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Un sommet d’humiliations

47 chefs d’Etat africains en poste, convoqués par un seul, chez lui et « vous appelez ça un sommet ? ». Question de bon sens en effet, désigner par ce terme un tel non événement, comme l’a fait toute la presse radio, télé... relève au mieux d’une erreur de langage, au pire d’une supercherie.

Depuis son annonce, nombre d’observateurs africains, concentrés surtout, bien sûr, dans les médias, en on fait des tonnes : on allait voir ce qu’on allait voir ! Obama, premier président des EU, d’origine directement africaine, à moitié de son second mandat, allait enfin répondre aux attentes des Africains. Et tous de revenir sur le discours d’Accra, lourd de promesses. Il allait enfin rattraper le temps perdu.

Hélas, hélas, hélas, que d’illusions répandues pour tant d’illusions perdues...

Déjà, la forme annonçait le fond et nos « spécialistes » auraient dû se méfier. Eh non, puisqu’invités, en naïfs incorrigibles, la plupart de ces chefs d’Etat, se voyaient en hôtes d’importance et s’attendaient à la Maison blanche, tapis rouge, entretiens, tête à tête... Las, entre leurs espérances et la réalité , il y aura eu le gouffre sémantique qu’il y a entre « invitation » et « convocation ».

Lorsqu’ on se rend à une convocation, on ne doit pas s’imaginer dire la messe avec celui qui a l’initiative : Celui qui convoque est le Patron et celui qui s’y rend est son subordonné. Jusqu’à quand nos chefs d’Etat continueront de se faire rouler dans les farines « diplomatiques » ?

La leçon de « gouvernance » des ONG

Dans le chemin de croix de l’humiliation de nos dirigeants à Washington, la première étape aura d’abord été de subir, toute une et longue première journée, les leçons de morale des...ONG ! Au programme : Droits de l’homme, corruption, démocratie...Vaste programme s’il en est et sur lequel il y a certes, concernant l’Afrique, beaucoup à dire.

Pour autant, était-ce vraiment le lieu et le temps, après avoir fait s’asseoir tous ces représentants, de leur asséner, comme par surprise et sans débat, des leçons sur des thèmes qu’ils connaissent parfaitement et sur lesquels ils se font justement, en règle générale, une spécialité de s’asseoir ?

Et puis, parlons clairement, les ONG, dont le rôle est aujourd’hui, largement mis en cause dans la destruction des services publics en Afrique, sont-elles les mieux placées pour donner aux présidents africains des leçons de « gouvernance » ?
Combien d’ONG trouve-t-on régulièrement au cœur de magouilles financières locales, de fonds évaporés, de corruption, de scandales de comportement ? Sans aller jusqu’à évoquer le rôle de la Croix Rouge dans les guerres post indépendances (voir les confessions de Bernard Kouchner sur le Biafra), on ne peut oublier l’utilisation systématique des « prétextes » humanitaires, portés par les ONG, dans les guerres d’intervention récentes, qu’il s’agisse de l’Irak, du Darfour, de la Libye, du Mali, de la Centrafrique...

Par ailleurs, ce sont ces mêmes ONG qui, depuis des décennies, accompagnent fidèlement les PAS infernaux (plans d’ajustement structurels) imposés par la Banque Mondiale et le FMI. En effet, lorsque la BM et le FMI ordonnent les restrictions budgétaires aux gouvernements marionnettes, on sait ce qu’il advient des services publics notamment dans les domaines de l’école et de la santé et qui vient alors jouer le rôle d’amortisseur au coup porté, auprès des populations démunies, sinon les ONG ?

Une création d’école par ci, un dispensaire de brousse par là...Alors merci les ONG ?
Evidemment non, parce que ces écoles et ces centres de soins ainsi créés, en remplacement de ceux du service public disparus, le sont évidemment dans le cadre du secteur privé et demain, les usagers devenus clients, ne seront accessibles qu’aux plus riches.

Ainsi, financées par les fonds des Nations Unies, les ONG sont clairement une des armes la plus efficace dans la disparition des services publics africains, exigée par la Banque Mondiale, le FMI et maintenant l’UE.

