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Avènement des drones : Pour le pire et pour le meilleur

Les drones, avions sans pilote : une arme redoutable

« Pour moi, le robot est notre réponse à l’attentat-suicide. » Bart Everett, Directeur de la robotique au Centre des systèmes de guerre navale et spatiale de San Diego

Une technologie remarquable de prouesses ; les drones qui ont été utilisés pour semer la mort à distance en appuyant sur un joystick connaissent depuis quelque temps des applications civiles. Les drones (« faux bourdon » en anglais ; UAV, Unmanned Aerial Vehicle) sont des aérodynes télécommandés qui emportent une charge utile, destinée à des missions de surveillance, de renseignement, de combat ou de transport. Les forces armées des États-Unis disposent, depuis les années 1990, de la plus grande flotte de drones en service. Leur nombre et leur rôle vont croissant, complétant ou remplaçant les avions pilotés qui ont vu leur nombre décroître depuis les années 1980 suite à l’explosion des coûts des appareils modernes et plus performants. En janvier 2010, l’inventaire est de 6 819 drones de tout type, dont environ 200 appareils à haute altitude HALE (Predator, Reaper, Global Hawk...), et les états-majors réclament 800 drones à haute altitude pour l’avenir. L’US Navy consacrera par exemple, un budget à ces drones de 2 milliards de dollars américains pour 2013-2015 et qui devrait monter à 7 milliards en 2020. (1)

Kamikaze : le drone du pauvre

Tout le monde a en tête le dévouement des kamikazes japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. L’Occident qui dicte la norme trouve anormal que quelqu’un se suicide pour une cause et en désespoir de cause en emportant la vie d’autrui alors qu’il absout les drones predator. Un problème « éthique » pour justifier l’utilisation du drone pour contrer les attentats-suicides. Dans une contribution précédente, j’avais rapporté une bavure, une de plus. Un article du journal Le Monde avait attiré mon attention, il raconte un cas de conscience d’un militaire américain qui, du fin fond d’une salle climatisée de l’Amérique profonde a décidé de voler la vie d’un enfant à 10.000 km de là en le ciblant « grâce » à un drone prédateur. La façon de faire la guerre a changé totalement depuis que les puissances occidentales ne se font plus la guerre entre elles. La doctrine est celle de « zéro mor t » chez le puissant et le maximum de morts chez l’adversaire Cette technologique infernale concernant la mort est le drone avec des noms qui font froid dans le dos : drone predator, drone furtif, drone reaper (faucheuse). Dans cet ordre, l’histoire que nous allons rapporter est celle d’une bavure parmi des dizaines : « Brandon Bryant était pilote de drone depuis l’Etat du Nouveau-Mexique, il a tué des dizaines de personnes. Jusqu’au jour où il a déclaré forfait. Il suffisait que Brandon presse un bouton au Nouveau-Mexique pour qu’un homme meure à l’autre bout de la planète. Il se souvient très précisément des huit que décrivait le Predator dans le ciel afghan, à plus de 10.000 kilomètres de l’endroit où il se trouvait. Dans le réticule du drone, une maison aplatie en terre, avec une étable pour les chèvres, se rappelle-t-il. Lorsque l’ordre de faire feu tombe, Brandon presse un bouton de la main gauche, Le drone lance un missile de type Hellfire. A cet instant, soudain, un enfant qui court à l’angle de la maison. Brandon voit une lueur sur l’écran- l’explosion. Des pans du bâtiment s’écroulent. L’enfant a disparu. Brandon a l’estomac noué. « On vient de tuer le gamin ? » demande-t-il à son collègue assis à côté. C’est alors que quelqu’un qu’ils ne connaissent pas intervient, quelqu’un qui se trouve quelque part dans un poste de commandement de l’armée et qui a suivi leur attaque : « Non, c’était un chien. » (...) » Voilà ce que vaut la vie d’un enfant ! (2)

