Ce silence est le souvenir que je conserve, de la période que j’ai passée dans des services de traumatologie, parmi les blessés, les mourants, les morts. On aurait presque dit qu’ils s’étaient enfui de leur propre corps, et avaient abandonné cette chair ensanglantée sur les lits à roulettes, à des chirurgiens qui étaient prêts à tenter le coup du salut. Par la suite, quelquefois bien plus tard, ils reviendraient peut-être habiter ce que les médecins étaient parvenus à sauver. Ils relèveraient peut-être ces corps, ou ce qu’il en restait, pour les faire marcher à nouveau, ou bien courir, ou encore skier. Peut-être s’habilleraient-ils, trouveraient-ils un emploi, concevraient-ils un enfant. Mais je garde le souvenir des premiers jours, ceux de leur évacuation en urgence, et de leur admission dans un hôpital pour lequel l’expression « silence de mort » semblait avoir été inventée.
Ils se ressemblaient si peu. Plus précisément, ils ressemblaient si peu aux soldats que j’avais vus lors de mon premier passage dans ce pays. À l’époque, ils étaient chauffés à blanc par les événements du 11 septembre 2001, et se déplaçaient avec l’assurance agressive de machos que leur entraînement, ainsi que leur propre façon de se mettre en scène, faisaient planer.
Je me souviens des tout premiers soldats que je vis en Afghanistan. Ce devait être en 2002. À cette époque, un très petit nombre de troupes étaient présentes sur le terrain, en ce pays – la plupart étaient maintenues sur le pied de guerre, mais avec l’Irak en tête, où elles iraient réaliser les rêves de gloire de George W. Bush et Cie – et elles ne tenaient pas garnison à Kaboul, la capitale afghane, mais à la campagne, où leur mission officielle consistait à rechercher Oussama ben Laden.
Je me trouvais dans le nord, dans le stade historique Dasht-e-Shadian, près de la ville de Mazâr-e-Sharif, où j’assistais à un après-midi de bouzkachi, le sport traditionnel afghan dont les rencontres opposent des hommes à cheval, paysans pour la plupart, qui se disputent la possession d’un veau mort. Le stade était célèbre, non seulement parce que les rencontres de bouzkachi les plus disputées du pays s’y déroulaient, mais aussi à cause de ce jour, à l’époque de l’occupation soviétique de l’Afghanistan, où des habitants de la région invitèrent 50 soldats soviétiques à profiter du spectacle à Dasht-i-Shadian, où ils les massacrèrent.
J’étais assise dans les gradins, en compagnie d’amis afghans, lorsqu’une escouade d’étasuniens, en tenue de combat, fit irruption dans la loge des dignitaires, et interrompit la partie. Certains d’entre eux insistèrent pour monter les chevaux. Le seigneur de guerre de la région, qui présidait les jeux, fit signe aux cavaliers afghans d’aider les américains à se mettre en selle. Par la même occasion, ils soufflèrent sans doute à leurs chevaux de s’emballer, pour s’enfuir au galop, en les jetant à terre.
D’une démarche un peu raide, ils refirent à pied le chemin qui les séparait de la tribune d’honneur, ramassèrent leurs fusils, et en firent des tonnes pour tourner l’incident en sujet de rigolade – pour proclamer, haut et fort, qu’ils étaient des « chics types ». Mais les hommes afghans aux visages impassibles, qui composaient l’assistance fournie, avaient pris leur mesure. Un ami me dit une chose que je n’ai jamais oubliée, au cours des années suivantes, alors que j’assistais aux « progrès » de la guerre : « Ils ne savent pas dans quel guêpier ils se sont fourrés ».
Le jour suivant, j’aperçus une autre escouade de soldats étasuniens dans le bazar du centre ville. Au milieu des boutiques, à une heure de grande affluence, ils s’étaient déployés en éventail, en tenue de combat, devant la boutique d’un marchand de tapis renommé, et avaient adopté la position de tir, un genou au sol. Ils pointèrent leurs fusils d’assaut en direction de femmes qui faisaient leurs courses ; vêtues de la burqa blanche de Mazâr, elles étaient clouées sur place, comme autant de fantômes terrorisés. Les Étasuniens assuraient la protection de leur lieutenant, qui se trouvait à l’intérieur de la boutique, à la recherche d’un souvenir à ramener de son séjour en terre étrangère.
