L’annonce par le New York Times du projet de l’administration Obama d’envoyer 3 milliards de dollars d’armes et de matériel militaire à l’Ukraine, fait craindre une aggravation de la guerre civile qui oppose l’armée Ukraine aux factions de l’Est en rébellion contre l’autorité du gouvernement de Kiev.
Lundi, Alexander Zakharchenko, le président de la République autoproclamée du Peuple de Donetsk dans l’est, aurait annoncé son intention de recruter 100 000 hommes pour les envoyer se battre contre l’Armée ukrainienne soutenue par les États-Unis et l’OTAN.
Alors que les combats s’intensifiaient à Donetsk, à Vouhlehirsk, à Debaltseve et dans d’autres villes de l’Est dimanche et lundi, le Times a annoncé que le commandant en chef de l’OTAN ainsi que des membres éminents de l’équipe de sécurité nationale d’Obama se sont remis à discuter de l’envoi d’armes supplémentaires à la nation divisée et déchirée par la guerre.
Selon Reuters ce lundi :
Les autorités municipales de Donetsk ont déclaré que 15 civils avaient été tués au cours du week-end par des obus, mortiers et autres missiles tirés sur les zones résidentielles de la ville contrôlée par les séparatistes.
Au nord-est de Donetsk, les rebelles soutenus par la Russie n’ont pas cessé d’attaquer les forces gouvernementales pour les déloger de la petite ville de Debaltseve, une plaque tournante ferroviaire stratégique, dans des combats qui se sont intensifiés après l’échec des pourparlers de paix de samedi.
Les autorités militaires de Kiev ont déclaré que les forces séparatistes avaient lancé plus de 100 attaques avec l’artillerie, des systèmes de roquettes et des tirs de chars sur les positions ukrainiennes et les zones résidentielles au cours des dernières 24 heures.
Bien que tout indique que le bombardement de Donetsk et d’autres bastions rebelles par l’armée ukrainienne fait d’innombrables victimes civiles, la Maison Blanche et le Pentagone sont de plus en plus favorables à l’envoi d’armes plus perfectionnées, selon Reuters.
Le Secrétaire d’État John Kerry, qui doit se rendre à Kiev jeudi, est ouvert à de nouvelles discussions sur la fourniture d’une assistance létale tout comme le général Martin E. Dempsey, le Chef d’état-major des armées des États-Unis, ont indiqué des officiels. Le Secrétaire à la Défense Chuck Hagel, qui doit bientôt quitter son poste, soutient l’envoi d’armes défensives aux forces ukrainiennes.
Ces derniers mois, Susan E. Rice, conseillère à la sécurité nationale de M. Obama, a résisté aux propositions de fournir une assistance létale, ont indiqué plusieurs officiels. Mais un fonctionnaire qui la connaît bien a affirmé que Mme Rice était prête à revoir sa position.
Le chiffre de 3 milliards de dollars et le type spécifique des armes mentionnées par le Times – qui incluent des missiles anti-blindés, des drones de reconnaissance, des blindés Humvees et des radars — proviennent d’un rapport qui doit sortir lundi et qui a été rédigé par plusieurs anciens hauts responsables américains.
Selon le Times :
Michèle A. Flournoy, un ancien fonctionnaire du Pentagone qui est un des principaux candidats au poste de Secrétaire de la défense si Hillary Rodham Clinton est élu présidente, a été associé à la rédaction du rapport ainsi que des personnalités comme James G. Stavridis, un amiral à la retraite qui a servi comme commandant en chef militaire de l’OTAN, et Ivo Daalder, ambassadeur à l’OTAN pendant le premier mandat de M. Obama.
"L’Occident doit renforcer la dissuasion en Ukraine en augmentant le prix à payer par la Russie en cas de nouvelle offensive majeure », dit le rapport. "Cela nécessite de fournir une assistance militaire directe – de bien plus grande ampleur que celle fournie à ce jour et incluant des armes défensives létales."
Cet état d’esprit, cependant, qui incite à l’escalade militaire alors qu’il faudrait redoubler d’efforts diplomatiques pour régler la crise en Ukraine préoccupe certains experts en relations russo-américaines. L’intensification des combats a sonné le glas de l’accord de paix conclu à Minsk l’année dernière, et la menace d’une guerre plus large — avec les Etats-Unis et la Russie manœuvrant leurs mandataires respectifs en Ukraine — se précise avec la convergence de plusieurs dangers simultanés.
La semaine dernière, l’ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev a accusé les Etats-Unis de pousser la Russie à une nouvelle guerre froide qui pourrait dégénérer en bien pire encore.