Le marché des drones militaires toujours florissant

Yann Rozec analyse la situation des drones militaires : « Si le secteur civil écrit-il, représente le plus fort potentiel de croissance, le marché militaire reste dominant malgré la baisse des budgets de défense. Le marché militaire mondial devrait passer de 6,6 milliards de dollars en 2013 à 11,4 milliards de dollars en 2022 », indique un rapport du Congrès américain. Les Etats-Unis représenteront 62% des dépenses. (...) Autre pays en avance dans le domaine des drones militaires, Israël en est aussi le premier exportateur mondial avec des ventes de 4,6 milliards de dollars, entre 2005 et 2012, soit 1,5 fois plus que les Etats-Unis. De son côté, l’Europe a, non seulement laissé passer l’opportunité de développer un appareil, mais elle connaît également un déficit capacitaire. A l’exemple de la France qui ne possède que quatre drones. Male Harfang d’origine israélienne prévoit d’acheter 12 Reaper américains, pour 670 millions d’euros, dont deux ont déjà été acquis en août (...) Pourtant, le drone présente bon nombre d’avantages pour un coût relativement moindre. D’après la Cour des comptes américaine (Governement Accounting Office), « le montant d’une heure de vol d’un drone serait 18 fois inférieur à celui d’un [chasseur américain furtif] F35. » (3)

Quelle est l’éthique en pareil cas ? Où est la morale ?

Pour Grégoire Chamayou, chercheur en philosophie au Centre national de la recherche scientifique (Cnrs) à Lyon : « Le président des Etats-Unis peut-il faire assassiner un citoyen de son pays ? » Telle est la question que pose l’élimination par un drone, en septembre 2011, d’Anwar Al-Awlaki, un dirigeant américan d’Al Qaîda au Yémen. L’usage de ces engins sans pilote, qui bouleverse les règles de la guerre, ne suscite pas de rejet massif dans l’opinion en Occident, alors que les attentats-suicides apparaissent comme le sommet de la barbarie. » (4)

« Le philosophe Walter Benjamin, poursuit-il, a réfléchi sur les drones, sur les avions radiocommandés que les penseurs militaires du milieu des années 1930 imaginaient déjà. Ce qui les distinguait à ses yeux était moins l’infériorité ou l’archaïsme de l’une par rapport à l’autre que leur « différence de tendance » : « La première engageant l’homme autant que possible, la seconde le moins possible. L’exploit de la première, si l’on ose dire, est le sacrifice humain ; celui de la seconde s’annoncerait dans l’avion sans pilote dirigé à distance par ondes hertziennes. » D’un côté, les techniques du sacrifice ; de l’autre, celles du jeu. D’un côté, l’engagement intégral ; de l’autre, le désengagement total. D’un côté, la singularité d’un acte vivant ; de l’autre, la reproductibilité indéfinie d’un geste mécanique. D’un côté, le kamikaze, ou l’auteur d’attentat-suicide, qui s’abîme une fois pour toutes en une seule explosion ; de l’autre, le drone, qui lance ses missiles à répétition comme si de rien n’était. Alors que le kamikaze implique la fusion complète du corps du combattant avec son arme, le drone assure leur séparation radicale. Kamikaze : mon corps est une arme. Drone : mon arme est sans corps. Le premier implique la mort de l’agent. Le second l’exclut de façon absolue. Les kamikazes sont les hommes de la mort certaine. Les pilotes de drone sont les hommes de la mort impossible. En ce sens, ils représentent deux pôles opposés sur le spectre de l’exposition à la mort. Entre les deux, il y a les combattants classiques, les hommes de la mort risquée. Contrairement au schéma évolutionniste que Benjamin ne suggère en réalité que pour mieux le subvertir, kamikaze et drone, arme du sacrifice et arme de l’autopréservation, ne se succèdent pas de façon linéairement chronologique, l’un chassant l’autre comme l’histoire, la préhistoire. Ils émergent au contraire de façon conjointe, comme deux tactiques opposées qui historiquement se répondent.(..) Drone et kamikaze se répondent comme deux motifs opposés de la sensibilité morale. Deux ethos qui se font face en miroir, et dont chacun est à la fois l’antithèse et le cauchemar de l’autre . » (4)

