Dans cette livraison de novembre 2014, Serge Halimi évoque la manière tendancieuse avec laquelle les médias français traient de l’Amérique latine, la Bolivie par exemple :
Par temps de crise, la réélection au premier tour d’un chef d’Etat ayant déjà effectué deux mandats n’est pas chose courante. Celle de M. Evo Morales, avec 61 % des suffrages, aurait par conséquent mérité d’être davantage soulignée. D’autant que son exploit électoral intervient dans un pays, la Bolivie, qui a vu cinq présidents se succéder entre 2001 et 2005. Et qu’il couronne une chute de la pauvreté de 25 %, un relèvement du salaire minimum réel de 87 %, la baisse de l’âge de la retraite (1) et une croissance supérieure à 5 % par an, le tout depuis 2006. Puisqu’il importe, nous dit-on, de réenchanter la politique, pourquoi ne pas mieux faire connaître ces bonnes nouvelles ? Serait-ce parce qu’elles ont des réformes progressistes pour explication, et des régimes de gauche pour acteurs ?
Discrets sur les succès des gouvernements latino-américains de gauche, certains grands médias le sont tout autant sur... les échecs des pouvoirs conservateurs. Y compris en matière de sécurité. Cette année, par exemple, cinq journalistes ont déjà été assassinés au Mexique, dont un le mois dernier lors d’une émission en direct à la radio. Atilano Román Tirado réclamait souvent à l’antenne que huit cents familles expropriées en raison de la construction d’un barrage soient indemnisées. Une combativité fatale là où enlèvements, tortures et assassinats sont devenus monnaie courante, en particulier pour qui remet en cause un ordre social vermoulu et mafieux.
Dans Schiller (“ Géopolitique de l’espionnage ”) établit un rapprochement entre la surveillance des citoyens et le capitalisme numérique :
En dévoilant il y a un an et demi la machine de surveillance mise en place par les services de renseignement américains, l’affaire Snowden a démontré le peu de respect de l’administration de M.Barack Obama pour la vie privée. Mais sa portée est bien plus vaste : elle révèle les rapports de pouvoir à l’échelle mondiale et les mutations du capitalisme numérique.
Les Kurdes, combien de divisions ?, s’interroge Allan Kaval :
Alors que leurs revendications n’ont jamais été clairement reconnues, les populations kurdes d’Irak et de Syrie se voient propulsées en première ligne des combats contre l’Organisation de l’Etat islamique, en particulier depuis le siège de Kobané. Un soutien unanime de façade masque mal les jeux d’influence des Occidentaux, des Turcs et des Iraniens, qui ont cimenté des alliances antagonistes et toujours combattu la cause kurde.
Un article remarquable d’Alain Supiot, “ Ni assurance ni charité, la solidarité ” :
Obligation envers les autres membres, la solidarité témoigne de la solidité d’une communauté. C’est pourquoi l’affaiblissement des mécanismes de sécurité sociale, telle la baisse des prestations familiales concoctée par le gouvernement français, affecte la cohésion nationale. Par l’égale dignité des citoyens qu’il met en œuvre, ce principe juridique forme le socle du développement humain. Bien qu’elle doive l’essentiel de sa fortune à la pensée sociologique et politique, la notion de solidarité a une origine juridique. Elle a d’abord désigné (dans le code civil de 1804) une technique du droit de la responsabilité utilisée en cas de pluralité de créanciers (solidarité active) ou de débiteurs (solidarité passive) d’une même obligation. C’est seulement à la fin du XIXe siècle qu’elle a acquis un sens juridique nouveau : celui d’organisation collective permettant de faire face aux risques liés au machinisme industriel, et de faire peser sur ceux qui de fait les créent une responsabilité objective, indépendante de toute faute. Ont ainsi été institués des régimes de solidarité que Jean-Jacques Dupeyroux a justement décrits comme des « pots communs (...) où l’on cotise selon ses ressources et où l’on puise selon ses besoins ». Parce qu’elle ne se laisse jamais dissoudre dans un pur calcul d’intérêt, la solidarité est un facteur de résistance, pour le meilleur et pour le pire, à l’empire du marché. Lui donner force juridique permet de limiter l’extension de la compétition économique à tous les domaines de la vie.
