Bonjour,
Vous aimez la chantilly ? Oui ? Bien sûr, qui n’aime pas la chantilly ? J’avoue même que c’est mon talon d’Achille. Une chantilly faite maison, bien entendu, battue au fouet et à la main, et sucrée... Je craque. Enfin, je craquais.
Il m’arrivait d’en rêver la nuit de cette chantilly. Onctueuse, savoureuse, rebelle à tous les régimes. Je plongeais juste un doigt dans le bol, "pour goûter", et tout le contenu disparaissait mystérieusement dans un triangle des Bermudes situé entre mes narines et mon menton. Les crises de foie qui succédaient étaient aussi prévisibles que les résultats d’une politique du FMI. Mais que voulez-vous, la récompense était à la hauteur de la souffrance post-engloutissement.
Jusqu’au jour où j’ai décidé d’arrêter. Comment ? Un jour, je me suis fait un saladier ENTIER de chantilly, pour moi tout seul. Je me suis attablé avec ce saladier, tout seul. Et j’ai tout bouffé à la cuillère, tout seul. Et pendant la nuit, j’ai failli crever, tout seul... Ouf, je vous raconte pas le phénomène naturel de magnitude 9 sous l’aisselle de Richter... Enfin voilà , du coup il m’a fallu des années avant de retoucher à cette cochonnerie... J’étais, comme qui dirait, "guéri".
Aujourd’hui, je sens que je suis en train de faire un rejet avec un autre dessert, le Tsunami. Non, ce n’est pas un dessert italien, c’est un dessert médiatique. Ils en ont fait un saladier, ils se sont attablés, et ils nous la font bouffer à la louche. Les journaux télévisés de ces derniers jours sont d’un ennui de magnitude 15 sur une échelle qui n’en compte pourtant que 10...
J’ai vu une journaliste de télé nous faire le compte-rendu de ses aventures quelque part en Asie du Sud. Comme elle avait raté le train pour Falloujah, elle voulait absolument nous convaincre qu’elle était capable de "faire du terrain". Et pendant 2 bonnes minutes elle s’est mise à nous raconter l’histoire (à peu près) suivante :
"oui, alors on s’est promené... Il y avait de l’eau partout... vous vous en doutez... Ici tout a été rasé... les gens ont tout perdu et sont toujours sans nouvelles de leurs proches, de leurs familles et vivent dans la crainte d’une nouvelle vague. Nous sommes entrés dans une église... et là , il y avait des gens qui priaient. Nous sommes restés un moment puis soudain quelqu’un est arrivé en criant "Une Nouvelle Vague ! Une Nouvelle Vague !" Tout le monde a cru à l’arrivée d’un nouveau film de Godard, alors ils se sont mis à courir dans tous les sens. Finalement, c’était une fausse alerte... mais c’est vous dire si on a eu peur".
En tout cas, c’est ce que j’ai compris. Et pendant qu’elle parlait, au lieu des habituels abrutis hilares qui gesticulent à la caméra derrière le commentateur, on voyait juste passer des ombres qui charriaient Dieu sait quoi.
Oui, moi aussi j’ai eu peur : j’ai cru un moment que la journaliste allait enfin faire son métier.
Cela dit, chaque jour apporte son lot d’informations sur l’étendue de l’humanité du gouvernement des Etats-Unis : quelques maigres billets verts jetés en pâture - ça, c’est pour des pays "amis", on imagine ce que cela aurait été pour des pays pas amis...
Et puis cette alerte que l’on a "oublié" de déclencher... ou que l’on ne "savait pas" comment déclencher... ou que l’on a "cru" déclencher parce qu’on avait envoyé un courrier électronique... Un jour apprendra-t-on à quel point cette non-alerte offrit l’occasion au gouvernement des Etats-Unis de se refaire une virginité en jouant les super-héros ? Mais même là , ils se sont plantés. Mais ils se rattraperont, juste le temps pour les gourous des médias de M. Bush de mettre en place le contre-feu.
D’ailleurs, j’ai vu que Colin Powell était déjà sur place pour "coordonner" les secours. Powell est un spécialiste des "secours". Il est déjà venu au secours des peuples Irakiens, Afghans et Nicaraguayens.
Powell a déclaré "je n’ai jamais rien vu de tel". Powell ne se déplace donc pas sur le théâtre des opérations de sa propre armée. Les journalistes non plus, d’ailleurs.
Powell a délicatement rajouté que les Etats-Unis allaient montrer aux musulmans "toute la générosité" de son pays. Powell doit penser que les autochtones de ces régions paumées ne recevaient ni la télé ni la radio.
Les médias commerciaux ? Après le plat de résistance Irakien auquel ils n’ont pas touché, voici enfin arrivé leur dessert.
Et soudain, j’ai envie de vomir.
Allez, ne faites pas cette tête. Vous reprendrez bien un peu de Tsunami ?
Viktor Dedaj
"de la vague à l’âme"
janv. 2005