« Ce qui est donc « gênant », « glaçant », « répugnant », conclut Grégoire Chamayou c’est d’être prêt à mourir dans sa lutte, et de s’en glorifier. Horreur pour horreur, en quoi serait-il moins horrible de tuer sans s’exposer à perdre la vie que de le faire en partageant le sort de ses victimes ? En quoi une arme permettant de tuer sans aucun danger serait-elle moins répugnante que l’opposé ? L’universitaire britannique Jacqueline Rose, s’étonnant du fait que « lancer des bombes à fragmentation depuis les airs, soit non seulement considéré comme moins répugnant, mais aussi, pour les dirigeants occidentaux, comme supérieur moralement », s’interroge : « La raison pour laquelle mourir avec votre victime doit être considéré comme un plus grand péché que de vous épargner vous-même en le faisant, cela n’est pas clair ». Un « anthropologue venu de Mars, ajoute Hugh Gusterson, pourrait remarquer que beaucoup, au Proche-Orient, ressentent les attaques de drones américains exactement comme Richard Cohen les attentats-suicides. Les attaques de drones y sont largement perçues comme lâches, parce que leurs pilotes tuent des gens sur le terrain depuis l’espace sécurisé d’un cocon climatisé dans le Nevada, sans le moindre risque d’être jamais tué par ceux qu’il attaque ». (4)

Tout est là ! Curieusement, les problèmes éthiques des Occidentaux concernent uniquement la perte de contrôle de la machine. Les Américains assurent qu’un être humain aura toujours son mot à dire quand il s’agira d’ouvrir le feu, mais les experts soulignent que superviser des engins pourrait devenir de plus en plus compliqué à mesure que la technologie progresse. On dit qu’il sera toujours possible de débrancher les machines, signalons qu’un robot construit par une firme californienne est non seulement capable de se mouvoir dans n’importe quel environnement mais aussi de trouver et de se connecter lui-même sur une prise de courant...

Les drones civils

Après les drones militaires, une autre révolution est en marche : celle des drones civils. Dans une contribution à ce sujet d’Edward Pflimlin, journaliste et chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), nous lisons : « A cause des restrictions actuelles de l’espace aérien [américain],l’utilisation civile des drones a été extrêmement limitée. [Même si] les drones sont déjà utilisés dans une variété d’applications », selon l’étude de l’Association internationale pour les systèmes de véhicule sans pilote (Auvsi), l’agriculture de précision et la sécurité publique représenteront 90% des usages dans les années à venir. Les véhicules UAV aideront à surveiller les cultures et à répartir les pesticides, améliorant le rendement et réduisant la quantité totale de produits vaporisés. » (5)

« Dans le domaine de la sécurité publique, pousuit le journaliste, ils peuvent seconder la police et les pompiers sur les scènes de crime ou d’incendie. Le FBI, la police fédérale américaine, en a d’ailleurs confirmé l’utilisation, limitée, sur le sol américain. Les drones apporteront également une aide précieuse dans la gestion des catastrophes et la cartographie des feux de forêts. (..) Ou encore dans l’exploration gazière et pétrolière.(...) C’est donc aux Etats-Unis que les perspectives commerciales sont les plus prometteuses. Selon Teal Group, ils représenteront 77% du marché mondial sur la période 2011-2020. (...) Au niveau mondial, le cabinet Teal Group chiffre à 89 milliards de dollars le potentiel du marché civil et militaire sur la période 2013-2022 (12). Comme pour les engins militaires, l’Europe est à la traîne. En France, l’utilisation des drones est désormais encadrée par l’arrêté du 11 avril 2012 de la direction générale de l’aviation civile (Dgac) Même l’Europe est en retard. « L’Europe accuse un sérieux retard sur ce secteur. La dynamique est bien présente et les drones de plus en plus populaires, mais tous les Etats ne sont pas encore prêts à les laisser s’envoler (seuls quatorze de ses vingt-huit Etats membres ont une réglementation spécifique) », indique Eurocontrol, l’organisation européenne pour la sécurité de la navigation (...) « On peut le craindre au vu du retard pris dans ce domaine, d’après une récente étude d’Eurocontrol sur les prévisions de trafic aérien à 20 ans. » (5)

