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Masculin/Masculin : y a-t-il encore une place pour les femmes dans la culture unigenre ?

Même si le musée d’Orsay annonce "un projet innovateur et très ambitieux", les critiques ne semblent pas enthousiastes : "une exposition confuse, parce que dépourvue de toute réflexion historique" (Le Monde), "L’homme nu en mal de sens" (Exponaute), "Dans ce festival de fesses, les oeuvres académiques, hélas, abondent" (Télérama).

La visite a de quoi, en effet, laisser perplexe ; mais on peut, derrière les déclarations affichées, y saisir quelques fils conducteurs, religieux, socio-historique, anti-féministe, qui confirment le rôle que joue aujourd’hui l’homosexualité en tant que nouveau chien de garde.

La première question qu’on se pose porte bien sûr sur le but d’une telle exposition : la présentation officielle insiste sur "les dimensions et les significations du nu masculin dans l’art". Est-ce vraiment une entrée féconde ? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle ne parvient guère à englober de belles oeuvres ; elle aboutit plutôt à un musée des horreurs pompier, où on nous promène de Bouguereau et Flandrin aux kitschissimes Pierre et Gilles, et à une sorte de réalisme "homo-soviétique" avec Le Bain de Paul Camus et ses deux garçons nus dans une salle de bain, se lavant "après l’amour" (nous informe le commentaire).

Peut-on prendre au sérieux cette volonté pédagogique ? Difficile de s’imaginer conduisant une classe dans cette exposition ; du reste, on peut lire, avant une des dernières sections, un avertissement, assez discret, mais très pertinent : "Attention, certaines oeuvres présentées dans cette section de l’exposition sont susceptibles de heurter la sensibilité du jeune public." (Une visiteuse se félicitait de ne pas être venue avec son fils, ni, d’ailleurs, avec son mari).

Mais c’est toute l’exposition qui dément le prétexte pédagogique : comment s’interroger sur "les dimensions et significations...", etc, alors qu’elle suit une ligne de confusionnisme décidé, encadrant savamment un tableau religieux (le Christ après la déposition) par des corps d’éphèbes langoureux, ou quelques auto-portraits électriques d’Egon Schiele par des photos érotiques ? Nous sommes volontairement égarés le long d’"un parcours thématique aux intitulés interchangeables" (selon l’expression d’Exponaute).

Certains regrettent que l’exposition n’assume pas ce qui est sa véritable finalité : l’exaltation du corps masculin, vu dans le cadre d’un imaginaire homosexuel. Cependant, malgré un saupoudrage d’oeuvres strictement académiques (comme Les Baigneurs de Cézanne), cette orientation est évidente et trouve son "apothéose" dans les photos de grand format aux couleurs fluo de Pierre et Gilles et de David LaChapelle.

Cette exaltation produit-elle du moins des effets subversifs, comme elle voudrait le faire croire ? Les panneaux explicatifs évoquent une épopée dont l’enjeu serait la représentation sans voiles du sexe masculin ! cette lecture héroïque occulte des réalités plus sérieuses.

D’un bout à l’autre de l’exposition, s’affirme une volonté cynique de dégrader tout ce qui est religieux, commune aujourd’hui à toute l’industrie de la propagande (à commencer par la publicité). De chaque tableau religieux, on nous invite à ne retenir que la représentation de la (semi-)nudité masculine et à le considérer comme une préparation aux tableaux ou photos modernes ouvertement homo ; ainsi du thème de l’Ecce Homo, qui aboutit à l’Ecce Homo (version an 2000) de Kelinde Wiley, où un Noir dévoile tendrement un autre Noir qui regarde le spectateur : que peut-il bien avoir à nous dire ?

On sait que le thème du Saint Sébastien a souvent donné lieu à des tableaux ambigus, avec des martyrs trop beaux qui, selon une lecture psychanalytique, reçoivent avec volupté les flèches qui les blessent. Mais les peintres et photographes homo prennent cette lecture au pied de la lettre, et on voit, dans l’Ex-voto à saint Sébastien, d’Alfred Courmes, un jeune marin d’une esthétique Jean-Paul Gaultier, en béret à pompon, et marinière qui met en valeur ses fesses nues. Et on termine l’exposition sur une toile gigantesque, L’Ecole de Platon, de Jean Delville, où Platon est représenté comme un Christ entouré de 12 jolis disciples androgynes.

Mais le comble de l’odieux est atteint avec une des photos-tableaux vivants de LaChapelle : Wouldbe Martyr and 72 Virgins, où un beau Gulliver noir est ficelé par 72 poupées Barbies voilées, sur un sol jonché de pierres, de cocktails molotov et d’un bazooka : la prétendue transgression homosexuelle sert à reconduire les pires clichés de la presse bien-pensante, avec son association obsessionnelle entre Islam, violence et fanatisme (le terroriste dont la seule finalité serait de goûter au Paradis d’Allah !).