Pour Laurent Bonnefoy, les chiites reviennent sur la scène yéménite :
La prise de Sanaa par la rébellion houthiste le 21 septembre dernier met fin à la domination des Frères musulmans et de leurs alliés tribaux sur le système politique né du soulèvement révolutionnaire de 2011. La chute soudaine de la capitale yéménite aux mains d’un mouvement d’obédience chiite, sans grande résistance de l’armée, représente pour beaucoup une surprise et génère des interprétations contradictoires.
Martine Bulard étudie le libre-échange dans le Pacifique :
Conçu par les Etats-Unis, le traité transpacifique de libre-échange « serait incomplet sans la Chine », a lancé début octobre le vice-ministre des finances chinois, à la surprise générale. Jusqu’à présent, Washington a fait de ce pacte une arme pour contenir le géant asiatique. Pékin lui-même est resté à distance, préférant lancer sa propre alliance. Il y a fort à parier que les deux capitales évolueront en parallèle.
Frédéric Ojardias évoque le sort d’un village sud-coréen menacé :
L’établissement d’une base navale sur l’île touristique de Cheju, en Corée du Sud, suscite une forte opposition locale, qui accuse le gouvernement d’offrir à l’armée américaine un avant-poste stratégique face à la Chine.
Pour Isabelle Schömann, l’Europe n’est pas un continent de droit (“ L’Europe condamnée par l’Europe ”) :
Les politiques d’austérité se révèlent nuisibles socialement et ineptes économiquement ; elles s’avèrent également contraires aux valeurs mêmes des sociétés démocratiques. Plusieurs institutions internationales viennent de le rappeler, au premier rang desquelles le Conseil de l’Europe, qui veille au respect des droits fondamentaux sur le Vieux Continent depuis 1949.
On le sait, le football américain n’est pas un sport de tout repos (“ Plaquages, lésions et dollars par millions ”, Olivier Appaix) :
Les Etats-Unis comptent quatre grandes fêtes populaires : Thanksgiving, Noël, le jour de l’indépendance et… le Super Bowl. Pourtant, si la finale du championnat de football américain constitue bien un moment de ferveur, ce sport se trouve aujourd’hui au centre d’un scandale. Victimes de lésions cérébrales, des milliers d’anciens joueurs réclament des compensations à la ligue nationale.
André et Louis Boucaud analysent l’évolution de la situation politique en Birmanie (“ Valse-hésitation des dirigeants birmans ”) :
Un pas en avant, un pas en arrière. Le 6 octobre, le gouvernement birman, sur lequel les militaires gardent la haute main, a procédé à de nouvelles libérations de prisonniers politiques ; mais quelques semaines plus tard, des journalistes ont été placés en détention, rejoignant ceux arrêtés cet été. De même, le président annonce un cessez-le-feu avec les guérillas ethniques, alors que, sur le terrain, les combats continuent.
Warda Mohamed décrit la situation des Rohingyas, apatrides birmans :
Depuis 1982, les Rohingyas ne sont plus officiellement birmans. Apatride, cette minorité musulmane visée par des campagnes haineuses est privée de droits élémentaires. Depuis l’indépendance de la Birmanie en 1948, les pouvoirs en place ont mené des politiques de délégitimation conduisant au nettoyage ethnique de « l’une des ethnies les plus persécutées du monde », pour reprendre une formulation de l’Organisation des Nations unies (ONU).
Dakar explose de partout (Sabine Cessou, “ A Dakar, restaurants chics et bidonvilles poussent comme des champignons ”) :
Embouteillages sans fin, immeubles vertigineux poussant à la va-vite, spéculation immobilière… Dakar se transforme à grande vitesse. La capitale du Sénégal, qui doit accueillir le Sommet de la francophonie fin novembre, devient une grande métropole. Avec ses zones d’ombre.
