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Vénézuéla : histoire d’une école autogérée, par Frédéric Lévêque.

[Cet article à été publié en deux parties sur RISAL. Nous les publions ici, ensemble.]

Le 2 décembre 2002, dans une nouvelle tentative de faire chuter le président Chávez, l’opposition vénézuélienne lançait une grève générale indéfinie pour faire chuter le gouvernement. Mais de grève générale, il n’y en a pas eu au Venezuela. Il s’agissait avant tout d’un lock-out patronal accompagné d’un sabotage du secteur pétrolier. Dans l’enseignement, un bon nombre d’écoles furent fermées par leur directeur ou leur autorité de tutelle, avec la complicité, volontaire ou non, de professeurs. C’est le cas de l’école Juan Bautista Alberdi, située dans un des nombreux quartiers populaires qui surplombent la vallée de Caracas. En réaction à cette nouvelle tentative de déstabilisation, le 9 janvier 2003, des gens du quartier de El Manicomio ont décidé de s’emparer de l’école. Au début, ils voulaient juste réagir à sa fermeture et « appeler les professeurs à la réflexion ». Quasi deux ans plus tard, ils y sont encore et ont transformé l’école en un véritable petit laboratoire social grâce au travail autonome d’une communauté.

Ce reportage a été réalisé en 2003 et 2004.

11 décembre 2004

QUAND DES PARENTS ASSUMENT LA DÉFENSE DES DROITS DES ENFANTS

"Dis, ils ne vont pas nous reprendre notre école" , dit un enfant de sept ans à sa mère avant de se serrer dans ses bras en sanglotant. "Non, ne t’inquiètes pas" , répond-elle pour le rassurer mais sans guère de conviction.
Nous sommes le jeudi 21 juin 2003, au 15eme étage de l’immeuble José Maria Vargas du centre de Caracas. La petite salle du tribunal est pleine à craquer et l’atmosphère lourde. Des anciens professeurs et l’ex-directrice de l’école Juan Bautista Alberdi, un établissement situé dans le quartier El Manicomio (paroisse La Pastora), sont assis sur les quelques chaises réservées au public. Debout et hors de la salle, des membres de la communauté de El Manicomio écoutent, discutent, font les quatre cent pas. Ce sont essentiellement des femmes mères de famille et des enfants de tous âges, tous élèves de cette école, vêtus fièrement de leur uniforme scolaire et tenant fermement des pancartes sur lesquelles on peut lire : "Nous avons droit à l’éducation" .

Risal 2004

L’affaire en cours ne semble guère susciter l’intérêt des médias. L’enjeu de cette séance d’auditions revêt pourtant un caractère symbolique. Il s’agit ni plus ni moins de la survie de ce qui est devenu au grès des mois et des visites de solidarité internationale, un petit symbole de ce que l’on appelle au Venezuela le proceso, la fameuse et si controversée Révolution bolivarienne menée par le président Hugo Chávez depuis son accession à la magistrature suprême en février 1999.
L’Ecole Alberdi est un symbole qui ne paie pas de mine. Il s’agit juste d’une simple petite école située sur une des nombreuses collines - les cerros - surplombant la vallée de la ville de Caracas.
Si les quartiers populaires de la capitale vénézuélienne ne bénéficient en général de l’attention médiatique que dans la rubrique "faits divers’ (insécurité, trafic de drogues, crimes, violence, viols, fusillades), c’est pourtant au sein de ces labyrinthes de ruelles, de maisonnettes, de ranchos construits au rythme de l’exode rural que vit la majorité de la population caraqueña. C’est là aussi qu’aujourd’hui bat le coeur dudit "proceso’ et que l’on comprend pourquoi, après tant de tentatives de déstabilisation - dont un éphémère coup d’État en avril 2002 - le gouvernement d’Hugo Chávez préside encore aux destinées du peuple vénézuélien.
Catia, Petare, La Pastora, Caricuao, le 23 de Enero, El Cimenterio, etc. sont les noms de quelques-uns des quartiers, des paroisses où tant la conscience politique que l’auto-organisation ont explosé depuis l’arrivée du Comandante au pouvoir et la puissante campagne des forces d’opposition pour l’en déboulonner. Nombreux sont leurs habitants qui se sont regroupés en comités de terre ou de femmes, organisés en cercles bolivariens ou en associations sportives, faisant partie de centres culturels ou d’une équipe de production audiovisuelle (ECPAI). Certains ont un emploi, d’autres non, beaucoup travaillent dans le secteur informel.
Les initiatives, les expériences, les projets se multiplient sur les hauteurs de Caracas. Au milieu de ce foisonnement, dans cette atmosphère activiste, où la volonté de transformation s’affronte quotidiennement aux difficultés de la pauvreté, du chômage et de la violence intra-familiale, l’école Juan Bautista Alberdi a suscité un intérêt particulier, notamment de la part de personnalités et de médias internationaux comme Charlie Hebdo, Le Monde Diplomatique, L’Humanité, The Guardian, la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF), The Christian Science Monitor, Le Figaro ; etc. La raison de cet intérêt ? L’école est autogérée par la communauté depuis janvier 2003 et est devenue ainsi une vitrine des riches expériences sociales qui ont cours dans le cadre du proceso bolivarien.

