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Colombie : une Grande Coalition Démocratique en route pour l’ élection d’ un nouveau Chávez dans 20 mois.

[Si la tendance indiquée par El Tiempo se renforce, Carlos Gaviria pourrait
devenir président de la Colombie. Le grand danger c’est qu’il soit assassiné avant d’être élu.]



La Colombie pourrait se donner son propre Chávez dans 20 mois



Bogotá, le 2 décembre 2004

Par Dick Emanuelsson

Des milliers de personnes ont crié " Gaviria Presidente " lors du lancement
de la campagne électorale présidentielle de Carlos Gaviria [Attention !
Rien à voir avec César Gaviria (ex-président et ex-Secrétaire général de
l’OEA)] pour les élections de 2006. Selon le dernier sondage réalisé par El
Tiempo
, le quotidien de l’oligarchie colombienne, le président à lvaro Uribe
Vélez obtiendrait actuellement 39% alors que Carlos Gaviria, qui n’a même
pas encore commencé sa campagne électorale, obtiendrait 30%. Et il reste
encore 20 mois avant les élections.

Le rassemblement de masse tenu ce soir dans le centre de Bogotá a fait
converger des secteurs très divers, syndicalistes, indigènes,
afro-colombiens, mouvements de quartiers, des personnalités, des
intellectuels, des étudiants, des enseignants, des universitaires, etc. Tous
les intervenants, des sénateurs et des représentants au parlement, ont tenu
à adresser des remerciements à Uribe qui a favorisé la naissance d’un large
front unitaire de gauche, démocratique et progressiste. Mais le jugement sur
le président et sa politique était dure : " Le gouvernement et le président
représentent le fascisme colombien, la soumission à l’impérialisme
nord-américain et au Fonds monétaire international ".

La candidature de Carlos Gaviria, ex-membre de la Cour Constitutionnelle et
actuellement président du Front Social et Politique, mouvement qui regroupe
des syndicats, des mouvements et des partis politiques de gauche (comme le
Parti communiste colombien, parmi d’autres), a été considérée comme la seule
option pour battre le président Uribe.

Parmi les orateurs présents à la tribune se trouvait Piedad Córdoba,
présidente du Parti libéral officiel et qui représente un courant de la
social-démocratie colombienne dans ce parti. Elle a eu de fortes critiques
pour le gouvernement et elle a qualifié le président de " dictateur " : " Je
ne savais pas si à lvaro Uribe était paramilitaire ou si les paramilitaires
étaient uribistes ! ", a-t-elle exprimé, propos qui ont été salués par les
applaudissements du public.

Jorge Enrique Robledo, sénateur du MOIR, a signalé qu’il ne s’agit pas
seulement de battre nettement Uribe, mais aussi le contenu de sa néfaste
politique néolibérale : " L’affrontement avec Uribe est un affrontement de
fond. Nous sommes en désaccord avec le programme économique, social et
politique d’à lvaro Uribe Vélez "
. Robledo a ajouté qu’Uribe est vendu au FMI et à Washington : " Il est le représentant de l’impérialisme nord-américain,
il vend le pays au maître du nord "
.Le sénateur a appelé a l’unité de la
gauche et il a félicité les représentants du Pôle Démocratique qui étaient
présents au rassemblement, comme Diego Garcà­a. " Le pays en a assez de
l’uribisme, le pays en a assez du néolibéralisme et de l’impérialisme
nord-américain "
, a-t-il ajouté.

Au bout de deux heures et après dix interventions, Carlos Gaviria est monté
à la tribune sous les exclamations de " Presidente ! Presidente !
Presidente ! "
. Carlos Gaviria, avec son portrait de Père Noël, va offrir
une dure bataille au président Uribe. Ce soir il a confirmé qu’il n’est pas
le politicard habituel, comme c’est le cas d’Uribe qui a acheté les
sénateurs afin d’obtenir une majorité entérinant le principe de sa
réélection. Uribe, qui s’était présenté en 2002 comme le candidat opposé à 
la corruption et à la politicarderie, est le président qui a le plus été
impliqué dans la corruption et qui a le plus favorisé le clientélisme.

Le précandidat Gaviria a déclaré qu’il ne perçoit pas les autres
précandidats potentiels du Pôle Démocratique (comme ceux qui sont issus de
l’ex-mouvement guérillero M19) comme des adversaires durant la campagne
électorale, tout au contraire. L’unité de ce large front démocratique, de
gauche, populaire, est décisive pour pouvoir vaincre l’uribisme, qui
bénéficie du soutien de l’establishment, du gigantesque pouvoir militaire et
de l’oligarchie qui contrôle presque tous les moyens à tous les niveaux pour
déterminer le choix d’un président. Mais, tout comme un large mouvement a pu vaincre le candidat uribiste Juan Lozano à la mairie de Bogotá, le mandat
électif le plus important du pays après celui de président, il n’est
impossible de vaincre Uribe aux élections présidentielles.

Si la tendance indiquée par El Tiempo se renforce, Carlos Gaviria pourrait
devenir président de la Colombie. Le grand danger c’est qu’il soit assassiné
avant d’être élu.

A deux reprises pendant la prise de parole de Gaviria la lumière a été
coupée, ce qui a inquiété les milliers de participants. Coïncidence ou pas,
tout le quartier autour de la Convention Gonzalo Jiménez de Losada est resté
sans lumière. La rencontre, qui s’est achevée dans l’obscurité, a été
conclue par Gaviria qui, devant plusieurs milliers de Colombiens, s’est
engagé à travailler non pas « pour le peuple » mais « avec le peuple ». Son
objectif est de modifier le modèle d’Etat élaboré par Uribe qui abandonne
toutes ses responsabilités sociales.

Gaviria sera-t-il un Chávez colombien, marginalisant les partis traditionnels de l’oligarchie, le Parti libéral et le Parti conservateur ?

 Source : Indymedia Colombie

 Traduction : France Amérique Latine 93

 Le discours de Carlos Gaviria : http://ajpl.nu/radio.htm



La Grande Coalition Démocratique


[Sans aucun doute la victoire de Bush favorise la politique autoritaire d’Uribe Vélez, comme elle favorise l’interventionnisme yankee et l’exécution du Plan Colombie et du Plan « Patriota » dans notre pays. Mais le monde n’avance pas dans le sens des forces rétrogrades et réactionnaires. En Amérique latine les élections les plus récentes ont favorisé les secteurs de gauche et démocratiques. La Victoire du Frente Amplio en Uruguay est peut-être le cas le plus emblématique, mais il y en a d’autres comme les avancées au Brésil, bien que le PT ait perdu les mairies de Sao Paulo et de Porto Alegre, la large victoire de Chávez au Venezuela, qui renforce la Révolution Bolivarienne, l’avancée des sandinistes au Nicaragua, les résultats de la gauche au Chili, et d’autres. Carlos Lozano ]


Entretien avec Carlos Lozano, Directeur de l’hebdomadaire Voz et membre du Comité central du Parti communiste colombien (PCC).

Le 25 novembre 2004

Par Remedios Garcia

Carlos Lozano est avocat, directeur de l’hebdomadaire Voz. Il a été membre de la Commission des Notables lors du Processus de Paix entre le gouvernement du président Pastrana (1998-2002) et les FARC-EP, et il est également un des meilleurs connaisseurs de la situation du pays. Il a participé en Espagne à un séminaire organisé par l’Université Autonome de Barcelone, parmi d’autres personnalités, pour analyser la problématique de la situation colombienne.

Remedios Garcà­a : Quel était l’objectif de votre voyage ?

Carlos Lozano : Je suis venu pour participer au séminaire organisé par l’Ecole de la Paix de l’Université Autonome de Barcelone afin d’évaluer les processus de paix qu’il y a eu en Colombie et l’utilité qu’ils peuvent avoir dans le cas d’éventuelles négociations avec les guérillas.

Les Conseillers pour la paix et les Délégués pour la paix qui ont ouvré lors des processus antérieurs, à partir du gouvernement de Belisario Betancourt, en 1984, jusqu’au plus récents, étaient présents. Etaient également présents ceux qui ont signé les accords avec le M19 et avec d’autres guérillas, étaient également présents ceux qui ont participé aux conversations de Caracas et de Tlaxcala durant le gouvernement de César Gaviria [avec les FARC-EP], l’un d’entre eux n’étant autre que l’ex-candidat à la présidence Horacio Serpa Uribe. Il y avait également les Délégués à la Paix du gouvernement d’Ernesto Samper, ainsi que, naturellement, Camilo Gómez, le Haut Délégué pour la Paix qui était chargé des dialogues de paix aussi bien avec les FARC qu’avec l’ELN durant le gouvernement d’Andrés Pastrana. Le gouvernement actuel était également représenté, avec des membres des commissions de facilitateurs, de l’Eglise catholique et des guérilleros réintégrés. Ma présence était due au fait que j’étais membre de la Commission des Notables, laquelle avait réalisé un document comportant des recommandations pour le Processus de Paix du Caguán [entre les FARC-EP et Pastrana]. Voilà ce qui a eu lieu à Barcelone, une discussion franche à laquelle ont également participé des délégués du gouvernement actuel, dont le vice-président de la République, Francisco Santos Calderón, un représentant du Bureau du Haut Délégué, le général Herrera Verbel, ainsi que Noemà­ Sanà­n, l’ambassadrice de Colombie en Espagne. Il y avait des représentants de l’Union européenne, des Nations Unies, parmi lesquels James Lemoyne, Conseiller pour la paix en Colombie du Secrétaire Général des Nations Unies. il y avait aussi des délégués de l’Agence espagnole de coopération, du gouvernement espagnol, du ministère des relations extérieures, et je crois que le débat a été fructueux, très franc, très ouvert ; la politique officielle du gouvernement a été fortement critiquée.

