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Omar : un film palestinien.

Un film palestinien est toujours un événement et même un miracle. Mais, une fois distribué, il n’est pas encore tiré d’affaire : il doit affronter les réactions des critiques, parfois systématiquement négatives, et même celles qui semblent sympathiques méritent souvent d’être interrogées, tant elles sont accompagnées de réserves.

Un miracle, oui, au milieu de toutes les sorties de films israéliens ou en coproduction israélo-européenne, et surtout s’il s’agit d’un film vraiment palestinien. Les films ventriloques (tel 5 Caméras brisées), où des Israéliens font parler des Palestiniens, ne peuvent pas être considérés comme exprimant le point de vue palestinien. Or, faute d’une telle expression, l’opinion publique, ou plutôt sa version médiatique, se déplace de plus en plus vers la vision israélienne.

Les organisations humanitaires, non plus, ne peuvent prétendre se substituer aux Palestiniens pour exprimer leurs positions et leurs objectifs. Ce qu’elles considèrent comme juste et raisonnable s’inscrit dans un cadre et des limites qui ne sont pas ceux des Palestiniens, qu’elles cherchent à encadrer idéologiquement. Leur action est bien sûr positive, mais en échange elles les rendent dépendants de la protection et du discours occidentaux , sans apporter de solution. Il n’y a pour les Palestiniens d’autre espoir que de reprendre les terres dont ils ont été spoliés.

Il est vital pour eux de pouvoir exprimer directement leur vision de la situation : Omar est donc une bonne nouvelle, d’autant plus qu’Hany Abu -Assad a tenu à ce que tous les collaborateurs du film soient palestiniens et que, tout aussi important, même le capital, dans cette entreprise, est presque à 100% palestinien. Ce qui pourrait soulever un autre problème : les producteurs d’Omar sont des hommes d’affaires, et Abu-Assad annonce qu’il veut faire un cinéma grand public ; le risque serait d’aboutir à des comédies simplement agréables, comme certains films de Palestiniens des Etats-Unis. Mais nous n’en sommes pas là, le but est de sensibiliser à la cause palestinienne un plus grand public, et c’est ce qu’Elia Souleiman a déjà essayé de faire dans son dernier film, plus "facile", Le Temps qu’il reste, pour donner une version palestinienne de l’histoire de la Palestine, depuis la Catastrophe, c’est-à-dire la création d’Israël.

Aussi, dans Le Monde, J. Mandelbaum reproche-t-il à Abu-Assad d’avoir pris parti : on croit rêver ! Reprocher à un Palestinien de prendre parti pour la Palestine, une Palestine occupée, harcelée, asphyxiée par Israël ! On voit ici les effets de cette situation où tout le panorama médiatique (ou peu s’en faut) est occupé par des porte-parole d’Israël, qui finissent par faire prendre son point de vue pour le point de vue objectif, celui de qui "ne prend pas parti". C’est ainsi qu’on a présenté Le Cochon de Gaza, film caricatural, haineux et insultant pour les Palestiniens, comme une comédie pleine de bonne humeur et humaniste !

Une autre critique (Eva Cahen) voit dans Omar un film caricatural où "tous les Israéliens sont des salauds et tous les Palestiniens des martyrs" ; et elle refait le film à sa façon : Abu-Assad aurait plutôt dû mettre au premier plan l’histoire d’amour individuelle (d’autres critiques le félicitent au contraire de l’avoir fait !) et montrer ce qui rassemble les hommes, et non ce qui divise. Elle trace ainsi le schéma type du film israélien sur le conflit israélo-palestinien, dont l’humanisme consiste à mettre en parallèle bourreaux et victimes, par la raison que tous les hommes ont les mêmes problèmes (Abu-Assad déjoue ce stratagème en montrant un policier israélien confronté au problème de trouver quelqu’un pour aller chercher sa fille à l’école, puis reprenant aussitôt son travail de répression) et que les individus peuvent toujours se comprendre malgré "l’absurdité des guerres" (cette expression doit aussitôt faire tiquer : les guerres sont tout sauf absurdes, elles ont des causes très concrètes, comme en avait la création d’Israël au milieu des pays arabo-musulmans). Au lieu d’Omar, elle semble parler des Citronniers, d’Eran Riklis, qui suit en effet ce schéma : la Palestinienne dont le jardin est menacé d’expropriation par le Ministre de l’Intérieur israélien mène une lutte individuelle et fait confiance aux tribunaux israéliens ; en face, la femme du ministre a aussi ses problèmes : elle est victime du caractère despotique de son mari : Israéliennes et Palestiniennes, même combat contre les mâles arrogants ! A la fin, le Ministre se retrouvera seul dans sa propriété comme Salma dans son bout de jardin : pourquoi le film ne va-t-il pas au bout de sa logique en suggérant une idylle entre les deux coeurs solitaires ? Mais l’auteur est assez cynique pour dénoncer la dureté des coutumes musulmanes qui obligent les femmes à rester enfermées dans leur veuvage (comme un critique dénonce le "schéma conjugal" dans lequel s’enferme Omar) : que les veuves palestiniennes invitent des Israéliens dans leur lit et le problème sera résolu pour le plus grand plaisir de tous ! Mais les Palestiniens sont attachés à des valeurs archaïques : fidélité, honneur, dignité...