Sans compter que, dans la plupart des cas, les fonds, ainsi utilisés contre les intérêts des populations, par ces ONG ne sont que des prêts...consentis aux Etats concernés ! Autrement dit, ce sont les Etats qui paient pour les ONG et...qui remboursent ! Dépensées sans aucun contrôle des principaux intéressés, ces sommes viennent encore grossir la Dette, alimentant ainsi le cycle infernal.

La disparition des services publics marque toujours la fin des libertés et de la démocratie, de toute gouvernance, et ce sont pourtant les agents directs de cette « rigueur » qui ont été choisis par Obama pour instruire nos dirigeants à Washington. Tout un programme.

Les Africains n’ont pas besoin de la morale des ONG. Depuis fort longtemps, avec leurs organisations, leurs partis, leurs syndicats, ils bataillent courageusement contre la corruption de leurs élites, contre le délitement de leurs institutions soumises aux coups de boutoir des grandes puissances. Ils luttent au quotidien, pour les droits humains et les libertés individuelles, pour imposer les cadres de la démocratie politique et pour donner aux populations la sécurité publique, le droit à la santé, le droit à l’école....aux antipodes de ce que, dans le dos des peuples, les ONG contribuent à mettre en place.

La leçon commerciale des grands patrons

Une fois ingurgitée la morale humanitaire sur la manière de gouverner les pays, ce fut au tour des grands patrons d’administrer leur cours magistral de » bonne gouvernance économique » à tous ces chefs de gouvernements médusés condamnés à écouter. Quand on connaît le point de vue de ces intervenants américains sur les échanges internationaux « bien compris », on se pince en les imaginant devant les responsables des états d’Afrique.

Ce n’est qu’au soir du second jour qu’Obama, au cours d’une brève apparition énoncera, comme à son habitude concernant l’Afrique, quelques platitudes du genre de celle déjà distillée à Accra en 2009 : » l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais des institutions fortes ». Cette fois nous aurons eu droit à un énigmatique «  : « la clef pour débloquer la croissance africaine ne sera pas ici aux Etats-Unis, elle se trouve en Afrique ». Encore une fois, une façon de parler des africains et aux africains sans en parler vraiment, ni jamais leur parler directement.

Pourtant, à y regarder de près, on ne peut pas dire que le président américain n’ait rien à dire de concret à propos de l’Afrique, ni même qu’il n’ait pas, concernant le continent, quelque idée derrière la tête. Ce serait même tout le contraire.
Le locataire de la Maison Blanche était en effet beaucoup plus disert et explicite lorsqu’au mois d’août dernier, devant un parterre de « décideurs économiques », il défendait son point de vue en déclarant : » L’Amérique doit comprendre l’importance de l’Afrique. Vous avez là-bas de la croissance, des marchés qui prospèrent, des entrepreneurs et des talents extraordinaires ».

A bien y regarder on sent déjà, dans son propos qu’il pousse déjà les tenants de son économie à se tourner une bonne fois vers le continent où il considère que, malgré les menées des chinois et la vieille présence française, de grandes parts de marché sont encore à prendre.

Le « modèle » Français

Sur l’implantation économique, il est clair que l’administration Obama a beaucoup observé et appris des Français, c’est à dire : Une sérieuse présence militaire préfigure toujours de bonnes affaires à venir.

Message bien reçu. On ne peut comprendre autrement le lourd investissement, et le patient maillage à l’échelle continentale, concernant le dispositif Africom. De fait, cette étape purement militaire réalisée, dans sa déclaration, Obama dit maintenant clairement à ses patrons que désormais, pour le business, la voie est libre en Afrique.
Ce qu’a très vite compris le géant américain de l’électricité, le conglomérat Général Electric, qui vient d’annoncer un investissement pour un montant de 2 milliards de dollars sur les trois années à venir et qui déclare : » L’Afrique est devenue la région la plus prometteuse du monde en terme de croissance pour General Electric ». (2)
De son côté, la Banque Mondiale annonce des prévisions de croissance entre 5% et 6% du Produit Intérieur Brut pour les pays de la zone subsaharienne grâce, comme on s’en doute, à l’exploitation des ressources naturelles mais aussi...par la construction d’infrastructures, ce qui est du coup plus grave que le pillage des ressources, puisque dans ce cas, il s’agira une fois encore, de la bonne vielle combine du « retour à l’envoyeur », inspirée directement de la françafrique : je te prête, tu nous donnes les chantiers et, avec intérêts, tu nous rembourses.

