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Réflexion sur l’extrême gauche parlementaire et sur les luttes futures !

Ça faisait quelque temps déjà que la nouvelle flottait dans l’air, mais depuis peu cela est maintenant officiel. Le Parti communiste du Québec (PCQ) abandonne son statut de collectif au sein de Québec solidaire (QS) afin d’embrasser sa pleine liberté.

Il est vrai que depuis un certain temps déjà, mais surtout depuis les débats autour de la Charte des valeurs sur lesquels le PCQ avait pris une position favorable contrairement à QS, les membres du PCQ avaient de plus en plus de désaccords avec la ligne du parti-phare et cela se reflétait de plus en plus sur leur positionnement politique. Évidemment, cette rupture est le résultat d’un long processus de grand écart que le parti, j’en suis sûr, tenta de réduire autant que possible à l’interne. Mais comme tous ceux qui suivent minimalement QS ont probablement eu tôt fait de constater, certains courants du parti ont plus ou moins été écartés depuis l’entrée de QS à l’Assemblée nationale.

Il faut dire aussi que le succès médiatique justifiant probablement cette pratique de Québec solidaire tient de beaucoup à la place de plus en plus prépondérante que tient la « deuxième gauche » à l’intérieur de l’appareil. Celle-ci étant beaucoup plus proche du progressisme libéral que du marxisme à proprement parler, il n’est pas étonnant que les médias mainstream soit plus complaisants à leur égard. Et, inversement, le sentiment de fidélité que porte le PCQ à l’union des gauches devait inévitablement s’en trouver affecté. Rappelons que le PCQ était initiateur de ce fameux projet d’union des gauches qui devait constituer l’Union des Forces Progressistes (UFP) et plus tard QS, ce qui laisse croire que le divorce devait être consommé depuis un certain temps.

Enfin, maintenant que le parti est de nouveau seul (ou autonome), celui-ci devra donc se replacer dans l’espace politique québécois disponible. Et comme l’espace déjà bien limité que possède le communisme intransigeant est déjà comblé par une myriade de petits partis ou groupes, il serait plutôt inutile politiquement d’entreprendre une démarche en ce sens. De toute façon, les militants du PCQ ont clairement exprimé dans leur texte qu’ils se détachent de QS afin de participer à un ralliement encore plus grand, ce qui élimine donc toute volonté de retour à la stratégie puriste du Komintern des années 20. Et c’est bien là que l’événement prend une certaine importance, car cette nouvelle, même si quelque peu anecdotique dans le paysage politique québécois, et cela sans faire mention de la taille plutôt groupusculaire du mouvement, a tout de même fait couler beaucoup d’encre dans les grands médias. Ce qui n’a sûrement pas manqué de les surprendre eux-mêmes ! Évidemment, l’intérêt de nos bons médias n’était pas le fait que le PCQ quitte QS (détail dont les médias se moquent éperdument !), mais bien l’interprétation légèrement tordue des communiqués du PCQ à l’effet que celui-ci serait dorénavant un soutien du candidat favori de la course à la direction du Parti Québécois (PQ), soit Pierre-Karl Péladeau (PKP), celui-là même qui a donné tant de maux de tête (et de jambe) aux syndiqués du Journal de Montréal pendant 25 mois de lockout et qui était encore hier traité par le co-porte-parole du PCQ de « gestionnaire pourri et hypocrite, qui n’a jamais travaillé de sa vie »(1). La nouvelle, interprétée de la sorte, ne devait pas manquer de surprendre l’électeur moyen, tout en lui rappelant l’existence d’un tel mouvement dans le paysage politique.

Bien entendu, le PCQ n’est pas devenu officiellement « pékapiste » ou même « péquiste », mais (comme en 1998) partisan de l’union des forces progressistes... ou indépendantistes... c’est selon. En fait, et même s’ils ne le disent pas de cette façon, le PCQ retourne à la stratégie indépendantiste des années 60, qui était la large union des souverainistes et de la gauche (une grande partie de celle-ci en tout cas). Cette stratégie devait ultérieurement mener au succès du Parti Québécois. L’ironie de la chose, c’est que l’UFP (et plus tard QS) est justement issue de l’échec de cette même stratégie, car il est très difficile de maintenir des positionnements idéologiques très dissemblables dans une coalition, quand celle-ci renonce à demi-mots à sa raison d’être, soit la création d’un État québécois indépendant. Et comme la suite du dernier référendum l’a amplement démontré (2), cette union, une fois embourbée dans la « politicaillerie », se décompose à une vitesse fulgurante, ce qui reconstitue inévitablement les anciennes divisions. Mais pourquoi ce retour en arrière ? Car ne sommes-nous pas devant un cas justement analogue du côté de QS, causé par l’enracinement dans la politicaillerie et qui génère exactement le même effet du côté de l’union de la gauche ?

