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Mourir dans la dignité

Emmanuèle Bernheim. Tout s’est bien passé.

Lorsqu’on lit ce livre surprenant d’Emmanuèle Bernheim sur la mort choisie de son père presque nonagénaire, on se dit que cet aimable vieillard fut un homme heureux, heureux de mourir en heureux homme.

Emmanuèle Bernheim n’a publié que quelques (fort bons) romans (on se souvient de Sa femme, prix Médicis en 1993) et des scénarios très originaux pour les films de François Ozon. Elle nous raconte ici l’ultime parcours de ce père qui a choisi de mourir en Suisse, après avoir ingurgité la potion adéquate, en écoutant un quatuor de Beethoven.

Cette histoire nous est offerte à front renversé. Le titre, d’abord, avec cette expression qu’on prononce normalement après une naissance ou une opération. Cette famille où, mort assistée ou pas, on plaisante beaucoup, quoique parfois de manière macabre. Le mourant (il a été victime d’un AVC après de nombreux autres ennuis : ablation de la rate, pleurésie, embolie pulmonaire, crâne fracassé par un coup de crosse de revolver) qui ne cesse d’aller mieux au fil des pages, ce qui l’encourage d’autant plus à vouloir mourir guéri alors que ses proches tentent de le persuader de renoncer à sa décision. L’avocat, ami de la famille, Georges Kiejman, qui donne de précieux conseils pour contourner l’illégalité. La police qui tente, en vain, d’appréhender un vieillard qui n’a rien fait de mal. La fille qui donne l’adresse à laquelle l’urne funéraire devra être envoyée, ce dont, normalement, on s’acquitte après la mort de l’intéressé.

Paradoxalement, depuis l’euthanasie (par injection de chlorure de potassium) de Vincent Humbert tétraplégique, muet et aveugle (http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Vincent_Humbert), le type d’accompagnement que souhaite André Bernheim est devenu plus compliqué. Comme dit la responsable d l’association qui va le prendre en charge, « avant les choses se faisaient comme ça, sans en parler, mais maintenant… ».

Mais André Bernheim est décidé : le sens de sa vie, c’est de réussir son projet mortel. Plus il se sent mieux, plus il est serein et déterminé. Plus il est gai à l’idée d’aller retrouver sa mère (« être avec Maman » dans le cimetière d’Elbeuf). Pendant ce temps-là , sa fille se bourre de Lexomil.

Un malin, ce père qui a impliqué sa fille dans un projet pour lequel elle a longtemps eu de la répulsion : « Je veux que tu m’aides à en finir ». C’est justement parce que cette famille est pleine d’amour, de tendresse que les proches d’André vont l’accompagner jusqu’à ce qu’ils appellent tout au long du récit « ça ». Ce « ça » n’est pas que la mort, c’est le parcours obligé (mais pas contraint) vers la mort. Alors qu’André va vraiment mal, qu’il est en train de « dépérir », il dit à sa fille : « tu ne peux pas me laisser comme ça ». « Ca », « tout ça », c’est son corps. Ce corps décharné, dit-il, « ce n’est PLUS MOI ». Comme il refuse cette enveloppe (plus tard, il remangera, ira beaucoup mieux), il veut « disparaître » parce qu’il n’est plus lui.

André Bernheim (la demeure de l’ours) ira donc mourir à Berne, la ville de l’ours. Le protocole est strict : il « doit être capable de prendre lui-même le verre et de le boire tout seul ». Le suicide est « assisté ». Sans plus. Kiejman conseille à Emmanuèle de ne pas accompagner son père, mais de le rejoindre après sa mort afin qu’il n’y ait aucun soupçon de complicité. Comme André n’est pas vraiment capable de rédiger sa disposition de mort volontaire, sa fille le filme avec une caméra d’Alain Cavalier (celle du Filmeur ?).

Emmanuèle ne cesse d’espérer, même quand la responsable de l’association lui explique que les retours en arrière sont rarissimes. Le départ d’André pour Berne est rendu quasi burlesque à cause de la police qui a eu vent de l’expédition mortelle et interdite (« non-assistance à personne en danger, cinq ans d’emprisonnement »). Les ambulanciers, musulmans, pour qui le suicide est interdit, sont à deux doigts de tout faire capoter. Peu avant que son père ne parte vers la Suisse, Emmanuèle regarde le film d’horreur Saw sur la chaîne Cinéma Frisson.

Pour finir, André boit la potion au goût amer, sa main gauche dans celle de la responsable de l’association.

Bernard Gensane

PS : la mort de Stéphane Hessel a relégué en page intérieure des quotidiens celle, à 99 ans, d’Henri Caillavet. Cet ancien sénateur fit énormément progresser notre législation dans les domaines des dons d’organe, de l’insémination artificielle, de l’avortement, du divorce par consentement mutuel, de l’internement psychiatrique et de la mort choisie.

Paris : Gallimard, 2013.

http://bernard-gensane.over-blog.com/

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