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La fugue superbe du Pascal Paoli


1er octobre 2005


D’abord, c’est la boue des magouilles : une entreprise nationale que l’Etat a mal géré (à dessein ?) mise en concurrence déloyale avec une autre dont le siège est en Italie (économies de taxes), qui touche des subventions publiques (françaises) et surexploite des marins sud-américains.

Puis c’est la révélation de la ronde des requins. Si l’on arrive à démêler l’écheveau volontairement complexifié de l’arnaque, on croit comprendre ceci : la SNCM vaut 450 à 500 millions d’euros, l’Etat va verser dans ses caisses 113 millions d’euros pour apurer les déficits, puis elle sera bradée à Butler Capital Partner pour 35 millions d’euros. Butler, un proche de Villepin, entre ainsi à 70 % dans le capital de la SNCM avec l’objectif d’en revendre 30% à Connex, filiale du groupe de transport Veolia (ex-vivendi) derrière lequel on trouve un proche de Chirac. Restent (pour le moment) 25 % pour l’Etat et 5 % pour les salariés (pour ceux qui n’auront pas été licenciés).

Demain ou après-demain, nous aurons deux compagnies privées se tirant la bourre. Leur concurrence ne pourra pas être pure et parfaite, ni libre et non faussée si la plus récente n’opte pas à son tour pour un pavillon étranger et pour l’embauche de marins esclavagés.

Face à cette obscénité, un geste d’une grande pureté esthétique : le Pascal Paoli s’évadant du port, gagnant le grand large, montrant sa poupe au sordide. On voit ainsi le taureaux briser l’enclos et courir droit devant pour échapper à l’arène, au combat inégal, à la mise à mort annoncée.

Que l’échappée du Paoli soit légale ou pas, elle est légitime et superbe. Cette image liliale dans les flots bleus, majestueuse et lente dans sa fugue, fait corps avec celle des marins qui, insubordonnés et calmes, ont osé ce « crime » d’arracher le Pascal Paoli à la souillure des tractations cupides. Par ce geste altruiste, ils s’exposaient pour tous leurs camarades et pour une cause qui les grandit tous.

Quelques années avant sa mort, j’ai fait la connaissance de Georges Coulonges. Je sais qu’il aurait admiré les « mutins » du Pascal Paoli. C’est en effet pour aider les combats de notre époque qu’il a raconté ceux du passé dans ses chansons et dans ses livres. Les paroles de son « Potemkine » ne vieillissent pas :

«  M’en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde

Où l’on n’est pas toujours du côté du plus fort... »

Certes, comparaison n’est pas raison et le GIGN n’a pas menacé de fusiller les marins. L’Histoire retiendra cependant que, à l’encontre des travailleurs qui s’opposaient à la spoliation de leur pays, l’Armée française a été requise et que, sous son escorte, le Pascal Paoli, dépossédé in extremis et par la force de l’accueil enthousiaste que lui réservait la Corse, a fait une entrée piteuse dans un arsenal militaire, séquestré par l’Armée pour échapper à une libération populaire.

J’ai lu sous une plume syndicale qu’on pouvait « émettre des réserves sur la méthode choisie » par les marins traçant vers la Corse. Je crois au contraire qu’elle est glorieuse et que le Pascal Paoli a écrit dans la mer une page qu’aucune vague ne pourra effacer.

«  Ce soir j’aime la marine... »

Line Arez Demora


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