Montage inique et meurtrier auquel on pourrait ajouter la suite, connue de tous : tu rembourse, tu creuse ta dette et donc, tu creuse ta tombe.

Dans cette veine, Obama annoncera, à la fin du sommet, 33 milliards d’investissements ou plutôt, comme pour une espèce d’Africathon, « de « promesses d’investissement ». Sans doute laisse-t-il entendre que, pour mériter cette « manne » promise, s’agira-t-il d’être à l’image de ce que souhaitent les ONG ?

Après le marketing d’usage concernant les slogans étasuniens classiques sur les rapports « gagnant-gagnant » et autre « égal à égal »... le président fait le détail des provenances de ces promesses.

Ces 33 milliards seront d’origine à la fois publique et privée. La plus petite part, 7 milliards, viendra de fonds débloqués directement par l’administration. Une sorte d’aide publique au développement déjà bien connue et déjà tristement célèbre en Afrique.

14 milliards proviendront du secteur 100% privé et iront concourir aux grands chantiers des infrastructures. Peut-on douter que ces chantiers seront confiés à des entreprises étasuniennes ?

Prenant connaissance de ces informations, les vieux chevaux de retour que sont Bouygues et Bolloré pourront se dire qu’il n’y a, décidément, rien de bien nouveau sous le soleil de Washington.

Les 12 milliards restants seront intégrés dans le dispositif Power Africa. Une initiative qui a pour but la promotion d’un réseau électrique sur le continent permettant d’atteindre 60 millions de foyers reliés au réseau. C’est certainement General Electric qui va être content...

Ce programme sera co-financé par la Banque Mondiale, des entreprises étasuniennes et le gouvernement suédois.

Les africains, pour avoir déjà expérimenté ce genre de montages à triple corps, Banque Mondiale, secteur privé et public, savent qu’ils en ont tout à craindre, surtout lorsque la Banque Mondiale est à la table. Autrement dit, à la sortie, si le programme s’achève vraiment un jour, qui aura vraiment payé ? Qui sera endetté ? Pour combien et auprès de qui ?

Un « sommet » pour rien mais beaucoup d’humiliations

Pour clore le programme, avant un dîner « kolossal » pour 500 convives (3), le président étasunien lancera un dernier avertissement à ses auditeurs, concernant les yeux doux que certains pourraient continuer à faire aux Chinois : » nous, nous ne voulons pas juste extraire vos ressources minérales pour notre propre croissance « . Ce qui, en langage étatsunien est on ne peut plus clair : si vous voulez travailler avec nous, ce sera avec nous et nous seuls !

Bref, on passera sur la manière quasiment indécente dont été traités les chefs d’Etat africains au cours de ces trois jours : pas un seul reçu par Obama, pas un seul tête à tête, une visite bâclée au Sénat où personne ne les souhaitait vraiment, contraints de payer leur voyage et leur chambre d’hôtel... Il faut appeler un chat un chat, ils ont été mal traités.

Non que nous ayons à les plaindre, après tout, ils n’avaient qu’à hausser le ton, s’insurger, interrompre...mais comme on le sait, s’imposer aux grands, défendre nos pays, notre continent, n’est plus réellement la spécialité de nos dirigeants actuels. Nous ne les plaindrons donc pas.

Ce qui, en revanche, est à prendre en considération est la permanence du mépris affiché pour des responsables africains en poste, et par delà leur personne, le peu de cas que font ces patrons « made in USA » de l’Afrique et de ses populations.
Le round autour de l’AGOA, s’il en était encore besoin, est une démonstration flagrante du cynisme et de la condescendance de cette administration à l’égard de l’Afrique. Qui ne sait en effet, en Afrique, que cet AGOA n’est qu’un marché de dupes ? Un ouvre-boîte permanent qui permet aux américains un accès hors taxes aux ressources pétrolières de l’Afrique de l’Ouest ? Autrement dit, un « gagnant-gagnant » 100% US, 100% à sens unique, comme les aime tant les Étasuniens.
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Alors, comment Obama peut-il, non seulement défendre cette escroquerie imposée à l’Afrique par son prédécesseur, mais pire encore, présenter sa reconduction prochaine, qu’il a lui-même demandé au congrès, comme une victoire de son administration ?