Je ne saurais dire exactement à quel moment les militaires étasuniens firent entrer dans Kaboul cette attitude bravache. Mais dès 2004, les Étasuniens se trouvaient là, en armes, derrière les murs de bases urbaines fortifiées ; à l’abri de barrières de béton et de sacs de sable géants, leurs postes de contrôle y arrêtaient la circulation, et interdisaient l’accès aux voies publiques. Leurs convois patrouillaient les rues de la ville à toute allure ; dans les tourelles des véhicules blindés, des mitrailleurs se tenaient sur le qui-vive. Des femmes, à demi-aveuglées sous leurs burqas, amenaient leurs enfants pour les guider, dans le dédale de rues devenues tout à coup dangereuses.
Entrent les guerriers
J’étais venue en Afghanistan pour travailler avec ces femmes et ces enfants. En 2002, j’avais commencé à passer les hivers là-bas ; je parcourais le pays, mais j’étais installée à Kaboul. Des écoles, que les talibans avaient fermées depuis longtemps, ouvraient à nouveau, et je m’étais portée volontaire pour aider les enseignants d’anglais à raviver leurs souvenirs de la langue qu’ils avaient étudiée, puis enseignée, dans ces écoles, avant que le souffle des guerres n’emporte tant de choses. Je travaillais également, en collaboration avec des femmes afghanes et des personnes d’autres nationalités — en petit nombre, à l’époque —, pour faire démarrer des organisations, des services, destinés aux femmes et aux filles que la guerre avait brutalisées, et que l’obligation prolongée de rester chez elles avait hébétées. Elles émergeaient en silence, pareilles à des somnambules, pour constater que la vie, telle qu’elle l’avait connue autrefois, s’en était allée depuis longtemps. La plus grande partie de Kaboul s’était également évaporée, il n’en restait qu’un paysage de gravats, après des années de guerre civile, puis d’abandon par les talibans, enfin de bombardements américains.
Après que les talibans eurent fui ces bombes, les premiers soldats qui patrouillèrent les rues en ruines de Kaboul, furent des membres de l’ISAF, la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité, que les Nations Unies avaient mise en place, afin de protéger la capitale. Turcs, espagnols, britanniques, et autres, flânaient dans le centre ville, coiffés de bérets ou de casquettes – pas de casques, ni d’armures –, et pénétraient dans les boutiques, comme l’auraient fait des touristes ordinaires. Ils garaient leurs véhicules militaires, et permettaient aux enfants de les escalader, autant qu’ils le voulaient. Les Afghans semblaient prendre la présence des soldats de l’ISAF du bon côté, comme si elle leur semblait plutôt amicale, rassurante, quoique discrète.
Puis, les Étasuniens agressifs les supplantèrent. Dans mes classes d’anglais, les enseignants commencèrent à me demander de les aider à rédiger des lettres destinées à l’armée étasunienne, dans lesquelles ils réclamaient un dédommagement pour des amis, des voisins, dont les enfants s’étaient fait renverser par des soldats en excès de vitesse. Une enseignante me demanda, « Pourquoi les Américains se comportent-ils de cette manière ? » ; je n’avais, à l’époque, aucune réponse à lui fournir.
Dans le cadre de mon travail, alors que j’essayais d’obtenir, non pas que justice soit faite, mais que les afghans soient indemnisés, je me retrouvais confrontée de plus en plus souvent à ces soldats. En tant que grand reporter, il était également de mon devoir d’assister de temps à autre aux points presse, concoctés par les théoriciens militarisés de Washington, qui spéculaient sur un monde à venir de marchés libres, dominé par une Amérique propageant la démocratie, et assurant une sécurité sans failles dans ce qu’ils rebaptisaient bizarrement la « patrie ».
Le Pentagone préparait des présentations Power Point, surchargées de graphiques, de flèches, qui indiquaient comment, en fin de compte tout avait un rapport avec tout le reste, en un blablabla circulaire coupé du monde réel. Des subordonnés, en poste à Kaboul, prononçaient ces discours devant des journalistes américains qui prenaient des notes, consciencieusement, pour en faire ces histoires, qui allaient bientôt nous devenir familières, de stratégies et tactiques nouvelles, dont chacune garantissait la réussite de la Guerre Afghane de Washington, malgré le ballet incessant des commandants en chef, dont l’un chassait l’autre, année après année.
