RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

La Belgique mène encore la danse au Congo

Après avoir vécu 18 ans en Belgique, il m’a paru opportun de me pencher sur son passé colonial qui est peut-être encore son présent. Mes recherches n’en sont qu’à leur début, mais une chose est évidente : les hauts responsables belges se comportent encore comme s’ils tiraient les ficelles au Congo.

L’hebdomadaire Marianne vient de publier les noms de 10 personnes impliquées dans l’assassinat de Patrice Lumumba, le premier des premiers ministres congolais depuis. Cette liste, établie par les membres de la famille Lumumba dans le cadre d’une plainte en justice déposée à Bruxelles il y a deux ans, comporte le nom d’Étienne Davignon, ancien membre de la Commission européenne et membre du groupe de Bilderberg, cercle restreint en faveur de la globalisation des marchés. Davignon travaillait au ministère belge des Affaires étrangères à l’époque de l’assassinat de Lumumba et transmit alors un télégramme recommandant la « mise à l’écart » du premier ministre.

Aujourd’hui octogénaire, Davignon reste un lobbyiste de haut vol du milieu des affaires. Sa présence sur la liste établie par les héritiers de Lumumba m’a amené à voir si ses activités commerciales actuelles avaient encore à faire avec le Congo. La réponse est manifestement : oui !

Davignon est répertorié par le Business Week comme ancien titulaire des fonctions de directeur et vice-président d’Umicore, société minière anciennement connue sous le nom d’Union Minière du Haut-Katanga qui avait entrepris dès le début du vingtième siècle l’exploitation des fabuleuses richesses minérales du Congo. Davignon a aussi d’excellents contacts avec Jean-Luc Dehaene, inusable premier ministre belge, également membre du conseil d’administration d’Umicore.

Patrice Lumumba avait eu l’audace de prétendre que les richesses du Congo devraient d’abord bénéficier à ses enfants. C’était en juin 1960. Cinquante-trois ans plus tard, le sous-sol de la province du Katanga est toujours exploité pour le plus grand bénéfice d’Umicore. Il y a de bonnes chances pour que mon smartphone, ou le vôtre si vous en avez un, contienne des minerais d’origine congolaise. Umicore s’approvisionne en Cobalt auprès des mines et creuseurs du Katanga pour alimenter le marché des batteries, ordinateurs, voitures et produits chimiques. Umicore se targue de détenir avec une autre firme 50 % de marché des produits de base pour les batteries au lithium (une ressource essentielle pour les équipements électroniques).

Corporate Knights — une rubrique du Washington Post — qui soutient le capitalisme propre (que voilà un bel oxymoron !) a classé Umicore parmi ses 100 entreprises les plus transparentes pour 2013. Il faut avoir un certain sens de l’humour pour oser qualifier de transparentes les entreprises actives dans le secteur minier au Congo. Le Fonds Monétaire International, qui ne partage pas ce genre d’humour, a estimé le montant des exportations du Congo en pétrole et minerais pour 2009 à 4.2 milliards de $ US. Le gouvernement de Kinshasa ne percevant que 155 millions de $ US en taxes pour cette année, soit 4 % de la valeur exportée.

Cela dans un pays où, comme le relève récemment l’Africa Progress Report publié par Kofi Annan, sévit une des pires malnutritions au monde et où sept millions d’enfants ne sont pas scolarisés. Le Congo est au fond du classement de l’Index du Développement Humain établi par les Nations Unies, il est aussi ravagé par une guerre où le contrôle des richesses minières du Katanga joue un rôle déterminant.
Loin d’être discréditée par son implication dans les tragédies congolaises, l’expertise d’Umicore est volontiers sollicitée. Ainsi, la Commission européenne a adjoint Christian Hagelüken, représentant d’Umicore, à un « groupe d’experts » chargé de garantir l’accès des entrepreneurs aux matières premières. Un rapport de 2010 établi par ce groupe a identifié le cobalt et le tantale congolais comme deux des quatorze éléments critiques essentiels au développement de l’industrie électronique. Ce rapport insistait pour que soient prises des actions en vue d’empêcher les « distorsions commerciales », expression utilisée pour définir l’obligation d’utiliser ces ressources en priorité pour les enfants du Congo, comme le voulait Lumumba, plutôt que pour les utilisateurs de MP3.

Inutile de dire à quel point ces « experts » ont fait du battage autour de leur apparent souci de transparence, de développement durable et de protection de l’environnement. Cela mis à part, la détermination des Européens à maintenir le Congo sous contrôle n’a pas changé.

Quand la Belgique se résolut à céder son indépendance au Congo à la fin des années cinquante, elle décida aussi de garder la main sur les ressources minières du Katanga. Ce qu’elle fit en encourageant Moïse Tshombe, rival de Lumumba et gouverneur de cette province puis en soutenant la sécession du Katanga du reste du Congo.

La demande de Davignon pour la mise à l’écart de Lumumba ressemble furieusement au message de Dwight D. Eisenhower, président des États-Unis, à Allen Dulles, patron de la CIA, suggérant « l’élimination » de Lumumba.

En 1884, les États-Unis furent le premier pays à reconnaître les prétentions de la Belgique sur le Congo. Le déclenchement de ce processus entraîna, selon l’anthropologue spécialiste de l’Afrique Centrale, Jan Vansina, l’extermination d’une bonne moitié de la population congolaise entre 1884 et 1920. Cela signifie que 10 millions de vies furent supprimées sous le règne de Léopold II, souverain de l’État du Congo, et pendant les dix années qui suivirent.

Le livre Congo de David Van Reybrouck, récemment paru, montre comment le géant de l’agroalimentaire UNILEVER s’est développé à partir de l’exploitation de l’huile de palme congolaise. Des fortunes colossales se sont constituées au détriment des populations congolaises. Si la Belgique s’est excusée il y a une dizaine d’années pour son rôle dans l’assassinat de Lumumba, elle ne s’est jamais épanchée sur les souffrances infligées aux Congolais. Elle ne risque guère de le faire aussi longtemps que des Belges affairistes continuent à s’enrichir en pillant allègrement les ressources du Congo.

* David Cronin est un journaliste irlandais, actuellement pour The Electronic Intifada et vit à Bruxelles. Il est l’auteur d’Europe Israël : Une alliance contre-nature aux Editions de La Guillotine. Son prochain livre Corporate Europe : “How Big Business Sets Policies on Food, Climate and War sera publié en août.

Traduit par Oscar Grosjean, à la demande d’Investig’action.

Source : Investig’Action

»» http://www.michelcollon.info/La-Belgique-mene-encore-la-danse.html
URL de cet article 20864
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

SALARIÉS, SI VOUS SAVIEZ... DIX IDÉES RECUES SUR LE TRAVAIL EN FRANCE
Gérard FILOCHE
« Le droit du licenciement doit être assoupli », « les 35 heures n’ont pas profité aux salariés », « les charges sociales sont trop lourdes », « les fonctionnaires sont des privilégiés », « à terme, on ne pourra plus financer les retraites », etc. Telles sont quelques-unes des idées reçues qui dominent le débat public sur le travail en France. En dix réponses critiques, chiffres à l’appui, Gérard Filoche bat ici en brèche ces préjugés distillés par la vulgate néolibérale pour tenter de liquider un siècle de (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Des millions de gens ont vu tomber une pomme, Newton est le seul qui se soit demandé pourquoi.

Bernard Baruch

Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.