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Etats-Unis/Cuba : après le bâton, la carotte

Je poursuis mes petits commentaires au sujet de la reprise annoncée des relations diplomatiques avec les USA. C’est en fait, et au fond, parce que l’environnement tant intérieur (impossibilité de se représenter, donc liberté de certains choix ; pressions de plus en plus fortes de certains secteurs économiques pour pouvoir accéder au marché cubain ; réduction, du fait de son vieillissement naturel de l’extrême droite miamaise et donc de son influence, entre autres) qu’extérieur (mise à jour du modèle économique cubain – remarquons bien qu’il ne s’agit pas d’actualisation « politique » - isolement de Washington face à l’Amérique latine à cause de sa politique cubaine ; isolement face à la « communauté internationale » à cause du blocus), entre autres raisons, qu’Obama a adopté la politique que n’importe quel autre gouvernement national, dans un cas pareil, aurait adoptée depuis bien longtemps, n’était le « traumatisme » qu’a vécu et que continue de vivre la Maison-Blanche, tous partis confondus, face à cet événement insolite dans leur histoire : ne pas arriver à leur fins en plus de cinquante ans, autrement dit amener à résipiscence cette petite île de rien du tout – en étendue, puissance, population, ressources économiques, etc. – qui les brave depuis 1959. Et, pis encore, de n’en avoir pas eu les moyens. On sait comment les USA ont réglé – ou tenté de régler - des « crises » inventées de toute pièces, pour ne prendre que des faits plus récents, au Panama (1989), en Irak, en Afghanistan, en Serbie-Kossovo, en Somalie, en Libye, en Syrie, en Ukraine : en y foutant la merde, pour parler vulgairement. Or, ces moyens n’ont jamais été à la portée à Cuba en cinquante-cinq ans ! Et quand Washington y a recouru en avril 1961, à Playa Girón, le fiasco a été total…

Il y a de quoi en être véritablement traumatisé, ce qui explique le comportement obsessionnel de Washington, son attitude maladive, sa – pour ainsi dire – schizophrénie vis-à-vis de Cuba. Ou, pour être plus exacte, de la Révolution cubaine. Ce qui fait mal à l’establishment étasunien, tous partis confondus, c’est la Révolution socialiste (« communiste », si l’on veut reprendre son vocabulaire) installée à ses portes et à sa barbe, comme l’avait dit Fidel quand il avait affirmé en avril 1961 qu’elle était « socialiste ». Je parle de schizophrénie au sens clinique. Si, selon le Robert, cette maladie est une « psychose caractérisée par une désagrégation psychique (ambivalence des pensées, des sentiments, conduite paradoxale), la perte du contact avec la réalité, le repli sur soi », eh bien, alors, les psychiatres de gouvernement, s’il en existait, auraient sous la main un des cas les plus symptomatiques et intéressants qui soient : un gouvernement qui, contrairement aux faits les plus avérés, s’enferre dans une conduite d’échec pendant cinquante-cinq ans ! Alors, qu’on ne me parle pas de « courage » d’Obama (non rééligible, il n’a rien à perdre). Il a tout simplement fait preuve de bon sens. L’entêtement inutile de Washington par rapport à La Havane en faisait la risée du monde, et les superpuissants n’aiment pas du tout qu’on les tourne en ridicule. Un petit exemple : il faisait presque pitié, le pauvre ambassadeur étasunien de service auprès des Nations Unies qui devait ressasser, année après année, la même plaidoirie éculée quand l’Assemblée générale débattait de la résolution cubaine sur la levée du blocus, manier une langue de bois, une rhétorique passéiste pour défendre une politique que seuls son propre gouvernement et Israël appuyaient… Obama l’a d’ailleurs reconnu : quand une politique ne fonctionne pas pendant cinquante-six ans, il faut en changer. Washington y a mis du temps, c’est vrai, mais elle s’en est finalement convaincu. Ce qu’a fait la Maison-Blanche, c’est tout simplement changer son fusil d’épaule. Ce que le reste du monde voyait depuis belle lurette, ce à quoi, je présume, ses alliés occidentaux l’incitaient en conciliabules secrets et ce que n’importe quelle autre diplomatie un peu moins bornée aurait compris bien avant.

