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Si les bombes russes peuvent provoquer une réaction violente, les nôtres aussi (The Guardian)

Illustration : Sébastien Thibault

« La chose la plus difficile à expliquer est l’évidence aveuglante que tout le monde a décidé de ne pas voir » , a écrit Ayn Rand dans son roman The Fountainhead. Qu’il y ait un lien, une connexion, entre les interventions militaires de l’Occident au Moyen-Orient et les attentats terroristes contre l’Occident, que la violence engendre la violence, est "clairement évident" à toute personne ayant les yeux ouverts, sinon l’esprit ouvert.

Pourtant, au cours des 14 dernières années, un trop grand nombre d’entre nous ont « décidé de ne pas voir ». De New York à Madrid en passant par Londres, prononcer publiquement et dans la même phrase les mots "politique" et "étrangère" au lendemain d’un attentat terroriste provoque des vagues d’indignation aussi bien chez les politiciens que chez les experts.

La réponse aux atrocités à Paris a suivi le même schéma. Raillé par un ancien ministre Travailliste comme "des chimpanzés furieux qui haïssent l’occident", la coalition Stop the War Coalition a retiré de son site Internet un article qui expliquait la montée de l’État islamique (Isis) et les attentats de Paris par « les politiques et les actions délibérées entreprises par les États-Unis et leurs alliés ». Le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, a abandonné un discours dans lequel il devait déclarer que les « guerres désastreuses » de la Grande-Bretagne ont « augmenté, et non diminué, les menaces contre notre sécurité nationale ». De tels arguments sont verboten en public.

N’est-ce pas étrange, alors que, dans le cas de la Russie, les gouvernements occidentaux ont tenu à lier la politique étrangère de Vladimir Poutine - et uniquement celle de Vladimir Poutine - à la violence terroriste ? Le 1er Octobre, le gouvernement américain et ses alliés ont publié une déclaration conjointe où on pouvait lire que la décision du président russe d’intervenir en Syrie ne ferait « que renforcer l’extrémisme et la radicalisation ». Oui, vous avez bien lu : il allait les « renforcer ».

La campagne de bombardement de Moscou allait « entraîner une montée de la radicalisation et du terrorisme », a affirmé David Cameron, le 4 Octobre. Notez le terme « entraîner ». Parlant lors d’un sommet de l’OTAN le 8 Octobre, le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, a mis en garde contre les « conséquences pour la Russie elle-même, qui craint à juste titre des attaques » Vous avez compris ? « Qui craint à juste titre ».

Ensuite, dans les jours qui ont suivi le crash de l’avion de ligne russe Metrojet en Egypte le 31 Octobre, qui a tué 224 civils, les commentateurs se sont bousculés pour établir un lien entre les actions de la Russie en Syrie et cette attaque terroriste présumée par Isis. Lors d’un débat à la BBC, Janet Daley du Telegraph a qualifié le crash de « conséquence directe de l’intervention [de la Russie] en Syrie », en ajoutant : « [Poutine] a peut-être incité cet incident terroriste contre des civils russes. »

Comparez les remarques de Daley sur l’attentat du vol 9268 avec sa réaction aux attentats de Paris. Plutôt que d’accuser le président Hollande d ’ « inciter » le terrorisme contre le peuple français, ou de qualifier le carnage de « conséquence directe  » de l’engagement français en Syrie, elle s’en est pris à quiconque osait attirer l’attention sur les interventions militaires du pays dans des pays à majorité musulmane, comme la Libye, le Mali et, eh oui, la Syrie.

« S’il faut réellement aborder ce sujet, qu’on le fasse plus tard », écrit-elle, parce que « le peuple français ne mérite pas ça », et « il est malsain et irresponsable de laisser entendre le contraire ».

Si Isis a fait abattre l’avion de ligne russe, alors, bien sûr, il serait insensé de prétendre que cela n’avait aucun lien avec la campagne militaire menée par Poutine au nom du dictateur de Damas. Pourtant, il serait tout aussi insensé de prétendre que l’horreur à Paris n’a rien à voir avec les récentes interventions militaires de la France au Moyen-Orient et en Afrique de l’Ouest.

Oui, les assaillants dans la salle de concert Bataclan ont scandé Allah Akbar en ouvrant le feu sur la foule, mais ils ont également dit : « Vous allez maintenant payer pour ce que vous faites en Syrie. » Oui, la revendication officielle de Isis qualifie Paris de "capitale de la prostitution et de l’obscénité", mais elle accuse aussi spécifiquement le gouvernement français de mener une « Croisade » et de « frapper les musulmans ... avec leurs avions ».

Comprendre la violence politique nécessite une compréhension des griefs politiques ; expliquer le terrorisme uniquement par l’idéologie ou une mentalité religieuse médiévale est une attitude myope et égoïste. La vérité qui dérange est que la géopolitique est régie autant que la physique par la troisième loi du mouvement de Newton : « L’action est toujours égale à la réaction » La CIA, dans les années 1950, a même inventé un terme - "blowback" [retour de manivelle – NdT] - pour décrire les conséquences négatives imprévues pour les civils américains et les opérations militaires américaines à l’étranger.

Aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de la Russie, un « ennemi officiel », nous comprenons et intégrons le concept de blowback. Quand s’agit de nos propres pays, en Occident, nous devenons l’enfant dans la cour de récréation qui se bouche les oreilles en chantant « Na na néreu, je ne t’entends pas. »

Vous pouvez dire qu’une intervention militaire française - ou britannique ou américaine - au Moyen-Orient constitue une réponse légitime et inévitable à la montée d’un mini-Etat terroriste ; mais vous ne pouvez pas dire que ces actions sont sans conséquences.

L’ancien chef de l’unité Ben Laden de la CIA, Michael Scheuer, m’a dit en 2011 que « ils vont ... nous bombarder parce qu’ils n’aiment pas ce que nous avons fait ». Dans une interview à Al-Jazeera en Juillet, le général américain à la retraite Michael Flynn, qui a dirigé le Service de Renseignement des armées de 2013 à 2015 m’a avoué que « plus nous larguons de bombes, et plus... nous jetons de l’huile sur le feu ».

C’est un point de vue partagé par le Conseil des sciences de la Défense du Pentagone, qui a observé dés 1997 : « Les données historiques montrent une forte corrélation entre l’implication américaine dans les affaires internationales et une augmentation des attaques terroristes contre les États-Unis. »

Permettez-moi d’être clair : expliquer n’est pas excuser ; une explication n’est pas une justification. Il n’y a pas grief sur terre qui puisse justifier le massacre aveugle d’hommes, femmes et enfants innocents, en France comme ailleurs.

La sauvagerie d’Isis est peut-être sans précédent dans l’ère moderne. Mais le fait est qu’il n’a pas surgi de nulle part : le président américain lui-même l’a admis : Isis « est née de notre invasion » de l’Irak.

Pourtant, nous refusons de voir cette évidence aveuglante et prétendons qu ’« ils » - les Russes, les Iraniens, les Chinois - sont attaqués pour leurs politiques alors que « nous » - l’Europe, l’Occident, les démocraties libérales - sommes attaqués uniquement pour nos principes. C’est un mensonge simpliste, un conte de fées géopolitique que nous nous racontons. Qui nous donne du réconfort et du courage au lendemain d’une atrocité terroriste, mais qui ne fait rien pour empêcher la prochaine.

Mehdi Hasan

Traduction "au royaume des aveugles, les bornés sont Rois..." par VD pour Le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» http://www.theguardian.com/commenti...
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