Comme je l’ai précisé ci-dessus, le PCQ ne présente pas les choses de cette façon et croit sincèrement en un nouvel engouement souverainiste avec l’entrée en scène de PKP à la tête du PQ. Ils ont même tendance à lui reconnaître une petite part de « progressisme » ! Mais enfin, cet engouement est-il justifié ? En tout cas, beaucoup de souverainistes le croient et le PCQ croit probablement qu’il est plus souhaitable de soutenir cet hypothétique mouvement que de suivre QS dans sa voie d’hostilité qu’il entretient envers le PQ (3). Somme toute, ils se sont tout de même gardés bien des portes ouvertes en étant aussi flous que possible sur ce qu’ils feront de concret. Car, avouons-le, publier des communiqués nuancés quand vous êtes un regroupement de moins d’une centaine de militants, cela n’a pas vraiment de poids si cela n’est pas accompagné d’accords politiques sur le terrain. Du moins, si l’on reste dans le cadre électoraliste, et pour le moment, il n’a pas encore été question d’autre chose que cela. D’autant plus que leurs militants sont à demi-mots pratiquement encouragés à adhérer à d’autres formations (le PQ en l’occurrence) afin de faire de l’entrisme à l’instar du SPQ-libre, qui on le sait, sont des gens bien gentils, mais qui ont le poids que l’on sait dans l’appareil.

Un parti « stalinien (4) » qui encourage ses membres à faire de l’entrisme dans un parti bourgeois en pleine décadence, cela n’a pas manqué d’en faire sourire plus d’un (même si le parti communiste français, par son exemple, avait déjà préparé le terrain). Mais au-delà des symboles que l’on torture, est-ce que cette stratégie a du bon sens ? Sachant que l’entrisme des groupes trotskystes a toujours été historiquement un échec et que les projets politiques d’union des gauches se font toujours au détriment des factions plus ou moins marxistes (5), est-il donc pertinent de développer un front « stalino-pékapiste » sur le plan électoral alors que presque plus rien ne cache l’incapacité intrinsèque qu’ont nos « démocraties » à se réformer ? Est-ce que la lutte sociale du futur se trouve toujours sur le terrain électoral ? Et même, l’a-t-elle seulement déjà été ? À l’heure actuelle, il me semble évident que non. Mais cette affirmation, pour ne pas être confondue avec les positions parfois bien naïves de certains anarchistes, se doit d’être clarifiée afin d’en comprendre les fondements.

D’abord, et afin de me distancer de mes amis anarchistes, je précise que la défiance que je porte de plus en plus aux structures étatiques et aux institutions occidentales, soi-disant démocratiques, ne provient pas de positions de nature idéologique car, à l’instar de Marx, je ne crois pas que l’État puisse être aboli tout simplement par décret, le projet fut-il tenté avec toute la bonne volonté du monde. En tout cas, pas sans auparavant avoir éliminé ce qui l’a fait naître (des conditions sociales) et donc d’en avoir rendu l’existence inutile, pour autant que cela puisse être un jour possible6. Autrement dit, je ne crois pas que l’État soit un « choix de société », mais un mal nécessaire qu’il nous faut démocratiser au maximum afin d’en atteindre le point de dépassement.

Ensuite, ce qui me porte à croire que la participation aux élections est devenue une perte d’énergie pure et simple est un constat qui me parait assez évident quand l’on connaît un peu l’évolution du monde. Comme vous le savez, les structures parlementaires (sans tenir compte du fait qu’elles ne sont en rien démocratiques, mais purement oligarchiques et parfois même carrément ploutocratiques) ont depuis les dernières décennies pratiquement perdues toute réelle souveraineté et ne sont plus que des fantômes politiques. Cette situation résulte pour une grande part des accords de libre-échange, qui ont donné un pouvoir complètement disproportionné aux possesseurs de capitaux qui sont capables de mettre à mal tout pays récalcitrant. N’oublions pas qu’en plus de cela la plupart des États du monde ne possèdent plus du tout de contrôle sur leur création monétaire (7), ni sur leurs dettes (8), ni sur leur économie intérieure, car majoritairement dominée par des cartels internationaux. Alors inutile d’en faire des tonnes pour vous convaincre que de prendre le contrôle d’un État et d’en revendiquer la souveraineté ne se limite pas du tout à gagner les élections, mais à rompre avec tout un ordre qui ne se laissera pas faire sans mot dire, et qui fera payer au prix fort l’outrecuidance de l’homme d’État assez courageux pour se prêter à l’exercice. Il est d’ailleurs assez symptomatique d’un pays colonisé, comme le Québec, de ne voir comme ennemi que l’État colonial (le Canada) et d’en oublier constamment les forces transnationales qui le contrôlent et qui, elles, ne jouent en rien le jeu de la démocratie.