Je tiens tout de même à signaler que si cette politique – erronée, certes, compte tenu de l’interlocuteur, ou de l’adversaire – n’a jamais fonctionné, c’est qu’il y avait, qu’il y a toujours en face une Révolution cubaine, et donc une diplomatie, qui, en premier lieu, n’a jamais transigé sur les principes, ne s’est jamais inclinée, ne s’est jamais laissé leurrer par les appeaux qu’on lui tendait, qui a eu même des audaces inouïes – entre autres, voler au secours de l’Angola envahi par Mobutu et les racistes sud-africains et contribuer décisivement à modifier du tout au tout la donne en Afrique australe (Namibie, Afrique du Sud), autrement dit, faire pour une très bonne cause ce que l’Occident a toujours fait pour de très mauvaises – qui a agi avec une intelligence et une habilité suprêmes à chaque moment, et qui a derrière elle, faut-il le souligner ? un peuple capable de résister au pire pour défendre sa souveraineté, son indépendance et sa dignité, voire sa propre existence de nation. Et puis aussi, même si on ne parle plus guère de lui, un de ces géants qui n’apparaissent que de loin en loin dans l’histoire, autrement dit Fidel, en qui, précisément, tout un peuple s’est incarné parce qu’il représentait l’intérêt le plus essentiel de Cuba et résumait le combat maintenant séculaire d’un peuple pour son indépendance et sa liberté.

Ceux qui reprochent à Obama d’avoir cédé à la « tyrannie », ou « dictature des Castro » ont raison, et n’ont tort que sur un point : affubler cet épithète éculée à ce qui est avant tout la Révolution du peuple cubain. Ceci dit, oui, Obama a cédé, parce qu’il n’avait pas d’autre solution – ce sur quoi les commentateurs internationaux se gardent bien d’épiloguer.

Mais cet accès de bon sens, cette sortie de la schizophrénie ne veulent pas dire pour autant que le patient est guéri, qu’il a recollé au réel, autrement dit que Washington va enfin reconnaître La Havane comme un égal, que les négociations vont s’engager sur un pied d’égalité. Tant s’en faut ! Sur ce plan, Obama est aussi malade que ses dix prédécesseurs à la Maison-Blanche, et son discours du 17 décembre ne laisse place à aucune ambigüité. La politique change, certes. L’objectif final, non. Les moyens se modifient, les mêmes visées persistent. Il s’agit aujourd’hui comme hier de liquider ce chancre à portée des côtes étasuniennes, d’éliminer cette Révolution qui continue de faire voir rouge à l’establishment, tous partis confondus, d’extirper cette Révolution qui n’a pas renoncé au socialisme en plein apogée du néolibéralisme en Occident. Il s’agit de la faire changer. Nouvel avatar, sans doute, de ce fameux change dont Obama nous a rebattus les oreilles pendant sa première campagne électorale et dont la population étasunienne n’a vu que de maigres bribes.

J’analyse les points clefs de ce prétendu « changement ». Je me fonde pour ce faire, non sur le discours qu’Obama a prononcé devant je ne sais trop quel auditoire (et que reproduit en entier le journal Granma, en parallèle à celui de Raúl) mais sur le texte offert sur le site de la Maison-Blanche où l’on parle de lui à la troisième personne et dans lequel les mesures sont annoncées bien plus en détail. Si je le fais, c’est que, curieusement, il ne coïncide pas avec le discours « officiel », sauf quelques rares paragraphes, qu’il est bien moins « mielleux » et diplomatique, qu’il est bien plus précis sur certains points où les anciennes méthodes ont toujours cours. Pourquoi la Maison-Blanche publie-t-elle deux versions différentes sur un même sujet ? Je l’ignore. Qu’on me permette d’y voir un bel exemple de ce « double langage » si habituel à certains gouvernements…

