Afrique, pays arabes, Europe...
Omissions, intox et gros mensonges, quatre diplomates français à l’attaque.
Première affirmation :
"La politique étrangère de François Hollande et de Laurent Fabius fait l’objet d’une appréciation positive de la majorité des français. Si l’on excepte quelques professionnels de la polémique, elle n’est pas sérieusement contestée par l’opposition républicaine".
Raisonnement simple et simpliste : puisque l’opposition républicaine , l’UMP en l’occurence, ne dit mot des expéditions de l’armée française sur le sol africain (3) et que, ce qui est juste, "qui ne dit mot consent", nos commentateurs affirment tout de go que la politique étrangère du président Hollande est positivement appréciée de tous les français !
On sent clairement combien une telle situation comblerait nos quatre analystes mais hélas, par delà ce pauvre petit tour de passe-passe, la réalité apparaît tout autre.
En effet, qu’il s’agisse de l’intervention de Hollande au Mali, de celle en Centrafrique , des velléités d’attaque contre la Syrie et des gesticulations belliqueuses de Laurent Fabius aux quatre coins du globe, jamais la population française n’a été directement consultée. Seule une telle consultation, aisée dans un pays développé, permettrait pourtant de discuter sérieusement sur l’appréciation des français des guerres en cours. Il est même à noter que les sondages, seule mesure que nous ayons eu à voir sur ces affaires, ne donnaient pas tous une majorité au gouvernement, bien au contraire.
Par ailleurs, il nous faut bien garder à l’esprit que l’UMP, la fameuse "opposition républicaine" de nos diplomates, est constituée par ceux-là même qui, sous la présidence de Sarkozy, ont soutenu toutes les menées guerrières du quinquennat, de l’installation de Ouattara à Abidjan à la guerre contre la Libye, guerre de destruction s’il en fut. Quoi donc alors de plus attendu aujourd’hui, que l’adhésion de ce parti à une politique qu’il a lui-même initiée hier ? Voir dans cette alliance la réalisation du consensus populaire relève à la fois du raccourci mensonger et de la malhonnêteté intellectuelle.
Enfin, le fait que nos diplomates, apprentis journalistes, caractérisent comme "républicains" deux partis seulement, le Parti du président et l’UMP, laisse planer un sérieux doute sur ce qu’ils pensent des autres courants politiques, philosophiques, associatifs, syndicaux...souvent critiques, et sur ce qu’il conviendrait d’en faire dans leur panthéon républicain.
Deuxième affirmation :
"En effet, face à de nombreuses crises, dans un monde où la géographie de la puissance est bouleversée, la diplomatie française permet à notre pays de tenir son rang et de promouvoir ses intérêts."
La diplomatie française permet donc à la "France de tenir son rang" et ainsi "de promouvoir ses intérêts". Voilà qui a le mérite de la clarté. Très clairement, s’agissant des actions militaires françaises sur le continent africain, cette définition recouvre exactement ce qu’il est désormais convenu d’appeler la Françafrique. De la sorte, tout est dit.
"Le calme règne en Centrafrique"..."La paix civile est proche..." On sait bien, dans les pays africains secoués par les convulsions, le plus souvent causées par les agissements de pays occidentaux, ce que signifient ces communiqués en langue de bois. Comment ? Dans un pays à feu et à sang, la paix serait toute proche ?
Eh oui, force est de constater qu’un certain ordre règne en Centrafrique et il est connu. C’est celui qui doit entourer les extractions minières, les productions gazières et pétrolières, c’est celui qui doit protéger les axes routiers d’acheminement, des sites de production aux aéroports, et enfin, c’est l’ordre qui doit régner autour des aéroports d’où s’évadent, par les airs, les précieuses marchandises.
Autrement dit, tant en Centrafrique qu’au Mali, en Côte d’Ivoire et comme c’était prévu en Libye, l’ordre que font régner l’état français et son armée, c’est l’ordre qui permet le bon déroulement du business pour leurs entreprises.
Ainsi donc, pour ces diplomates, ambassadeurs de France, dans "le monde où la géographie de la puissance est bouleversée", l’équation est simple : Le bon ordre militaire est celui qui promeut les intérêts de la France. Quel aveu !
Troisième affirmation :
"L’action de la France au Mali, unanimement saluée, a permis de repousser la prise en main du pays par les groupes terroristes. En Centrafrique, son action a évité des massacres de masse et a contribué, aux côtés des forces africaines et dans l’attente de l’opération de l’ONU, à stabiliser la situation.... L’action de notre pays a entrainé ensuite la mobilisation de l’Europe et du monde."
Affirmer que "La France a contribué à stabiliser la situation..." au moment même où selon la Croix Rouge centrafricaine, ce sont au moins vingt personnes qui, autour du week-end du 22 mars, ont péri dans les enclaves dites musulmanes de Bangui, relève du mensonge éhonté. A propos de l’aide des forces africaines soulignée par les ambassadeurs, un récent incident en dit long sur son efficacité et "l’indépendance" des militaires tchadiens. le 29 mars, trois jours après la publication de la tribune dans Libération, un camion chargé de centrafricains "musulmans", exfiltrés de l’enclave PK5 par une colonne de militaires tchadien, a été attaqué par des anti-balakas, les militaires auraient alors tiré dans la foule faisant plus d’une vingtaine de morts.
