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Un entretien avec Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre, prix Goncourt pour Au revoir là-haut, a accordé un entretien aux responsables de l’Institut d’histoire sociale du Gers et à moi-même.

Vous avez toujours rendu hommage aux écrivains qui vous ont influencé. Avez-­vous conscience de vous inscrire dans une chaîne ininterrompue de créateurs ? Construisez-­vous des fictions pour vivre, pour résister au réel ? Autrement dit, pourquoi écrivez-­vous ?

Si je cite et rends hommage à certains écrivains ce n’est pas consciemment pour me situer dans une généalogie d’auteurs, c’est simplement que si quelque chose d’eux me vient lorsque je travaille (trois mots, une situation, une tonalité, etc.), il me semble normal de le dire. Je ne m’adresse pas à la postérité mais à ceux qui me lisent, ces citations sont donc également un clin d’œil que j’adresse à ceux pour qui j’écris. Ce qui répond à la seconde question : j’écris pour être lu. J’ai choisi d’être romancier, j’écris donc des romans. Je ne suis rien d’autre que ça, juste un type qui raconte des histoires.

Avec Au revoir là-­haut, l’Académie Goncourt a couronné un grand roman populaire, en ce sens qu’il peut être lu avec autant de plaisir et d’intérêt par une aide-­soignante ou par un chef de service. On imagine que vous ne partagez pas l’opinion de Mallarmé pour qui « l’art pour tous est une bêtise, du caviar pour le plus grand nombre ».

Evidemment que « l’art pour l’art » n’est pas mon slogan préféré. Cela étant, l’expression « littérature populaire » n’est guère pratique non plus... Qu’est-­‐ce que c’est un « roman populaire » ? Un roman lu par un grand public ? En ce cas, « L’amant » de Marguerite Duras est un roman populaire, il a été lu par plusieurs millions de lecteurs. Un roman assez simple pour être lisible par tous ? On peut alors penser aux « Misérables » et à « Madame Bovary ». Un roman qui tente avant tout de séduire, faisant de « populaire » une variante de « populiste » ? On peut alors penser à Gérard de Villiers et sa série des SAS. En fait, personne n’en sait rien. Mais la catégorie romanesque capable de regrouper Duras et de Villiers, Flaubert et Hugo a bien des chances de poser plus de problèmes de classification qu’elle n’en résout. C’est pourquoi, chacun en a une définition. Moi pas. J’écris des romans et il appartient à ceux qui les lisent de dire ce qu’ils en pensent, de les placer sur l’étagère qui leur convient.

Pourquoi, à ce moment de votre vie d’homme et d’écrivain, avez-­vous souhaité écrire sur la Première Guerre mondiale et ses suites immédiates ?

Je crains que la réponse soit là encore assez prosaïque : c’est simplement que c’était possible. Je venais d’achever une trilogie policière, commencée en 2006. Pour la première fois depuis que j’écrivais, j’avais l’occasion de faire autre chose, de m’évader un peu des contraintes exigeantes du genre policier. Cette Première Guerre m’avait toujours intéressée et ce roman, entamé en 2008, n’avait pas pu être poursuivi à ce moment pour des raisons de calendrier éditorial. Quant à choisir la fin de la guerre plutôt que la guerre elle-­même, c’est parce qu’il m’a semblé que cette période avait été moins traitée par le roman et que cela me permettait d’éclairer sous un jour un peu original cette guerre, en la montrant, en quelque sorte, dans le rétroviseur.

Vous avez rassemblé une documentation historique considérable. Pourriez-­vous nous éclairer sur les moyens et les arguments utilisés pour motiver les combattants du front ? Comment le peuple à l’arrière a-­t-­il vécu cette guerre ?

Très franchement, ma documentation n’a pas été phénoménale. C’est un carton de livres et les quotidiens de l’époque sur une période de deux ou trois ans, rien de plus. Quant à la question concernant la motivation des soldats, c’est une querelle historique dans laquelle je ne veux pas entrer parce que je ne suis pas historien. Je n’ai aucune légitimité à donner un avis. Je lis André Loez et Stéphane Audouin-‐Rouzeau, Nicolas Offenstadt et Annette Becker, j’ai mon opinion... qui n’a aucune importance.

Je trouve toutefois très intéressant que les historiens discutent cette question, je trouve dommage qu’ils se déchirent mais je reste dans mon domaine : je suis romancier. Et dans l’écriture de mon roman, je n’ai pas voulu aborder cette question parce qu’elle n’était pas au centre de mes préoccupations.

Par delà la création romanesque, avez-­vous souhaité transmettre un message historique et politique qui vaudrait encore pour aujourd’hui ?

Non, je ne porte pas de message. Tout lecteur peut voir quelle est mon échelle de valeurs et donner à mon histoire le sens qui lui convient. Je la bâtis en espérant que mon point de vue sera clair et accessible, je tâche de faire ce que je dis et de dire ce que je fais. C’est ma manière à moi d’être simple qui est ma conception du roman : tenter de faire très bien des choses très simples.

Reste que tout lecteur peut voir des corrélations entre l’époque que je décris et la nôtre : un système social incapable de faire de la place à une population qui pourtant n’a pas démérité, plaçant ceux qui l’ont servie dans une situation de précarité proche de l’exclusion et faisant de ceux qui parviennent à surnager des travailleurs pauvres. Si un lecteur aperçoit ce constat derrière les vicissitudes de mes personnages, ce n’est pas du tout un hasard.

Au plan philosophique, quelle est votre idée de l’Homme au vu des événements que vous rapportez ? Votre vision de l’humanité n’est-­elle pas trop noire ?

« Trop noire », je ne sais pas. Chacun place le curseur où il le veut, en fonction de son analyse, de sa conception du monde. Je pense qu’un romancier tente de déployer un monde et c’est bien le but de la littérature que de permettre à chacun, en lisant des romans, de dire si ce monde correspond ou non à sa vision personnelle de l’existence et, ainsi, de faire évoluer sa réflexion.

Photo (B.G., d.r.) : Pierre Lemaitre et Angel Rossi, président de l’Institut d’Histoire Sociale du Gers.

On retrouvera cet article dans la dernière livraison de la revue de cet institut.

Petit rappel concernant Au revoir là-haut ici.

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