Dès l’enfance, le jeu est une des activités qui nous aide le mieux à comprendre l’impérieuse nécessité d’établir et de respecter certaines règles. De fait, tout jeu collectif — et la plupart des jeux sont collectifs — perdrait sa raison d’être, tout son sens, s’il n’était pas soumis à certaines règles et si les joueurs ne les respectaient pas.
Dans tous les jeux, jeux de société ou de plein air, qu’ils soient connus ou que nous les improvisions, peu importe, avant de commencer toute partie, la première démarche consiste à bien établir et à accepter les règles. Et de toute évidence, ces règles doivent être les mêmes pour tous. Personne ne pourrait tolérer, par exemple dans une partie de petits chevaux, qu’un des joueurs compte plus ou moins de points qu’il ne doit si cela l’arrange ou bien prétende lancer le dé deux fois sous prétexte que le plateau lui appartient.
Le football, un des sports où le facteur collectif est le plus présent, est lui aussi soumis à des règles. Lorsque nous étions gosses, avant d’entamer une partie, dans la rue ou dans la cour de récré, les deux joueurs les plus en vue se chargeaient, après avoir tiré au sort sans la moindre tricherie, de choisir chacun à leur tour les membres de chacune des deux équipes avant que le ballon pût commencer à rouler dans des conditions de stricte égalité. Enfants, nous exigions que le jeu eût ses règles même dans notre modeste match de foot et même si nous n’avions aucun arbitre pour décider de ce qui était ou non une faute ; en négligeant les éventuelles chamailleries possibles, la partie se déroulait dans le respect des règles établies que nous nous imposions et dont l’unique but était la recherche de la plus grande équité possible. Aucun d’entre nous n’aurait accepté qu’une des cages de gardien fût plus large que l’autre ou qu’une équipe comptât un plus grand nombre de joueurs que la rivale. Si quelqu’un avait alors voulu jouer au foot en marge de ces règles communes et inéluctablement impérieuses le match n’aurait pas eu lieu, tout simplement.
Curieusement ce qui, enfants, était pour nous inadmissible, ce que jamais nous ne tolérions, plus tard, devenus adultes, nous l’avons peu à peu oublié ou excusé et cela ne se limite pas seulement au jeu.
Peut-on imaginer, par exemple, que dans un mondial de foot, l’équipe palestinienne puisse marquer un but indiscutable contre l’équipe d’Israël et que ce but ne soit pas inscrit au tableau d’affichage parce qu’un hypothétique Conseil de Sécurité de l’Arbitrage y met son veto ? Peut-on imaginer que siègent, lors de chaque match, au bord du terrain, cinq représentants du Conseil de Sécurité de l’Arbitrage avec chacun son droit de veto à l’encontre de n’importe quelle décision d’arbitrage et selon sa seule convenance ? Aucun enfant n’accepterait de disputer un match dans de telles conditions.
Il est inutile de rappeler combien de millions de citoyens adultes s’interrogent sur le fait que l’organisme qui, à l’ONU, a pour mission de préserver la paix et la sécurité des nations et qui se compose de cinq pays permanents, à savoir : les États-Unis, la France, le Royaume Uni, la Chine et la Russie, puisse user de son droit de veto même à l’encontre du sentiment général de l’humanité. Pensons aux derniers votes, à l’ONU, sur la question du blocus imposé à Cuba. Dans une pathétique démonstration de l’idée qui prétend nous faire croire que le Droit et la Justice sont enfin devenus adultes, les États-Unis, Israël et les Îles Marshall ont plus de poids que toutes les autres nations de la planète réunies.
Quelqu’un peut-il concevoir que, dans un match de football, une décision de l’arbitre ne soit suivie d’aucune sanction ? Est-il possible d’imaginer un match où l’arbitre donnerait un carton rouge à un joueur et où ce dernier, totalement indifférent à la décision de l’arbitre, continuerait de jouer comme si de rien et même recommencerait les mêmes fautes que celles qui ont mérité son expulsion ? Si cela se produisait, aucun enfant n’accepterait que la partie puisse continuer tant que le joueur fautif resterait sur le terrain. Inutile de rappeler combien d’États préfèrent regarder ailleurs à la suite de la centaine de résolutions et de condamnations qu’Israël accumule dans son long parcours en marge de la Loi et du Droit.
