ils proposent au peuple la lutte contre « le mal principal », la corruption. Saakachvili ne cesse de parler du mal que fait l’oligarchie à l’économie, de l’absence d’opportunités pour les petites et moyennes entreprises. On peut également attribuer le « mérite » de l’absence d’un régime sans visas avec l’Union européenne à une oligarchie qui ne souhaite pas réaliser « les bonnes réformes européennes ». Naturellement, personne ne dira que la multitude de mesures impopulaires adoptées par les autorités sont aussi des réformes.

Il ne faut pas se laisser tromper par le ton amical des communications de Porochenko avec ses collègues américains et européens. Ceux-ci ne sont pas satisfaits des autorités de Kiev. Et ils savent parfaitement ce qu’ils veulent : la redistribution des richesses du pays au profit de leurs grandes sociétés, l’élimination des pertes qu’entraîne pour elles la corruption, et le contrôle direct du pays.

Vassili KOLTACHOV
économiste, dirige le Centre d’études économiques de l’Institut de la globalisation et des mouvements sociaux, économiste, dirige le Centre d’études économiques de l’Institut de la globalisation et des mouvements sociaux

23 mai 2016

Traduction : Paula RAONEFA

»» http://rabkor.ru/columns/editorial-columns/2016/05/23/ready-to-explode/
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