Iqbal Masih n’était encore qu’un tout petit enfant pakistanais lorsque ses parents l’ont vendu pour éponger la dette familiale, contractée lors du mariage de son frère. A quatre ans, Iqbal rejoint une de ces fabriques de tapis qui exploitent déjà huit millions de gosses honteusement exploités dans son pays pour la finesse de leurs doigts aptes à réaliser les fameux tapis d’Orient. Pendant six ans, il travaille comme un esclave, les chevilles blessées par de lourdes chaînes. A dix ans il a déjà une tête de vieillard et les mains ravagées d’avoir noué douze heures par jour et pendant 6 ans de précieux tapis revendus à prix d’or en Occident. Un jour de 1993, son calvaire prend fin grâce à Eshan Khan, président de la ligue contre le travail des enfants (BLLF). Lors d’une réunion qu’il organise dans le village d’Iqbal, Eshan découvre le jeune enfant blotti dans un coin de la salle, littéralement effrayé. « Il était émacié et ressemblait à un vieil homme » dira Eshan.
A l’âge de 10 ans, son libérateur l’arrache donc de son métier à tisser pour lui redonner le goût de vivre et la rage de se battre. Iqbal devient alors le symbole de cette jeunesse martyrisée. Il rejoint le Front de Libération du travail des enfants et participe à leur campagne devenant bientôt le porte-parole de l’enfance exploitée. Orateur de talent, il parcourt le monde pour alerter l’opinion internationale sur les conditions de travail inhumaines imposées à des millions d’enfants du Pakistan, de l’Inde, du Bangladesh et d’ailleurs. « Nous nous levons à 4 heures du matin et travaillons enchaînés durant 12 heures… n’achetez pas le sang des enfants ! » s’écrie lqbal dont l’appel bouleverse les consciences.
En janvier 1995, il participe à une Convention contre l’esclavage des enfants à Lahore. Il se rend en Suède et aux États Unis, où il reçoit un prix de la firme américaine Reebok et déclare vouloir utiliser cet argent pour suivre des études d’avocat.
Sous la pression internationale, le gouvernement pakistanais ferme plusieurs dizaines de fabriques de tapis et trois mille petits esclaves sortent ainsi de l’oubli. « Je n’ai plus peur de mon patron, déclare Iqbal qui se rend désormais à l’école de son village, maintenant c’est lui qui a peur de moi » … Mais l’enfant n’aura pas le temps de goûter à sa liberté.
Alors qu’il n’a que 12 ans, il meurt assassiné sur son vélo, le corps criblé de plomb gisant sur la lande de Chapa Kana Mill, près de Lahore (Pakistan). Il avait reçu des menaces de la "mafia de l’industrie du tapis" comme l’affirmait Eshan Kahn. La police pakistanaise écrira dans son rapport : "l’assassinat résulte d’une dispute entre un paysan et Iqbal". Histoire sordide d’un porte-parole qui devenait gênant. Les pistes de ce meurtre sont brouillées alors que la Commission des droits de l’homme du Pakistan a "adopté" la version de la police.
Départ à la fois prématuré et harmonieux d’un petit prince de lumière qui a donné sa vie pour éterniser, dans l’esprit des nations, le souffle de vie, de vérité, de justice et de courage qu’il avait répandu. Grande âme au sourire d’enfant, Iqbal a réussi sa mission d’Amour : nous pouvons aujourd’hui nous appuyer sur lui pour avancer. « Il était si courageux, disait Khan, vous ne pouvez imaginer »…
Permettra-t-on que le combat d’Iqbal est été vain ?
Archives du journal « l’humanité » (31 mai 1995)
Le combat d’Eshan et d’Iqbal
Eshan Ullah Kahn, président du Front de libération contre le travail forcé des enfants au Pakistan, se souvient du jour où il a rencontré Iqbal, lors d’une tournée dans les villages. « Il était blotti dans un coin de la pièce. Il avait dix ans à l’époque et travaillait depuis l’âge de quatre ans. » Cet ancien journaliste de quarante-sept ans, qui mène la lutte depuis 1967, et qui, par douze fois, fut emprisonné, se souvient du visage émacié de l’enfant et de son souffle asthmatique ressemblant à celui d’un vieillard. « Je l’ai pris à côté de moi, je lui ai parlé. Il fallait lui redonner confiance. »
Eshan arrache le garçon à son enfer. En deux ans, l’enfant parcourt son pays et le monde pour dénoncer l’esclavage. « Il réussit à affranchir trois mille gosses », nous dit Eshan, non sans fierté. « Il faisait preuve d’un courage étonnant malgré les nombreuses menaces de mort qu’il recevait. Il animait des groupes allant à son tour de village en village pour convaincre les familles et les enfants de ne plus accepter leur sort. » Le combat d’Iqbal avait produit ses effets. Sous la pression internationale, Islamabad avait dû fermer quelques dizaines de fabriques de tapis.