Je dirais que fondamentalement trois ou quatre choses ont été très bien précisées et sur lesquelles il y a consensus, à l’exception du gouvernement, naturellement. Avant tout, la reconnaissance qu’il y a en Colombie un conflit politique, social et armé, ce qui est nié par le gouvernement d’Uribe Vélez, qui préfère affirmer qu’il s’agit d’une agression des terroristes contre la démocratie colombienne. Cette opinion du gouvernement, fondement de sa politique de guerre et de « sécurité démocratique », a été complètement écartée par le séminaire, y compris par les uribistes qui y participaient et qui ne sont pas des fonctionnaires gouvernementaux, par exemple le sénateur Rafael Pardo Rueda, l’ex-Conseiller de paix Ricardo Santamarà­a, lesquels ont rejoint ceux qui soutenaient, à partir d’une multiplicité de points de vue, que le conflit en Colombie a des origines sociales, politiques, économiques et y compris historiques ; c’est un conflit qui remonte à plus d’un demi-siècle, cela est ressorti très clairement de notre discussion.

Deuxièmement, il a été dit que pour ce conflit, en raison de sa nature politique, sociale et économique, la solution c’est la voie politique, c’est-à -dire celle de la négociation. Personne n’a proposé que la solution soit trouvée par la guerre généralisée ou par l’intervention plus directe du gouvernement des Etats-Unis, conclusion à laquelle est également parvenu un délégué du gouvernement de ce pays qui, entre choses, a signalé que le chéquier du Plan Colombie est disponible pour les dépenses qui concernent l’offensive contre la guérilla, ce qui a été rejeté par tous les participants, parce qu’en général la position était de soutien aux processus de dialogue et à la perspective d’une solution politique en Colombie, évidemment parce que tous les plans bellicistes du passé ont échoué.

Troisièmement, concernant le paramilitarisme, personne ne défend l’idée de l’écrasement des groupes paramilitaires ou l’idée d’une table rase à leur encontre. Mais ce qui a été proposé c’est que tout processus de solution au paramilitarisme doit partir d’une politique de soumission à la justice, sans impunité pour les délits atroces et les crimes de lèse-humanité qu’ils ont commis.

Quatrièmement, nous pourrions dire également que les participants se sont prononcés sur le thème de l’Accord humanitaire, celui-ci compris comme une négociation entre les FARC et le gouvernement national pour rechercher la libération des personnes qui sont prisonnières à cause du conflit, aussi bien celles qui sont dans les prisons colombiennes, les combattants guérilleros, tout comme les militaires et policiers, et les dirigeants politiques détenus par les FARC actuellement.

Je dirais que ce sont les quatre points substantiels qui, plus ou moins, nous ont réunis, malgré des approches différentes, des perceptions différentes, des nuances, mais sur lesquels tout le monde était d’accord. Malheureusement il n’y a pas eu de document final, un écrit se rapportant à nos conclusions, parce que le gouvernement colombien s’y est radicalement opposé. Cependant, durant les conclusions, le dernier jour de ce séminaire qui a duré trois jours, voilà ce qui a été indiqué comme points d’accord, ce qui a été accepté par la majorité des participants.

Remedios Garcà­a : Le gouvernement colombien prend-il en compte ce genre de discussions, ce genre de travaux auxquels il participe directement ? Ou les ignore-t-il complètement ?

Carlos Lozano : J’espère qu’il les prendra en compte. Cependant notre expérience montre que la participation gouvernementale à ce genre de rencontres, en général, est assez arrogante, et s’il participe c’est pour contredire ceux que les autres disent à l’encontre du point de vue gouvernemental, et cela n’a finalement guère d’influence sur eux. Cependant, je pense qu’en raison de la participation du gouvernement espagnol, des Nations Unies, de l’Union européenne, cela peut au moins servir à faire réfléchir ce gouvernement, pour qu’il prenne en considération, pour qu’il veuille bien considérer les propositions qui ont surgi, d’une certaine façon ; parce qu’aujourd’hui le gouvernement est très soucieux de son image internationale. Ce n’est pas rien les difficultés provoquées par la présence d’Uribe Vélez lors de deux événements importants : le premier quand il s’est trouvé en Europe, l’an passé, au Parlement européen, il a dû intervenir devant une salle presque déserte, ce qui s’est répété il y a quelques mois, à l’Assemblée Générale des Nations Unies ; lorsque le président colombien est intervenu il y avait plusieurs sièges vides à l’Assemblée Générale, et la presse colombienne et les laudateurs ont voulu expliquer cela par le fait qu’Uribe Vélez intervenait parmi les premiers, commençant le matin, et que cela se produit généralement parce que les ambassadeurs et les délégués des gouvernements sont en train de se rendre aux sessions. Mais cela est une excuse, c’est un mensonge, que personne n’a cru en Colombie ; et tous les Colombiens ont compris qu’il s’agissait d’une façon pour la communauté internationale d’exprimer, si non une protestation, au moins son opposition au fait que la Colombie mette l’accent exclusif sur la guerre, la confrontation, avec l’appui exclusif du gouvernement des Etats-Unis, au lieu de favoriser des processus de paix et une solution politique au conflit. Je pense que toutes ces choses, qui se discutent dans ce genre de rencontres, ne sont pas inutiles. D’une certaine façon elles ont leur importance et cela fait réfléchir le gouvernement. Je crois que cela contribue à ce qu’ils comprennent que les voies et les perspectives correctes sont différentes à celles qu’eux empruntent pour le moment.

Remedios Garcà­a : Lorsque Uribe Vélez est arrivé au pouvoir, il y maintenant plus de deux ans, la politique du gouvernement colombien a changé radicalement. Quels sont les résultats obtenus avec cette nouvelle politique du président Uribe Vélez ?

Carlos Lozano : Il y a deux ans et trois mois environ que le gouvernement d’Alvaro Uribe Vélez a commencé. Il s’est produit un virage dans la vie politique nationale, parce qu’au contraire de la recherche insistante de la paix et des dialogues qui avait caractérisé le gouvernement antérieur d’Andrés Pastrana, jusqu’à ce que se produise la rupture du Processus de Négociation avec les FARC, au mois de février 2002, puis ensuite avec l’ELN, le gouvernement d’Uribe Vélez s’est orienté davantage depuis le début vers une politique de guerre, de solution militaire et il s’est y compris engagé devant les Colombiens en disant qu’en 120 jours il aurait au moins vaincu les FARC, auxquelles il a déclaré la guerre ouverte dès son entrée en fonction. Le gouvernement a concentré toute sa stratégie politique et militaire dans ce qu’il a appelé la « sécurité démocratique », laquelle n’apporte aucune sécurité et n’a rien de démocratique. Il s’agit en effet d’un catalogue de mesures de type autoritaire et de nature militaire. Et surtout elle place la vie politique colombienne sous le contrôle de l’intervention nord-américaine, laquelle détermine au fond les choix qui sont faits dans le pays, notamment dans la question de la guerre ou la paix.

Le gouvernement des Etats-Unis a renforcé le Plan Colombie avec ce qui est connu comme le Plan « Patriota », qui est un vaste dispositif militaire dans le sud de la Colombie, avec plus de 18 000 soldats dans toute cette zone de l’extrême sud du territoire national avec des moyens logistiques fournis par le gouvernement des Etats-Unis, avec tout le soutien technologique, avec des satellites et avec la base nord-américaine de Tres Esquinas dans le département de Putumayo [en Colombie], qui est, à ce qu’on dit, une des bases de renseignement les plus sophistiquées de toute l’Amérique du sud, et qui sert aux Etats-Unis pour espionner avec des satellites non seulement le territoire colombien mais toute l’Amérique du sud. Donc, le Plan « Patriota » c’est tout un dispositif de grande portée et c’est ce qu’ils sont en train de faire. C’est la politique mise en ouvre par Uribe Vélez, c’est l’essentiel de son action gouvernementale, il y investit toutes les ressources politiques et toutes les
ressources économiques du pays. Actuellement plus de 35% du budget national de la Colombie sont destinés à la guerre, à ces plans, le Plan « Patriota » dans le sud du pays, le Plan Colombie, sans compter l’argent qui vient de l’aide nord-américaine.