Mais même les critiques positives peuvent avoir des arrière-pensées : dans celle de Thomas Sotinel (Le Monde), un mot, dans le titre, surprend : "Omar, un thriller nerveux et gracieux" ; pourquoi "gracieux" ? qu’entend-il par là ? mignon ? curieuse épithète, pour un film qui est en fait une tragédie ! N’est-ce pas une façon de désamorcer le film, de le présenter comme un simple divertissement (d’autres critiques ont choisi cette optique) ? Peut-on penser qu’il a donné à ce mot son sens plein, religieux, et qu’il a voulu dire que le film était porté par la grâce ? Je ne suis pas sûre de cette interprétation.

Et que penser de l’appellation thriller ? Il y a certes une intrigue policière : qui, du groupe de quatre amis, trahit ? Et les courses-poursuites entre ninjas israéliens et jeunes Palestiniens donnent au film un rythme haletant : Omar est un virtuose du "parcours" : il escalade et saute par-dessus tous les obstacles. Abu-Assad ne s’interdit même pas les gags : ainsi, lorsque Omar pousse une porte et ferme soigneusement le verrou, sous les yeux d’une famille éberluée, mais dont le père lui désigne l’autre bout de la pièce, où la mère a déjà ouvert la porte de derrière, par laquelle il s’engouffre aussitôt. Amusant, oui, mais aussi émouvant : comme dans la casbah du film de Pontecorvo, La Bataille d’Alger, les résistants peuvent compter sur la solidarité de tous les habitants.

Car ce thriller sert à faire passer un message, une analyse grave de la situation des Palestiniens : ils ne sont pas occupés seulement physiquement, (Omar, comme tant d’autres, passera par la case prison et la case torture), mais, plus perversement, psychiquement. On peut y voir un mécanisme intérieur : Elia Souleiman, dans Intervention divine, montrait comment l’occupation et l’absence d’avenir dégradaient les relations entre Palestiniens et même à l’intérieur des familles : que peut-on se dire quand on a épuisé la colère et l’indignation et qu’on est accablé par l’humiliation ? Seule l’action ouvre encore une issue, même si elle est désespérée : elle vous rend du moins votre dignité. Et on peut remarquer qu’ici il n’y a plus de débat sur la moralité de l’action de résistance (d’autres l’appellent : terroriste) ; dans Paradise now, ce débat fournissait une scène d’anthologie, où deux personnages échangeaient leurs arguments, tout en conduisant à un train d’enfer, dans une course contre la montre pour retrouver le garçon porteur d’une ceinture d’explosifs. Ici, l’engagement est une évidence : en prison, Omar consulte une avocate israélienne qui lui répond qu’il encourt une peine de 90 ans minimum, et qu’il n’y a rien à faire, tant qu’Israël occupera la Palestine.

Mais l’occupation psychique est aussi une stratégie de la part d’Israël : dans la situation de détresse des Palestiniens, il devient facile de recruter des traîtres, et la peur du traître devient omniprésente. Il y a ainsi dans Omar un aspect Crime et Châtiment : le jeu du chat et de la souris de l’agent secret responsable de l’action psychologique avec Omar. C’est un jeu de séduction - mais qui repose sur la torture. Le couple du méchant flic et du bon flic est un classique de toutes les polices : après avoir été torturé, Omar passe entre les mains du psychologue, qui essaie d’en faire un mouchard : après l’humiliation physique, l’avilissement moral par la recherche de protection auprès du bourreau compatissant. Mais la force du personnage d’Omar, c’est qu’il ne paraît jamais accablé : même dans sa situation de souris prise au piège, il garde toujours la tête haute, le regard droit et la conviction de pouvoir retourner la situation (dans ce sens on peut bien dire qu’il est porté par la grâce). Il a pour cela une bonne raison, c’est qu’il a fait le sacrifice de sa vie ; dans ces conditions, l’esclave peut toujours finir par s’affirmer comme le maître.

En retournant la stratégie de la séduction contre le bourreau, Omar parviendra à rester fidèle à ses valeurs, ce qui est la plus grande victoire que les Palestiniens peuvent espérer remporter aujourd’hui : surmonter ensemble la stratégie d’avilissement qu’applique Israël en essayant de casser leur volonté, et de les amener à des compromissions qui fasse d’eux des prisonniers psychiques et des esclaves.

La stratégie définie par Genet dans Un Captif amoureux, remporter sur Israël la victoire de la beauté, est réalisée par Omar : beauté des Palestiniens, beauté morale du héros, beauté du film, par exemple lorsque Omar, enfermé au secret et dans l’obscurité, arrive à tenir en observant les fourmis, et, comme il le dira à sa fiancée,en parlant avec elles. Les films palestiniens sont humanistes parce qu’ils nous offrent une leçon de volonté, de dignité et d’espoir malgré tout.

Rosa Llorens

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