![Les FARC, la gauche et les réformes électorales](local/cache-vignettes/L212xH250/arton21620-6f093.jpg?1683805810)
Colombie
J’ai atterri dans cette capitale grâce au Programme de placement professionnel des Nations unies financé par l’Agence canadienne de développement international, alors que s’étaient amorcées les négociations de paix de « La Havane » entre les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et le gouvernement de Juan Manuel Santos, cherchant à mettre fin à plus d’un demi-siècle de guerre civile. Parallèlement, une évolution historique tout aussi intrigante, quoique moins médiatisée, est en cours : celle du paysage électoral. Je travaille avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et l’un de nos mandats consiste à appuyer et promouvoir ces changements politiques majeurs et nécessaires.
La cause principale de cette transformation : l’entrée en vigueur de la loi 1475 de 2011 favorisant la réforme des partis. Elle introduit une panoplie de nouveaux règlements électoraux visant à niveler le terrain politique, à diminuer l’étourdissante corruption et à rendre perméable l’arène politique.
Parmi les mesures les plus importantes, on retrouve un quota minimum de 30 % de femmes candidates au sein des partis politiques, un régime de sanctions disciplinaires imposées à la haute direction des partis visant à diminuer la corruption et la participation de membres à la réputation entachée et l’augmentation du minimum de votes nécessaire, de 2 à 3 %, afin de conserver l’identité de parti politique ou personería.
Bien que cette réforme suppose la perméabilité du jeu politique, plusieurs lacunes persistent, enracinées dans la culture politique du pays. Prenons l’exemple du quota d’inclusion de femmes candidates. Il représente, à n’en pas douter, un grand pas vers l’avant en termes d’équité entre les sexes, mais il ne garantit en rien l’élection de ces dernières. Cela est en partie dû au fait que le vote est préférentiel, c’est-à-dire que pour chaque siège, l’électeur choisit parmi la liste des candidats du parti celui qu’il préfère voir à ce poste. Malheureusement, les femmes sont souvent perçues comme inaptes ou peu instruites en politique et plusieurs partis sont même allés jusqu’à attribuer leur récente défaite à cette inclusion forcée.
Cependant, c’est probablement dans l’augmentation du seuil minimum que l’on sent le plus de réticence de la part des partis. Ce seuil équivaudrait à un minimum de 420 000 votes si le niveau de participation espéré de 14 millions d’électeurs est atteint lors des prochaines élections. À titre de comparaison, un parti fédéral canadien ne doit obtenir qu’un minimum de 250 membres électeurs pour être enregistré. Cinq des 12 partis possédant la personería sont en péril en 2014, et ce, même s’ils s’appuient sur plusieurs élus municipaux et nationaux. Ces derniers protestent d’autant plus fort, sachant qu’un nouveau joueur, affilié aux FARC et ne faisant pas le quota, s’est vu offrir la personería tout récemment.
L’Union patriotique (UP)
Les négociations de paix ne sont pas une nouveauté dans cette guerre civile vieille de cinquante ans.
C’est en 1985, lors des pourparlers de paix dits « de La Uribe » entre les FARC et le gouvernement de Belisario Betancur, que se créa l’Union patriotique (Unión patriotica). Ce stratagème diplomatique permit l’inclusion et la participation légale en politique de différents groupes armés démobilisés réunis sous une même bannière et jouissant de l’appui du Parti communiste.
Alors même qu’il tentait de s’éloigner des mouvements révolutionnaires et de s’identifier comme un mouvement d’intellectuels, tout en conservant l’extrême gauche du spectre politique colombien, l’UP fut victime d’un politicide de grande envergure. Le massacre fut d’une telle ampleur (les sources estiment entre 2000 et 5000 assassinats de militants, dont 7 congressistes, 13 députés, 69 conseillers et 13 maires), qu’en 2002, l’UP perdit la personería, faute d’avoir satisfait au standard minimum.
Le 1er juillet dernier, les négociations de paix de « La Havane » entrèrent dans leur 10e phase, abordant l’inclusion des FARC dans l’arène politique. Bien que le résultat des négociations ne soit pas rendu public, aux yeux de plusieurs observateurs, on constate d’étranges coïncidences.
Par exemple, à peine une semaine suivant le début de cette phase, le Conseil d’État (Consejo de Estado) a reconnu que le Conseil national électoral (CNE) avait outrepassé ses fonctions en 2002 en retirant l’UP du jeu, lui redonnant ainsi la personería, sans préavis, juste à temps pour lui permettre de participer aux élections de 2014, dont les inscriptions auront lieu dans moins de quatre mois.
Onde de choc
Cette nouvelle crée une onde de choc sur la scène politique. Quelques partis menacés de disparaître trouvent cette décision injuste et certains sont même doublement menacés. C’est le cas du parti Option citoyenne (Opción ciudadana), ci-devant Parti d’intégration nationale, qui s’efforce tant bien que mal de se réformer et de se détacher de ses racines paramilitaires, exemple parfait de ce que l’on appelle ici la parapolitique. C’est aussi le cas du Pôle démocratique alternatif, ou Polo, qui bénéficiait jusqu’à présent d’une niche propre et était pratiquement le seul parti de gauche, les Verts se logeant plutôt au centre.
Qu’adviendra-t-il de ces partis ? Uniront-ils leurs forces pour survivre ? Allons-nous assister à une fusion des partis de gauche dont le noyau sera une entité associée à la guérilla ?
Les améliorations qu’apporte la loi 1475 sont fondamentales, mais il est nécessaire qu’elles s’accompagnent à la fois de changements dans la culture politique et qu’elles tiennent compte de la conjoncture, que l’on sait présentement très fragile. La disparition d’une portion de l’opposition est inquiétante et va à l’encontre de l’idée générale de cette réforme.
De plus, les rumeurs veulent que suite à des tensions au sein du mouvement « uribiste », l’ex-président Uribe et ses partisans cherchent à défaire le président Santos aux prochaines élections. Si tel est le cas, l’alliance Union nationale pourrait être en péril. Cette alliance, regroupant cinq partis et représentant plus de 90 % des congressistes, est cruciale pour l’exécutif, car elle permet une coalition d’appui des partis d’opposition envers la présidence et son programme, principalement concentré sur les thèmes de paix.
Joël Paré-Julien - Consultant professionnel junior auprès du PNUD à Bogotá, en Colombie | Actualités internationales
Le Devoir - 30 juillet 2013