Rompre avec le dogme pour recréer des emplois ouvriers
L’industrie manufacturière pourrait offrir d’importantes perspectives d’emploi à des populations paupérisées et particulièrement touchées par le chômage dont un nombre très important d’ouvriers et de jeunes adultes peu diplômés mais aussi des personnels très qualifiés, techniciens, cadres, ingénieurs.
Les déclarations d’intention du gouvernement ne suffiront pas à enrayer le chômage et il incombe maintenant au chef de l’État d’avoir la volonté de relancer ce secteur industriel porteur d’emploi mais délaissé depuis plus de trente ans au nom de l’idéologie néolibérale du libre échange.
Peut-on encore croire à l’antienne des services, R&D et produits innovants ou hautement technologiques qui devaient nous assurer le plein emploi et permettre aux ouvriers d’accéder à des emplois revalorisés après des formations transformant ceux-ci en techniciens qualifiés ?
En effet, comparativement à ses voisins européens, l’industrie française n’a que très peu automatisé son outil productif.
Pour exemple, la France compte à peine 34 000 robots, l’Italie en possède deux fois plus et prés de 150 000 robots industriels œuvrent outre Rhin.
Bon nombre de grandes entreprises ont, semble t-il, jugé peu intéressant de moderniser l’outil productif et ont préféré opter pour une délocalisation totale ou partielle de leur production dans les pays à bas coûts, y compris lorsque la fabrication en France s’avérait compétitive.
Les produits à forte valeur ajoutée, innovants, hautement technologiques et dits de « transition énergétique et écologique », désignés par les gouvernements successifs pour sauver l’industrie et créer des centaines de milliers d’emplois, sont de plus en plus fabriqués dans les usines des pays émergents, et cela, même lorsque l’État français finance une partie de leur conception avec des crédits d’impôts en R&D (recherche et développement).
On peut raisonnablement penser que l’optimisation des profits constitue souvent la principale motivation lors de la prise de décision de délocalisation. Citons deux exemples d’industries manufacturières dont la production en France est très rentable.
- L’industrie du luxe délocalise, malgré des marges importantes. Le coût de la façon en France d’un vêtement féminin de luxe se situe entre 5 et 8 % du prix de vente final, et le coût d’un costume pour homme auparavant confectionné en France et revendu au client 700 ou plus de 1 000 euros, excédait rarement 120 euros. Les 2 leaders français du secteur se partageaient en 2012, prés de 5 milliards d’euros de bénéfices pour 38 milliards de chiffre d’affaires.
- Le champion de l’industrie pharmaceutique française a réalisé plus de 8 milliards d’euros de bénéfices en 2012 pour un chiffre d’affaires de 35 milliards d’euros et doit sa prospérité aux médicaments remboursés par la Sécurité Sociale, qui constituent 74 % de ses ressources. Pourtant, une part croissante de son activité est délocalisée en Asie et prés de 5 000 emplois ont été supprimés en France depuis 2008.
Par ailleurs, le prétexte de la rentabilité insuffisante ou inexistante qui menacerait jusqu’à la survie de l’entreprise est souvent invoqué pour justifier la délocalisation de la production. Pourtant, dans bon nombre de cas, la poursuite de l’activité en France aurait été possible.
Après l’industrie, les métiers de services, qui, selon tous les gouvernements depuis les années soixante-dix, devaient compenser une grande part des pertes d’emplois industriels, sont depuis quelques années délocalisés à leur tour.
La croissance est en baisse continue depuis plusieurs décennies et il n’est pas acquis que nous parvenions à renouer prochainement avec des taux supérieurs à 1.5 ou 2 %, seuils à partir desquels la croissance pourrait, selon plusieurs économistes, recréer de l’emploi.
En délocalisant notre industrie nous avons aussi délocalisé notre croissance, et nombreux sont les français qui comprennent maintenant que nous nous sommes fourvoyés, et que nous devrons tôt ou tard produire une plus grande part des biens que nous consommons pour lutter conte le chômage, sauver nos régimes de protection sociale et rééquilibrer notre balance commerciale.
Les chiffres du chômage et de tous les indicateurs économiques soulignent chaque jour les ravages causés par la politique de désindustrialisation et de libre échange non protégé des gouvernements nationaux et de la Commission Européenne à travers les traités de fonctionnement de l’Union Européenne (articles 28, 32 et 63 du TFUE).
Peut-être convient-il dès maintenant d’en tirer des enseignements afin d’abandonner une politique dogmatique qui plonge la France et son industrie dans le déclin.