Sur le plan politique le gouvernement a lancé plusieurs initiatives, mais elles ont échoué parce que la Cour Constitutionnelle a considéré qu’elles étaient anticonstitutionnelles, illégales. La première c’était le fait de déclarer des zones du pays comme des « Zones spéciales d’ordre public », lesquelles avaient été décrétées en divers endroits du pays, surtout la grande zone frontalière du Venezuela, dans le département de l’Arauca, où se trouve toute la région pétrolière colombienne et qui est surveillée par des troupes nord-américaines, protégeant leur pétrole, parce qu’ils disent que c’est leur pétrole ; et, ensuite, ces « Zones spéciales d’ordre public » ont été déclarées non réalisables par la Cour Constitutionnelle, c’est-à -dire illégales. A la suite de cela est venu le « Statut antiterroriste », également déclaré illégal par la Cour Constitutionnelle. Aussi bien les Zones de contrôle de l’ordre public que le Statut antiterroriste étaient les instruments légaux dont le gouvernement se dotait pour agir contre le mouvement populaire et, soi-disant, contre les Insurgés, les FARC et l’ELN. Cependant ces plans n’ont servi qu’à accroître le conflit colombien, pour aiguiser la lutte armée révolutionnaire et ils ont été un échec parce que de toute façon le gouvernement n’a montré aucun résultat concret à la suite de ces plans. Et y compris maintenant le gouvernement des Etats-Unis, l’ambassade nord-américaine à Bogotá, des secteurs du patronat, des éleveurs, des grands propriétaires terriens colombiens, qui depuis le début ont soutenu le gouvernement et son programme belliciste, tout ce monde demande maintenant des comptes au gouvernement et aux forces armées ; ils considèrent que rien n’a été fait, qu’il n’y a pas de résultat concret à ces plans guerriers ; après deux ans et trois mois de guerre, de confrontation, donc beaucoup plus que les 120 jours qui avaient été donnés comme délai pour vaincre la guérilla. Il n’y a aucune défaite de la guérilla, au contraire, ce à quoi nous assistons c’est à l’extension du conflit, le conflit s’est prolongé, et actuellement il n’y a aucune perspective concrète de solution politique, en raison de la réticence du gouvernement national qui ne veut pas entendre parler des Dialogues de paix.

Remedios Garcà­a : Concernant l’action du gouvernement sur d’autres plans, sur le plan social, l’éducation, la santé, l’économie, quelle est la situation ? A-t-elle changée ? S’est-elle améliorée ?

Carlos Lozano : Non. Il n’y a rien. La situation du pays s’en aggravée. Le problème que nous avons maintenant c’est qu’il n’y a plus d’argent pour les investissements sociaux. 35% du budget sont destinés à la guerre, 35% au paiement de la dette extérieure et du service de la dette. Nous avons donc 70% du budget national qui disparaissent, qui ne sont pas disponibles pour les besoins sociaux de la population. C’est pour ça qu’il n’y a pas d’argent pour les investissements sociaux. Actuellement la crise de la santé et la crise de l’éducation sont deux talons d’Achille, pourrions-nous dire, du gouvernement d’Uribe Vélez. Il y a plus de 600 centres hospitaliers dans tout le pays qui sont menacés de fermeture, dont les principaux hôpitaux. Les hôpitaux de troisième niveau qui sont les plus importants et les hôpitaux universitaires des principales villes sont menacés de fermeture parce que le gouvernement n’a pas les moyens de les financer. L’argent qu’il peut économiser avec l’ajustement
fiscal sera orienté vers la guerre. L’argent qui vient de l’aide nord-américaine pour le Plan Colombie est orienté vers la guerre. Donc il n’y a plus de ressource pour investir dans le social. Y compris, il a maintenant, avant la fin de l’année 2004, dans le programme législatif, une nouvelle réforme fiscale pour étendre l’impôt sur les prix des produits de première nécessité, l’idée étant d’orienter ces bénéfices pour palier la situation dans la santé et dans l’éducation, surtout la santé, là où la situation est la plus grave. Mais il est maintenant plus difficile pour les majorités parlementaires, même en étant uribistes, d’approuver ce projet parlementaire parce que le pays va entrer dans une étape de campagne électorale et ces politicards n’ont pas du tout envie de se présenter devant leurs électeurs pour défendre de tels projets de loi, si antipopulaires ; il est donc très difficile que soit approuvée cette extension de l’IVA sur les produits de première nécessité. En fait, ils sont déjà en train de négocier avec le gouvernement pour que cela ne se passe pas comme ça. Il est donc très difficile pour le gouvernement d’obtenir les ressources nécessaires à l’investissement social. Le chaos social est assez important. C’est pour cela qu’Uribe Vélez est en train de dire qu’il a besoin d’une autre période présidentielle parce que, d’après lui, ces quatre ans sont ceux de la guerre, quatre ans pour battre les terroristes, alors que les quatre ans suivants seront ceux des solutions politiques. Mais cela est une histoire que plus personne ne croit, devant l’échec de la politique de « sécurité démocratique » et les plans militaristes.

Remedios Garcà­a : Quelle est la réponse de la population colombienne à tout cela ? Quelle est la réponse des organisations sociales ?

Carlos Lozano : Je crois qu’elle est très importante. De toute façon, ça n’a pas été facile pour le gouvernement d’Uribe Vélez. Il ne faut pas oublier que l’an passé, lorsque le gouvernement d’Uribe Vélez était encore tout frais, s’est produit le referendum avec lequel Uribe Vélez voulait récupérer un peu d’argent pour la guerre, en trouver davantage, un peu pour régler le problème social, le drame social qui existe, il voulait profondément réformer le système des retraites, et il voulait de plus renforcer toute la politique de « sécurité démocratique » avec de nouvelles mesures autoritaires. Et il a convoqué un referendum pour cela [en octobre 2003]. Et le peuple colombien, à travers ses organisations sociales et populaires, avec les partis de gauche, s’est uni dans une Grande Coalition Démocratique contre le referendum qui a permis de lui barrer la route. Le referendum n’a pas obtenu la participation constitutionnellement nécessaire parce que la Grande Coalition Démocratique a appelé à l’abstention contre le referendum et l’abstention a atteint un peu plus de 80%. Bref, Uribe Vélez n’a pas même pas réussi à obtenir que 20% de la population participe au referendum. Et parmi les gens qui ont voté, de toute façon il y a eu un pourcentage qui a voté contre, qui a voté « non » au referendum. C’est-à -dire que ceux qui ont soutenu le referendum, au moment où on disait qu’Uribe était très populaire, selon les sondages il plaisait à 85% des Colombiens, il n’a pas dépassé les dix pour cent d’approbation pour le referendum. Cela a été une défaite très importante à la suite de grandes mobilisations populaires et du rejet provoqué par le referendum. Je dirais qu’il s’est alors produit une sorte de point de départ de la confrontation entre le mouvement social et populaire et Uribe Vélez.

Ensuite il y a eu les élections locales, également perdues par Uribe Vélez. Les élections municipales ont été remportées par le Parti libéral, mais en plus des forces nouvelles ont surgi, et elles ont réussi a remporter des mairies, comme c’est le cas de Lucho Garzón, à Bogotá, avec le Pôle Démocratique Indépendant, soutenu par la gauche et par les syndicats, c’est aussi le cas d’Angelino Garzón dans le département de Valle, et ce ne sont pas les seuls. Il y a également des mairies comme celle de Medellà­n, de Pasto, de Barranquilla, qui ont aussi bénéficié du soutien populaire et qui, d’une certaine façon, sont aussi le reflet de cet épuisement du vieux pouvoir bipartiste [libéral et conservateur] et du faible soutien qu’Uribe Vélez a obtenu aux élections municipales. Le gouverneur du département du Chocó, qui est un des départements les moins importants en raison de sa difficile situation sociale, mais qui a une grande signification parce qu’on y trouve la plus grande quantité de
population afro-colombienne de notre pays ; au Chocó l’a également emporté un gouverneur alternatif, ex-dirigeant de la Federación Colombiana de Educadores, et il est y compris un ancien dirigeant du Parti communiste colombien, comme Lucho et Angelino. Donc, je crois que ces deux éléments, le referendum et le changement de panorama lors des élections locales, montrent une sorte de démarrage dans l’organisation sociale et populaire pour faire face à Uribe Vélez.

Après, passées les élections, il y a une série de prises de positions et il est décidé que la Grande Coalition Démocratique, qui avait été inaugurée pour lutter contre le referendum, doit continuer d’exister pour affronter le programme législatif et toutes les propositions bellicistes d’Uribe Vélez. Ainsi, à la suite de cela, cette Grande Coalition a organisé plusieurs journées de protestation. La plus importante sans aucun doute a été celle du 12 octobre 2004, qui a pu mobiliser des millions de Colombiens dans tout le pays. A Bogotá il y avait longtemps qu’on ne voyait pas une mobilisation aussi importante, aussi significative. Toute la journée il y a eu des mobilisations tout au long des rues de Bogotá, du matin jusqu’au soir ; ces marches se sont présentées, la Place Bolà­var qui se trouve dans le centre de la capitale a été remplie à plusieurs reprises. Elle se trouve enclavée dans le centre, là où il y a le Capitole National, le Congrès et le Palais de Justice ; là se trouve également le Tribunal. Derrière le Congrès il y a le Palais de Nariño où travaille le président de la République. Cette Place Bolà­var a une grande valeur symbolique et elle a été le théâtre de nombreuses luttes. Et comme on a l’habitude de dire, on hésite toujours à aller se mesurer à cette place parce qu’il n’est pas facile de la remplir. Cependant en cette occasion elle a été remplie plusieurs fois et la grande presse colombienne, la presse de l’oligarchie, qui généralement ignore ce genre d’événement, n’a pas pu l’ignorer. Le journal El Tiempo, qui est le seul journal de circulation nationale, a mis une grande photo de la marche en première page. Et les informations télévisées des puissants groupes économiques ont également dû donner une certaine couverture à l’événement. On voit qu’il y a comme un nouveau surgissement d’organisation. Il est important de noter que dans la Grande Coalition Démocratique il y a les trois centrales syndicales, les principaux syndicats du pays, les syndicats de retraités qui ne sont pas dans les centrales. Et il y a les partis de gauche, et il y a le Parti libéral, surtout le secteur emmené par la sénatrice Piedad Córdoba, bien que formellement elle soit dans le Parti libéral officiel, cependant celle qui est présente c’est la sénatrice Piedad. C’est comme ça que cette Grande Coalition a donné de la continuité à la protestation. Je crois que cela va être un instrument fondamental contre les actions législatives d’Uribe Vélez et également pour faire pression en faveur des Dialogues de paix, ce que nous appelons la solution politique du conflit et en faveur de l’Accord humanitaire, deux choses auxquelles s’oppose fortement le gouvernement d’Uribe Vélez.