Il est donc de ce point de vu tout à fait prévisible que la majorité des partis politiques ou des personnages politiques, prenant place dans le jeu parlementaire, sachent, bien avant qu’arrive leur chance de prendre les rênes de l’État, les limites réelles de ce qui leur est permis de faire s’ils veulent conserver leur carrière, leur retraite et parfois même leur vie. Et ces limites, vous l’aurez bien compris, s’arrêtent là où le pouvoir de ceux d’en haut commence ! Donc, si vous voulez savoir ce qu’une organisation politique peut faire sur le terrain électoral, vous n’avez qu’à regarder la compatibilité du projet avec les intérêts du capital international. Cela inclut la création d’un État-Nation comme le souhaitent PKP et ses partisans et cela explique, par la même occasion, pourquoi les partis dits « de gauche » se limitent presque toujours aux luttes sociétales quand ils accèdent au pouvoir.

Mais alors, que reste-t-il de l’espoir envers notre futur après un tel constat ? Cet espoir si nécessaire à l’engagement social ? À l’application des vertus qui font de nous autre chose que l’homo économicus dont tous ces tyrans voudraient nous voir enfin admettre la nature indépassable ? Comme ce constat n’a pas pour objectif de faire plaisir aux esprits paresseux, mais bien de prendre pied sur le réel, il m’est plutôt égal de faire perdre espoir à ceux pour qui l’éthique publique se limite à l’élection d’un parti dans un système créé tout spécialement afin de nous neutraliser. Et c’est d’autant plus vrai aujourd’hui que l’élection politique, déjà dénoncée au tout début du XXe siècle par Georges Sorel comme un neutralisateur de volontés révolutionnaires, est devenue aujourd’hui un type de télé-réalité presque aussi grotesque que les autres. Un show télévisé où des candidats se prêtent au jeu de la séduction des masses à grand coup de démagogie et de phrases creuses, sans tenir le moins du monde compte des considérations minimales de logique et de conséquence, quand ceux-ci ne mentent pas tout simplement... Enfin vous l’aurez compris, le grand soir électoral n’est pas pour demain et tout ce qui insinue l’inverse est simplement un leurre pour naïf soufflé par des opportunistes. Inversement, il est de l’intérêt de l’espoir en lui-même de ne pas se voiler la face afin de débuter la seule tâche qui importe vraiment, soit celle des luttes futures !

Ces luttes ne doivent pas être de celles qui ne servent qu’à flatter l’ego de celui qui les mène, mais être sans tabous et ancrées dans le réel des rapports de force. Et ces rapports de force se dessines hors de la politique officielle, au travers des nouveaux territoires de souveraineté, comme le dit Alain Deneault quand il nous parle des paradis fiscaux. Ces nouveaux territoires sont ceux qui nous sont imposés par l’évolution du capitalisme et institutionnalisés par les restes des États inféodés au pouvoir du capital. Ce territoire est celui que génère le néolibéralisme, soit celui de l’être humain démoralisé, désorienté, cherchant autant à gagner son pain qu’à retrouver un sens à une vie que la consommation de marchandises inutiles et de drogues ne peut plus justifier. Et comme nos légistes portent un si grand intérêt à la liberté des acteurs privés, surtout au plan de leurs capitaux, bien faisons comme eux et créons nos structures hors du système et travaillons en dehors de lui. Autrement dit, cessons de chercher à prendre le pouvoir et créons notre propre pouvoir !