Obama affirme d’entrée :

« It is clear that decades of U.S. isolation of Cuba have failed to accomplish our enduring objective of promoting the emergence of a democratic, prosperous, and stable Cuba. »

« Il est clair que des décennies d’isolement de Cuba par les États-Unis ne nous ont pas permis d’atteindre notre objectif permanent  : promouvoir l’émergence d’une Cuba démocratique, prospère et stable. »

Cartes sur table, donc. Quand on sait que ce terme « démocratique » signifie dans l’establishment la démocratie telle qu’il l’entend, lui, et que le socialisme est par définition antidémocratique, on comprend tout. Ceci dit, je ne vois pas pourquoi et au nom de quel droit la Maison-Blanche voudrait « promouvoir » quoi que ce soit à Cuba. Celle-ci a-t-elle jamais cherché à promouvoir, par exemple, un peu moins de racisme aux États-Unis, ou un peu plus d’égalité entre les quarante-six millions de pauvres et les quelques dizaines ou centaines de milliardaires. Je pourrais citer bien d’autres traits saillants de la société étasunienne. « Prospère », c’est précisément le socialisme que la nouvelle direction cubaine, et le peuple cubaine avec elle, entend atteindre. Quant à ce « stable », il est bel et bien la preuve de la langue de bois que parle Washington : parce que j’aimerais bien savoir quel pays au monde est plus « stable » que Cuba depuis cinquante-six ans !

At times, longstanding U.S. policy towards Cuba has isolated the United States from regional and international partners, constrained our ability to influence outcomes throughout the Western Hemisphere, and impaired the use of the full range of tools available to the United States to promote positive change in Cuba. Though this policy has been rooted in the best of intentions, it has had little effect – today, as in 1961, Cuba is governed by the Castros and the Communist party.

« Notre politique à l’égard de Cuba, qui remonte à loin, nous a parfois coupé de nos partenaires régionaux et internationaux, réduit notre capacité d’influence sur tout le continent et nous a empêchés d’utiliser toute la gamme d’instruments dont nous disposons pour promouvoir des changements positifs à Cuba. Bien que cette politique ait été fondée sur les meilleures intentions, elle a eu peu d’impact : aujourd’hui, tout comme en 1961, Cuba est gouvernée par les Castro et le parti communiste. »

Donc, constat d’échec sur toute la ligne ! Ce paragraphe renchérit en fait sur le précédent : les États-Unis considèrent comme allant absolument de soi, voire quasiment comme un devoir, de « promouvoir » des changements à Cuba. On ne sort pas de la vision selon laquelle le socialisme est un bubon qu’il faut extirper, une anomalie, une monstruosité. Et si le capitalisme était justement, lui, le monstrueux, le tératologique ? Ne posez pas cette question à Obama, il vous prendra pour un fou…

We cannot keep doing the same thing and expect a different result. It does not serve America’s interests, or the Cuban people, to try to push Cuba toward collapse. We know from hard-learned experience that it is better to encourage and support reform than to impose policies that will render a country a failed state. With our actions today, we are calling on Cuba to unleash the potential of 11 million Cubans by ending unnecessary restrictions on their political, social, and economic activities. In that spirit, we should not allow U.S. sanctions to add to the burden of Cuban citizens we seek to help.