Pour les fonctionnaires étasuniens qui s’en étaient retournés à Washington, la guerre était de toute évidence une construction théorique, et la victoire dépendait de la manière d’imaginer ces stratégies gagnantes, ou d’en choisir une parmi celles utilisées lors de guerres précédentes – disons, l’Irak, ou le Vietnam –, avant d’envoyer ces gosses effrontés, ceux que je verrais dans ce stade des environs de Mâzar-el-Sharif, les mettre en œuvre. En résumé, la guerre n’était qu’un plan de développement, codé sous la forme d’une série de graphiques vidéo-projetés. Pour les Afghans, dont la terre servait de terrain de jeux aux guerres modernes, dévastatrices, de Washington, depuis plus de 20 ans, elle ressemblait à tout, sauf à cela.
Franchement, je n’aimais pas les soldats étasuniens qu’il m’arrivait de rencontrer, à cette époque. Contrairement aux troupes de l’ISAF, qui avaient l’apparence de vrais gens, vêtus d’uniformes, les Étasuniens se comportaient comme des Soldats (S majuscule) Power Point, ou, ainsi qu’ils préféraient qu’on les appelle, des Guerriers (G majuscule). Ils ne se comportaient que rarement comme de vrais gens. En premier lieu, on semblait les avoir entraînés à violer l’espace personnel de tout civil ayant l’infortune de les croiser. Avec un bruit sec, ils se mettaient au garde-à-vous à quelques centimètres de votre visage, avant de cracher des phrases qui vous éclaboussaient la chair, récitant une leçon que ne leur avaient pas enseignée leurs mamans.
Avec le temps, cela dit, leur agressivité préenregistrée, mais effrayante, finit par susciter ma sympathie, ma curiosité, mon désir d’en savoir plus sur eux, ce qu’ils avaient été comme ce qu’ils étaient devenus, au-delà des apparences. C’est ainsi qu’à l’été 2010, j’empruntai le gilet d’armes d’un ami, et demandai l’autorisation d’embarquer avec des soldats étatsuniens. À l’époque, le général Stanley McChrystal massait des troupes (et des journalistes) dans le bastion taliban de la province de Helmand, dans le sud-ouest de l’Afghanistan, en prévision d’une épreuve de force affichée comme « décisive » avec les insurgés. Quant à moi, on me donna l’autorisation de me rendre sur une base opérationnelle avancée, qui se trouvait dans le nord-est de l’Afghanistan, à la frontière avec le Pakistan, un endroit où, selon la rumeur, il ne se passait rien. En fait, les soldats américains y « tombaient au champ d’honneur », à une cadence qui prenait leurs officiers par surprise, et les inquiétait.
J’arrivai à un moment où ces officiers s’étaient réfugiés derrière des portes closes, et ne laissaient plus filtrer aucune information – plus d’exposés Power Point pour présenter à la presse (moi), le visage impassible, les estimations des « progrès ».
Pour TomDispatch, j’écrivis un article sur cette base, en y incluant une information qui me valut une avalanche de courriers électroniques scandalisés, de la part des femmes, ou des petites amies, des Guerriers. Ce n’était pas ma description des morts de soldats qui les dérangeait, mais ma remarque concernant la blessure invalidante la plus fréquente sur cette base, à savoir une entorse – conséquence d’un jogging effectué sur le terrain rocailleux d’un désert d’altitude. Comment osais-je proférer pareille horreur, me demandaient ces femmes. Elle rabaissait les grands Guerriers de notre nation. Elle constituait une insulte, à l’égard de tous les Étasuniens patriotes.
Ces courriers m’enseignèrent une chose. Une fois déployés, les soldats des États-Unis n’ont plus le droit d’être de « vrais gens », même aux yeux de celles et ceux qui leur sont le plus chers. Pour leurs petites amies, leurs femmes, qui restent à la maison, seules, et ont des factures à payer, des enfants à élever, ils ne peuvent être que des Guerriers mythiques, dont l’histoire reconnaîtra l’importance, qui vont jusqu’à sacrifier leur propre vie pour sauver la nation. Sinon, à quoi bon ?