Les actions en faveur de l’emploi peu prometteuses
Les sondages portant sur la politique gouvernementale nous enseignent que la majorité des français n’est guère convaincue de l’efficacité des mesures pour l’emploi annoncées. Celles-ci ne sont, certes, pas inutiles, mais pourraient cependant s’avérer très insuffisantes.
Le rapporteur général du budget Christian Eckert (PS) estimait le 17 avril 2013, que celles-ci « tardent à donner les effets escomptés ».
- Les contrats aidés comme les « emplois d’avenir » ont été maintes fois utilisés par des gouvernements. Principalement destinés au secteur public et aux associations, ces emplois subventionnés peuvent constituer une première étape vers l’emploi, mais ne préparent que peu les jeunes bénéficiaires à travailler dans le secteur privé. Le dispositif peine à trouver des partenaires. Seulement 19 000 contrats ont été signés depuis novembre 2012. L’objectif, d’abord fixé par François Hollande à 150 000 emplois d’ici la fin de l’année bien que maintenant abaissé à 100 000 emplois, pourrait s’avérer difficile à atteindre.
- L’objectif de 500 000 « contrats de génération » (CG) peut également sembler très optimiste. Ce contrat devrait surtout intéresser les entreprises qui ont déjà un projet de recrutement. Est-ce que des dirigeants de PME, qui n’avaient pas envisagé d’embauche, estimeront qu’une prime annuelle de 4 000 euros par binôme, parfois remboursable en cas d’échec, compensera la contrainte et le risque de s’engager sur le versement de 2 salaires sur au moins 3 ans, soit le versement de 200 000 ou 250 000 euros de salaires chargés ? Il n’est pas certain qu’en période de croissance atone et sans visibilité, que beaucoup de chefs d’entreprises se précipitent pour signer un contrat qui les liera à 2 salariés (junior et senior) pour cette durée et au-delà, avec la signature obligatoire d’un CDI). Il est à craindre que la plupart des emplois qui seront créés l’auraient été sans le contrat de génération.
- La promesse d’offrir une formation professionnelle à un chômeur sur deux dans les deux mois, peut sembler très ambitieuse. Bien que 31 milliards d’euros soient chaque année, déjà consacrés à la formation, la plupart des demandes formulées auprès de Pôle Emploi ne sont pas satisfaites. Aussi, on peut douter qu’il soit possible d’organiser rapidement 1.5 ou 2.5 millions de formations susceptibles de déboucher sur un emploi.
D’autre part, il convient d’écouter avec prudence le discours récurent qui tend à justifier une part importante du chômage par le manque de formation et d’adéquation des chômeurs avec les besoins du marché de l’emploi. La carence globale d’offres semble davantage responsable de l’augmentation du taux de chômage et de plus en plus de demandeurs d’emploi déjà parfaitement formés, qualifiés, diplômés ou sur-diplômés ne trouvent guère d’emploi.
Le crédit d’impôt compétitivité/emploi (CICE)) d’un montant de 20 milliards d’euros, a été inspiré par le rapport Gallois et était initialement pensé pour alléger les charges de l’industrie. Finalement, 16 milliards d’euros iront aux services et à la distribution et 4 milliards d’euros seulement iront aux entreprises industrielles. Pourtant, si l’on considère que les emplois industriels génèrent des emplois de service et de commerce, il aurait été, d’un point de vue purement économique, plus efficient d’encourager l’industrie pour créer un plus grand nombre d’emplois.
Par ailleurs, il n’est pas certain que ce dispositif génère beaucoup d’emploi car les entreprises peuvent bénéficier des allégements de charges sans recruter de nouveaux salariés :
« Le CICE a pour objet de financer les efforts de l’entreprise en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique ou énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement ».
Penser une stratégie pragmatique et efficiente
En modifiant parfois les modes de gestion et les processus de production, notamment en modernisant l’outil productif, il serait tout à fait possible de fabriquer à nouveau en France la plupart de nos biens de consommation moyen/haut de gamme.
En outre, il conviendrait de créer des structures de commercialisation et de distribution des produits réalisés par des ateliers ou des usines qui ne disposent que très rarement de structures appropriées.
Supposons que le gouvernement consente à relancer l’activité manufacturière : il suffirait de réorienter 1.5 à 2 % des 220 milliards d’euros annuels d’aides aux entreprises et dépenses pour l’emploi, pour recréer plusieurs centaines de milliers d’emplois en quelques années.
L’État pourrait accorder en priorité et sous conditions, des aides d’un montant de 25 000 à 50 000 euros, à des PME éligibles, à chaque fois qu’elles s’engageraient à créer un emploi de production en France. Une part de ces aides permettrait également de mutualiser un outil de distribution et de commercialisation qui optimiserait la compétitivité des produits.