Je crois qu’il y a une recomposition des forces qui est très importante et certainement vers la fin de cette année, avant la fin de la session parlementaire, c’est probable qu’il y ait une autre grève nationale comme le 12 octobre, parce qu’Uribe Vélez, avec son entêtement, ne veut pas comprendre le rejet des Colombiens contre ces mesures ; il veut insister. Cependant on peut percevoir la détérioration de son gouvernement, il n’agit plus avec le même ton autoritaire, qui a généré tant de conflits et tant de contradictions. Il essaie de garder bonne figure. Deuxièmement, les fameux sondages qui lui attribuait un si haut pourcentage en popularité, eh bien, le dernier grand sondage, ce qui est perceptible, c’est qu’il a baissé de 50%. Ce sont des sondages d’intérêt limité, assez tendancieux, cependant lors du dernier sondage il n’arrive même plus à 50% de sympathie, ce qui doit terriblement l’inquiéter au moment où il est en train de faire la promotion de sa réélection.

Remedios Garcà­a : Où se font ces sondages ? Toute la population est-elle consultée ?

Carlos Lozano : Non. Ces sondages sont assez trafiqués, ce sont des sondages qu’ils font dans les villes principales du pays, parmi des secteurs de la population choisis avec soin. Par exemple à Bogotá ce sont des sondages qui concernent entre 600 et 800 personnes dans une ville de plus de 7 millions d’habitants, et avec des différences tellement importantes, où il y a des quartiers qui sont des quartiers populaires, des quartiers où il n’y a pas de service public, qui n’ont pas les services élémentaires, jusqu’aux quartiers proches du centre où se trouvent les secteurs moyens, ou au nord où se trouve la grande oligarchie. Alors, évidemment, ces sondages, ne sont pas le reflet des intentions ou des inquiétudes du sud de Bogotá où se trouvent les marges de misère et de pauvreté les plus importantes, et dont on parle peu. Ce dont on parle c’est de la grande Bogotá qui a changé ces dernières années, pour vendre cette image aux multinationales et pour appeler les néolibéraux à investir.
Selon le dernier Rapport de Développement Humain, 60% des Colombiens, et Bogotá se trouve dans la moyenne nationale, se trouvent sous les limites de la pauvreté. Et plus de 30% de ces 60% se trouve dans la pauvreté absolue, c’est-à -dire que Bogotá est réellement une espèce de volcan qui a tout moment peut faire irruption.

Remedios Garcà­a : Beaucoup de ces habitants de Bogotá qui se trouvent dans la pauvreté sont des Déplacés, originaires de la campagne.

Carlos Lozano : Bien sûr, il y a beaucoup de Déplacés.

Remedios Garcà­a : A propos du mouvement social, ici en Europe on dit que la Colombie est un des pays où il est le plus dangereux d’être syndicaliste, mais le gouvernement d’Uribe Vélez ne stigmatise pas seulement les syndicalistes, qui sont très souvent assassinés par les paramilitaires, mais également beaucoup de militants des organisations sociales. Les membres des organisations sociales ont souvent été accusés de connivence avec les organisations Insurgées. Malgré tout ils continuent de travailler de façon très courageuse. Comment font-ils face à tout cela ? Par ailleurs, pourquoi ici en Europe, malgré la grande quantité d’assassinats politiques qui se commettent en Colombie presque tous les jours, la presse ne s’en fait pas l’écho ? Comment expliqueriez-vous ce manque d’information concernant la tragédie de votre pays ?

Carlos Lozano : Oui. En général il y a beaucoup de désinformation sur le thème colombien. Y compris Uribe Vélez est venu faire passer l’idée selon laquelle sa politique de « sécurité démocratique » génère de la sécurité pour les citoyens en Colombie. Par exemple, il dit des choses aussi cyniques que celle que je lisais ces derniers jours, à propos des chiffres pour les assassinats de syndicalistes. Il dit que la moyenne de syndicalistes assassinés tous les mois n’est plus de 25 mais qu’elle a baissé à 15. Maintenant c’est seulement 15 ! Quel grand événement ! Evidemment ce sont des chiffres assez manipulés, parce que les chiffres que donnent les organisations humanitaires sont différents, mais la manipulation est perceptible. C’est la même chose qui arrive avec les fameuses « caravanes de la sécurité ». Ce que font les voyageurs quand il y a ces ponts de week-ends prolongés en Colombie, des groupes de touristes se déplacent vers les grandes villes protégés par des chars de guerre, par des bataillons, et ils croient que c’est cela la sécurité démocratique. Comme si une véritable politique de sécurité ce n’était pas quand les gens peuvent se déplacer seuls, sans encombre, comme c’est le cas partout dans le monde. Mais c’est le genre de manipulation publicitaire que fait Uribe Vélez.

Certainement il y a une situation de danger pour les organisations sociales et populaires, pour les organisations de gauche. Tout comme Bush, Uribe Vélez dit que qui n’est pas avec lui est contre lui. Il a polarisé le pays : ou il faut être avec le gouvernement, ou celui qui n’est pas avec le gouvernement est supposé être un guérillero, un terroriste. C’est comme ça qu’il agit. Il oblige tous les Colombiens à prendre publiquement position, à être d’accord avec lui, en cas contraire ils sont dans l’oil de l’ouragan, parce qu’identifiés à un guérillero, à un terroriste. Et c’est pour cela qu’ils réalisent actuellement ce que nous appelons « une chasse aux sorcières », ce sont de véritables razzias qu’ils font, des opérations « Terre brûlée » dans les quartiers populaires, y compris dans des villes entières, dans des municipalités entières, pour arrêter les leaders populaires, les dirigeants, les militants, les syndicalistes, et y compris les fusiller comme cela est arrivé en Arauca, où ont été fusillés trois dirigeants syndicalistes sans autre forme de procès. Ca fait trois assassinats extra-judiciaires. Il y a eu aucune accusation, simplement ils sont arrivés et ils les ont assassinés, puis ensuite ils ont dit qu’il y avait eu un affrontement. Mais ensuite la Fiscalà­a elle-même [Ministère public], qui est une Fiscalà­a complètement au service du gouvernement, en fin du compte a dû admettre qu’il s’agissait d’un assassinat et maintenant ils vont juger ceux qui ont dirigé cette opération militaire. Bien entendu, ceux qui au sein du gouvernement ont défendu les auteurs matériels du crime, à eux il ne va rien leur arriver. C’est les petits soldats qui ont tiré et les sous-officiers qui iront en prison.

Le mouvement syndical continue de se trouver dans la ligne de mire des assassins. Les assassinats sont organisés par les organismes de l’intelligence militaire et par les groupes paramilitaires. Il y a par exemple le cas du professeur Alfredo Correa de Andreis, à Barranquilla, qui est emmené en prison ; il est accusé d’être guérillero des FARC ; puis au bout d’un mois, ou presque deux mois de prison, il prouve son innocence, il est libéré. Et il est alors assassiné. C’est ce qui arrive. Les enseignants, les travailleurs de la santé, le syndicat de la santé, lequel a dû faire face à toutes ces provocations, parce qu’ils disent que les médecins, les infirmiers qui appartiennent au syndicat ont l’habitude d’aller soigner les guérilleros blessés, ils sont donc persécutés ; et ceux qui ne sont pas mis en prison sont tués, ils les assassinent. La même chose se passe avec les dirigeants de la gauche, le Parti communiste, l’Union patriotique, les rares militants qui lui restent sont assassinés. Il n’est donc pas vrai que le nombre des assassinats ait baissé ; ce n’est pas qu’il existe une volonté, avec la « sécurité démocratique » de protéger davantage les Colombiens, au contraire, ici on fait taire la protestation populaire par le terrorisme d’Etat, par l’intolérance du président de la République, lequel lorsqu’à peine paraît un rapport d’une ONG, d’un groupe d’ONG, ou de toute organisation, qui contredit la version officielle et qui démontre que les Droits Humains sont effectivement violés en Colombie, le président dénonce alors ces organisations comme des organisations terroristes. En fait il y a ici une véritable persécution, les garanties n’existent pas, il n’y a pas de respect pour les Droits Humains. Ce que nous avons dit à différentes reprises. Et le gouvernement continue la même politique. Ce qui est important c’est que les organisations ont réussi, avec l’unité, avec ces fronts comme la Grande Coalition, avec leurs propres efforts, les ONG ont réussi à continuer d’agir, en défense de notre droit à agir dans le pays malgré ces situations et malgré ce danger. Nous verrons bien jusqu’où on peut aller. C’est pour cela que la solidarité internationale est importante.

Remedios Garcà­a : Comment expliqueriez-vous le silence du monde à propos de ce qui se passe en Colombie ?

Carlos Lozano : Il y a eu des protestations. Disons qu’il y a des médias qui taisent cette réalité, mais il y a eu des protestations, par exemple la protestation des eurodéputés lorsque Uribe Vélez s’est présenté au Parlement européen ; cela s’est senti et cela a été très important ; par exemple les prises de position de quelques organisations non gouvernementales comme Amnesty International et d’autres qui dénoncent toutes ces violations des Droits Humains, je crois que cela pèse. Y compris les Nord-américains eux-mêmes. Il faut dire qu’il est curieux que le gouvernement nord-américain qui s’arroge le droit, qui s’attribue la licence que personne ne lui donnée, de certifier le bon comportement en termes de Droits Humains des autres gouvernements, alors qu’il ne les respecte pas lui-même ; quoi qu’il en soit il ne donne pas une très bonne certification à la Colombie. Généralement il la certifie avec des conditions, ou y compris en disant que doivent être suspendus les liens avec les paramilitaires. Il y a quelques semaines nous avons eu connaissance de la lettre de Kerry, le candidat démocrate, et signée avec d’autres sénateurs démocrates, qui dit à Uribe Vélez qu’il doit mettre un point final aux liens avec le paramilitarisme. Je crois que ce sont des choses importantes. Il existe une tendance, bien entendu, à ignorer ce qui se passe en Colombie, il y a une tendance chez les gouvernements d’Europe et chez les gouvernements d’Amérique latine à taire cette situation avec l’argument que, en fin de compte, Uribe Vélez représente un gouvernement légitime, parce qu’il a été élu, comme si un gouvernement qui est élu populairement avait l’autorisation pour malmener et pour tuer tout le monde. Cependant, je crois que peu à peu avance le sentiment que les choses ne vont pas bien, bien qu’il n’y ait pas de grandes condamnations ou des rejets forts de la politique d’Uribe Vélez, il y a cependant quelque chose que nous pouvons sentir, c’est un désaccord dans beaucoup de secteurs, en beaucoup de lieux, avec la politique gouvernementale. Et je crois que cela est important. Evidemment la presse, le travail des médias est difficile, est compliqué, mais ils donnent une image trompeuse et erronée, ils font partie de ce vaste réseau qui permet à ce monsieur d’agir de cette façon. Mais il y un désaccord à l’extérieur, cela se perçoit, et cela se remarque.

Remedios Garcà­a : En ce qui concerne les gens qui forment les ceintures de misère autour des villes, dont beaucoup sont des paysans Déplacés, cela me donne l’impression que la campagne colombienne est en train de changer, la terre passe de certaines mains à d’autres mains ; en plus la production est en train de changer, le genre de production, cela se convertit en grandes extensions. Que se passe-t-il au juste ?

Carlos Lozano : Dans la campagne il y a eu une sorte de contre-réforme agraire. En Colombie il n’y a jamais eu de réforme agraire. Cinquante ans de conflit et, si vous me permettez l’expression, la première cause du conflit c’était l’absence de réforme agraire, dans un pays qui était à cette époque un pays agraire, bien que cela ait été changé au cours du temps. En Colombie les forces productives se sont développées, les relations de production, le capitalisme s’est installé, un capitalisme de développement moyen, l’économie est devenue une économie agro-industrielle. Malgré tous les changements de la structure économique du pays, la propriété de la terre est restée identique et la terre est restée aux mains des grands latifundistes. Cependant, maintenant, à partir de cette dernière violence, nous pouvons parler ainsi de ces dix dernières années, ce qui s’est produit avec le déracinement des paysans de leurs parcelles, de leurs petites propriétés, ce qui s’est produit c’est une contre-réforme agraire, parce que de nouveaux propriétaires ont surgi, ce sont les paramilitaires, et y compris quelques militaires qui ont conservé la terre et qui ont renforcé le pouvoir du latifundio. Ce sont comme de nouveaux latifundistes qui surgissent dans le secteur agraire de notre pays. Ce sont des situations très compliquées.

Il existe un projet de loi qui a été présenté au Congrès ces dernières semaines, et nous avons dans l’hebdomadaire Voz tiré la sonnette d’alarme, en disant qu’il s’agit d’un projet de loi présenté par quelques parlementaires de la Côte atlantique où ce phénomène est si évident et si ouvertement paramilitaire, un projet de loi pour légaliser les nouvelles propriétés de la terre, c’est-à -dire qu’il s’agit de donner le titre de propriété à ceux qui ont la terre qu’ils ont prise aux paysans expulsés de leurs terres. Et cela n’est pas un phénomène simplement de Déplacés, mais il s’agit d’un problème de paysans qui sont expulsés de leurs terres, parce que non seulement ils les déplacent mais en plus ils leur retirent leur propriété. En d’autres temps, en d’autre lieux peut-être, les paysans étaient déplacés, mais ils avaient la possibilités de revenir une fois que la situation redevenait normale. Ici, dans le cas présent, il perd même cette possibilité de pouvoir retourner sur sa terre, parce que ce paysan s’en va et perd sa terre. Quand retournera-t-il sur sa terre ? Pourquoi reviendrait-il ? Le jour où il y aura en Colombie une solution politique au conflit, le jour où il y aura une ouverture de la démocratie, ces paysans vont représenter un problème pour la période post-conflit, comme on dit. En effet, comment le problème sera-t-il réglé ? Si leurs propriétés ont disparu, ont été perdues.

Remedios Garcà­a : Mais ce phénomène qui se produit également, bien que d’une autre façon, c’est ce que Samir Amin appelle l’expulsion des paysans du système, lesquels se trouvent écartés. Mais en ce qui concerne la Colombie, nous entendons également dire que beaucoup de ces Déplacés ont été déplacés par la guérilla. La guérilla arrive et les gens fuient la guérilla. Pour insister sur la question de l’agriculture, il y a également un changement dans le type de production, n’est-ce pas ?

Carlos Lozano : Oui il a été modifié.

Sur la première partie de ta question, je dirais que plus que des paysans expulsés par la guérilla ce sont des paysans victimes du conflit. En fin de compte ce sont des paysans qui se trouvent pris au milieu du feu, du feu des combats entre la guérilla et l’armée. Ce sont des paysans, beaucoup qui s’en vont, y compris parfois ces déplacements organisés sont générés par la guérilla dans le but de les protéger, protéger la vie des gens qui se trouvent au milieu du conflit. Il n’existe pas l’idée d’accaparer leurs terres ou quelque chose comme ça, comme cela se produit dans le cas des paramilitaires.

Concernant la production, oui la production a été beaucoup modifiée ; également, le modèle néolibéral a fait disparaître la production agricole. Tous ces complexes agro-industriels qui avaient surgi comme des fruits de la modernisation de la campagne colombienne et du développement capitaliste, sont aujourd’hui ruinés par la concurrence du libre-marché, avec les produits qui arrivent de l’extérieur, le riz, etc., pour ne pas parler du café. Ils ont même annoncé que d’ici un an la Colombie va importer du café. C’est quelque chose de fou. Mais on va importer du café pour satisfaire le marché national et pour pouvoir atteindre certains quotas. Bref le café colombien sera bu à l’étranger. Nous, nous boirons du café du Costa Rica, du Salvador, ou qui sait d’où, parce qu’il y a des quotas sur le café, et comme la production a baissé énormément, il faut donc respecter les quotas, lesquels se basent sur la production nationale, et aux nationaux on leur donne n’importe quel café. En effet, cela a beaucoup changé, et tout cela en raison de l’absence de réforme agraire, d’une authentique réforme agraire et, sans aucun doute, également en raison de l’apparition du narcotrafic. Le phénomène du narcotrafic, le surgissement des cultures illicites a fait un mal terrible à l’agriculture en Colombie. Bien sûr les cultures illicites ont une particularité, c’est qu’elles ne se trouvent pas, sauf exceptions, à l’intérieur de la frontière agricole, mais elles se trouvent dans la forêt. Dans certains cas elles sont dans la frontière agricole où ont été substitués les cultures vivrières, c’est-à -dire que ces cultures illicites d’une certaine façon ont changé le schéma de la production agricole en Colombie.

Remedios Garcà­a : Et le problème des fumigations... Y aura-t-il un retour à l’agriculture antérieure ?

Carlos Lozano : Non, non parce qu’après les fumigations cela ne sert à rien. Curieusement, à ce qu’ils disent eux-mêmes, les paysans qui réalisent les cultures illicites disent que pour faire face aux fumigations la seule chose qu’ils puissent faire c’est de continuer les cultures illicites parce que la terre devient stérile pour toute autre production agricole ; il ne leur reste donc qu’à poursuivre la culture de la coca qui ne demande pas des conditions optimales pour la terre. C’est un mensonge que de dire que les fumigations mettent un terme à la culture et que la terre est rendue stérile pour la coca. La terre devient stérile pour la culture du manioc, de la pomme de terre, du riz, de ce que vous voulez, mais pour la coca non ; ils reviennent et ils la cultivent. Autant de fois ils font des fumigations autant de fois la culture de coca se multiplie. C’est pour cela que les experts disent qu’avec les fumigations on n’a jamais fait disparaître les cultures illicites, tout au contraire, elles se reproduisent comme jamais. Tous les ans. Le précédent ministre de l’intérieur, qui était si loquace, avait dit qu’en 2003 ils allaient en finir avec les cultures illicites, et en fin de compte l’année 2003 s’est achevée avec quasiment le même chiffre qu’au début de l’année ; ils avaient pourtant fumigué je ne sais combien d’hectares, de milliers d’hectares. Et cela se répète tous les ans. Ils ne peuvent pas en venir à bout de cette façon-là . C’est pour cela qu’il est proposé de voir le problème des cultures illicites dans le contexte d’une réforme agraire, pour résoudre un problème d’ensemble, un problème universel, ne pas voir le problème comme quelque chose de séparé ; la question de la réforme agraire, la question du développement agricole, voir tout cela ensemble. Parce que le gouvernement d’Uribe Vélez dit : « Les cultures illicites, je vais leur donner un traitement sous la forme de répression et fumigations, pour le reste on verra ». En effet on verra, mais ce qui est prouvé c’est qu’avec le Traité de Libre Commerce il n’y a pas de garanties, c’est pour ça qu’il est sur le point d’être rompu. Les discussions se trouvent à un point très bas sur la question, parmi d’autres, de l’agriculture. Il est donc très difficile de penser que par d’autres voies que la réforme agraire ces questions peuvent être réglées.

