il manifesto, éditorial du dimanche 26 juin 2005.
Et maintenant les talibans arrivent en Iran ? C’est encore tôt pour le dire ; parce que, aussi, l’Iran n’est pas l’Afghanistan. Mais quand bien même il en serait ainsi, l’Occident ne pourrait s’en prendre qu’à lui-même. La mémoire historique d’un grand pays reste, et pèse. Et l’Iran n’a jamais oublié, sans aller chercher très loin dans le temps, qui a organisé le coup d’état contre Mossadegh en 53, qui a soutenu jusqu’au bout le régime du Chah Reza Pahlavi, qui a diabolisé (échangé) la révolution de Khomeiny après 79. Maintenant, la victoire, le triomphe même, de l’inconnu Mahmoud Ahmadinejab, le fondamentaliste qui déclare vouloir revenir aux idéaux de 79, sur Hashemi Rafsandjani, le pragmatique qui disait vouloir libéraliser le pays et l’ouvrir à l’Occident ( USA compris), provoque des frissons : de froid à beaucoup et de plaisir à d’autres. Parmi ces autres - évidemment - les masses pauvres iraniennes, dont personne apparemment n’avait tenu compte, préférant en rester aux secteurs liberal citadins, valeureux mais minoritaires.
Autres, sans aucun doute, qui sourient : les groupes de résistance les plus radicaux, éparpillés dans le Moyen -Orient, des palestiniens de Hamas aux Hezbollah libanais, et les secteurs les plus outranciers du fondamentalisme musulman dans le monde.
Mais, par une bizarrerie qui n’est qu’apparente, les plus contents autres à l’heure actuelle sont probablement à Washington. Le Financial Times, insoupçonnable d’anti-américanisme, n’a-t-il pas écrit que les plus durs dans l’administration Bush -les Cheney, les Rumsfeld, les néo et les théo-cons- espéraient une victoire de Ahmadinejab ? Pas difficile de comprendre pourquoi. Bush, qui au-delà des fanfaronnades texanes est en train de perdre la guerre en Irak et commence à souffrir aussi de sa reprise en Afghanistan, a un besoin absolu d’élargir le rayon d’action de sa guerre sans fin « au terrorisme ». Avec ses prétentions nucléaires et son poids en pétrole, l’Iran est, comme la Syrie, le prochain objectif. De l’Amérique ou par Israël interposé. Avec un président fondamentaliste en Iran, beaucoup comptent sur la possibilité de ruptures sanglantes à l’intérieur - avec la « société civile » (le business dont Rafsandjani était le porte-voix, les intellectuels, les femmes, les étudiants) - et à des ruptures extérieures justifiant des actions de force de toutes sortes - des sanctions de l’ONU aux bombardements des sites nucléaires jusqu’à l’exportation de la démocratie manu militari.
En réalité, la victoire d’Ahmadinejab apparaît, avant même encore qu’un retour aux idéaux de la révolution khomeyniste, comme un vote de protestation, et sa présidence n’est pour le moment qu’une inconnue.
De raisons de protester, les iraniens en avaient beaucoup. Pauvreté, chômage et corruption (Rafsandjani était surnommé « le squale ») ; et ce noeud coulant étouffant de l’hégémonie religieuse et fondamentaliste, après les espoirs déçus des réformateurs du président Khatami. Mais les pressions extérieures aussi doivent avoir pesé leur poids dans l’issue du vote. Bush a liquidé les élections iraniennes comme « une honte » et « illégitimes » avant même q’on ne votât. C’est vrai que de nombreux candidats avaient été préventivement épurés par les gardiens de l’orthodoxie mais que cette critique provienne de quelqu’un qui a volé sa première victoire à la Maison Blanche et qui, la deuxième fois, a été élu avec les voix de 25 % de l’électorat, est inacceptable. Et pour soutenir la thèse que l’Iran « n’est pas au même pas que le reste de la région », le porte-voix du Département d’Etat a cité hier... l’Irak, l’Afghanistan, le Liban (et il aurait pu y mettre aussi la Palestine).
La victoire d’Ahmadinejab, qui ratifie le contrôle politique total du fondamentalisme, est, ou peut être, une bombe. On verra rapidement si et comment elle explosera. Mais la première considération à prendre en compte, maintenant, est autre. Et c’est la signification de « démocratie » aux yeux des masses iraniennes - et arabes, musulmanes, africaines, latino-américaines - telle qu’elle apparaît et telle qu’elle a été réduite par les champions démocrates du calibre de Bush et Blair : une marchandise à exporter et à imposer par les armes. Comme toujours et comme quand elle s’appelait colonialisme et impérialisme. La voilà , la première chose sur laquelle nous, l’Occident, nous devrions réfléchir.
– Source : il manifesto ( titre original : La protesta dell’Iran).
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio