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L’Article 63, un article qui mérite l’attention.

Dessin de Martirena, Cuba

L’article 63 du Traité fondateur de l’Union Européenne est l’article qui entame la lente et insidieuse prise de pouvoir de l’Union Européenne sur ses États membres. Écrit dans le cadre de l’instauration du marché commun, cet article a bouleversé le rapport de force entre État et entreprises privées, menant petit à petit à la périclitation des économies nationales, aux seuls profits des entreprises privées.

Inconnu du grand public et pourtant si important, cet article s’inscrit dans le même mode opératoire que le marché transatlantique : une collaboration aux bénéfices des grands groupes financiers négociée dans les alcôves opaques des organisations européennes.

Le traité sur le fondement de l’Union Européenne, plus communément appelé « le traité de Rome », est l’accord qui met en place entre les six États membres de l’époque, le marché commun et l’Euratom. Sa ratification a été approuvée par l’Assemblée Nationale le 9 juillet 1957. La ratification du traité ne faisait pas l’unanimité puisqu’il a été l’objet de vifs débats à l’Assemblée Nationale. Les principales considérations qui alimentaient le débat étaient, pour les uns, les dangers à la fois économiques et politiques qu’allaient engendrer le marché commun, et pour les autres, sa nécessité pour dynamiser l’économie française et la faire peser à l’internationale. Voici une petite sélection des arguments en opposition au traité qui, vous le verrez, sonnent très contemporains :

Pierre Cot (PCF)
« Ce ne sera ni l’Europe de la démocratie chrétienne, ni l’Europe social-démocrate qui sortira du marché commun : ce sera l’Europe des grands industriels, des ententes industrielles, des Konzern, de ces cartels dont les industriels allemands et, notamment ceux de la Ruhr, depuis près de trois-quarts de siècle - car ils ont commencé à la fin du dix-neuvième siècle - connaissent magnifiquement le maniement. »

Pierre André (UNION DES INDÉPENDANTS ET PAYSANS)
« Notre pays se trouve placé sous une autorité européenne qui peut lui imposer, au besoin contre son gré, ses lois économiques, ses règlements et ses décisions. Le marché commun établit un mécanisme vaste qui ne tient aucun compte ni de la puissance économique réelle des associés, ni de leurs charges.

Le traité de marché commun ne défend pas l’Europe des Six contre le développement, dont personne n’a parlé, mais qui me paraît cependant inévitable, de toutes les entreprises américaines déjà installées sur le sol de l’Europe.
Enfin, je veux faire remarquer à l’Assemblée Nationale que les traités sont fondamentalement illégaux, parce qu’ils disposent de l’usage et de la propriété de biens qui appartiennent à la nation »

Jacques Duclos (PCF)
« La petite Europe du marché commun n’est pas et ne peut pas être une association des peuples. C’est une sorte de syndicat d’exploiteurs capitalistes ayant à leur tête ceux qui firent surgir Hitler du néant et le portèrent au pouvoir.(...) Si la petite Europe devait être une rivale des États-Unis, ceux-ci seraient hostiles aux traités européens. Or, il n’en est rien. Au contraire la petite Europe est considérée à Washington comme devant être la base économique et militaire du dispositif stratégique que constitue l’O.T.A.N. (…) Avec le marché commun, des capitalistes français, associés aux trusts allemands, réaliseraient sans doute de substantiels bénéfices, mais le déclin économique de la France deviendrait inévitable. Si ce traité était ratifié, les travailleurs français pourraient s’attendre à voir s’aggraver leur situation sur le plan des salaires, de la sécurité sociale, du chômage ».

À la suite de ces débats, l’Assemblée Nationale autorisa la ratification du traité par 342 voix (celles des socialistes, UDSR, une partie des radicaux, le MRP et la droite modérée), et 239 voix contre (celles des communistes, des gaullistes, des poujadistes et l’autre partie des radicaux). (i)

Au-delà du marché commun, les dispositions du traité de Rome portent un coup à la souveraineté nationale puisqu’elles ne donnent plus le choix aux gouvernements nationaux de la gestion de leur politique, notamment économique. L’article 63 est un de ces exemples, en voici le contenu :

Article 63 (ex-article 56 TCE)

1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre (Chapitre IV- Les capitaux et les paiements), toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

En clair, il s’agit d’interdire les gouvernements nationaux de s’interposer face à une entreprise qui voudrait se délocaliser à l’étranger. Autrement dit, les entreprises sont totalement libres de délocaliser leur production vers un pays à la main d’œuvre moins coûteuse, sans que l’État ait son mot à dire.

Le premier élément qui interpelle est que cette disposition concerne non seulement les États membres entre eux, mais aussi « les pays tiers ». La logique européenne aurait été de dire : un état peut se délocaliser librement vers un autre pays membre ainsi les deux états profitent de ce mouvement de capital dans une logique gagnant-gagnant. Or, l’ajout de la mention « pays tiers » signifie qu’il peut s’agir de n’importe quel pays au monde. Donc, non seulement l’État perd les emplois que l’entreprise a délocalisés mais elle perd une seconde fois, puisque la production va revenir dans l’État avec un prix plus compétitif par rapport aux autres entreprises. En conséquence, les bénéficiaires de la procédure ne sont ni les États européens, ni la population mais bien seulement l’entreprise.

