Ce lundi 22 décembre ont débuté au Nicaragua les travaux d’un nouveau canal transocéanique reliant l’océan Pacifique à l’océan Atlantique. Financé par Wang Jin, un milliardaire chinois de Hong Kong à la tête d’HKND, le projet devrait coûter au minimum 40 milliards d’euros et s’achever en 2019, pour une ouverture l’année suivante.
Mis en place suite à un accord avec le gouvernement sandiniste du Nicaragua, ce projet de canal a un avantage géographique par rapport à celui déjà existant au Panama. Même s’il sera beaucoup plus long, il permettra par sa position plus au nord de raccourcir la distance entre les ports asiatiques (Chine, Corée, Japon principalement) et les ports étasuniens alors que près de la moitié du trafic actuel de Panama – environ 14 000 navires par an – est à destination ou en provenance des ports des États-Unis.
Une bonne nouvelle pour le géant nord-américain ? Pas si sûr, car dans l’accord conclu, l’entrepreneur chinois s’engage à construire le canal, mais aura le bénéfice de son exploitation pendant 50 ans, ce qui peut permettre à l’État chinois, qui se cache derrière le projet, d’avoir un levier dans cette région que les États-Unis ont toujours considérée comme cruciale pour leurs intérêts. L’échec géostratégique pour Washington serait énorme : après avoir arraché l’État du Panama à la Colombie pour en prendre le contrôle, après avoir occupé militairement pendant plus de 60 ans la zone du canal qu’ils avaient soustrait à l’autorité de l’État panaméen créé par leurs soins, après avoir fait de cette zone le centre de formation des contre-révolutionnaires et putschistes latino-américains en y installant « l’école des Amériques », après avoir probablement assassiné le président Torrijos qui avait obtenu en pleine période d’effervescence du tiers monde la souveraineté de l’État de Panama sur le canal, après avoir tué en décembre 1989 des milliers de civils panaméens pour s’emparer de leur agent indiscipliné Manuel Noriega, ils voient le monopole de la traversée transocéanique mis en cause par leur rival chinois, mais aussi par le Nicaragua, membre de l’ALBA, allié de Cuba (dont le nouveau port de Mariel bénéficierait du nouveau canal) et du Venezuela...
Si le débat au Nicaragua pouvait se concentrer sur l’opportunité de sortir de la tutelle états-unienne pour entrer dans celle de la Chine, pour l’instant, les principales controverses se font autour de la portée environnementale et sociale du chantier, et ce principalement à l’initiative d’ONG... étasuniennes. Une fois achevée, la nouvelle voie navigable devrait être longue de 278 kilomètres, de l’embouchure du Rio del Brito, côté Pacifique, à celle du Rio Punto Gorda sur la côte de la mer des Caraïbes, et traverserait le lac de Nicaragua. Alors que le canal panaméen (77 kilomètres de long) ne peut accueillir les porte-conteneurs de plus de 110 000 tonnes, celui-là permettrait le passage de colosses de métal de 250 000 tonnes mesurant jusqu’à 450 mètres de long. Son tracé, approuvé en juillet dernier, avait déjà été imaginé par les conquistadors espagnols. Des études sur l’impact environnemental et sociétal du projet, susceptibles de modifier légèrement son parcours, sont en cours. Les adversaires du projet dénoncent le risque de pollution du lac Nicaragua, importante source d’eau potable pour le pays, et les conséquences de la construction du canal sur les communautés locales. Le chantier, dont les études de viabilité technique, environnementale et financière restent secrètes, menace de déplacer 30 000 paysans et indigènes Ramas et Nahuas qui vivent sur le tracé. Depuis des mois, les manifestations se multiplient. Les forces de l’ordre ont été déployées pour empêcher les rassemblements. Et, pour une fois, les États-Unis devraient soutenir ceux qui résistent, car leurs intérêts sont en jeu.