Dans un radioreportage, diffusé le 30 mars sur RFI, un sénégalais bloqué dans le quartier PK5 à Bangui, considéré comme ennemi par les anti balakas parce que issu d’un pays musulman, criait son désespoir et sa peur d’être tué, appelant même le président Macky Sall à son secours.
On dénombre aujourd’hui plus de 15 000 personnes comme ce sénégalais, encerclées et prises au piège dans différentes enclaves, sur l’ensemble du territoire. Pour les protéger d’une mort promise, ils ne peuvent compter que sur les 2000 soldats français et les 6000 militaires de la MISCA. Sachant l’ampleur de la tâche et les "doutes" qui planent sur le comportement "impartial" du contingent tchadien (4), on mesure à quel point on est éloigné d’une "situation stabilisée".
Tous les acteurs de terrain se demandent au contraire : "jusqu’à quand vont tenir ces enclaves, tant à Bangui que partout ailleurs ?" Human Rights Watch dénonce "la situation insupportable de ces populations. La priorité, c’est de les évacuer, tout en refusant d’accepter le fait accompli du nettoyage ethnique. Ce sont des centrafricains qui, le jour venu, devront pouvoir revenir chez eux." (5)
La situation pour les populations est donc, tout simplement, dramatique ! A ce stade, il convient tout de même de signaler à l’attention de nos quatre diplomates que toutes les informations et alertes sont disponibles et publiques.
Par son action, ils nous disent aussi que la France aurait entrainé l’Europe et le reste du monde. Curieuse affirmation. On se demande, en effet, où et par qui auraient été aperçus, en Centrafrique ou au Mali, des militaires venus d’Europe ou même du reste du monde ?
En Europe, la France a essuyé des refus majeurs, surtout provenant de l’Allemagne. Concernant le reste des pays d’Europe, François Hollande s’est heurté à un niet généralisé. L’argument des européens, à lire entre les lignes, était en substance : " Vous êtes dans votre pré-carré, vous avez, vous, des intérêts à préserver, pas nous ! Alors, débrouillez-vous tout seuls."
Si le reste du monde concerne l’ONU, c’est également raté puisque, comme le disent eux-mêmes les auteurs, "son opération est dans l’attente". S’il s’agit des États-Unis, on connait fort bien le contenu du dernier sommet Obama-Hollande qu’on peut résumer à cette affirmation : "Du Sénégal à la Somalie et tout particulièrement au Mali, au Sahel et en Centrafrique, l’Afrique est le théâtre le plus visible du nouveau partenariat Etats-Unis/France" (tribune libre commune parue dans la presse juste avant le sommet).
C’est à dire :"chacun son job et chacun pour soi !"
C’est donc dans cette situation d’isolement total et de désapprobation que ces gens prétendent avoir entrainé et l’Europe et le reste du monde pour une aventure "unanimement saluée..."
Quatrième affirmation et...conclusion :
"En un mot, dans les crises du Moyen Orient et de l’Afrique, la France s’est affirmée comme une puissance d’entrainement. elle a pris ses responsabilités et a, souvent, convaincu ses partenaires."
La France est seule au Mali où de plus en plus de voix s’élèvent pour exiger qu’elle n’impose pas ses solutions, au seul regard de la défense de ses intérêts propres. En effet, pour beaucoup, les discussions qu’elle mène seule avec certains secteurs de la population, au détriment des autres partenaires, font craindre à terme, un éclatement du pays. Danger déjà souligné par le président malien à plusieurs reprises.
Considérant qu’il serait abusif de faire de la MISCA "le reste du monde", la France est seule en Centrafrique où la situation est proche de devenir incontrôlable aux 2000 soldats de son contingent.
La réalité que ne parviennent pas à cacher, malgré leurs mensonges et leurs omissions, les ambassadeurs de François Hollande est que, chaudement félicitée par Obama pour son rôle de gendarme en Afrique, la France s’oriente désormais, et très clairement, vers une mise en coupe réglée des pays et des régions que lui laissent les Etats-Unis "en gestion".
Dans la défense des intérêts des grands groupes français, François Hollande, marchant de la sorte dans les pas de Nicolas Sarkozy, est maintenant aux pieds de la table des USA, prêt à tout pour profiter des miettes qui tomberont de la nappe.
Une posture qui pose une double question : Jusqu’où ? jusqu’à quand ?
Le 01/04/2014
1/ Tribune dans Libération du 26 Mars 2104, rubrique Rebonds, signée de : François Scheer, Loïc Hennekinne, Daniel Lequertier, Philippe Faure. Ambassadeurs de France.
2/ Voir "François Hollande délégué aux "affaires africaines" février 2014 www.lautrefarique.info
3/ Qu’on se souvienne que, lors de la guerre contre la Libye, "l’opposition républicaine" d’alors, autrement dit le Parti Socialiste, avait voté un soutien total à...Nicolas Sarkozy. Renvoi d’ascenseur pour une politique commune.
4/ Idriss Dhébi, le président tchadien, très "intéressé par la Centrafrique, a fourni à la MISCA le plus gros contingent. Musulmans, les militaires tchadiens ont été accusés, notamment par les anti-balakas, de jeter de l’huile sur le feu.
5/ Peter Bouckaert, responsable Human Rights Watch.
François Charles. le 02/04/2013 in www.lautreafrique.info
Réponse à la tribune "A l’étranger la France tient son rang" in Libération du 26 mars 2014.