Un article technique mais important de Sanou Mbaye : “ L’Afrique francophone piégée par sa monnaie unique ” :
Réunis à Paris le 3 octobre 2014, les responsables africains de la zone franc ont confirmé leur attachement à ce lien monétaire. Pourtant, l’écart grandit avec les pays disposant de leur propre devise et connaissant des alternances politiques sans intervention de l’ancienne puissance coloniale. Il révèle les entraves au développement que représente une monnaie unique sans mécanisme de solidarité ni politique harmonisée.
Jacques Bouveresse revient sur l’œuvre de Karl Kraus (“ Le carnaval tragique ”) :
Dramaturge, poète, satiriste et journaliste, l’Autrichien Karl Kraus (1874-1936) n’a cessé de dénoncer la corruption des mœurs de son temps. Ce pourfendeur de l’intelligentsia européenne a laissé derrière lui une œuvre considérable, dont « Les Derniers Jours de l’humanité » constitue l’élément central. Consacrée aux horreurs de la première guerre mondiale, cette pièce frappe aujourd’hui par ses accents prophétiques.
Les États sont-ils condamnés en Europe (Paul Dirkx : “ Etats en miettes dans l’Europe des régions ”) ? :
Le référendum sur l’avenir de la Catalogne du 9 novembre ne sera finalement que consultatif. La volonté séparatiste qui progresse dans plusieurs régions riches d’Europe pourrait conforter paradoxalement la machine supranationale de l’Union européenne. Car, en défendant des identités aux contours toujours plus étriqués, certains mouvements régionalistes favorisent la destruction d’espaces de solidarité établis.
Une réflexion de Léa Ducré et Sarah Perrussel sur l’incarcération en France (“ Prison hors les murs, la réponse oubliée ”) :
Depuis quinze ans, le placement extérieur permet à des condamnés en fin de peine de vivre et de travailler en dehors de la prison. Toujours considérés comme des détenus, ils préparent leur retour à la liberté. Moins coûteuse, plus adaptée à la réinsertion dans la société et plus humaine, cette solution de rechange à l’incarcération reste pourtant très marginale en France.
Quand le capitalisme tue les solidarités (Martin Thibault : “ Métro, boulot, chrono ”) :
Impératif de rentabilité, mise en concurrence des salariés, rationalisation de l’activité : le secteur public connaît lui aussi les dynamiques d’intensification du travail qui affectent les entreprises privées. A la Régie autonome des transports parisiens (RATP), par exemple, les logiques gestionnaires se sont imposées d’autant plus aisément qu’elles sont allées de pair avec un travail de sape des cultures de résistance.
Du mieux dans les relations entre Cuba et les Etats-Unis (Patrick Howlett-Martin : “ Dégel sous les tropiques entre Washington et La Havane ”) :
L’Union européenne a décidé de revoir sa « position commune » qui, depuis 1996, prévoit le gel de ses relations avec Cuba. Un mouvement similaire de détente vis-à-vis de l’île semble se dessiner de l’autre côté de l’Atlantique. Le 11 octobre 2014, un éditorial du très influent New York Times enjoignait ainsi à Washington d’en finir avec l’embargo imposé à l’île depuis… 1962.
De nombreux dirigeants latino-américains ont sûrement lu La princesse de Clèves, eux (Ericka Beckman : “ Quand les présidents étaient poètes ”) :
S’il renonce rarement à faire parler les canons, le pouvoir économique repose en général sur des formes plus subtiles de légitimation. Dont la production littéraire, comme en Amérique latine au XIXe siècle. Président et poète ? Aux yeux d’un citoyen moderne, l’association pourrait sembler incongrue. Au début du XXe siècle, les deux fonctions allaient souvent de pair en Colombie. Si le nom de Bogotá suggérait déjà la misère latino-américaine, il évoquait également les belles-lettres. Surnommée l’« Athènes de l’Amérique du Sud », la capitale abritait un grand nombre d’écrivains réputés, tel Miguel Antonio Caro, président du pays de 1892 à 1898. Particulièrement étroit en Colombie, ce lien entre mondes des lettres et de la politique s’observe ailleurs, de François René de Chateaubriand (1768-1848) en France à Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) en Allemagne. En Amérique latine, toutefois, il donne naissance à un terme soulignant le rôle central des hommes de lettres dans les projets de construction nationale : celui de letrado, par lequel on désigne au cours du XIXe siècle l’élite de la région. Capables de rédiger avec la même aisance des Constitutions et des romans, des accords diplomatiques et des traités de grammaire latine, les letrados occupent indistinctement les sphères désormais isolées de la politique et des arts. Et ce à une période charnière de l’histoire latino-américaine.