Où sont donc passés les soldats ?
Le vrai sens de leur sacrifice est peut-être celui-ci : il signifie que rien n’avait de sens, ni cette guerre choisie, revancharde, ni celle en Irak. Il n’y eut que des gamins en uniformes, dont la plupart, à ce moment, savaient qu’ils n’avaient pas su dans quel guêpier ils se fourraient, et se battaient désormais pour leur survie, ainsi que celle de leurs illusions. Ils arpentaient les rues de la base, deux par deux, compagnons d’armes qui se dirigeaient vers le DFAC (le mess), la blanchisserie, les latrines, le gymnase. Ils passaient leur temps sur internet, ou pendus aux téléphones dédiés à l’international, à la fois entrés en guerre, et sortis de la guerre, jusqu’à l’arrivée des ordres, quelle que fut leur provenance : Washington, Kaboul, Bagram, ou encore la pièce aux rangées de cartes, derrière la porte close du bureau du commandant de la base. Alors, et ceci se produisit quotidiennement, au cours de mon séjour sur la base, des patrouilles devaient effectuer des sorties, à pied ou en voiture, dans les montagnes alentours, sur lesquelles flottaient les drapeaux talibans. Très souvent, à leur retour, il leur manquait des hommes.
Qu’était-il arrivé à ces garçons, qui étaient présents au DFAC, au petit déjeuner ? Morts, ou déchiquetés, victimes d’un tireur embusqué, ou de l’explosion d’une mine antipersonnel, des hélicoptères les avaient évacués vers un hôpital, puis, … quoi ?
Ils se logèrent dans ma mémoire. Un peu moins d’un an après, je n’avais pas réussi à les oublier, et comme, officiellement, je n’étais plus une journaliste fouineuse, mais une chercheuse travaillant pour une université renommée, je sollicitai à nouveau l’autorisation d’être embarquée au sein de l’armée. Cette fois-ci, je demandai à suivre les blessés, qui partaient de ce désert d’altitude baptisé « zone de combat », en direction du service de traumatologie de la Base Aérienne de Bagram, où ils embarquaient à bord d’un C17, en compagnie des équipes médicales qui les prenaient en charge jusqu’au Centre Médical Régional de Landstuhl, en Allemagne – le plus grand hôpital étasunien, hors du pays – avant de les ramener, à bord d’un autre C17, à « Walter Reed », le Centre Médical de l’Armée, à Washington ou, dans certains cas, chez eux.
Au fil des ans, le nombre de gamins qui effectuèrent ce voyage retour vers les États-Unis par pont aérien sanitaire, ne cessa d’augmenter. Costsofwar.com a évalué à 106 000 le nombre d’Étasuniens blessés en Irak et en Afghanistan, ou évacués de ces zones de guerre, pour cause d’accident, ou de maladie. Comme tant de soi-disant « blessures invisibles » ne sont en fait diagnostiquées, qu’après le retour des soldats chez eux, le nombre exact de blessés est certainement bien plus élevé. En témoigne le fait que, depuis Juin 2012, le Ministère des Anciens Combattants a établi un diagnostic de névrose de stress post-traumatique pour 247 000 d’entre eux, ou encore celui que, depuis le 31 Mai 2012, plus de 74 500 anciens combattants de ces guerres aient rempli un dossier de pension d’invalidité, auprès du même Ministère. D’ores et déjà, les contribuables ont dépensé 135 milliards de dollars, sous forme de soins médicaux ou de pensions d’invalidité pour les anciens combattants d’Afghanistan et d’Irak, pensions dont le montant cumulé à long terme, devrait culminer à 754 milliards de dollars, aux environs de 2050.
