Les magazines TV en raffolent. La violence est spectaculaire et rentable, niveau audience. Celle qui gangrène nos banlieues, bien réelle et symbolisée par les émeutes de 2005, est pourtant loin de concerner tous les jeunes des quartiers sensibles. Comme l’explique Thomas Sauvadet, auteur du livre Capital guerrier : concurrence et solidarité entre jeunes de cité. De même et à la suite du sociologue Marwan Mohammed, il est utile de distinguer la délinquance des « petits » faite de virilisme, de baston, et la délinquance des « grands » répondant à des logiques plus économiques.
C’est un fait, des jeunes ont toujours flirté avec la violence, toutes époques confondues. Un bref retour dans la France du Moyen-Age et des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, avant de revenir au coeur du XXe siècle, suffit pour s’en convaincre.
Enfants de paysans, la violence est dans le pré. Ces gosses du Moyen-Age apprennent le métier de leur vieux en gardant le bétail aux confins du village. Ils entrent alors en confrontation avec leurs semblables, d’autres fils de paysans mais originaires des villages voisins. Invectives, blessures à coup de houlette et de fronde sont les conséquences courantes de ces contacts. Des solidarités naissent entre jeunes de même village pour faire face à ceux des villages limitrophes.
Spécialiste des questions sociales et culturelles, l’historien Robert Muchembled a également relevé la propension des « jeunes à marier » à apparaître dans les violences de cette France d’Ancien Régime, et même avant. Ces « jeunes à marier », des jeunes célibataires ni adultes ni ado. Un entre-deux galère. Frustrés et cherchant une place dans une société où l’ordre social est relativement figé. Bagarres, rivalités, rites de violence et virilité parfois exacerbée sont leur quotidien. A l’analyse des lettres de rémission accordées par le Roi, la violence meurtrière est essentiellement affaire de jeunes issus de la paysannerie, de la noblesse, du milieu citadin. Des jeunes perçus comme une « classe d’âge » à part entière qui compensent, par « l’éthique virile », leur place ambigüe. Cette violence procède aussi d’une marginalisation et d’un accord tacite passé entre les générations, dans l’attente que les plus jeunes prennent la relève des adultes. D’où la relative tolérance d’une société fidèle à l’idée qu’il faille bien que « jeunesse se passe »…
La réduction de la violence, à l’époque de l’Ancien Régime, provient de facteurs multiples. Nouvelle approche, après des guerres dévastatrices. Centralisation de l’Ancien Régime et son corollaire de contrôle social. Mais plus que le développement efficace de moyens de coercition, l’analyse comparative des pays occidentaux d’après Robert Muchembled, pose l’explication d’une meilleure adhésion des sujets à la légitimité de l’Etat, qu’importe sa forme, notamment à l’échelle des « villes civilisatrices ». La violence ne disparaît pas. Elle se déplace. Prend des formes plus sournoises, ce qui conduit l’historien a validé les mécanismes freudiens sur le refoulement, notamment. Les pratiques du duel aristocratique, par exemple, montre une partie du déplacement. Le XVIIIe siècle observe la prolifération des bandes d’assassins, paradoxe d’époque vu la décrue des homicides et des blessures. Des bandes menées par de jeunes hommes, Philippe Nivet, Cartouche, Mandrin et composées majoritairement de jeunes mâles en furie. Le phénomène s’explique notamment par le mécontentement et la frustration des couches moyennes citadines.
Et les progrès de la chirurgie empêchent davantage les infections des plaies de se propager jusqu’à la mort des blessés.
Le XXe siècle et ses jeunes des quartiers sensibles
Plus proche de notre époque, l’entrée dans le XXe siècle s’accompagne de violences juvéniles. Appelés les « Apaches », des gosses d’à peine 20 berges et organisées en bandes criminelles, déambulent dans la capitale. Craints comme la peste, ils sèment le trouble auprès des habitants et… des médias, prompts à faire du chiffre sur ces faits divers.
Les 30 glorieuses. Industrie florissante et violence des marges. La France paysanne mute au sortir de la seconde guerre mondiale et avec la pénurie qui guette. Henri Mendras en établit le constat dans une oeuvre référence La Fin des paysans. Le nombre de paysans diminue, les exploitations changent de forme, les provinciaux viennent s’agglutiner en périphérie des villes, là où l’industrie a besoin de bras. Les villes nouvelles encerclent les grandes agglomérations. La France gaullienne façonne le paysage urbain de demain. Des barres et des tours jaillissent de terre. Les jeunes quittent l’école souvent très tôt pour entrer en apprentissage ou à l’usine. Au regard de la loi, ils ne sont pas assez âgés pour prétendre à un salaire entier, ni à travailler autant qu’un adulte. Abrutis de travail, le week-end devient un vent de fraîcheur. Mais le manque de thunes se fait ressentir. Crument ! Alors ça zone au pied des HLM et tente par tous moyens, violents et transgressifs, de s’aérer l’esprit. Entre ces jeunes garçons et la figure honnie du « blouson noir », il n’y a qu’un pas. Comme d’habitude, le phénomène touche plusieurs pays. Ces « blousons noirs », ces jeunes, violents et sans revendication politique claire, sont en buttes avec un système oppressif (familles, travail). Avec un quotidien morne et des conditions socio-économiques de chiotte. Alors ils brassent l’air et sinon, ils se martèlent de coups. Et ça fait les Une de journaux. Les couvertures médiatiques s’appuient sur des faits, mais les contenus n’offrent pas tout le temps le recul suffisant. Cette jeunesse populaire n’est pas la seule à être désillusionnée. A côté, il y a les « fils et filles à papa », les « blousons dorés ». La délinquance de rue, ce n’est pas qu’un truc de pauvres. C’est une réaction à des situations complexes mélangeant le social, l’économie et la psychologie. Inégalités socio-économiques, chômage ou précarité, désorganisation sociale, enjeux personnels, rapport à la masculinité, réactions face à l’autorité ou au cloisonnement des structures sociales. La perte des repères n’épargne personne. Il y a cette soif de vivre, de mordre l’instant présent à toutes dents. Soutenir une cause, n’importe quelle cause, tant qu’elle flingue la routine. Ce « besoin d’explosion » décrit par Friedrich Nietzsche dans son livre Le Gai Savoir.
Fin du XXe siècle, même bordel pour la jeunesse. Ce sont les « loubards », au tournant des années 1970. Ces enfants de prolo, subissant pleine gueule la violence sociale et économique. Période de chômage qui fait le lit de la délinquance de rue. Les années 80-90 ouvrent la voie à ceux qu’on appelle les « zoulous », en référence au mouvement hip hop et qui sont initialement à couteaux tirés avec les skinheads. Parmi ces « zoulous », les Black dragon.
Violence et jeunesse, ce n’est ni un problème conjoncturel, ni une déviance propre à nos banlieues actuelles. La problématique s’inscrit dans la longue durée et entremêle différents facteurs. S’attaquer à cette question, c’est s’intéresser aux inégalités, aux discriminations multiples et relevées notamment par Eric Marlière, sociologue spécialisé dans l’étude des jeunes de cités et des mutations de la « banlieue ouvrière ». C’est aussi, en l’occurrence, réfléchir à la place laissée à la jeunesse et à celles de la virilité et de l’entre-soi masculin. Un entre-soi masculin, que le spécialiste Daniel Welzer-Lang traduit par le concept de « maison-des-hommes », c’est-à-dire, des lieux de sociabilisation entre pairs entretenant parfois des comportements fermés sur eux-mêmes.
Ce n’est pas non plus un hasard si la jeunesse est largement représentée lors des émeutes et des manifestations. Mai 68 en France et ailleurs. En Inde, dans ses tentatives de faire pièce au système des castes. En France, encore, avec les manifestations monstres contre la loi Travail de Myriam El Khomri etc.
Florian Maroto