Sébastien Fontenelle revient sur le scandale des aides à la presse (“ Aides à la presse, un scandale qui dure ”) :
Instaurées en France dès la fin du XVIIIe siècle pour « encourager la libre communication des pensées entre les citoyens », les aides de l’Etat à la presse n’étaient destinées qu’aux publications d’intérêt général. Elles profitent désormais aux groupes puissants, sans que leur contribution au débat démocratique saute aux yeux. Pourtant, les procureurs les plus inflexibles de la réduction des dépenses publiques restent cois…
Serge Halimi explique qu’il vaut mieux diriger Closer que le Diplo (“ Le poids des euros, le choc des critères ”), d’un certain point de vue :
Fin 2013, les chiffres publiés par le ministère de la culture et de la communication ont signalé que le magazine Closer avait, l’année précédente, reçu une aide publique trois fois supérieure à celle du Monde diplomatique. La publication qui se consacre aux potins sur les célébrités se hissait ainsi au 91e rang des titres aidés par le contribuable, tandis que ce mensuel n’accédait alors qu’à la 178e place. L’injustice parut sans doute insoutenable puisque l’année suivante, tandis que Closer progressait de trois places… Le Monde diplomatique disparut du classement.
Evelyne Pieiller se demande si le monde est sous la coupe des oracles (“ Oracles, mode d’emploi ”) :
L’invention de l’avenir naît avec la modernité, alors que la croyance en la fatalité avait longtemps enfermé la pensée. Aujourd’hui, écrivains et experts rivalisent pour imposer dans le débat public leur vision du futur.
Gilles Balbastre s’en prend à ceux qui veulent alléger le code du travail, donc mettre en péril les protections des travailleurs (“ Combien de pages valez-vous ? ”) :
La scène a fait le tour du Web. Le 18 septembre 2014, sur le plateau de l’émission « Des paroles et des actes », M. François Bayrou tempête contre les « obstacles que nous avons mis sur le chemin de tous ceux qui travaillent ou le voudraient. Tiens ! Je vous donne un petit exemple ». Il tire de sa serviette une fine brochure qu’il pose délicatement sur une table. « Voilà ! Ça, c’est le code du travail suisse. 4 % de chômage. » Il se baisse à nouveau et brandit un épais volume. « Et ça [rires du public], c’est le code du travail français. » Il lâche l’ouvrage, qui tombe dans un bruit sourd. Applaudissements du public. « Trois mille pages. Regardez, c’est illisible. Si on n’a pas le bon sens de faire qu’on ait un texte qui fasse qu’un chef de PME, une femme d’artisan puissent savoir à peu près ce qui est écrit... Autrement, ça bloque tout ! Ils ont peur ! Ils ne peuvent pas embaucher ! »
Devant les caméras de France 2, le président du Mouvement démocrate (MoDem) parade, satisfait. Mais avait-il vraiment fait preuve d’originalité ce soir-là ?
Non seulement M. Bayrou avait répété son numéro chez Laurent Ruquier dans « On n’est pas couché », le 16 mars 2013, puis dans les colonnes du Point, le 3 juin 2014, mais s’en prendre au code du travail figure depuis longtemps au rang des passe-temps favoris d’une bonne partie de la classe politique, des représentants du patronat et des éditorialistes. « Il est probable que la multiplication des protections juridiques des salariés dissuade les entreprises », estime le journaliste François Lenglet (RTL, 14 août 2014). « Il y a ceux qui disent qu’à force de protéger les salariés, eh bien on finit par décourager l’emploi. Autrement dit, notre réglementation du travail, notre code du travail seraient tellement contraignants, touffus, obsolètes qu’ils finiraient par décourager les investisseurs et l’emploi », rapporte son confrère Benoît Duquesne (Public Sénat, 15 février 2014).