Le premier drone algérien voler bientôt

L’Algérie s’est lancée elle aussi dans la construction de drones. Dans cette industrie hyperfermée, surtout en ce qui concerne le guidage, elle ambitionne de construire un avion sans pilote UAV (Unmanned Aerial Vehicle) dont la conception et la construction ont été lancées en août-octobre 2010, pour un échéancier de réalisation de 36 mois, comporte des composantes embarquées, électronique et informatique, de conception entièrement algérienne. Pour ses caractéristiques techniques, ses concepteurs indiquent qu’une fois opérationnel, il aura une autonomie de vol de 6 heures sur une distance de 200 km et une altitude de 3500 mètres et ce, à partir de son point de guidage et de contrôle terrestre. « Le drone Amel embarquera deux types de caméras, la première affectée au pilotage du drone, la seconde étant réservée à ses missions. Le Pr Hafid Aourag a souligné qu’il s’agit là d’un véritable défi technologique qui vient d’être levé par la jeune équipe de chercheurs algériens qui marque d’une pierre blanche la naissance de la future industrie aéronautique algérienne. » (6)

Dans le même ordre et depuis plusieurs années, l’Arabie Saoudite s’est lancée dans un programme de recherche scientifique en vue, notamment de favoriser un transfert de technologie au niveau international. Constitués de fibre carbone et de fibre de verre, les drones fabriqués sont programmés depuis une salle de contrôle au sol et peuvent échapper à la détection de radar et des équipements de reconnaissance. Ils contiennent également des dispositifs de communication qui permettent de transmettre directement les images et les vidéos à la salle de contrôle. Le montant des investissements dans les nouvelles technologies en Arabie Saoudite est évalué à plusieurs milliards de dollars. Une monarchie saoudienne qui n’hésite pas à investir dans ses régions les plus reculées, comme en 2009, dans la ville de Thuwal, à 80 kilomètres au nord de Djeddah. Les dirigeants du Royaume avaient inauguré une université dédiée à la recherche technologique pour un montant de 1,5 milliard de dollars. Le recteur de cette université, un Singapourien, Choon Fong Shih avait alors déclaré : « Il y a deux ans, il n’y avait que le sable et la mer. Aujourd’hui, c’est l’une des meilleures infrastructures de recherche. » (7)

On le voit, une même technologie peut à la fois être létale et aussi sauver l’humanité par les applications dans le cadre du développement durable. Le monde étant ainsi fait, il faut pour cela se battre pour une technologie respectueuse de la vie. Il n’y a rien de plus angoissant que d’avoir affaire à un adversaire sans visage. On dit bien que la raison s’affole quand elle ne trouve pas d’obstacle. C’est toute une nouvelle philosophie de la guerre celle du zéro mort et celle de morts- morts- sans se battre contre un ennemi visible comme au bon vieux temps des arbalètes et des épées. Il est mal venu à l’Occident de juger ceux qui mettent fin au plus précieux des dons qu’ils ont reçu, celui de la vie pour une cause qu’ils croient juste ; la liberté, la justice des mots qui n’ont plus de sens dans la doxa occidentale.

Chems Eddine CHITOUR

»» http://www.lexpressiondz.com/chroni...

1. Les drones : Encyclopédie Wikipédia

2. Chems Eddine Chitour http://www.legrandsoir.info/les-guerres-intelligentes-du-xxieme-siecle-mercenaires-et-drones-predator.html

3. Yann Rozec, décembre 2013 http://www.monde-diplomatique.fr/2013/12/ROZEC/49975

4. G. Chamayou, 4 2013 http://www.monde-diplomatique.fr/2013/04/CHAMAYOU/49004

5. Edouard Pflimlin, http://www.monde-diplomatique.fr/2013/12/PFLIMLIN/49974
6.http://www.algerie-focus.com/blog/2013/07/premier-drone-algerien-amel-defi-releve-a-sidi-bel-abbes/#sthash.18w89xlE.dpuf

7. L’Arabie Saoudite a produit ses propres drones Oumma.com le 11 octobre, 2013.


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