« Le système financier actuel privatise les bénéfices et mutualise les pertes » - Propos attribués à Joseph Stiglitz (Prix Nobel d’économie)
Une lente agonie qui a commencé en même temps que le feuilleton grec, celui d’un coma chypriote depuis pratiquement un an. De replâtrage en replâtrage, le verdict est tombé, Chypre risque la faillite si l’Europe ne lui vient pas en aide. Etant dans la même charrette que les pays du Sud catholiques, de l’Europe, connus dit-on par leur farniente, qu’on les appelle les Arabes de l’ Europe, partageant avec ces derniers, outre le climat, la paresse et l’esprit de cigale, contrairement aux Européens du Nord -généralement protestants- besogneux, durs à la tâche - symbolisés entre autres, par l’Allemagne qui donne l’impression de diriger l’Europe et d’imposer son diktat à ces pays du Sud qui tombent comme des dominos. Après la Grèce, le Portugal, l’Espagne, même l’Italie que l’on croyait insubmersible et qui est - too big too fall - risque elle aussi de subir le même sort en attendant le pays suivant immédiat...la France.
Chypre
C’est un petit pays de 9251 km2 de 885.600 habitants. Avant d’être rattaché à l’Europe par un référendum qui n’a concerné que les Chypriotes du sud de l’Ile, les Chypriotes du Sud avaient le même PIB que ceux du Nord soit environ 10.000 $/an. La machine européenne les a tirés rapidement vers un niveau de vie,ils ont doublé leur niveau de vie au point d’arriver à un Indice de développement humain : 0,810 (35e rang mondial). De part et d’autre d’une frontière qui passe au milieu d’une rue, nous avons le Moyen âge d’un côté et le XXIe siècle. Ce rêve ne devait pas durer !
Cette économie virtuelle ne crée pas de richesse. « Les bords du lac Léman accueillent les sièges des plus gros négociants de matières premières. La « petite Suisse de la Méditerranée » accueille, elle, leurs boîtes aux lettres. Certaines entreprises y recherchent une fiscalité avantageuse (5% à la "belle" époque, 12,5% aujourd’hui). Mais "le détour chypriote permet fondamentalement de masquer les bénéficiaires économiques des sociétés", explique Olivier Longchamp, responsable fiscalité et finances internationales de l’association Déclaration de Berne. En clair : offrir aux ramifications des maisons de négoce une ombre propice à l’épanouissement de leurs activités lucratives et internationalisées. » (1)
Situation actuelle
Le PIB (2011) était de 17,9 milliards euros avec un faible taux de croissance (2011) : +0,5%. Le taux de chômage (2011) : 7,7% qui a augmenté d’une façon spectaculaire pour atteindre 15% en 2013. Solde budgétaire (2011) :-6,5%. Balance commerciale (2011) : -5,9 mds euros et -10 milliards en 2013. Les principaux fournisseurs de Chypre sont par ordre : 1/ Grèce 19% - 2/ Italie 9,3% - 3/ Allemagne 8,9% 4/ Royaume-Uni 8,3%- 5/ Israël 8% - 6/ Chine 5,3% : la France est en 7ème position. Ses principaux clients en 2010 : 1/ Grèce 22,1%- 2/ Allemagne 8,4% 3/ Royaume-Uni : 8,2%. (2)
La particularité de l’économie chypriote est qu’elle ne crée pas de richesses. Ce sont les banques qui détiennent plus de 40% de son PIB. Ces banques qui ont fleuri et sont devenues le refuge de tous les requins de la finance qui ont cherché à la fois une fiscalité très faible (5%) mais aussi une complaisance pour « blanchir » des capitaux douteux. Les autorités chypriotes ont été contraintes de solliciter en juin 2012 l’assistance financière de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, pour faire face aux besoins de leurs banques, dont 40% des engagements extérieurs concernent la Grèce, et au financement des dépenses publiques.