Le narcotrafic est un autre point, qui n’a rien à voir avec les cultures illicites. C’est-à -dire, cela a à voir avec les cultures illicites, mais disons qu’il ne demande pas les mêmes solutions que les cultures illicites. La solution est différente. La question du narcotrafic est liée à une série de mesures qui comprennent la répression des cartels de la drogue mais qui est également liée à la participation de la communauté internationale. Parce qu’il est très facile pour les Etats-Unis d’envoyer des produits chimiques, d’envoyer de l’argent, d’envoyer un tas de choses pour combattre les cultures illicites et le narcotrafic en Colombie tandis que là -bas ils ne prennent aucune mesure pour combattre la consommation, pour combattre les mafias qui distribuent la drogue et qui préparent les produits chimiques et tout ce qui est envoyé en Colombie par la voie légale pour les laboratoires et pour la production de la coca. C’est un problème qui doit impliquer les pays de façon plus sereine ;
et certainement il faudrait aborder la question de la légalisation de la drogue, un thème dont ils ne veulent pas discuter, sur la base de supposés principes éthiques. Mais finalement personne ne prend de décision. Les Etats-Unis consomment la moitié de la coca produite dans le monde. Comment résoudre cela ? Comment faire avec les Etats-Unis qui consomment, consomment et consomment ?

Et puis, pour éviter d’ouvrir un processus de solution politique, en plus de cette politique anti-narcotique, ce qu’ils font, ils associent la guérilla au thème du narcotrafic. Comme si cela avait quelque chose à voir ! Comme si en finir avec la narcotrafic ce serait en finir avec la guérilla ! En Colombie la guérilla existe avant le boom du narcotrafic, la guérilla n’a rien à voir avec ce problème, à son origine. Maintenant, naturellement, dans le développement de la lutte armée colombienne le narcotrafic est apparu dans la campagne colombienne et il est devenu une réalité. Bien sûr, personne ne peut ignorer que cela influe sur le conflit. Le narcotrafic influence le conflit d’une façon ou d’une autre, comme combustible donné au conflit. C’est pour cela que c’est un problème qui ne peut pas être analysé comme ça, d’un coup d’oil. C’est que le narcotrafic a tout pénétré, il a choisi des présidents de la république, Pablo Escobar a été parlementaire, les Rodriguez Orejuela du Cartel de Calà­ étaient propriétaires de banques et ils ont aidé des entrepreneurs à construire des logements, à construire des usines, à construire des entreprises. L’argent du narcotrafic a servi à tout en Colombie, alors on ne peut pas venir maintenant avec cette double morale, avec cette hypocrisie, en disant que ce sont les guérilleros qui sont responsables. Non. Le narcotrafic est une réalité du pays et il en est une expression, un bras tentaculaire dans le conflit, vers tout ce qui concerne les cultures illicites. Mais ces cultures illicites n’appartiennent pas à des narcotrafiquants, il s’agit de paysans déracinés, des paysans dont on a jamais résolu les problèmes, qui n’ont jamais bénéficié d’une réforme agraire, des paysans que le latifundio n’a jamais pris en compte et c’est pour cela qu’ils en sont arrivés là . C’est une réalité. Et cette réalité, la guérilla l’a trouvée sur place, déjà existante. C’est un problème sociologique, c’est un problème lié à la réalité politique et sociale colombienne, et c’est pour cela que nous ne pouvons pas l’ignorer. C’est pour cela qu’il faut un regard serein et calme pour observer le phénomène du narcotrafic. Nous devons observer l’ensemble du problème. Comment faire pour que le narcotrafic en effet n’affecte pas la vie des Colombiens, et cela est une question qui doit impliquer le monde entier, avec la participation de tous ceux qui d’une façon ou d’une autre sont liés au narcotrafic, de la consommation jusqu’aux fournisseurs d’intrants chimiques. Parce que les produits chimiques pour les laboratoires arrivent des Etats-Unis et des pays capitalistes développés. Alors : Comment peut-on dire que les Etats-Unis et les autres pays ne peuvent pas mettre des entraves pour que les produits chimiques n’arrivent pas ? Bien sûr qu’ils peuvent les contrôler. Et au fond il faut aussi ouvrir le débat sur la légalisation. Il ne faut pas voir cela de façon erronée, hypocrite, mais d’une façon réaliste.

Remedios Garcà­a : Où en sommes-nous sur la question de l’Echange Humanitaire ? Comment pourrait-on avancer ? En quoi consiste un Echange Humanitaire ?

Carlos Lozano : Il est congelé. Le gouvernement a fait quelques mouvements ; quelques unes de ses positions dénotent un va-et-vient selon les circonstances. L’Echange Humanitaire, que certains nomment également Accord Humanitaire, concerne la libération des personnes qui sont retenues en raison du conflit.

Quelles sont les personnes retenues à cause du conflit ? D’un côté les prisonniers de guerre qui sont les combattants, les guérilleros qui se trouvent dans les prisons colombiennes, accusés de tout un tas de délits, mais toujours avec un délit visible, un délit principal qui est le délit de rébellion. De là découlent d’autres délits, selon les circonstances : terrorisme, enlèvement, extorsion, homicide, tout un tas d’autres choses, mais le délit principal c’est la rébellion. Il y a aussi les combattants officiels que sont les combattants de l’Etat, les soldats et policiers qui ont été capturés par la guérilla au combat. Comme l’Etat colombien a toujours refusé cet Echange, les FARC ont décidé d’un mécanisme de pression pour l’Echange Humanitaire, qui a consisté à retenir des dirigeants politiques, des sénateurs, des représentants, des gouverneurs, une ex-candidate présidentielle, etc., comme une façon, disons, de faire pression en faveur de l’Echange. Tous ces gens sont appelées en Colombie « personnes retenues en raison du conflit » ; parce que concernant les politiciens civils les FARC n’exigent aucune contrepartie autre que l’Echange. Ils n’exigent pas d’argent pour les libérer. Ils font simplement partie d’un processus de négociation afin de leur donner la liberté. C’est ce qui est connu en Colombie comme l’« Accord Humanitaire », la proposition d’Echange Humanitaire. Bien sûr le gouvernement depuis le début dit que les personnes retenues par les FARC sont des personnes séquestrées et que les FARC doivent les laisser en liberté, et qu’il ne peut y avoir aucun type de négociation. Bien. Cela serait l’idéal. L’idéal serait que la guérilla puisse dire : « Bon, je les laisse tous en liberté », et le problème est fini. Mais comme cela n’est pas le réel, nous avons ici une situation, qui nous est imposée, il s’agit de l’Echange de guérilleros qui se trouvent en prison contre des gens qui se trouvent dans la forêt. C’est ce que propose la guérilla.

Que cela nous plaise ou non, que nous soyons ou non d’accord, c’est ce qu’a proposé la guérilla. Il ne s’agit pas là d’une discussion idéologique, ou philosophique ou juridique. C’est un fait qui nous est imposé. Il faut donc le percevoir d’un point de vue humanitaire. Si le problème est posé de cette façon il faut lui rechercher une solution sur cette base-là , par cette voie. Ce qui a été proposé, c’est que le gouvernement et la guérilla se rencontrent et parviennent à un accord pour que la guérilla libère les gens qu’elle détient et pour que l’Etat libère les guérilleros qu’il détient, que le gouvernement, représentant l’Etat, rende les guérilleros à la guérilla. Cependant, cela n’a pas été possible. Le gouvernement a commencé par dire non, ensuite il a dit qu’il allait étudier la question, puis il a nommé une commission de l’Eglise comme intermédiaire. La commission a rencontré la guérilla ; cependant, par la suite, elle a été délégitimée ; puis le gouvernement a soutenu d’éventuelles négociations de facilitation que pourrait entreprendre le gouvernement suisse. En fin de compte. ça n’a pas été possible.

En dehors du gouvernement et de la guérilla, s’est formée une commission nationale pour l’EchangeHumanitairedans laquelleagissent beaucoup de personnes, comme l’ex-président López, l’ex-chancelier Augusto Ramà­rez Ocampo, des membres des familles des personnes retenues par les FARC, quelques ONG humanitaires, le Comité Permanent pour la Défense des Droits Humains ; et, moi-même, j’ai travaillé à cela.