« Nous ne pouvons continuer de faire pareil et en attendre un résultat différent. Tenter de pousser Cuba à la débâcle ne sert pas les intérêts des États-Unis ni ceux du peuple cubain. Nous savons, par expérience durement apprise, qu’il vaut mieux encourager et appuyer des réformes qu’imposer des politiques qui convertiront un pays en un État en banqueroute. Par les actions que nous entreprenons aujourd’hui, nous appelons Cuba à libérer le potentiel de onze millions de Cubains en mettant fin aux restrictions stériles qui frappent leurs activités politiques, sociales et économiques. C’est dans cet esprit que nous ne permettrons pas que les sanctions étasuniennes viennent s’ajouter au fardeau qui pèse déjà sur les citoyens cubains que nous cherchons à aider. »

Petit commentaire (pour ne pas épiloguer sur ce droit de s’ingérer dans les affaires intérieures de Cuba) : la petite expression : « par expérience durement apprise » (que, curieusement, la version espagnole sur ce même site omet) résonne sinistrement dans la bouche d’Obama, fait même froid dans le dos, car, ce me semble, ce sont plutôt les Syriens, pour ne citer que le dernier exemple en date, qui font bel et bien cette « dure expérience » de la volonté des États-Unis et de l’Union européenne d’ « imposer des politiques qui convertiront un pays en un État en banqueroute ».

Today, we are renewing our leadership in the Americas. We are choosing to cut loose the anchor of the past, because it is entirely necessary to reach a better future – for our national interests, for the American people, and for the Cuban people. / Since taking office in 2009, President Obama has taken steps aimed at supporting the ability of the Cuban people to gain greater control over their own lives and determine their country’s future. Today, the President announced additional measures to end our outdated approach, and to promote more effectively change in Cuba that is consistent with U.S. support for the Cuban people and in line with U.S. national security interests. 

« Aujourd’hui, nous sommes en train de renouveler notre leadership dans les Amériques. Nous avons choisi de couper les ancres du passé, parce qu’il est absolument nécessaire d’instaurer un meilleur avenir pour nos intérêts nationaux, pour le peuple étasunien et pour le peuple cubain. / Depuis que je suis entré en fonction (à partir de là, le texte dit : « le président Obama » ; je remets la première personne pour faciliter les choses) en 2009, j’ai adopté des mesures pour contribuer à ce que le peuple cubain soit en mesure de mieux contrôler sa vie et de décider de l’avenir de son pays. J’annonce donc de nouvelles mesures pour en finir avec notre approche dépassée et promouvoir à Cuba un changement plus réel dans le droit fil de l’appui que les USA apportent au peuple cubain et en conformité avec nos intérêts de sécurité nationale ».

Commentaire : encore une fois, on le constatera aisément, l’ingérence dans les affaires intérieures de Cuba s’étale avec une béatitude ravie, comme une évidence qui coule de source. Nous ne sortons pas du ton pontifiant du donneur de leçons qui indique aux autres comment ils doivent vivre… Je ne vois pas, par ailleurs, en quoi Cuba a à en voir avec la « sécurité nationale » des États-Unis ! Sans parler de cette obsession maniaque pour le « leadership » (sans doute parce qu’il a du plomb dans l’aile…).

Après avoir recensé en détail la liste des réformes qu’il a adoptées (ce qui différencie ce texte-ci de l’allocution officielle), Obama reprend le fil de son discours de fond, ce qui l’intéresse de plus près, de toute évidence :

A critical focus of our increased engagement will include continued strong support by the United States for improved human rights conditions and democratic reforms in Cuba. The promotion of democracy supports universal human rights by empowering civil society and a person’s right to speak freely, peacefully assemble, and associate, and by supporting the ability of people to freely determine their future. Our efforts are aimed at promoting the independence of the Cuban people so they do not need to rely on the Cuban state.

« Une approche cruciale de notre engagement accru inclura la poursuite de l’appui que les États-Unis apportent résolument à l’amélioration des droits de l’homme et des réformes démocratiques à Cuba. La promotion de la démocratie soutient les droits de l’homme universels en renforçant la société civile et le droit des personnes de parler librement, de se réunir pacifiquement et de s’associer, et en appuyant la capacité du peuple de décider librement de son avenir. Nos efforts viseront à promouvoir l’indépendance du peuple cubain de sorte qu’il n’ait plus à compter sur l’État cubain. »