« Pour rappel, le calvaire Chypriote qui rappelle celui de la Grèce, a commencé lit-on dans une dépêche de l’AFP, le 25 juin 2012 : Chypre demande une aide financière, estimée à 17 milliards d’euros, à la zone euro pour contenir les risques pour l’économie du pays provenant de son secteur financier. Ses deux principales banques, très exposées à la dette grecque, ont subi des pertes évaluées à 4,5 milliards d’euros dans le cadre du plan de sauvetage conclu avec Athènes. Le 13 janvier, l’agence de notation financière Standard and Poor’s fait basculer Chypre dans la catégorie "spéculative" en abaissant la note de sa dette à long terme de deux crans à BB+ 16 mars : Nicosie accepte le plan de l’UE et du Fonds monétaire international (FMI) prévoyant un prêt de dix milliards d’euros en contrepartie d’une taxe sur les dépôts bancaires censée rapporter 5,8 milliards. Pour amortir l’impact sur ses gros clients russes, Chypre répartit la taxe sur tous les dépôts (6,75% jusqu’à 100.000 euros, 9,9% au-delà ), brisant le tabou de la protection des petits épargnants et provoquant une ruée sur les distributeurs des banques fermées pour un week-end prolongé. Le 20 mars : recherche d’un "plan B". La puissante Eglise orthodoxe propose ses richesses en gage. La fermeture des banques est encore prolongée. La Banque centrale européenne donne jusqu’au 25 mars à Chypre pour s’accorder avec les bailleurs de fonds sous peine de la priver de liquidités. Standard and Poor’s dégrade la dette chypriote d’un cran, à CCC. Le 22 mars : la chancelière allemande Angela Merkel prévient Chypre de ne "pas abuser de la patience" de la zone euro. La taxe bancaire revient sur le tapis. » (3)
L’Accord douloureux pour les Chypriotes
L’accord mis au point prévoit des "décisions douloureuses pour sauver le pays de la faillite", a estimé le président chypriote Nicos Anastasiades en promettant lors d’une allocution télévisée que l’île méditerranéenne "se remettrait de nouveau sur pied". Le prix à payer par Nicosie est en effet très élevé. Laïki Bank (Popular Bank en anglais), la deuxième banque du pays, va être mise en faillite de manière ordonnée. Elle sera scindée entre une "bad bank", entité résiduelle amenée à disparaître progressivement, et une "good bank", où seront regroupés les dépôts inférieurs à 100 000 euros, qui bénéficient d’une garantie publique dans l’UE. Sur le site Attac, nous lisons les conséquences de cet « accord » au scalpel : « Certes, le gouvernement chypriote et la Troïka ont renoncé à taxer les petits déposants, et le sort réservé aux gros clients des banques chypriotes - qui perdront une bonne part de leurs avoirs financiers - ne mérite pas de larmes. Mais le plan, imposé par un ultimatum sans précédent de la BCE, épargne les banques européennes, en particulier la BCE, qui ont pourtant accompagné Chypre et ses banques dans l’édification d’un paradis offshore en zone euro. (...) Pour la première fois de l’histoire de la zone euro, la Banque centrale européenne a imposé ses vues à un pays souverain en le menaçant explicitement de l’expulser de la zone euro. Ce précédent est d’une extrême gravité. » (4)
« Dans un communiqué du 21 mars la BCE adressait un ultimatum au Parlement de Chypre : si vous n’acceptez pas notre plan avant le lundi 25 mars, nous coupons la ligne de crédits d’urgence qui maintient à flot vos banques. La faillite des banques et l’interruption des prêts aurait conduit l’État chypriote à devoir les recapitaliser par ses propres moyens, probablement en sortant de l’euro pour recréer une monnaie nationale. Bien sûr, le système bancaire chypriote était un refuge pour des oligarques, pas seulement russes, à la recherche d’une fiscalité complaisante. Mais l’Union européenne n’avait jamais vraiment trouvé à y redire, au nom de la concurrence (fiscale) libre et non faussée. La taxation des dépôts supérieurs à 100.000 euros, va provoquer une fuite des capitaux et un effondrement de l’économie chypriote, trop dépendante de ses banques. » (4)
Attac poursuit en prévoyant les conséquences à savoir la sortie de l’euro : « Cette mesure va aussi accélérer la fuite des capitaux qui a déjà commencé depuis les autres pays du Sud européen vers l’Allemagne, la Suisse, le Luxembourg... La crise va s’aggraver, et la sortie de Chypre de la zone euro pourrait n’être que retardée de quelques mois. La Commission ne fait rigoureusement rien pour aider les peuples des pays en difficulté, bien au contraire, puisqu’elle continue à leur imposer des programmes d’austérité sans fin destinés à satisfaire les marchés financiers. (...) Avec une annulation de la dette et une socialisation des banques, il serait ainsi possible de refonder la zone euro et lui redonner un avenir*... Tout à l’inverse des diktats de la Troïka, qui au-delà de Chypre, visent clairement à décourager tout velléité des peuples grecs, portugais ou espagnols de relever la tête. » (4)
Comment réagissent les Chypriotes ?