Est-il possible d’imaginer un match de football dans lequel une équipe, contrairement aux autres, n’encourre pas le risque d’être pénalisée par l’arbitre ? Est-il possible d’imaginer que dans une compétition mondiale les joueurs des États-Unis jouissent du privilège déchapper à tout carton jaune ou rouge quel que soit le nombre de tibias ou de crânes qu’ils puissent fracasser ?
Aucun enfant au monde ne pourrait tolérer une telle injustice et pourtant ce machin qu’on désigne du nom de « communauté internationale » accepte qu’aucun militaire nord-américain ne puisse être jugé par un Tribunal International pour crimes de guerre, lequel Tribunal, par contre, a le droit de juger des Serbes, des Africains, des joueurs des équipes du Tiers Monde, certes, mais pas ceux de l’équipe des États-Unis.
Il est également inintelligible pour la logique d’un enfant que l’entraîneur d’une équipe sanctionne ou élimine son rival parce qu’il suppose que ses joueurs se préparent à donner des coups de pied ou qu’ils disposent d’un colossal arsenal de ruses pour faire des ravages antisportifs parmi ses joueurs à lui. D’abord parce que cet entraîneur n’aurait pas autorité pour faire cela et ensuite parce qu’aussi longtemps que la faute n’aura pas été commise, la sanction n’a pas lieu d’être. Il serait inadmissible que dans un mondial de football un arbitre puisse sanctionner une équipe d’un pénalty « préventif » ou lui siffle des fautes « de routine » comme les bombardements que les États-Unis infligent à bon nombre de pays et que leurs présidents qualifient de « routine ».
La dialectique des adultes, par contre, conçoit parfaitement de telles aberrations. Et c’est pourquoi sur l’Irak, sur l’Afghanistan et sur d’autres pays occupés, soumis à des « guerres préventives » on y procède à des bombardements « de routine » ou à des invasions en prétextant la présence d’armes inexistantes. Et c’est ainsi que les armes nucléaires que l’Iran ne possède pas sont bien plus dangereuses que les arsenaux nucléaires qu’Israël possède.
Il serait impensable que lors d’un mondial de football l’entraîneur d’une équipe, de sa seule initiative, décide seul de procéder à des contrôles anti-dopage sur les joueurs des équipes adverses et délivre des certificats à sa guise et même sanctionne à sa convenance de supposés cas positifs.
Mais, encore une fois, ce genre de folie sort du cadre du sport et prend une dimension grandiose. Car c’est ainsi que les Etats-Unis, le pays où la consommation et la demande de drogues est la plus grande au monde, mais où, paraît-il, jamais aucun cartel de la drogue n’a existé, s’attribuent le droit d’homologuer quels pays remplissent les bonnes conditions à ce sujet et quels pays, — le Panama, par exemple — méritent d’être bombardés et envahis. Que du temps de Ronald Reagan et d’Olivier North les États-Unis se soient livrés à un trafic de cocaïne et d’armes, dans le dos de leur propre Congrès, pour étouffer la révolution populaire sandiniste est un fait qui attend toujours son impossible jugement et sanction.
Que dans un mondial de football cetaines équipes qui auraient gagné le droit de participer puissent en être empêchées sous prétexte que la Fédération Internationale n’aurait pas accordé son autorisation paraît inconcevable. Au pire, cette Fédération Internationale sera destituée pour incompétence ou pour ineptie ou pour ces deux motifs à la fois. On l’accusera de porter atteinte à l’esprit olympique et elle sera dissoute aussitô. Mais ce qui dans le monde du sport semble évidemment impossible ne l’est absolument pas dans la vraie vie. Des pays comme la Palestine ou la République Arabe Saharaoui attendent depuis de longues dizaines d’années la permission de se montrer sur un terrain et les Nations Unies continuent d’exiger d’elles d’attendre encore et encore.
Et ne parlons pas du fait que certaines équipes pourront être bloquées, confinées dans leur coin, interdites de sortie, avec interdiction de choisir leur propre capitaine, de procéder à des changements. Ou que l’on a le droit de sanctionner certains joueurs en leur mettant la tête dans un sac, en leur faisant subir la gégène, ou que certains joueurs adverses peuvent simplement disparaître ou qu’est donné le droit, en toute impunité, de faire feu sur les supporters qui, dans les tribunes, encouragent les équipes cataloguées comme « l’axe du Mal ».
Koldo Campos Sagaseta
Rebelión
Traduction Manuel Colinas