Et puis il y avait ceux qui étaient « tombés au champ d’honneur », les morts, que des avions-cargos règlementaires rapatriaient à la Base Aérienne de Douvres, dans des « caisses de transfert » métalliques. On les transférait ensuite à la morgue officielle de l’armée, au cours de cérémonies qui furent interdites aux médias, et donc au public, jusqu’en 2009 – ramenés d’Irak, ou d’Afghanistan, on en dénombrait au moins 6 656, en Février de cette année. Au cours de ces deux guerres, ce sont au moins 300 employés du privé, sous contrat avec l’armée, qui ont également trouvé la mort. Ajoutez à cette liste le nombre de suicides survenus après le déploiement, ainsi que celui des soldats ou anciens combattants dépendants aux dérivés de l’opium, dont les Géants de l’Industrie Pharmaceutique ont encouragé la consommation, et que les médecins militaires ont préconisés, soit pour les maintenir en état d’accomplir des missions, soit pour les guérir de leurs « expériences » de guerre, après qu’ils se furent effondrés, psychologiquement.
Cela fait dix ans que les premiers anciens combattants des guerres d’Irak et d’Afghanistan sont rentrés aux États-Unis, c’était en 2003, et pourtant je n’ai encore jamais parlé à un soldat invalide, ou à des membres de la famille d’un soldat, qui aient jugé appropriée, suffisante, la prise en charge dont il ou elle bénéficia, de la part du Ministère des Anciens Combattants. De l’aveu même de ce Ministère, il s’écoule un temps si long avant de parvenir à une décision en matière d’allocations pour anciens combattants, ou simplement pour obtenir un rendez-vous, que certains d’entre eux meurent au cours de cette attente.
C’est ainsi que, depuis leur retour, un nombre incalculable de soldats ont été pris en charge par leurs parents. J’ai rendu visite à une maison des Grandes Plaines dans laquelle, depuis bientôt dix ans, un ancien combattant reste étendu sur son lit d’enfance, où sa mère lui prodigue les soins dont il a besoin ; puis à une autre maison, en Nouvelle-Angleterre, dans laquelle un ancien combattant passa une dernière soirée sur les genoux de son père, avant de se donner la mort.
En suivant la piste des anciens combattants esquintés, afin de pouvoir écrire mon nouveau livre, Ils étaient Soldats : L’histoire secrète des conditions du retour des blessés des guerres de l’Amérique, j’ai fini par comprendre le degré de souffrance qu’eux et leurs familles endurèrent, tout comme les Afghans, à cause des délires – qui enfreignent à la législation internationale, pour nombre d’entre eux – des dirigeants de cette nation, mais aussi d’autres Étasuniens influents, militaires ou non, qui détiennent un pouvoir plus grand que celui des soldats, et qui ont moins de comptes à rendre que les soldats.
À l’image des soldats, ce pays change. Les « amenez-les moi » fanfarons du décideur à l’origine du processus préventif qui finit par engloutir des enfants des pauvres, des patriotes, sont aujourd’hui mis en sourdine. À l’heure qu’il est, en Afghanistan comme en Irak, Washington fait des pieds et des mains pour que le retrait ressemble le moins possible à une défaite voire, pire, à un gâchis inutile. La plupart des Étasuniens ne posent plus de questions sur les objectifs que les guerres devaient atteindre.
Sous le coup de la colère, un officier de l’Armée de Terre, dont la fin de carrière approchait, me donna cette instruction : « Suivez l’argent ». J’avais passé mon temps en compagnie de pauvres gosses, en quête d’un avenir honorable, qui font le sale boulot de l’armée des États-Unis. Ils font partie des 1% les plus démunis de la nation. Mais, comme me le dit cet officier de carrière furieux, « Ils ne font qu’appliquer les ordres ». La guerre est au service des autres 1%, ceux qui sont au sommet, elle est ce grand moteur qui donne l’impulsion au transfert des richesses du Trésor Public vers le haut, où leurs poches ouvertes les attendent. La traque de cet argent révèle la véritable raison derrière le choix des conflits. Selon les propres termes de cet officier désenchanté, les guerres ont rendu ces profiteurs « putain de monumentalement riches ». Les perdants sont les soldats, et leurs familles.
Ann Jones
http://mondediplo.com/openpage/they-didn-t-know-what-they-were-getting-into
Le nouveau livre d’Ann Jones sort aujourd’hui : They Were Soldiers : How the Wounded Return from America’s Wars — the Untold Story, un projet coopératif de Dispatch Books et Haymarket Books. Jones, qui est grand reporter en Afghanistan depuis 2002, a écrit deux autres livres qui traitent de l’impact de la guerre sur les civils : Kabul in Winter et War Is Not Over When It’s Over.
traduction Hervé Le Gall