Le moins que l’on puisse dire est qu’ils protestent en vain. Les décisions sont prises ailleurs. La police est là pour appliquer. Loin de se réjouir du plan de sauvetage, conclu, le 25 mars, à l’arraché avec l’Union européenne, la presse chypriote dénonce les "diktats" de l’étranger et n’hésite pas, à l’instar du quotidien O Phileleftheros, d’appeler les habitants de l’île à entrer en résistance.
« Aujourd’hui lit-on sur ce journal - qui appelle à un mea culpa et à se ressaisir-, j’éprouve, écrit Emmanuil Lioudakis, le besoin, plus que jamais, d’écrire pour tenter de rassembler les morceaux de la dignité de ce peuple détruite par l’imposition de mesures inadmissibles par nos partenaires dans l’Union européenne (UE). Aujourd’hui, des milliers de personnes se sont réveillées et, au lieu de se préoccuper de leurs tâches quotidiennes, elles ont ressenti un immense vide. Car leur pays, Chypre, n’est plus. Notre île a disparu quelques semaines avant Pâques, au début du Carême, abdiquant devant les diktats de l’UE et de la Troïka (FMI, Commission et Banque centrale européennes). J’ai en moi un sentiment de dégoût, de honte et de déception. Quid de notre fierté, de notre dignité et de notre force d’opposition ? » (5)
En fait, si nous nous sommes retrouvés au bord du gouffre, c’est en grande partie à cause de nos fautes. (..) Que vont devenir ces milliers d’employés qui perdent leur travail et dont le salaire est pris en otage par les dettes ? La plupart d’entre eux seront remerciés sans aucun dédommagement. C’est pour cela que je veux, m’adresser à mes compatriotes, aux gens simples, et leur demander d’inscrire dans leur vie cet objectif de redresser notre système bancaire afin d’obtenir le départ de la Troïka et la redéfinition de nos liens de solidarité. C’est maintenant qu’il faut montrer notre patriotisme. Il faut montrer que l’âme des Hellènes ne se soumet pas aussi facilement aux diktats étrangers. Notre âme bouillonne et nos poings sont fermés. (...) Il faut aider notre Etat à se relever. (...) Patience et bon courage à tous. » (5)
Même appréciation d’un autre journal qui dénonce le manque de solidarité au profit d’une « réalpolitik » décidée ailleurs. Nous lisons : « En imposant une taxe sur les dépôts bancaires en échange d’un plan d’aide de 10 milliards d’euros, les dirigeants de la zone euro ont commis au mieux "un dangereux précédent", au pire, "un chantage", selon la presse européenne. Sous le titre "L’Europe bâcle un autre sauvetage", le Financial Times condamne la taxe inattendue sur les dépôts, [...]. Face à un Etat membre en perdition, les dirigeants ont accroché du plomb au cou de Chypre au lieu de lui jeter une bouée de sauvetage. (..) On connaît le refrain : une fois de plus, il n’y avait pas d’autre solution. (...) Jadis, les citoyens européens avaient des droits, aujourd’hui, leurs dépôts bancaires risquent d’être imposables sans préavis, comme ce qui s’est passé à Chypre. L’arbitraire et le mépris total de l’Union européenne pour les règles et les valeurs sont devenus monnaie courante. La démocratie est maintenant une notion relative. Et le chantage a remplacé la solidarité ».(6)
Aucun état d’âme
On le voit, les hommes en noir de la troïka n’ont aucun état d’âme quand il s’agit de sauver à tout prix le système et les banques quitte à précipiter dans le désespoir des milliers de besogneux de sans-grade, qui sou après sou, pensent assurer leurs arrières en vivant une retraite dans la dignité. Rien n’y fait, les requins de la finance internationale les rattrapent et les jettent dans la détresse absolue.