L’argument contraire serait de dire que la population est bénéficiaire de cette manœuvre puisqu’elle a accès à un produit moins cher. Or c’est un argument valide d’un point de vue court-termiste. Sur le long terme, on constate que plus les entreprises vont délocaliser plus les autres seront dans l’obligation de délocaliser pour des questions de compétitivité. Ce qui aura pour effet de créer du chômage et donc une baisse du pouvoir d’achat pour les consommateurs, puisque les prix du marché eux n’auront pas baissé. C’est d’ailleurs ce que l’on constate aujourd’hui en France.

Le second point qui nous interpelle à la lecture de cet article 63, c’est qu’il ne défend pas les valeurs morales de l’U.E. Les délocalisations sans restriction amènent les entreprises à s’implanter dans les pays avec la main d’œuvre la moins chère. Or, les pays en question sont souvent ceux qui bafouent les droits de l’Homme en faisant, par exemple, travailler des enfants, ou avec des conditions de travail déplorables pour un salaire de misère, les rapprochant quasiment d’une condition d’esclave.
Au regard seulement de la lecture de l’article plusieurs questions se posent : qui favorise-t-il ? Souhaitons nous continuer d’être les complices de l’enrichissement des entreprises privés, aux dépends de la population européenne et mondiale ?

Nous en sommes tous les témoins quotidiens, l’économie se dégrade et par la même occasion la cohésion sociale se détériore. Le taux de chômage n’a jamais été aussi élevé, l’INSEE enregistrait un taux de chômage de 3,5% en 1975 et ce même taux est proche de 11% aujourd’hui. L’indice IPI (Indice de la Production Industrielle, qui mesure les variations des quantités produites dans l’industrie (ii) ) n’a jamais été aussi bas. L’INSEE nous dit qu’en 1975, l’IPI était de 107,6, aujourd’hui il est tombé à 72,5.

Une fois de plus, on le constate tous les jours, les délocalisations engendrant des fermetures d’usines n’ont jamais été aussi nombreuses (PSA, Renault, Doux, Arcelor Mittal …). Aux vues de ces quelques statistiques, est-il tiré par les cheveux de faire un lien entre celles-ci ? Je laisse la réponse à votre libre interprétation.

Les hommes politiques français, conscients du haut de leur tour d’ivoire de la dégradation générale de la France, sortent les uns après les autres les solutions miracles. On peut même observer les gesticulations du ministre du redressement productif, Mr. Montebourg, pour sauver une poignée d’emplois, mais ça ne vous a pas échappé, il est impuissant. Et d’ailleurs, impuissants, il le sont tous, puisqu’il faut le rappeler, l’article 63, qui autorise ces délocalisations sauvages, est issu d’un traité européen, il bénéficie donc d’une supra constitutionnalité. Il est supérieur au droit national des Etats membres. Écoutez donc d’une oreille plus attentive ce que vous disent les politiciens et vous verrez qu’ils vous mentent purement et simplement puisqu’il n’est pas de leur ressort de faire quoi que ce soit.

Imaginons que les politiciens français soient déterminés à réviser cet article et que l’ensemble de la sphère politique se soit mise d’accord sur un projet, voici la procédure qu’ils devraient suivre.

Dans un premier temps, il faudrait que le Parlement français soumette ce projet de révision au Conseil européen (réunissant les exécutifs des États membres). Ensuite, le Conseil européen devrait consulter le Parlement européen et la Commission européenne. Puis, le Conseil européen pourrait voter le projet sachant que l’unanimité serait requise pour être adopté. Et enfin, son entrée en vigueur se ferait après l’approbation des États membres (iii). Comme vous pouvez le constater, il s’agit d’une procédure longue et fastidieuse. Une autre solution est possible, il s’agirait de saisir l’article 50 du traité de Lisbonne et de se retirer de l’UE. Je vous renvois aux nombreuses conférences de Monsieur Asselineau disponibles sur internet pour plus de détails.

En conclusion, ce qu’il faut retenir de l’article 63 du TFUE, c’est qu’il est l’illustration parmi tant d’autres de la croissante domination du pouvoir des grandes entreprises privées sur la politique européenne. Les méfaits de son application, déjà soulignés à l’époque par quelques députés français, sont désormais une réalité. L’influence des lobbys à Bruxelles est considérable, et la marge de manœuvre des gouvernements nationaux en est de plus en plus réduite. Les délocalisations rendues légales par l’article 63 ont plongé les pays européens dans un cercle vicieux que seule un action globale pourrait arrêter.

Margaux Hoor

i http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/traites_de_rome/sommaire.asp

ii http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/indice-production-industr.htm

iii http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/fonctionnement/enjeux-reformes/comment-traite-lisbonne-pourra-t-il-etre-revise.html

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(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer and Herbert M. Morais, NY, 1955/1979.)

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