La cantilène au sujet des droits de l’homme que promeuvent les États-Unis dans le monde entier est si rabâchée, si en désaccord avec les faits les plus patents, si remplie de couacs, qu’elle ne peut que gruger les sots et qu’elle ferait rire si la réalité qui gît par-dessous n’était si tragique. Sinon, demandez leur avis sur la manière dont les USA exportent leur démocratie aux Syriens, aux Libyens, aux Afghans, et j’en passe, ou au sujet des droits à l’homme à la sauce étasunienne, sans parler des détenus de Guantánamo, des tortures avalisées par un président et son vice-président, qui en redemande même… Quant à la dernière phrase, elle ne peut sortir que de l’idée d’un néolibéral étasunien à tout crin. Des milliards de miséreux et de gueux de par le monde souhaiteraient avoir la chance de pouvoir compter sur leur gouvernement, s’il était à l’image de celui de Cuba ! L’ « État-providence » est bien évidemment une vieille lune pour tous ces millionnaires qui siègent au Congrès des États-Unis. Mais pourquoi s’en étonner ? Les mots le disent bien : le socialisme fait du « social », le capitalisme fait, lui, du « capital ». Dans son allocution du 20 décembre devant l’Assemblée nationale du pouvoir populaire, Raúl répond directement à cet argument qui, symptomatiquement, omet les autres pans des droits de l’homme. Pour Obama et les siens, n’existent que les droits civils. Leur amnésie est totale sur les autres droits ! Raúl ne les oublie pas, lui : « Nous continuerons de promouvoir la jouissance, par toutes les personnes, des droits de l’homme, dont les droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que le droit des peuples à la paix et à l’autodétermination. »

The U.S. Congress funds democracy programming in Cuba to provide humanitarian assistance, promote human rights and fundamental freedoms, and support the free flow of information in places where it is restricted and censored. The Administration will continue to implement U.S. programs aimed at promoting positive change in Cuba, and we will encourage reforms in our high level engagement with Cuban officials.

« Le Congrès étasunien finance des programmes de démocratie à Cuba afin de fournir une aide humanitaire, de promouvoir les droits de l’homme et les libertés fondamentales, et appuyer le libre flux d’informations là où il est restreint et censuré. L’administration continuera de mettre en œuvre les programmes étasuniens visant à promouvoir un changement positif à Cuba et nous encouragerons des réformes dans nos rencontres de haut niveau avec des fonctionnaires cubains. »

Cela va s’en dire, bien entendu, mais mieux encore en le disant (Obama ne le dit pas dans son allocution officielle) ! Bref, nous allons engager des conversations pour voir si nous renouons des relations diplomatiques brisées par les USA depuis début janvier 1961, mais nous continuerons de financer à grand renfort de millions des programmes subversifs visant à imposer à la société cubaine nos propres conceptions du monde et notre vision de la société… Le vrai changement aurait été de renoncer à cette ingérence dont on parle, encore une fois, comme si cela allait de soi. Que dirait-on au Congrès étasunien ou à la Maison-Blanche si la Révolution cubaine décidait à son tour de financer des programmes subversifs parce que la société étasunienne ne lui plaît pas – et Dieu sait si elle laide, voire repoussante, sous bien des aspects, au point que, en comparaison, la cubaine a tous les dehors de Mona Lisa ?

The United States encourages all nations and organizations engaged in diplomatic dialogue with the Cuban government to take every opportunity both publicly and privately to support increased respect for human rights and fundamental freedoms in Cuba.  

« Les États-Unis encouragent toutes les nations et toutes les organisations à engager un dialogue diplomatique avec le gouvernement cubain afin de saisir toutes les occasions, publiques et privées, d’appuyer le respect accru des droits de l’homme et des libertés fondamentales à Cuba. »

Les États-Unis se sentent-ils si seuls dans leur combat permanent contre Cuba qu’ils veulent recourir à leur dernière lubie : la « coalition de nations » ? Pourquoi ne balaient-ils pas d’abord tout seuls leur propre palier en matière de droits de l’homme ?