La crise dit-on a du bon, car elle permet un nouveau départ. Ceci est vrai pour les riches qui s’enrichissent encore plus. « La crise, lit-on dans cette contribution qui raconte le quotidien des « petits espagnols », est une occasion, diront certains à juste titre, pour tenter de renverser les rapports de force entre les classes. Mais la crise est aussi une opportunité pour les classes dominantes. La bourgeoisie nationale et transnationale a conquis ces dernières années de plus en plus de pouvoir en profitant de la disparition des frontières au sein d’un super État européen pour porter une attaque sans précédent sur les conditions de vie des classes populaires, allant même jusqu’à rétrograder socialement les maillons les plus faibles de leur propre classe.
La majorité des Espagnols est ainsi engagée dans un processus de paupérisation - certains parlent de prolétarisation - qui semble irrémédiable. Les données publiées par l’ONG catholique espagnole Caritas parlent d’elles-mêmes. Les riches gagnent en moyenne sept fois plus que les pauvres, faisant de l’Espagne l’un des pays connaissant un des taux d’inégalité les plus élevés sur le continent européen. La fourchette entre les riches et les pauvres a d’ailleurs augmenté de 30% ces dernières années. » (7)
A propos des coupes sombres dans le social, nous lisons : « La perte du pouvoir d’achat va de pair avec les coupes claires dans le budget des services sociaux ; depuis quelques années, quantité d’hôpitaux et de centres de soins, d’écoles et d’universités, ont mis la clé sous la porte, rendant infernale la vie de millions de familles. Au dernier trimestre 2012, le taux de chômage s’établissait à 26,02% de la population active (soit presque six millions de chômeurs). Ceux qui disent que la crise est une opportunité ont raison. Mais la crise des uns n’est pas celle des autres, et force est de constater que ce sont les classes dirigeantes qui tirent jusqu’à présent les marrons du feu » (7)
A qui le tour ?
Des paradigmes vont changé des fondamentaux réputés intangibles sont en train de sauter. C’est le cas notamment de la taille des banques puis des pays candidats à la faillite. Souvenons nous, personne ne pouvait parier un kopeck sur le fait que la banque Lehman Brothers allait sombre corps et bien entrainant avec elles des centaines de travailleurs qui se sont retrouvés sur le carreau. « Too big to fall », trop grosse pour tomber nous assurait-on ! Il n’en fut rien. S’agissant des différents pays, Nous savons maintenant que le cinquième domino est tombé. Il s’agit de Chypre. Nous savons aussi que les dominos européens vont continuer à tomber, les uns après les autres. Tous les Etats européens qui ont un secteur bancaire hypertrophié vont subir le sort de Chypre. D’abord, il y a eu la Grèce. Ensuite, il y a eu l’Irlande le Portugal , l’Espagne, Ensuite, Chypre. Demain, ce sera le tour de la Slovénie.
Aux dernières nouvelles du sixième domino : La Slovénie serait bien partie pour figurer dans le top ten. Un conseiller du Fonds monétaire international (FMI), Bostjan Jazbec, est pressenti par les autorités slovènes pour prendre la tête de la Banque centrale, alors que le secteur bancaire est au bord de l’implosion faisant ainsi de la Slovénie un pays candidat à une aide d’urgence de l’Union européenne. (9)
Après-demain, ce sera Malte, puis le Luxembourg, puis le Royaume-Uni, puis l’Italie ..(too big to fall ?). Le fait est là : Il n’y a que l’Irlande qui, apparemment a tiré son épingle du jeu. Est-elle sauvée ? Tout est dit : la machine du diable de la financiarisation broie les faibles et il est utopique de parler dans ce XXIe siècle de tous les dangers, de solidarité, d’empathie, encore moins d’amour du prochain et du secours des plus pauvres. Nietzsche avait-il raison d’écrire dans un autre contexte : « Périssent les faibles et les ratés ? » Est-on raté quand on est un besogneux ?
Chems Eddine Chitour