Le journaliste vedette de la chaîne Al-Jazeera (également traducteur à l’agence espagnole EFE), l’hispano-syrien Tayssir Allouni, célèbre pour avoir interviewé Ben Laden en 2001, vient d’être condamné par le juge espagnol Baltasar Garzón à 7 ans de prison.
La sentence a été mollement désapprouvée par l’organisation Reporters Sans Frontières qui « exprime sa surprise » et espère que des mesures seront prises « afin que la détention du journaliste n’aggrave pas son état de santé ». Le condamné ayant fait appel, « elle attend avec impatience le nouveau verdict. » Et c’est tout. Comment faire moins sans perdre tout crédit, même aux yeux des gogos ?
Qui est Tayssir Allouni quels sont les liens (organiques) qui unissent RSF et le juge, et enfin : le prochain prix Nobel de la Paix sera-t-il Espagnol ?
Bête noire du Pentagone en raison de ses reportages sur la guerre et sur ses ravages parmi la population civile, Allouni a échappé plusieurs fois à la mort. Son bureau en Afghanistan fut « accidentellement » bombardé par l’US Air Force. En Irak, son bureau de Bagdad fut encore « accidentellement » bombardé : un de ses collaborateurs fut tué. Le bureau de ses confrères d’Abu-Dhabi TV où il trouva refuge fut lui aussi « accidentellement » bombardé. Il crut trouver un asile sûr auprès des autres journalistes logés à l’hôtel Palestine, mais celui-ci essuya aussitôt un tir « accidentel » états-unien. Finalement, Allouni a été arrêté en Espagne le 8 septembre 2003 sur renseignements fournis au gouvernement de José-Maria Aznar par la CIA qui l’accusait d’être un militant d’Al Qaeda.
S’insurgeant contre cette incarcération, Aidan White, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes, avait aussitôt déclaré : « Au cours des dernières années, une irritation des Occidentaux, particulièrement des États-uniens, s’est exprimée à l’encontre des médias arabes, et particulièrement d’Al-Jazeera. Ses bureaux ont été attaqués militairement d’abord en Afghanistan, puis deux fois en Irak. Avec cette arrestation, cela commence à ressembler au développement d’une chasse internationale aux sorcières. »
Quant à Robert Ménard de RSF, il ne bougea pas. Pas plus qu’il n’avait organisé le moindre rassemblement médiatisé pour alerter l’opinion contre les tentatives d’assassinat visant ce correspondant de guerre. Pis, il prétendit en octobre 2003 sur Canal Plus que le motif de l’arrestation « n’est pas lié à sa qualité de journaliste, mais à sa participation à des activités terroristes. » Ce verdict expéditif, prononcé « à chaud », deux ans avant que la Justice n’ait instruit le procès, valait condamnation à la prison à vie ! [1]
Il faudra attendre le 18 avril 2005 pour que Robert Ménard, invité du Forum du Nouvel-Observateur amorce un virage [2] :
« Internaute : Que pensez vous de l’incarcération de Tayssir Allouni en Espagne ? Parce que c’est un journaliste d’Al-Jazeera ? Et si c’était un journaliste de CNN aurait-il le même sort ? Et ce que vous suivez son dossier ?
Ménard : J’étais encore la semaine dernière au Qatar avec la rédaction d’Al-Jazeera. Et RSF sera à Madrid lors de l’ouverture de son procès le 22 mai prochain. »
Ainsi donc, pour le patron de RSF, le terroriste de 2003 est redevenu journaliste en avril 2005, sa condamnation est surprenante en septembre 2005 (et pourquoi donc s’il est coupable ? Elle est clémente, au contraire) et il convient de bien le choyer en prison sans pour autant réclamer son élargissement qu’on attend néanmoins « avec impatience » sans bouger le petit doigt.
RSF a déploré que le procureur ait lourdement utilisé l’interview de Ben Laden par Tayssir Allouni [3] comme élément à charge, amalgamant ainsi acte de terrorisme et exercice normal d’un métier. Par bonheur, RSF dispose d’une organisation interne, le Réseau Damoclès, chargée de défendre la liberté des journalistes et leur droit à enquêter. En toute logique, elle devrait intervenir. Elle ne le fera pas. Car (voici le scoop) : le président d’honneur du Réseau Damoclès est...le juge Baltasar Garzón.
La boucle est bouclée ? Pas tout à fait. La condamnation du journaliste intervient quelques jours à peine avant que soit examinée à Stockholm la candidature au prix Nobel de la paix d’un Espagnol : le juge Baltasar Garzón, qui accéda à la notoriété en pourchassant Pinochet (toujours libre), qui prétendit extrader les tortionnaires argentins (toujours en Argentine) mais qui vient opportunément de mettre sous les verrous un journaliste, au prétexte essentiel qu’il a rencontré dans le cadre de son métier une des deux figures symbolisant la guerre moderne (l’autre étant Bush, vainqueur en matière d’assassinat d’innocents, mais il n’en sera pas question ici).
Un prix Nobel dont le prestige rejaillira sur RSF vaut bien un petit sacrifice. Qui, à part Tayssir Allouni, prétendrait le contraire ? La profession des journalistes peut-être ? A voir et à espérer.
Maxime Vivas, écrivain.
Maxime Vivas vient de publier avec Danielle Bleitrach et Viktor Dedaj Les États-Unis DE MAL EMPIRE Ces leçons de résistance qui nous viennent du Sud, Aden.
Sami Al Haj, journaliste : une cinquième année à Guantanamo, par Leila Salem.
Les USA financent Reporters Sans Frontières, par Diana Barahona.
Quand Guantanamo arrache son bâillon et celui de la presse, par Maxime Vivas .
Fabius, la pétrolette, bébé Doc et le shampoing aux oeufs, par Maxime Vivas.