Ultimately, it will be the Cuban people who drive economic and political reforms. That is why President Obama took steps to increase the flow of resources and information to ordinary Cuban citizens in 2009, 2011, and today. The Cuban people deserve the support of the United States and of an entire region that has committed to promote and defend democracy through the Inter-American Democratic Charter.

« En fin de compte, c’est le peuple cubain qui conduira les réformes économiques et politiques. Voilà pourquoi j’ai pris des mesures pour accroître le flux de ressources et d’information à l’adresse des citoyens cubains ordinaires en 2009, en 2011, et maintenant. Le peuple cubain mérite le soutien des États-Unis et de l’ensemble de la région qui s’est engagée à promouvoir et à défendre la démocratie par la Charte démocratique interaméricaine. »

Ici conclut le texte que je cite. Bel hommage de la part d’un président « capitaliste » au système socialiste cubain que cette reconnaissance que c’est le peuple qui conduit les réformes économiques et politiques ! Mais se rend-il même compte (ou celui qui rédige ses discours) que, là, sa langue de bois fourche ? Car personne ne me fera croire que c’est le « peuple étasunien » qui conduit ces mêmes réformes aux États-Unis ! Là-bas, elles sont aux mains des millionnaires – ils le sont presque tous, j’insiste sur ce point – qui siègent au Congrès, des richissimes banquiers, des présidents aux poches bien remplies des transnationales parfois plus riches que bien des États du monde… Cette péroraison entre d’ailleurs en contradiction avec le reste de l’allocution qui insiste à maintes reprises sur le droit des États-Unis de s’en mêler ! Mais pourquoi s’en étonner au fond ? Les États-Unis, comme le prouve l’histoire, se mêlent, hélas, depuis deux siècles des affaires de Cuba…

Par rapport à l’allocution officielle, le texte de la Maison-Blanche que je cite omet, entre autres, l’hommage que rend Obama aux médecins cubains partis lutter contre l’épidémie à virus Ébola en Afrique de l’Ouest (on attend toujours, d’ailleurs, que les pays qui se sont engagés à fournir ne serait-ce que des financements le fassent). Soit dit en passant, sur ce point précis, Obama se garde bien de signaler – le sait-il, d’ailleurs ? – que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui chapeaute cette bataille contre l’Ébola, n’est pas encore arrivée à payer le séjour des médecins cubains, à cause des entraves mises par le blocus étasunien aux transactions et virements ayant Cuba pour destinataire, et que, à l’inverse des règles du jeu préétablies, c’est le gouvernement cubain qui doit s’en charger !

Obama évoque aussi d’autres points dans son discours officiel, qui constituent à nouveau, contrairement au sobre discours prononcé à la même heure par Raúl, une ingérence ouverte dans les affaires intérieures de Cuba. « Mais je ne me fais pas d’illusions au sujet des obstacles à la liberté auxquels se heurte constamment le citoyen cubain. Les États-Unis estiment qu’aucun Cubain ne doit être harcelé, arrête ou passé à tabac rien que pour exercer le droit universel de faire entendre sa voix. Et nous continuerons d’appuyer la société civile là-bas. / Bien que Cuba ait fait des réformes pour ouvrir peu à peu son économie, nous continuons de penser que les travailleurs cubains doivent avoir le droit de créer leurs syndicats et les citoyens avoir la liberté de participer aux processus politiques. »

On reste vraiment pantois devant de telles affirmations ! « La liberté de participer aux processus politiques »… Nouvel exemple de la langue de bois maniée généreusement à la Maison-Blanche, soit par mauvaise volonté soit par ignorance crasse, et que démentent les faits les plus patents de la réalité politique cubaine. Les Cubains ont leur mot à dire – et ils le disent – sur toutes les grandes réformes qui ont jalonné l’histoire de la Révolution, à commencer par l’analyse dans tout le pays par l’ensemble de la population de la Constitution adoptée ensuite en 1976 dans le cadre d’un referendum, en passant par toutes les grands lois, qui sont débattues par des millions de personnes sur tous les lieux de travail, dans tous les quartiers, dans toutes les organisations de masses, et amendées en conséquence, pour en arriver aux derniers débats sur les Orientations de la politique économique et sociale ou sur le Code du travail. Ou trouve-t-on de tels débats aux États-Unis ? Je le répète : mauvaise foi ou ignorance crasse !