Aujourd’hui, 21 juin 2003, les autorités de tutelle de l’école (le SEAM) et le parquet - tente d’expulser par la voie légale les tomistas, les occupants de l’école Alberdi.

Une réaction au lock-out patronal

Le 2 décembre 2002, la Coordination démocratique - regroupement d’organisations et de partis d’opposition au gouvernement - ; Fedecameras, la principale organisation patronale ; et la Confédération des travailleurs vénézuéliens (CTV) [1], principal syndicat à l’époque, tous menés par les médias commerciaux, lançaient une grève générale indéfinie - la quatrième de l’année - pour faire chuter le gouvernement.

Mais de grève générale, il n’y en a pas eu au Venezuela. Il s’agissait avant tout d’un lock-out patronal [2] . Cette action d’ampleur de l’opposition ne parvint pas à paralyser réellement le pays, à l’exception de la société pétrolière publique Petroleos de Venezuela (PDVSA), qui fut l’objet d’une vague sans précédent de sabotages, notamment informatiques, et du secteur de l’alimentation contrôlé de manière monopolistique par quelques grandes entreprises. Dans l’enseignement, un certain nombre d’écoles furent fermées par leur directeur ou leur autorité de tutelle, avec la complicité, volontaire ou non, de professeurs, pour certains affiliés au syndicat des enseignants [3].C’est le cas de l’école Juan Bautista Alberdi.

Angela est professeur titularisée. Elle a 18 ans d’ancienneté dans l’école. Elle nous raconte son expérience : « Le 28 novembre, la directrice de l’école a réuni les professeurs et nous fit la proposition suivante : pour des motifs d’insécurité, elle pensait qu’il était préférable de suspendre les cours. Elle laissa penser que si des profs voulaient donner cours, en fonction de la situation, ils pouvaient. Moi, j’ai proposé de donner cours à mi-temps. Mais la majorité de mes collègues ont dit qu’il y avait beaucoup d’insécurité, et qu’ils pensaient déjà ne pas être présents, qu’il y allait avoir une grève nationale appuyée par le syndicat des enseignants." Quelques 30 professeurs exerçaient à l’époque dans l’établissement. « Durant tout le mois de décembre, moi et quatre autres professeurs, nous nous sommes présentés aux portes fermées de l’école. La fermeture n’avait rien d’officiel. En plus, les autres écoles de la zone fonctionnaient normalement. » Angela et ses collègues se sont aussi adressés aux autres écoles et aux autorités de tutelle pour savoir ce qui se passait. Sans guère de succès, ce pourquoi ils ont continué à se rendre à l’école jusqu’au 9 janvier.

Sur le pourquoi de l’absence de tant de professeurs, Angela pense qu’ « ils ont surtout suivi la directrice de l’école qui a dit qu’elle allait fermer les portes de l’école selon les ordres du SEAM et qu’il ne servait à rien d’être présents. »

Durant ces longues heures passées devant les portes de l’école, Angela a rencontré plusieurs parents et membres de la communauté inquiets pour leurs enfants et cette longue fermeture. « Plusieurs parents se sont approchés de nous. Ils me demandaient ce qui se passait, quand allait réouvrir l’école. Je répondais que je n’avais pas d’information, que j’avais appelé la directrice qui m’avait répondu qu’elle participait à la grève. Bref, ils m’ont accompagné mais ce sont eux, la communauté qui s’est organisée pour prendre l’école. »

En effet, alors que ladite grève générale se poursuivait, que les rumeurs de coups d’État se succédaient les unes aux autres, une certaine agitation et inquiétude régnaient au sein d’une bonne partie de la population de El Manicomio.

Oscar est travailleur social et professeur dans une université privée, même s’il me confie qu’il aimerait travailler, un jour, dans le public. Il a été élu directeur/ coordinateur de l’école. « Le 2 décembre, en nous basant sur l’article 132 de la Constitution, qui dit que « toute personne a le devoir de remplir ses responsabilités sociales et de participer solidairement à la vie politique, civile et communautaire du pays, promouvant et défendant les droits de l’homme comme base de la cohabitation démocratique et de la paix sociale », nous, un groupe de parents de la communauté, avons décidé de nous réunir. Nous avons pris des décisions concernant des plans de contingence dans le domaine de la santé, de l’alimentation, des infrastructures au cas où ces messieurs golpistas [4] voulaient reprendre le pouvoir par la force. Donc, nous avons convoqué les gens pour préparer cela et avons décidé de venir parler avec la directrice et le groupe de professeurs qui étaient à l’école pour qu’ils ne se joignent pas à la grève. Nous y sommes allés, à une vingtaine, avec un groupe d’enfants jouant des instruments et chantant "Fuego, fuego el cañon, que nos respeten nuestra educación" . C’est un chant très populaire. Nous sommes entrés dans l’école. La directrice nous promit d’appeler les professeurs, car à notre grande surprise, il n’y en avait que huit. »

Deux jours plus tard, la délégation de parents retournaient à l’école. La directrice était absente. « Elle avait soi-disant des contraintes administratives », affirme Oscar. C’est ainsi que le groupe de parents, loin de vouloir baisser les bras et de laisser perdurer la situation, décida de travailler avec les autorités du ministère de l’Éducation - en se basant sur la Loi organique de protection des enfants et adolescents (LOPNA) et la Constitution bolivarienne. « On a commencé à appeler les superviseurs du ministère, le ministère public et la Defensoria del Pueblo [5]. Ils sont venus ici. Ils prirent acte de la situation et vu qu’ils étaient dans l’urgence. Ils nous ont dit : "Vous êtes ceux qui savent ce que vous avez à faire" . »

Le 20 décembre, Aristobulo Isturiz, ministre de l’Éducation, décréta la reprise des cours pour le 6 janvier. Oscar poursuit : « Ce décret et l’article 102 de la Constitution, qui dit que l’éducation est un droit de l’homme et un devoir social des parents, des enfants et principalement des professeurs, nous ont aidé à continuer.

Le 6 janvier, à notre grande surprise, les professeurs étaient absents et l’école restait abandonnée. Il y avait juste le concierge. Même chose le 7, ils n’étaient pas là . Le 8, nous avons fait une réunion extraordinaire. Et avons décidé d’assumer le 9 la défense des droits des enfants », et donc, de prendre l’école.

Le même jour, la Alcadia Mayor dénonçait, par la voie d’un communiqué de presse, la prise par la force de 28 écoles, sur 97 que compte son réseau, par les « cercles bolivariens appuyés de quelques parents, professeurs et directeurs, faisant suite à l’appel du ministère de l’Éducation de reprendre les cours, par tous les moyens possibles », dit le communiqué [6].

Risal 2004

Ainsi, à l’instar d’autres écoles, des dizaines de membres d’une communauté ont pris leurs responsabilités et décidé de s’approprier collectivement les locaux de l’école pour assurer, répètent-ils à l’envie, la défense des droits des enfants à l’éducation. Ce discours a été, dans une certaine mesure, renforcé par les propos de la représentante de l’Unicef au Venezuela, Mme D’Emilio : « Aucune crise ne justifie la violation des droits des enfants, et c’est justement dans les périodes de crise que la société dans son ensemble doit veiller à ce que ce ne soient pas les enfants qui paient les conséquences des décisions prises par les adultes. (...) Il est donc impératif que tout le monde fasse preuve de plus d’engagement et de volonté. Tout le monde doit garantir les droits de tous les enfants. » Ces propos ont été rapportés par le président Chávez lui-même le 5 janvier 2003 qui ajouta que « ceci (garantir les droits des enfants) est donc aussi de la responsabilité des parents, des représentants, des professeurs, des directeurs d’écoles privées et publiques. » [7] Un appel à peine voilé à ses partisans à reprendre le contrôle des écoles fermées, au moment où le gouvernement récupérait celui de la société pétrolière PDVSA.

Des professeurs volontaires

« Tout cela, nous l’avons fait pour appeler les professeurs à la réflexion et pour qu’ils recommencent à faire leur travail », affirme Oscar. « Nous n’avons jamais prétendu donner cours. Nous leur avions dit que la communauté voulait les défendre s’ils se trouvaient dans une quelconque situation d’insécurité. Mais les professeurs ne se sont pas présentés. » Angela ajoute que « quand la communauté a pris l’école, j’ai appelé de nombreux collègues pour qu’ils soient présents. Ils étaient nombreux à avoir peur de venir, d’abord peur des chefs qui pouvaient prendre des mesures de représailles. C’est le patron qui avait appelé à la grève. »

Oscar me confie qu’ils ont pris l’école à quarante.

Mais comment ont réagi les membres et parents de la communauté d’El Manicomio ? « Au début, les gens avaient peur. Ils ont commencé ensuite à venir et à nous appuyer. Il y eut jusqu’à 200 personnes dans l’école en train de peindre, de nettoyer, de faire des réparations. Et pas seulement de notre communauté. Grâce aux reportages réalisés et diffusés par la télévision communautaire Catia Tve, des gens d’autres quartiers nous ont rendu visite pour aider, collaborer. Nous sommes devenus un exemple pour d’autres écoles qui n’ont pas connu le même processus de consolidation. »

Alors que ladite grève générale convoquée par les forces d’opposition agonisait et que le gouvernement reprenait, avec l’appui populaire, le contrôle du pays et de ses industries stratégiques, à l’école Alberdi, les enfants commençaient à revenir en classe, ce qui obligea les membres de la communauté à assumer leurs responsabilités. Oscar nous explique : « On a dû commencer à organiser les cours par année et chercher des volontaires de la communauté qui étaient professeurs ou étudiants universitaires en éducation. Certains avaient été suppléants ici dans l’école. On a progressivement créé une matrice de professeurs. On pensait que tout cela était temporaire. »

Presque deux ans après, la communauté organise toujours les cours et gère l’école.

Un nouveau maire pour Caracas

A Caracas, il existe deux réseaux d’écoles publiques, celui directement contrôlé par le ministère de l’Éducation et le second mis sous la tutelle administrative du Secrétariat à l’éducation de la Alcadia mayor (SEAM). C’est le cas de l’école Juan Bautista Alberdi qui dépendait donc directement d’une autorité qui, jusqu’au 31 octobre dernier, était contrôlée par l’opposition. En effet, Alfredo Peña, l’alcalde mayor de l’époque - sorte de gouverneur du grand Caracas - , élu sur les listes chavistes, avait retourné sa veste et s’était converti en un des plus farouches opposants au Président de la République. Sa police, la Policia Metropolitana (PM), que l’on appelle Plomo y Matraca dans les quartiers populaires, est selon toute vraisemblance la principale responsable du massacre qui eut lieu le 11 avril 2002 au centre de Caracas, à l’occasion des préliminaires du coup d’État. Plusieurs de ses membres sont actuellement en prison et doivent être jugés.

Suite aux élections régionales et municipales du 31 octobre dernier, Juan Barreto, un proche du Président Chávez, a été élu à la Alcaldia Mayor. Les occupants de l’école Alberdi négocient actuellement avec les nouvelles autorités pour régulariser la situation de l’école : bénéficier d’un soutien des nouvelles autorités tout en maintenant l’école sous le contrôle de sa communauté.

UNE ÉCOLE DE LA COMMUNAUTÉ

L’Ecole Alberdi est une petite école d’un quartier populaire de Caracas, situé sur une des nombreuses collines surplombant la capitale du Venezuela.
C’est au sein de ces quartiers formés de labyrinthes de ruelles, de maisonnettes, de ranchos construits au rythme de l’exode rural que vit la majorité de la population caraqueña. C’est là aussi qu’aujourd’hui bat le coeur du "proceso’, ladite Révolution bolivarienne menée par le gouvernement d’Hugo Chávez.

En janvier 2003, suite à la nouvelle tentative de l’opposition vénézuélienne de faire chuter le président Chávez en organisant un lock out accompagné d’un sabotage du secteur pétrolier, des membres de la communauté d’El Manicomio - où se situe l’école - ont décidé de s’emparer de l’école. Au début, ils voulaient juste réagir à sa fermeture. Quasi deux ans plus tard, ils y sont encore et ont transformé l’école en un véritable petit laboratoire social grâce au travail autonome d’une communauté.

La sonnerie retentit dans les couloirs de l’école Alberdi. C’est la fin des cours. Des élèves m’accompagnent vers la cours de récréation. Sur le chemin, ils me montrent fièrement le petit jardinet qu’ils entretiennent avec soin car "querer es cuidar" , disent-ils, "aimer c’est soigner" . Dans la cour intérieure, les différentes classes sont réunies en files indiennes, prêts à chanter l’hymne national alors que certains se chamaillent pour mettre le drapeau en berne pour deux jours. Deux jours car demain, c’est congé. Le Venezuela célèbre la bataille de Carabobo, la dernière grande et glorieuse bataille des troupes du Libertador Simon Bolivar le 24 juin 1821 permettant à la république vénézuélienne de consolider son indépendance proclamée le 5 juillet 1811.

L’hymne national chanté, un élève m’emmène ensuite voir sa mère. "Mon nom est Maria Gabriela Leon, je suis professeur volontaire de l’école" .

Un sauvetage

"Nous ne nous étions pas rendu compte des conditions dans lesquelles se trouvait cette école avant de décider de la prendre. Avant la grève, on nous empêchait quasiment, à nous parents, d’entrer." Et pour cause ! Quand on interroge les "occupants’ de l’école sur la toma, la prise de l’école, ils font souvent remarquer qu’il s’agit avant tout d’un rescate, un sauvetage. Et le mot n’est pas trop fort au vu de l’état dans lequel on a retrouvé l’école.

Risal 2004

Maria Gabriela, alias Gaby, me fait visiter le comedor, le réfectoire où mangent dorénavant les enfants. La communauté l’a remis en état car il était à l’abandon. Située au sous-sol, son entrée était obstruée par les mauvaises herbes et les déchets. Aujourd’hui, les enfants de l’école y mangent tous les jours. La nourriture est assurée par un organisme public, seule aide réelle que reçoit l’école de l’Etat.

Hector est chargé de la sécurité et père de deux élèves de l’école : " On s’est toujours préparé face à la menace constante de l’arrivée de la police, du tribunal. L’opposition dit qu’ici il y a des cercles bolivariens assassins, qui torturent. Nous sommes juste une communauté, des représentants soucieux que nos enfants réussissent leur année scolaire et que cette école redeviennent celle du quartier, que cette école ne dépende plus de personnes déloyales vis-à -vis de leur patrie."

"Ici, on a réparé plus de 300 pupitres avec la collaboration de la communauté. On a nettoyé les salles de classe avec du savon, du chlore, on a repeint certaines parties, réparé des portes, des serrures. Tout cela en cherchant de l’aide. Ce que je peux apporter pour l’école, je l’apporte. Beaucoup de gens ont donné 100 bolivars, 1000 bolivars. On a récolté petit à petit de l’argent pour acheter certaines choses. Tout cela avec imagination et volonté, en allant de l’avant."

A la tête de la coordination de ce travail de récupération, Freddy et Raul, los abuelos comme on les appelle à l’école, les grands-pères, qu’on ne peut pas manquer puisqu’ils sont tous les jours à l’école en train de réparer quelque chose. Deux « travailleurs de la vie » dans un « groupe multidisciplinaire licencié de l’université de la vie », commente Oscar, coordinateur des "occupants’ de l’école.
« Beaucoup d’entre nous, nous nous sommes connus ici. Il y a une mission et une vision qui nous unissent. Beaucoup de gens réalisaient déjà des travaux bénéficiant à la collectivité, comme des marchés, des camps de vacances pour les enfants. Certains sont au chômage, d’autres ont un emploi. Certains ont été intérimaires dans cette école, d’autres sont des coordinateurs sportifs, des maçons, des gens qui passaient leur temps à nettoyer et repasser chez eux. Nous avons commencer à former un bon groupe au niveau des professeurs mais aussi au niveau de la logistique et de maintenance de l’école. » Et c’est en mettant la main à l’ouvrage qu’ils ont transformé, avec tendresse et détermination, une école ordinaire en projet social, politique, éducatif et culturel.

Les enfants aussi ont constaté le changement. Josue : « Les autres professeurs, quand ils sont revenus, nous avons demandé qu’ils s’en aillent car ils nous traitaient mal ».

« Avant, avec l’autre directrice, quand on demandait le ballon, elle ne voulait pas le donner, maintenant oui..." , rajoute timidement un autre élève.

Nacaili : « L’école est en train de changer, il y a un réfectoire maintenant, les professeurs sont meilleurs. Les anciens professeurs n’étaient pas mauvais mais c’est pas comme maintenant. Ils ne nous emmenaient pas en promenade : Ils n’étaient pas mauvais mais ils nous ont abandonné et maintenant ils veulent revenir pour nous donner cours. Mais cela ne se passe pas comme cela. Je ne veux pas recommencer l’année. Les professeurs de maintenant ont fait un effort pour nous. Et eux ils veulent revenir en disant : "Otes-toi de là que je m’y mette" . Les choses ne se passent pas comme cela. »

Un dimanche à l’école

Depuis que l’école est gérée par la communauté, elle ne ferme plus. Les gens s’y affairent tous les jours, prêts à rendre service : préparation de cafecitos et d’arepitas pour ceux qui nettoient, débats sur la gestion quotidienne de l’école et sur l’actualité politique, réparation de la toiture ou des toilettes, il n’y a pas un jour du repos pour les « occupants » de l’école Alberdi dont la bonne volonté et la conviction d’agir pour le bien de leurs enfants et de leur communauté sont les armes. Sans oublier, évidemment, la Constitution bolivarienne, ajouteraient-ils...

L’animation qui règne dans l’enceinte de l’école le dimanche contraste avec le calme relatif dans lequel se trouve le quartier environnant. Les sons s’entremêlent. Un groupe d’élèves apprend à manier une caméra pour réaliser des reportages vidéo dans une arrière salle pendant que des parents apposent le tampon de l’école sur de nouveaux livres pour constituer ce qu’ils voudraient être une bibliothèque. La voix à la radio du Comandante, en train de palabrer sur l’actualité de la Révolution bolivarienne se mélange aux cris des adolescents qui participent à un tournoi de basket dans la cour.

Alicia Rodriguez fait partie des groupes auto-organisés de promotion du sport, groupes qui, en collaboration avec les autorités, organisent des activités sportives pour les jeunes. « On a eu un problème. Les terrains sportifs étaient séquestrés, comme celui du Marché de La Pastora. Nous, les cercles bolivariens, nous sommes arrivés à récupérer ce terrain de sport pour la communauté où il y avait un groupe de personnes qui avait pris possession de cet espace pour leur usage. » Les jeunes profitent maintenant de la cour de l’école et aident à l’occasion à arranger des petites choses, contribuent au fonctionnement de l’école.

Un peu plus loin, un autre groupe de personnes s’affaire, à coup de pinceaux, à changer la façade d’un mur. Ils peignent une fresque. « C’est une message sur comment doit fonctionner le recyclage de déchets », me confie une des artistes débutantes. « Nous devons créer la conscience que ce que nous jetons (à la poubelle), a une valeur », ajoute un officier à la retraite des Forces aériennes.

L’énergie que déploient ces gens à arranger, restaurer, rafistoler l’école est enthousiasmante. Cette énergie positive, on la retrouve souvent dans les quartiers populaires vénézuéliens. Elle contraste bien souvent avec le pessimisme régnant dans « urbanizaciones » de la classe moyenne où les problèmes économiques et sociaux sont pourtant relativement moindres. A l’école Alberdi, on refait le monde sans cesse. Les idées, les projets, les propositions s’accumulent. Il faudrait un potager pour réapprendre le rapport à la terre à ces enfants de l’exode rural. Il faudrait une université dans le quartier. Il faudrait construire une télévision à l’école. Il faudrait, il faudrait, il faudrait, ...

La situation de la majorité des familles vivant dans ces quartiers n’est pourtant pas enviable. Plus de deux tiers des enfants inscrits à l’école rencontrent des problèmes familiaux, m’a confié Oscar Negrin. La pauvreté explique beaucoup de choses ; des carences alimentaires aux mauvais traitements. Elle rend d’autant plus difficile la tâche des occupants de l’école, des professeurs volontaires, des animateurs communautaires. Les jeunes organisés en bande et qui se battent parfois jusqu’à la mort sortent d’écoles comme la Alberdi. Les nombreux parents engagés dans le projet veulent, à leur niveau, avec leurs moyens rachitiques, empêcher que cela se reproduise avec leurs enfants. C’est du moins ce que plusieurs m’ont expliqué. C’est pour cela qu’ils ont décidé de communautariser l’école et qu’ils ne sont pas disposés à la lâcher.

 Source : RISAL http://risal.collectifs.net

[1Le vendredi 12 avril 2002, Pedro Carmona Estanga, jusqu’alors président de Fedecámaras, le plus important lobby patronal vénézuélien, s’autoproclamait président de la République vénézuélienne suite à un coup d’État qui sera mis en échec le lendemain. Pedro "le bref" , comme il est surnommé maintenant, avait signé avec Carlos Ortega, dirigeant de la CTV un « pacte de gouvernabilité pour la transition démocratique », sous les hospices de l’église catholique vénézuélienne.

[2« La grève générale est un concept qui ne peut être appliqué qu’aux seuls travailleurs. Lorsque ce sont les patrons qui appellent à arrêter l’activité productive et commerciale, le terme exact pour décrire cela est celui, anglais, de "lock-out". C’est pour cette première raison qu’au Venezuela, il n’y a pas eu de grève le lundi 2 décembre et encore moins les jours suivants. La seconde raison, c’est que les secteurs patronaux qui se sont lancés dans le rapport de forces ont été minimes et avant tout circonscrit au secteur commercial et au sein de celui-ci dans la zone aisée de Caracas, les quartiers est de la ville. La troisième raison est que, à cette occasion, un grand nombre d’établissements fermés par leurs patrons ont été réouverts par les travailleurs, ce qui, ajouté au fait que les transports ont fonctionné sans grosse perturbation, offre un panorama de quasi-normalité dans la capitale vénézuélienne et encore plus à l’intérieur du pays ». Extrait de Luis Bilbao, " Epreuve de force au Venezuela" Le Monde diplomatique, Edition Cône sud, 16-12-02.

[3La Fédération vénézuélienne des enseignants est une des principales composantes de la Confédération des travailleurs vénézuéliens (CTV) dont la base sociale est composée historiquement de travailleurs du secteur public.

[4Le terme "golpista(s)’ désignent les auteurs/ promoteurs de coups d’État. Il vient de golpe/ golpe de Estado, coup / coup d’Etat.

[5Institution publique de défense des droits humains.

[6Site web de la Alcadia Mayor : http://www.alcaldiamayor.gov.ve/ - Rubrique : Noticias.

[7Extrait de son allocution à l’occasion de l’assassinat de deux sympathisants du gouvernement., Caracas, 5 janvier 2003 : http://perso.wanadoo.fr/cbparis/Documents/livre/discours2.htm.


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