Je dis « en dehors du gouvernement et de la guérilla » parce que ce que font ces gens c’est, en toute bonne volonté, des propositions au gouvernement et à la guérilla pour essayer de débloquer la négociation, ou d’ouvrir la période d’approche entre le gouvernement et la guérilla. Cependant cela se trouve à l’arrêt. Le gouvernement allègue que c’est une impossibilité juridique ; l’ex-président López a montré, grâce à ses grandes connaissances juridiques du Protocole 1 et 2 et de l’article 3 principal des Conventionsde Genève, que le Droit International Humanitaire existe.Tous ces instruments internationaux font partie de l’ensemble constitutionnel de la Colombie. Cela s’appelle le « Bloc de constitutionnalité », non seulement la Charte Constitutionnelle colombienne, mais aussi tous les traités bilatéraux et multilatéraux souscrits par la Colombie et qui doivent être compris comme faisant partie de la Constitution parce qu’ils obligent l’Etat colombien, ils sont contraignants pour l’Etat colombien, c’est pour cela que ça s’appelle « le Bloc de constitutionnalité ». Mais dans ce cas il n’est pas besoin de faire de grands changements à la Constitution, parce que le Protocole 1, le Protocole 2, et l’article 3 principal, tous les traités liés au Droit International Humanitaire font partie de la Constitution colombienne, de fait et de droit, parce que c’est une partie du Bloc de constitutionnalité. Cela a été démontré par l’ex-président López avec suffisamment d’éloquence. Mais le gouvernement ne l’admet pas.

Y compris, l’ex-président Samper a également signalé qu’il s’agit d’une question de volonté politique. Et dans le fond, c’est de cela qu’il s’agit, de volonté politique, que le gouvernement comprenne la souffrance des gens, des parents qui se trouvent détenus par la guérilla et de prisonniers qui se trouvent entassés dans les prisons et soumis à des mauvais traitements et à la violation de leurs Droits Humains, dans un pays comme la Colombie, où les Droits Humains des gens qui sont dans la rue et mènent des activités tout à fait ordinaires ne sont pas respectés, ces droits sont encore moins respectés pour les gens qui se trouvent en prison en raison du conflit. Les choses sont comme ça, il n’y a pas de rapprochement. Le gouvernement dit qu’il n’est disposé à laisser en liberté cinquante guérilleros qui seraient jugés et condamnés pour rébellion, ce qui ne s’obtiendra pas. Je ne crois pas qu’on puisse en trouver, ni même dix, parce que tous les guérilleros sont jugés pour rébellion plus d’autres délits, ce que les avocats appellent « les délits connexes ». Il y a un délit principal, un délit central c’est la rébellion, et en raison de la rébellion ils commettent d’autres délits : une personne qui se soulève avec les armes contre un Etat, quand elle prend les armes, lors d’un combat elle peut tuer quelqu’un, et cela est un homicide. Mais il n’a pas commis l’homicide parce qu’il l’a voulu mais parce qu’il se trouve en situation de rébellion. D’autres retiennent une personne, ou ils la séquestrent, ou ils commettent des extorsions, comme on peut appeler cela, et alors cela est immédiatement ajouté. Ou ceux qui prennent une agglomération, cela est maintenant entré dans le code pénal colombien comme « délit de terrorisme ». Alors ils ont tous, en plus de la rébellion, d’autres choses, ils ne vont donc même pas trouver dix guérilleros. Cette proposition du gouvernement n’a donc aucune utilité, elle ne satisfait pas la guérilla parce qu’elle n’a rien de réaliste.

Remedios Garcà­a : Le problème ne serait-il pas pour le gouvernement que le fait de mener ce type de négociation signifie donner une certaine reconnaissance à la guérilla ?

Carlos Lozano : Oui. Tout cela a son importance. Le gouvernement craint que tout rapprochement avec la guérilla, surtout si cela signifie un rapprochement de la communauté internationale, des Nations Unies, le groupe des Pays amis., il craint que cela ne finisse par une reconnaissance politique de la guérilla ou, encore mieux, d’une espèce de Statut de belligérance. Ils font très attention à cela. C’est pour cette raison, parmi d’autres, que le gouvernement a saboté toute tentative de participation internationale. Lorsque le Conseiller du secrétaire général des Nations Unies, James Lemoyne, a voulu aller discuter avec la guérilla, le gouvernement a toujours cherché des prétextes pour qu’il n’y aille pas. Une fois ils lui ont même dit qu’il s’agissait d’un stratagème de la guérilla pour l’enlever et le séquestrer. Lorsque le Brésil a offert son territoire ils ont également recherché des prétextes. Ils ne veulent donner aucun type de reconnaissance politique à la guérilla et encore moins quelque chose qui puisse ressembler au Statut de belligérance.

Tout cela est vrai, mais il faut aussi prendre en compte l’obsession du gouvernement qui croit que tout rapprochement avec les Insurgés risque d’affecter ses plans de « sécurité démocratique », c’est-à -dire que tout cela pourrait fragiliser le Plan « Patriota », le Plan Colombie, le succès des opérations militaires, croient-ils. C’est pour cela que le gouvernement fait face à un double problème, d’un côté ne reconnaître en aucune façon le caractère politique des Insurgés colombiens et d’un autre côté il croit que tout rapprochement va nuire à sa politique de « sécurité démocratique ». Et tout cela joue contre l’Echange Humanitaire ainsi que contre tout éventuel Dialogue de paix.

Remedios Garcà­a : Le gouvernement a cependant reconnu les groupes paramilitaires.

Carlos Lozano : Bien sûr, il a reconnu les groupes paramilitaires et il leur a tout donné en échange de rien. Uribe Vélez avait dit que non, que durant sa présidence il n’y aurait pas de zone de distension comme celle qui a existé pour les FARC au Caguán. Cependant il leur a donné une zone de distension, aux paramilitaires, dans le département de Córdoba, sur la côte nord de la Colombie, au Ralito, toute cette région connue comme Santa Fe de Ralito, où se réalisent les dialogues entre le gouvernement et les paramilitaires, tout cela est aux mains des paramilitaires. Tout cela est un territoire à eux et ils y font ce qu’ils veulent.

Deuxièmement, le gouvernement a dit que tout rapprochement avec les groupes de guérilla doit être accompagné d’un cessez-le-feu comme il dit, c’est-à -dire d’un cessez-le-feu et d’un engagement des guérilleros à ne plus réaliserd’action militaire contre l’Etat. Cependant, les groupes paramilitaires n’ont pas été contraints à cet engagement, parce qu’ils continuent d’agir dans tout le pays, ils continuent d’assassiner les gens, ils continuent de réaliser des opérations en de nombreux endroits contre la population civile.

Troisièmement, il leur a offert la possibilité de s’étendre à tout le territoire national. Un rapport récent de El Tiempo, journal uribiste, démontre que le pays est plus paramilitarisé que jamais. A telle point que dans de nombreuses régions d’où la guérilla est partie en raison de son redéploiement, de sa restructuration, ou parce que la présence de l’armée l’a fait partir, en ces endroits sont arrivés les paramilitaires. Aujourd’hui des départements entiers sont aux mains des paramilitaires. Le maire de Cúcuta, ville si importante en Colombie, capitale d’un département, est en prison pour paramilitarisme. On a également découvert que plusieurs entreprises qui promeuvent la santé, des entreprises privées, étaient au service des paramilitaires, c’était des affaires des paramilitaires. Les affaires de la contrebande, ce qu’on appelle en Colombie les sanandresitos, là où sont vendus les appareils ménagers, les vêtements, des tas de choses ; tout provient de la contrebande, mais c’est légal, enfin cela fonctionne avec la tolérance de l’Etat, tout cela était aux mains des groupes paramilitaires, à Bogotá ! Rien de moins ! Alors comment le gouvernement peut-il dire que pour qu’il y ait dialogue il faut un cessez-le-feu, si pour les paramilitaires il n’a rien exigé ! Cela est un processus totalement gratuit, les paramilitaires n’ont rien donné, le gouvernement leur a tout donné. En plus, comme on l’a su il y a quelques jours, par des enregistrements, rendus publics, provenant des réunions qui se sont déroulées à Ralito, le gouvernement est en train d’étudier, premièrement, le fait qu’ils n’effectueront pas un seul jour de prison pour les graves délits de lèse-humanité qu’ils ont commis. Impunité totale ! Cela est en train d’être discuté, c’est ce qu’ils appellent « une Loi de la vérité et de la réparation » qui est connue comme « Loi d’alternative pénale ». C’est comme ça qu’elle s’est d’abord appelée. Maintenant ils lui ont donné un nom beaucoup plus suggestif et ils l’appellent « Loi pour la vérité et la réparation et contre l’impunité », quelque chose comme ça. Dans cette loi il est dit que les paramilitaires font effectuer des peines de cinq ans, ceux qui ont commis des délits atroces. Les paramilitaires ont répondu : pas un seul jour de prison. Il semble qu’ils en soient là des négociations.

L’autre chose qu’ils sont en train de négocier c’est l’extradition. Par principe je m’oppose à l’extradition, pour personne, pour aucun Colombien, même s’il est narcotrafiquant ou paramilitaire. Je ne suis pas d’accord avec l’extradition, par philosophie, par esprit souverainiste et par dignité nationale, je pense que l’extradition ne doit pas exister. Mais, il est beaucoup plus grave que là , au Ralito, le gouvernement soit en train de négocier avec les paramilitaires la non-extradition en échange de rien. Simón Trinidad, commandant des FARC, va être extradé, alors que Salvatore Mancuso, qui est responsable non seulement de narcotrafic mais également de la mort de milliers de Colombiens va finir au Sénat de la République. Voyez le paradoxe : Simón Trinidad, guérillero, un cadre politique de la guérilla, qui en a été le porte-parole lors des Négociations du Caguán, va finir dans une prison des Etats-Unis et Salvatore Mancuso, un criminel, un narcotrafiquant, va certainement finir au Sénat de la République. C’est ce qu’ils sont en train de négocier.