Je passe sur le mauvais goût consistant à citer José Martí au sujet de la liberté : « Libertad es el derecho que todo hombre tiene a ser honrado… », qui se traduit, en partant du contexte original et de l’idée profonde qui le sous-tend, non comme, littéralement : « La liberté est le droit qu’a tout homme d’être honnête », mais comme : « La liberté est le droit de tout homme à la dignité… ». Et le contexte original est celui de la revue pour enfants, La Edad de Oro, dans l’article intitulé « Trois héros », autrement dit Bolivar, Hidalgo et San Martín, où Martí évoque les guerres d’Indépendance latino-américaines contre la couronne espagnole. Je pourrais citer, moi, des centaines de phrases et de longs paragraphes où Martí, alors que Cuba est toujours colonie espagnole, alerte ses compatriotes et ses contemporains latino-américains contre la menace à leur liberté que représente la puissance étasunienne alors en plein essor ! Soit dit en passant, et Obama doit bien le reconnaître par la bande en avouant que la politique étasunienne depuis plus de cinquante ans a fait fiasco, s’il y a quelque chose que le peuple cubain a à revendre, c’est bel et bien la dignité ! Que lui a apportée, ne lui en déplaise, la Révolution socialiste cubaine !

Donc, applaudissons au « bon sens » d’Obama et à sa nouvelle politique, qui arrondira forcément les angles entre Cuba et les États-Unis, qui facilitera les choses et améliorera la vie des Cubains, et, surtout, qui allègera un peu la pression qu’exerce depuis plus d’un demi-siècle sur la population cubaine le « géant aux bottes de sept lieues »… Ça, c’est aussi du Martí, du bon, du vrai, qui affirmait dans un de ses textes les plus prémonitoires et les plus prophétiques (et, pourquoi ne pas le dire, l’un des plus splendidement écrits), « Notre Amérique », alertant de nouveau les Latino-Américains :

Le villageois vaniteux croit que le monde entier est son village, et, pourvu qu’il en reste le maire, ou qu’il mortifie le rival qui lui a chipé sa fiancée, ou que ses économies croissent dans sa cagnotte, il tient pour bon l’ordre universel, sans rien savoir des géants qui ont sept lieues à leurs bottes et peuvent lui mettre la botte dessus, ni de la mêlée dans le Ciel des comètes qui vont par les airs, endormies, engloutissant des mondes. Ce qu’il reste de village en Amérique doit s’éveiller. Notre époque n’est pas faite pour se coucher le foulard sur la tête, mais les armes en guise d’oreiller, à l’instar des vaillants de Juan de Castellanos : les armes du jugement, qui vainquent les autres. Tranchées d’idées valent mieux que tranchées de pierre.

Ces « tranchées d’idées », dont Fidel avait fait la pierre de touche de la politique et de la diplomatie cubaines quand il occupait le devant de la scène, ont précisément permis aux Cubains de résister et de défendre leur conquête, et elles le seront encore plus nécessaires à l’entrée de cette nouvelle étape où celui qui reste, soyons-en conscients, leur ennemi par ses visées profondes va remiser le bâton pour agiter la carotte. Sur ce plan, l’establishment ne s’y trompe pas : il a parfaitement compris ce dont il s’agit, et il est comme un seul homme derrière son président. Je n’en veux pour preuve que ces affirmations d’un des présidentiables pour le Parti républicain, Ron Paul, au cours d’un débat avec un autre des aspirants, d’origine cubaine, Marco Rubio, scandalisé par l’attitude d’Obama : « Communism can’t survive the captivating allure of capitalism. Let’s overwhelm the Castro regime with iPhones, iPads, American cars, and American ingenuity.” Soit : « Le communisme ne peut survivre à l’attrait du capitalisme. Ensevelissons le régime castriste sous les iPhones, les iPads, les voitures américaines et l’ingéniosité américaine. »