Malgré l’esthétisme de l’expo, le contexte socio-historique ne peut pas être occulté, sous peine d’ aboutir à l’apologie de comportements jugés "élégants" à l’époque symboliste mais qu’on doit aujourd’hui qualifier de criminels. On s’extasie sur le Jeune Homme au bord de la mer de Flandrin (1836) et la communion de l’homme et la nature qu’il traduirait ; mais, une section plus loin, on apprend que le tableau était devenu une icône dans "les cercles homosexuels de l’avant Première Guerre mondiale" ; on revient alors sur une photo de Wilhelm von Gloeden, Nu masculin à Taormine, qui représente un jeune berger en pagne, dans la même position foetale, et on comprend que ce photographe faisait partie de ces riches Européens du Nord qui allaient chercher dans les pays méridionaux et maghrébins des amours homosexuelles bon marché, tel Gide en Algérie. La décontextualisation esthétisante vise à nous faire oublier l’exploitation sexuelle des pays colonisés.

Dans la même veine, un critique qui trouve que l’expo ne va pas assez loin dans l’exhibition du sexe masculin et son activité, cite comme un exemple d’audace la danse érotique et le sexe enrubanné d’un jeune noir dans Paradis : Amour, d’U. Seidl ; mais il ne pense pas à le resituer dans le contexte de l’exploitation touristique, y compris sexuelle, du Kenya.

Mais, parmi tous les exclus de l’expo, il faut citer aussi les femmes : "du désir féminin, il n’est quasiment jamais question", remarque Exponaute ; en fait, les artistes femmes présentes ne font qu’aller dans le sens des fantasmes homoérotiques, de façon parfois encore plus crue (c’est en cela que consiste un certain porno-féminisme). Et cette absence va beaucoup plus loin : l’exposition nous enferme dans un univers d’où les femmes sont exclues, parce qu’on n’a plus besoin d’elles. Le dernier fil conducteur de l’expo semble être que les hommes les remplacent avantageusement dans tous les domaines.

Sur le plan esthétique, d’abord, un des panneaux explicatifs nous fait savoir, d’emblée, que le corps masculin, plus ferme et musclé, a l’avantage. Ce que confirme la photo Pin-up. Jennifer Miller as Marilyn Monroe, de Zoé Léonard, où un transsexuel s’étire voluptueusement sur un tissu rouge, montrant en effet des courbes dignes de Marylin ! De même, Pierre et Gilles remplacent le mythe de Léda (fécondée par un cygne) par celui de Ganymède, où le bel éphèbe câline son aigle.

Sur le plan sexuel et affectif, aussi, on voit les photos de couples masculin/masculin se multiplier. Mais on va plus loin : les hommes peuvent aussi remplacer les femmes dans leur fonction de maternité, et en tant que symboles de fécondité. Ainsi, George Platt Lymes montre, dans un montage-photo, une Deuxième naissance de Dionysos. Certes, c’est un thème mythologique, mais, tandis que, dans l’iconographie classique, Zeus garde toute sa majesté, ici, au moment où le petit Dionysos sort de sa cuisse, il se tord dans les douleurs de l’enfantement - fantasme homosexuel illustré, mais sur un mode grotesque, par Malaparte, dans La Peau.

On peut aussi citer le tableau de Lucian Freud : Parties de Leigh Bowery, sorte de réplique parodique à L’Origine du monde, où le sexe masculin remplace le sexe féminin. (Le thème est aussi décliné par une artiste, Orlan, où la même image est intitulée : L’Origine de la guerre, ce qui conduit à se demander jusqu’à quand on va continuer à iconiser ce tableau de Courbet, qui avait d’abord trouvé sa place dans un harem égyptien).

Curieuse présentation que celle de l’exposition, où le sous-titre savant et objectif - le nu masculin dans l’art- est contredit par l’enfermement et le prosélytisme du titre- Masculin / Masculin (l’exposition de Vienne qui a servi de modèle était plus directe : Nackte Männer, Hommes nus). La glorification du corps masculin y apparaît comme une cause héroïque à défendre : auprès d’elle toute culture et croyance religieuses deviennent dérisoires, et elle doit passer avant les luttes de libération des peuples. Enfin, en intégrant ce qu’il y a de plus contestable dans la vision de la femme (la réduction de la personne à un corps-objet érotique) et en s’annexant ses spécificités, elle exclut les femmes de façon radicale.

Rosa Llorens

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