« C’est bien beau tout ça, mais concrètement ça implique quoi », me direz-vous ? Bien, un ensemble de choses qui commence par rechercher l’autonomie. Par autonomie, j’entends bien autonomie économique, car tout le reste n’est qu’idéalisme, donc factice. Comme il est par nature bien difficile d’être autonome individuellement, il nous faut donc créer des structures qui, non seulement pourront être de nature politique9, mais aussi de nature à donner ce que nos contemporains cherchaient bien souvent avant toute chose, soit un moyen de subsistance. Toute l’horreur de la politique néolibérale a au moins ceci de positif : qu’elle rend les gens en position de perdre l’espoir en une réussite dans ce système, ce qui pourrait bien être le point de départ de ce qu’un jour l’on appellera « l’armée de réserve de l’anticapital ». Et malgré toute l’amoralité dont les lobbyistes sont capables, ceux-ci sont toujours contraints de pousser dans le même sens, soit celui qui désamorce la force publique afin de toujours libérer plus d’espace de marché. Alors il n’est pas possible légalement (10) de contenir, comme ils le voudraient, l’apparition de structures subversives pouvant beaucoup plus nuire à l’ordre établi que des partis politiques subventionnés et esclaves de médias hostiles. Il nous faut donc faire certes face à la tempête, mais en usant de la puissance de son vecteur afin de la retourner contre elle. C’est dans cette dialectique que se trouve la clé de notre émancipation future.

Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas ici de dresser une recette révolutionnaire magique, mais bien de comprendre les raisons de ce qui nous rend si faibles. Cette faiblesse est d’abord et avant tout issue de notre dépendance au système, car par un chantage odieux il peut couper les vivres de mille et une façons à tout individu qui serait un tant soit peu trop dangereux pour lui. Et ce pouvoir, occulté par sa façade démocratique, laisse trop souvent croire qu’il est possible de se rebeller institutionnellement par la puissance des belles paroles de chefs charismatiques et/ou par un hypothétique mouvement spontané des masses. Cela est d’autant plus inutile que l’objet de nos luttes (le pouvoir en place) n’est plus issu de l’État, mais bien d’un ordre économique beaucoup plus vaste et surtout sans visage. En d’autres termes, il n’est pas réaliste de prétendre combattre un ordre quelconque avec des armes qui ne l’affecte en rien.

En conclusion, je ne crois pas que ce petit article soit suffisant pour rendre aussi claires que je le souhaiterais les raisons qui m’ont amené à cette position, mais je crois par contre qu’il n’est pas très difficile de mettre à bas la croyance que le socialisme et la souveraineté réelle surgiront d’une élection parlementaire, même si par principe le terrain électoral ne doit pas être totalement abandonné. Simplement, il faut se refuser l’usage des moyens de subsistance que nous offre le système, car c’est de cette façon qu’il nous contrôle et nous manipule. Évidemment, je souhaite de tout cœur que le PCQ ait à l’esprit de prendre cette voie. Mais pour ce faire, il devra être en mesure de briser ce besoin si profond qu’ont les divers partis communistes du monde et qui les a si mal servis dans l’Histoire, soit celui d’être toujours le satellite d’un autre astre.

Benedikt ARDEN

»» http://www.rebellium.info/2014/11/reflexion-sur-lextreme-gauche.html

1 http://www.pcq.qc.ca/Dossiers/Autres/Archives/page_article.htm?article_id=1422.htm

2 Ainsi que la période autonomiste des années 80.

3 Les gains de QS se font essentiellement au détriment du PQ ce qui explique politiquement cette hostilité.

4 J’utilise ce terme au sens où les trotskystes le font, soit comme d’anciennes structures affiliées à l’URSS.

5 Sauf dans le cas de l’Unidad Popular de Salvador Allende qui s’est terminé comme l’on sait

6 Je précise aussi à mes amis souverainistes que « l’élimination de l’État », comme organisation centralisée et autoritaire, n’est pas l’élimination de la Nation québécoise au sens populaire du mot.

7 Les banques centrales des pays comme le Canada sont toutes soient indépendantes du pouvoir ou purement privées.

8 Le marché de la dette souveraine étant rarement contrôlé par leurs citoyens, mais très majoritairement par des structures (fonds de pension, produits financiers, États étrangers, etc.) administrées par des mécanismes d’optimisation ne tenant aucunement compte des intérêts de ses mêmes États.

9 Politique au sens où elles peuvent influer sur l’État.

10 Il ne faut pas négliger la force que possède la légalité sur le capitaliste, car celle-ci est ce qui, via la légitimité qu’elle procure, le protège de ceux qui possèdent le pouvoir réel, soit les militaires/policiers qui protègent son capital.


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Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l’Université de Louvain (Belgique). Il a notamment publié « Impostures intellectuelles », avec Alan Sokal, (Odile Jacob, 1997 / LGF, 1999) et « A l’ombre des Lumières », avec Régis Debray, (Odile Jacob, 2003). Présentation de l’ouvrage Une des caractéristiques du discours politique, de la droite à la gauche, est qu’il est aujourd’hui entièrement dominé par ce qu’on pourrait appeler l’impératif d’ingérence. Nous sommes constamment (…)
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philosophe colombien

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