Lorsqu’on sait que cette loi « African Growth Opportunity Act », dite de « libre échange » pour les produits subsahariens manufacturés, ne concerne quasiment que ...le pétrole du Nigéria (pour 80%), on se demande encore comment nos « représentants », entendant de tels propos, ont-ils pu garder leur calme, ne pas rétablir les faits et rester murés dans un silence absurde et complice.

Un comportement gravissime. Agissant de la sorte, ils accréditent l’idée, largement en cours dans les pays riches, selon laquelle, hors d’Afrique, les africains ne comprennent pas tout...qu’ils sont toujours les « indigènes », les « arriérés » et les « primitifs » des temps coloniaux, au mieux « de grands enfants » qu’il convient d’enseigner...

Finalement, le comportement d’Obama et de son administration à l’égard des africains, mis en lumière au cours de ce « sommet », en rappelle un autre, dans la même veine et tout autant méprisant. Celui qui, reprochant « à l’homme africain de ne pas être entré dans l’histoire » aura lui aussi, marqué profondément l’Afrique pour longtemps. (4)
Encore une fois, la leçon est claire : L’Afrique doit avancer pour elle-même. Elle doit se débarrasser de tous ses parasites néo-coloniaux, des sangsues que sont ces dizaines de milliers d’ONG.

Elle n’a nul besoin de donneurs de leçons payantes, nul besoin du paternalisme racisant des investisseurs, qu’ils s’appellent Bouygues, Bolloré, AREVA, General Electric ou encore OBAMA, Hillary Clinton, Kerry... Qu’ils soient la Banque Mondiale, le FMI, l’UE ou les acteurs des APD...Qu’ils partent tous !

Un « sommet » donc, qui pour être inédit, ne peut pourtant que renvoyer les africains à leurs responsabilités, les pousser plus que jamais à prendre leurs affaires en main, s’en occuper vraiment et directement, tous ensemble, à l’échelle du continent.
Car , s’il est un point sur lequel Obama a raison, c’est que l’Afrique est bien un continent d’espoir, gorgé de richesses naturelles et de potentiel humain et que, une fois chassés les prédateurs, les pilleurs et les fauteurs de guerres, elle saura, sans aucun doute possible, se sauver et se développer.

Romuald Boko et François Charles

pour l’autre Afrique (www.lautreafrique.info)

»» http://lautreafrique.info/2014/08/11/un-sommet-dhumiliations/

1/ Entendu dans une rue de Dakar

2/ Le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas pu résister au lobbying de Hillary Clinton, l’ex secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique de 2009 à 2013. Hillary Clinton se targue dans ses mémoires, qu’elle vient de publier, d’avoir réussi à convaincre Bouteflika d’octroyer un marché de 2,5 milliards de dollars au géant étasunien de l’énergie General Electric. C’est Hillary Clinton qui raconte, elle-même, cette anecdote croustillante, dans son livre Hard choices (source : www.algerie-focus.com).

3/ 47 chefs d’Etats africains et...500 convives ! Cherchez l’erreur...

4/ Le tristement célèbre discours de Nicolas Sarkozy à l’université Cheik Anta Diop de Dakar


URL de cet article 26616
   
Eric Hazan. Changement de propriétaire. La guerre civile continue. Le Seuil, 2007
Bernard GENSANE
Très incisif et très complet livre du directeur des éditions La Fabrique (qui publie Rancière, Depardon, Benjamin etc.), ce texte n’est pas près de perdre de son actualité. Tout y est sur les conséquences extrêmement néfastes de l’élection de Sarkozy. Je me contenterai d’en citer le sombrement lucide incipit, et l’excipit qui force l’espoir. « Dimanche 6 mai 2007. Au bureau de vote, la cabine dont on tire les rideaux derrière soi pour mettre son bulletin dans l’enveloppe s’appelle un (…)
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