"Je ne peux plus dire que cette guerre froide ne conduira pas à une « guerre chaude ». Je crains que [les États-Unis] ne prennent ce risque ", a dit Gorbatchev. "On entend parler que de sanctions contre la Russie par l’Amérique et l’Union européenne. Ont-ils complètement perdu la tête ? Les Etats-Unis se sont complètement « perdus dans la jungle » et ils nous y entraînent nous aussi."
En ce qui concerne le journaliste renommé, Eric Margolis, les enjeux en Ukraine sont très importants. D’abord, comme il l’a rappelé dans son dernier article édité pendant le week-end, la règle numéro un de la géopolitique devrait être la suivante : "les puissances nucléaires ne doivent jamais, jamais se battre entre elles." Deuxièmement, soutient-il, ce qui se passe avec l’implication des États-Unis et de l’OTAN en Ukraine est une classique "mission à tiroirs" de l’espèce la plus dangereuse. Il écrit :
Les néocons fauteurs de guerre de Washington et leurs alliés au Congrès et au Pentagone veulent depuis longtemps attaquer la Russie et la remettre à sa place pour avoir osé s’opposer à la politique des États-Unis contre l’Iran, la Syrie et la Palestine. La seule chose qui intéresse les néocons, c’est le Moyen-Orient.
Certains néo-conservateurs fantasment sur l’idée de briser la Fédération de Russie en petites parties impuissantes. Beaucoup de Russes croient que c’est en effet le grand objectif que poursuit Washington, en combinant la pression militaire d’un côté et la subversion des médias sociaux de l’autre, tout cela avec l’aide des oligarques ukrainiens et de la droite. Une campagne de propagande massive est en cours, pour vilipender le président de la Russie, Vladimir Poutine en en faisant le "nouvel Hitler."
Les préoccupations de Margolis sont partagées par un autre journaliste chevronné, le reporter et éditeur Robert Parry, pour qui le soutien inconditionnel du gouvernement de Kiev par le gouvernement américain et le fait qu’on se dirige vers une plus grande intervention militaire, ont toutes les caractéristiques des infâmes cris de guerre qui ont conduit à l’invasion américaine de l’Irak en 2003, sans la moindre provocation de ce pays.
A propos du rôle capital que jouent des médias les plus importants du pays en ce qui concerne l’Ukraine, Parry écrit :
Depuis le début de la crise en Ukraine à l’automne 2013, le New York Times, le Washington Post et pratiquement tous les journaux mainstream des États-Unis ont fait preuve d’autant de malhonnêteté qu’au cours de la période qui a précédé la guerre en Irak. L’objectivité et les autres principes du journalisme ont été jetés par la fenêtre. Le contexte plus large de la politique ukrainienne et du rôle de la Russie ont été passés sous silence.
Encore une fois, l’affaire s’est résumée à diaboliser les "méchants" – en l’occurrence, le président ukrainien élu Viktor Ianoukovitch et le président russe élu Vladimir Poutine – en les opposant aux « bons pro-occidentaux" qui sont présentés comme des démocrates modèles même s’ils ont collaboré avec les néo-nazis pour renverser l’ordre constitutionnel.
Encore une fois, le politique s’est réduite aux attaques personnelles : Ianoukovitch avait un sauna privé dans son manoir ; Poutine monte à cheval torse nu de et ne soutient pas les droits des homosexuels. Donc, si vous soulevez des questions sur le soutien américain au coup de l’année dernière en Ukraine, c’est que vous soutenez les saunas privés, l’équitation torse nu et les opinions sectaires contre les gays.
Quiconque ose protester contre la couverture inexorablement biaisée des médias est considéré comme un "apologiste de Poutine" ou un "larbin de Moscou". Et donc, la plupart des Américains – qui seraient en position d’influencer le public, mais qui ne veulent pas perdre leur emploi – restent silencieux, tout comme ils l’ont fait pendant la ruée irakienne.
Dans ce contexte, ceux qui tentent de donner une autre interprétation des récentes violences que les médias dominants livrent eux-mêmes une bataille difficile.
La semaine dernière, le Sous-Secrétaire général aux affaires politiques des Nations Unies, Jeffrey Feltman, a déclaré au Conseil de sécurité qu’il était urgent de trouver une solution politique au conflit en Ukraine.
« Plus de 5 000 vies ont déjà été sacrifiées dans ce conflit », a déclaré Feltman. « Nous devons trouver un moyen d’arrêter ce massacre sans plus attendre. »
Jusqu’à présent, cependant, il semble que ces exhortations aient trouvé peu d’écho.
Jon Queally
Traduction : Dominique Muselet
Note :
* En Anglais, mission creep : une mission qui se prolonge encore et encore, bien au-delà de son objectif initial et qui mène généralement à la catastrophe.