Qu’on ne s’attende à guère mieux du côté de son adversaire en miroir, le Parti démocrate. Celle qui a toutes les chances de devenir son candidat à la présidence, Hillary Clinton, affirme de son côté, après avoir félicité Obama de sa décision et dans le droit fil des idées du locataire de la Maison-Blanche : « Malgré les bonnes intentions, notre politique d’isolement qui dure depuis des décennies n’a fait que renforcer l’emprise du régime castriste. Comme je l’ai dit précédemment, la meilleure façon de pousser au changement à Cuba, c’est de mettre sa population en contact avec les valeurs, l’information et le confort matériel du monde extérieur. L’objectif d’un engagement accru des États-Unis dans les jours et les années à venir doit être d’inciter à mettre en place des réformes véritables et durables pour le peuple cubain. Et les autres pays du continent américain devraient participer à cette entreprise. »

Que pense-t-on en face, de l’autre côté du golfe du Mexique ? La Révolution cubaine l’a dit haut, net et clair, hier, dans l’allocution de très haute tenue prononcée par Raúl devant l’Assemblé nationale du pouvoir populaire :

De profondes différences séparent les gouvernements étasunien et cubain, entre autres des conceptions distinctes sur l’exercice de la souveraineté nationale, sur la démocratie, sur les modèles politiques et sur les relations internationales.

Nous réitérons notre disposition à un dialogue respectueux et réciproque sur nos divergences. Nous avons des convictions arrêtées et de nombreuses inquiétudes sur ce qu’il se passe aux États-Unis en matière de démocratie et de droits de l’homme, et si nous acceptons de discuter, à partir des fondements déjà énoncés, de n’importe quel point que les États-Unis voudraient aborder, eh bien nous le ferons, sur les réalités d’ici, mais aussi sur celles de là-bas.

Que l’on ne prétende pas, pour une amélioration de ses relations avec les États-Unis, que Cuba renonce aux idées pour lesquelles elle a lutté plus d’un siècle durant, pour lesquelles son peuple a versé beaucoup de sang et au nom desquelles elle a couru les plus grands périls !

Que l’on comprenne bien que Cuba est un État souverain, dont le peuple a voté librement par référendum une Constitution qui a décidé de son cap socialiste et de son système politique, économique et social ! (Applaudissements.)

De la même manière que nous n’avons jamais demandé aux États-Unis de changer leur système politique, de la même manière nous exigeons qu’ils respectent le nôtre  !

Le contentieux est lourd, très lourd, et la seule bonne volonté ne suffit pas. Raúl avertit aussi que la levée du blocus sera une longue bataille. Il aurait pu citer un autre point extrêmement épineux, dont nul ne parle mais tout le monde sait toutefois qu’il sera une pierre d’achoppement : la base navale de Guantánamo, occupée depuis maintenant plus d’un siècle au déni de la lettre et de l’esprit du droit international, et dont le sort est encore plus ardu à régler du moment que les États-Unis l’ont convertie en un infâme lieu de non-droit… On ne voit vraiment pas comment des relations normales pourront s’établir tant que les États-Unis ne rendront pas à Cuba le territoire qu’ils occupent dans l’une de ses plus grandes baies !

En tout cas, on ne saurait mieux dire que ne l’a dit Raúl : la Révolution cubaine discutera de tout sur un pied d’égalité, comme elle n’a cessé, d’ailleurs, de le répéter depuis toujours. Les États-Unis en sont-ils capables ? La balle est dans leur camp.

Jacques-François Bonaldi

La Havane, le 21 décembre 2014

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