Un budget total de 10 à 12 milliards d’euros sur 3 à 5 ans permettrait de se fixer un objectif de 250 000 créations d’emplois industriels, qui, il faut l’admettre, ne compenseraient pas la perte des 2.5 millions d’emplois industriels disparus en un peu plus de deux décennies.
Cependant, la mise en place d’un tel dispositif démontrerait une volonté nouvelle du gouvernement, indiquerait une remise en question du dogme et enverrait un signal fort et positif aux français qui, en majorité, s’inquiètent de la délocalisation de l’emploi.
Cette relance de l’industrie manufacturière des biens de consommation rassurerait et pourrait également insuffler une dynamique pouvant s’étendre à l’ensemble de l’économie française.
La création d’un emploi industriel génère habituellement 2 à 3 emplois indirects et induits. Ainsi le coût de création de chaque emploi industriel serait à terme divisé par 3 et peut-être 4. À terme, prés d’un million d’emplois directs, indirects et induits pourraient se créer dans des régions souvent désertées.
La collectivité pourrait économiser ensuite le coût d’un nombre considérable de chômeurs. L’État encaisserait davantage de cotisations sociales et cela contribuerait à la sauvegarde de nos régimes de protection sociale. De plus, une importante partie des aides serait ultérieurement remboursée par les entreprises bénéficiaires.
Chaque année, une économie totale au moins équivalente à la totalité des subventions serait réalisée et à terme, chaque euro de dépense publique permettrait d’économiser plusieurs euros sur les futurs budgets, contribuant alors à réduire le déficit public.
Les entreprises industrielles françaises réalisent généralement une part importante de leur chiffre d’affaires à l’intérieur de l’hexagone et lorsqu’un emploi est crée, c’est le pouvoir d’achat d’un consommateur potentiel de produits fabriqués en France qui augmente et le déficit commercial français qui diminue.
Des investissements de fonds publics mal ciblés et peu opérants sur l’emploi
Les aides de l’État français aux entreprises, du plan de relance de 34 milliards d’euros, du grand emprunt de 35 milliards, des 100 milliards d’euros de subventions accordées chaque année aux entreprises, du crédit impôt « Compétitivité Emploi » de 20 milliards ou des 100 milliards d’euros annuels de dépenses pour l’emploi (DPE) dont dépenses connexes, n’ont pas permis de faire reculer le chômage.
Selon les sages de la cour des comptes, les 34 milliards du plan de relance de 2008/2009, n’ont permis la création ou le maintien de seulement 20 000 à 70 000 emplois coûtant donc entre 600 000 et 2 millions d’euros chacun et selon plusieurs économistes, le grand emprunt de 35 milliards d’euros, rebaptisé « Investissements d’avenir » en 2012, ne semble pas avoir créé davantage d’emplois.
Il convient donc de s’interroger sur le manque d’efficacité de la politique de relance de l’industrie exécutée par le Fonds stratégique d’investissement (FSI) et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC).
En effet, afin de créer un effet de levier, ceux-ci placent directement ou indirectement une part importante des deniers du contribuable dans de nombreux fonds d’investissement français ou étrangers qui, généralement, recherchent un TRI (taux de rentabilité interne) d’au moins 12 ou 15 % annuel, et ciblent donc des placements dans des entreprises ou des projets R&D prévoyant leur production le plus souvent dans les pays à bas coûts.
Aussi, les résultats en termes de coût et de création d’emploi semblent indiquer que cette méthode va à l’encontre de l’intérêt de la collectivité.
Il est à craindre que la Banque Publique d’Investissement (BPI) qui réunit ces deux acteurs majeurs de la finance de l’économie, ne parvienne guère à créer plus d’emploi si elle ne modifie pas une politique d’investissement plutôt influencée par le dogme néolibéral du libre-échange.
Quelques grandes entreprises dont certaines appartenant au CAC 40 ont recueilli la plus grande part en montant, des aides aux entreprises sans pour autant cesser de délocaliser et peut-être devons-nous douter de la pertinence des conditions d’attribution de la plus grande part des subsides de la collectivité. Une étude du cabinet Ernst & Young révélait récemment que la catégorie la plus créatrice d’emploi, représentée par les PME, ne percevait que 9 % du montant total annuel des subventions !
Dans un article publié en septembre 2011 nous nous interrogions : Le PS veut-il vraiment réindustrialiser la France ?
Francis JOURNOT
Mouvement associatif « Rendez-nous notre industrie ! » [1]