Iqbal a été tué dans son village de Muritqe, près de Lahore, mais les autorités refusent de reconnaître que le crime est politique. « Les mensonges des policiers sont flagrants », affirme Eshan. « Les rapports de police sont faux et ne mentionnent pas que le corps a été criblé de balles. L’enquête veut conclure que l’assassinat résulte d’une dispute insignifiante entre un paysan et Iqbal. »
Pour Eshan Ullah Kahn, il est fort probable que les commanditaires du crime ne sont autres que des membres de cette « mafia du tapis », que dénonçait le garçon, la toute puissante Association des fabricants et exportateurs de tapis du Pakistan. Une soi-disant « Commission des droits de l’homme » pakistanaise se débat beaucoup à l’heure actuelle pour faire accréditer la thèse de l’accident. Cette démarche n’étonne pas Eshan. La vice-présidente de cette commission n’a-t-elle pas publiquement déclaré que « le tissage des tapis fait partie des traditions nationales » et qu’« il serait imprudent d’appliquer la loi (interdisant le travail des enfants) dans les conditions de concurrence internationale ».
« Iqbal est mort mais son symbole est vivant », nous confie Eshan, qui avoue aussi « craindre pour sa vie ».
Communiqué de presse d’amnesty international (juin 1995)
Pakistan - Une enquête impartiale doit être menée sur l’assassinat d’un enfant militant contre le travail forcé
Les autorités pakistanaises devraient enquêter sur l’homicide d’Iqbal Masih – ce garçon de douze ans militant pour la cause des enfants – qui serait imputable à des propriétaires de fabriques de tapis agissant avec l’aval du gouvernement.
« Ayant joué un rôle important dans la lutte contre le travail forcé des enfants-esclaves du Pakistan, Iqbal Masih a vraisemblablement été tué pour s’être exprimé en faveur des droits fondamentaux de ses semblables, a déclaré Amnesty International. Il a de nouveau été fait usage au Pakistan des deux instruments utilisés dans le monde entier pour réduire au silence les défenseurs des droits de l’homme : la peur et la violence. »
Iqbal Masih a été abattu le dimanche 16 avril alors qu’il circulait à vélo dans son village de Muridké, dans la province du Pendjab. Autrefois enfant-esclave dans une fabrique de tapis, il était devenu un militant qui aidait les enfants partageant le même sort que lui à connaître leurs droits et recouvrer la liberté.
L’Organisation pense que cet homicide s’inscrit dans le cadre d’une collusion entre des familles puissantes dans le milieu des affaires, des groupes politiques et les autorités policières locales, qui a déjà donné lieu à des menaces et des meurtres de ce genre.
Amnesty International croit comprendre qu’une arrestation a eu lieu en relation avec la mort d’Iqbal Masih. Cependant, pour l’Organisation, toutes les personnes respon-sables de cet homicide, y compris celles qui en auraient donné l’ordre, devraient être traduites en justice. Une enquête exhaustive, impartiale et indépendante devrait également être ouverte sur les allégations selon lesquelles les autorités seraient impliquées dans les mauvais traitements infligés à des défenseurs des droits de l’homme.
Le fait que le gouvernement pakistanais ne traduise jamais en justice les responsables de tels homicides vient renforcer l’hypothèse selon laquelle les autorités consentiraient officiellement à ce que des violations des droits de l’homme soient commises.
Selon Amnesty International, « le gouvernement fait rarement ouvrir des enquêtes sur ces homicides. Très peu de personnes étant jugées, reconnues coupables ou condamnées, les gens ont le sentiment qu’ils pourront se soustraire à la justice ».
En raison de ses activités, Iqbal Masih avait reçu plusieurs menaces de mort au cours des derniers mois. Selon un porte-parole du Bonded Labour Liberation Front (BLLF, Front de libération contre le travail forcé), l’assassinat du jeune garçon pourrait être l’œuvre de ceux que sa lutte dérangeait. Pour le BLLF, le fait qu’Iqbal soit parvenu à libérer d’autres enfants de l’esclavage affectait la rentabilité de l’industrie du tapis locale.
Amnesty International exhorte le gouvernement pakistanais à prendre des mesures pour garantir la sécurité des enfants qui militent contre le travail forcé et de tous ceux qui les accompagnent dans cette lutte.
Poème de Boris Brentchaloff
Il s’appelait IQBAL
vivait au Pakistan
il est mort d’une balle
ce n’était qu’un enfant
IQBAL était esclave
depuis l’âge de quatre ans
enchaîné à l’ouvrage
vendu par ses parents
Un beau jour libéré
il porta témoignage
ignorant le danger
porté par son courage
La mafia du tapis
ne l’a pas supporté
ils lui ôtèrent la vie
pour le prix à payer
Il s’appelait IQBAL
avait juste douze ans
il est mort d’une balle
ce n’était qu’un enfant !
Bibliographie :
Richard Werly : Iqbal l’enfant esclave
Georges Berton : Iqbal Masih, 12 ans
Dominique Torrès : Esclaves
Francesco D’Adamo : "Iqbal ,un enfant contre l’esclavage"
Filmographie :
Iqbal, téléfilm de Cinzia Torrini, Italie, 1998 ; fiction inspirée de la vie de Iqbal Masih, enfant esclave au Pakistan.
V.O en Italien :
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=uG-OA2Jj3iY
Avec sous-titrage espagnol :
http://www.youtube.com/watch?v=3tYKFV8UUAo&feature=player_embedded
Sources :
http://www.humanite.fr/node/201122
http://www.amnesty.org/en/library/asset/ASA33/011/1995/en/8c868bbf-eb58-11dd-9173-571c5dd871b8/asa330111995fr.html
http://ghadames.artblog.fr/570593/Enfants-du-travail/
http://www.droitsenfant.com/travail_iqbal.htm
L’article dans sa niche : Iqbal Masih, l’enfant esclave