Remedios Garcà­a : Donc, en dehors de leur situation personnelle, ils ne posent aucune autre condition, ils ne font aucune demande, ils n’ont aucun projet ?

Carlos Lozano : Non, rien du tout. Il s’agit d’un dialogue « entre moi et moi », comme nous disons en Colombie. C’est le dialogue de l’Etat, qui a créé les paramilitaires, avec les paramilitaires, sa créature. Donc, que peuvent-ils négocier entre eux ? Les paramilitaires ne sont pas des insurgés, comme ils les appellent parfois, parce que l’Insurgé c’est celui qui se rebelle contre l’Etat, celui qui prend les armes contre l’Etat, c’est celui-là le rebelle, parce qu’il croit que c’est un Etat anti-démocratique, injuste et qu’il faut donc le changer pour un autre meilleur. Ce n’est pas le cas de ces paramilitaires, ces paramilitaires ont surgi comme un instrument de l’Etat pour la guerre sale, pour le terrorisme d’Etat. Que vont-ils donc négocier ? C’est pour cela que nous avons dit que ce qu’il faut leur appliquer à ces paramilitaires c’est une politique de soumission à la justice, et non une négociation. Que peuvent-ils négocier entre égaux ? On négocie avec un contradicteur. Si je vais acheter une maison, je négocie avec le propriétaire, qui est mon contradicteur à ce moment-là , parce qu’il me demande trop pour la maison, et je lui dis donc de baisser son prix. Mais quelle contradiction y a-t-il dans le cas des paramilitaires et de l’Etat ? Quand on sait que le paramilitaire a été créé par l’Etat pour qu’il le défende. Il n’y a aucune contradiction. C’est pour ça qu’on parle du dialogue « entre moi et moi », c’est un dialogue entre pairs. Il n’y a ni contradiction ni antagonisme. Leurs contradictions sont des contradictions formelles, leurs contradictions se résument à savoir s’ils font cinq ans de prison ou s’il font zéro année, s’ils vont être extradés ou pas, parce que le maître yankee demande leur extradition ; du coup le gouvernement, qui est soumis aux Nord-américains, doit donner une réponse aux Nord-américains à propos de l’extradition des paramilitaires. Ils ne négocient donc rien. C’est pour cela que ce qu’il faut faire c’est les soumettre à la justice, leur faire une proposition, de toute façon intéressante pour eux évidemment, mais pas l’impunité, et qui leur demanderait de répondre pour les crimes qu’ils ont commis. Et non seulement eux mais tous ceux qui les ont aidés, financés, également au début, ceux qui les ont organisés.

Parce que dans cette histoire il y a un problème : le problème ce n’est pas seulement Mancuso. Qui tire bénéfice de tout cela ? Où sont les latifundistes ? Où sont les éleveurs ? Certains se trouvent dans des ambassades, ils ont été nommés par Uribe Vélez et ils sont partis. Certains de ces éleveurs, où se trouvent-ils ? Et pourquoi ne répondraient-ils pas également devant la justice ? Où se trouvent les généraux qui ont été absous par les tribunaux militaires ? Alors que la Procuradurà­a General de la Nación [la Justice] les a destitués en raison de crimes contre la population civile et pour leur complicité avec les paramilitaires. Ils doivent également répondre devant la justice. C’est pour cela que lorsqu’en Colombie nous parlons de cela, ce qui s’impose c’est une Commission Vérité, mais une véritable Commission Vérité, qui punisse ceux qui ont commis des crimes, et non seulement les chefs du paramilitarisme, qui sont effectivement des criminels. Mais il y a d’autres personnes qui ne sont pas moins criminelles, mais parce qu’ils sont des gens importants à col blanc ils ne voudront pas faire face à la justice. Mais ils doivent aussi faire face à la justice.

Le problème c’est que le paramilitarisme en Colombie c’est un problème d’Etat, l’Etat a été compromis. Il ne faut pas perdre de vue que durant le gouvernement d’Ernesto Samper la Brigade 20 a été dissoute, c’était une brigade d’intelligence et de contre-intelligence, pour laquelle il a été amplement prouvé qu’elle a participé à des crimes, à des assassinats et dans la guerre sale contre le peuple colombien. Et jamais aucun gouvernement n’a voulu faire quoi que ce soit. Samper a fini par faire quelque chose parce que le gouvernement des Etats-Unis le lui a exigé, dans le cadre de sa supposée politique de Droits Humains. Ce n’est pas qu’il se soit agi d’un geste démocratique de Samper, mais il s’agissait d’un geste de soumission face à la pression des Etats-Unis. Et la Brigade 20 a été dissoute. Mais dans toutes les archives de la Brigade 20, tous ceux qui en faisaient partie ont été dispersés dans toutes les brigades colombiennes et tout cela continue d’exister. Donc tous ces gens doivent répondre devant la justice parce que tout cela constitue le réseau paramilitaire.

Le paramilitarisme ce n’est pas Mancuso, ce n’était pas Castaño, ce n’était pas tous ces bandits. Le paramilitarisme c’était tout un réseau où se trouvaient les militaires, quelques éleveurs, des entrepreneurs, des latifundistes et il y avait aussi l’ambassade des Etats-Unis à Bogotá. Les Etats-Unis ne peuvent pas non plus dire qu’ils n’avaient rien à voir, ils ont participé à tout cela. Ils se sont servi du narcotrafic par exemple et du paramilitarisme pour combattre Pablo Escobar. Carlos Castaño était celui qui organisait les attentats contre les propriétés de Pablo Escobar pour le compte de la DEA. Tout cela doit être analysé, tout cela doit être examiné à l’heure de vérité.

Remedios Garcà­a : Vous parlez au passé. Est-ce que tout cela est fini ?

Carlos Lozano : Cela continue d’exister. Sans aucun doute, il continue à y avoir beaucoup de responsabilités. Peut-être moins ouvertement, probablement moins ouvertement, mais la relation des militaires est évidente, encore aujourd’hui. Peut-être l’ambassade nord-américaine, la DEA, la CIA, toutes ces organisations qui ont participé dans le passé, peut-être qu’aujourd’hui elles ne participent plus avec autant de force. Je ne sais pas, je ne le dirais pas. Mais les militaires colombiens oui. Les militaires colombiens, là où ils vont ils sèment le paramilitarisme. C’est pour cela que le pays est paramilitarisé, malgré un supposé processus de négociation avec eux. Les paramilitaires sont partout dans le pays. Nous allons maintenant vers des élections, pour le Sénat, pour le Chambre, dans deux ans, dans un pays qui est aux mains des paramilitaires ; lesquels ont en plus été invités au Congrès, ils disposent de 30% des élus au Congrès. Nous l’avons dit il y a deux ans dans l’hebdomadaire Voz, nous l’avons dénoncé. On nous avait alors répondu qu’il s’agissait d’histoire inventées par les communistes. Aujourd’hui nous assistons au défilé des congressistes qui se rendent à Ralito, là -bas, qui rencontrent monsieur Mancuso, se font prendre en photo, qui prennent du whisky avec lui, cela est généralisé et banalisé. Aujourd’hui tout le monde peut le voir. Ils sont même allé célébrer des anniversaires de congressistes au Ralito, avec Mancuso et avec tous ces messieurs du paramilitarisme.

Remedios Garcà­a : Dans ce panorama peut-on avoir une solution avec des élections qui changeraient la situation du pays, ou est-ce qu’il faudrait autre chose ?

Carlos Lozano : Non. Cela ne se réglera que par la voie d’une solution politique du conflit. Il n’y a pas d’autre solution. Une solution politique dans laquelle serait forcément inclus le mouvement insurgé qui, de toute façon, fait partie du mouvement populaire et du mouvement révolutionnaire en Colombie, et qui doivent compter à l’heure du changement qui se produira dans le pays. On ne peut faire que comme ça. Il est démontré que le gouvernement ne peut pas vaincre militairement la guérilla. Cinquante ans d’histoire l’ont montré, tellement souvent on nous a annoncé la bataille finale et le jour J. Ils l’ont répété tellement souvent. Mais cela ne s’est jamais produit. Il serait plus facile de discuter avec la guérilla, avec la société colombienne également, et d’ouvrir la voie à un nouveau pays, à une Nouvelle Colombie. Nous ne parlons pas de la dictature du prolétariat, ni de révolution socialiste, ni de remettre le pouvoir à Manuel Marulanda ou au Mono Jojoy. Ce que nous disons c’est que si nous voulons réellement avancer vers une nouvelle étape de la vie nationale, de paix, de progrès social, il faut une ouverture démocratique. Le pays ne peut pas avancer vers cette étape dans la situation actuelle. C’est pour cela, entre autres choses, que le problème ne se résoudrait même pas avec l’écrasement militaire de la guérilla. La guérilla pourrait être anéantie. Si les gringos s’engagent, ils pourront peut-être faire disparaître la guérilla, mais cela ne change rien au problème. Nous resterons dans un pays qui vit les rigueurs d’un système anti-démocratique, d’une démocratie inexistante, de la répression, de la non équité sociale, et d’un pays paramilitarisé, d’un pays aux mains de bandits et de narcotrafiquants. De quoi avons-nous besoin pour changer cela ? Une solution politique, des changements politiques auxquels participerait la guérilla colombienne, qui fait partie de la réalité nationale, de la réalité politique nationale, parce qu’il s’agit de mouvements politico-militaires. Les FARC et l’ELN ne sont pas simplement des mouvements militaires qui se sont soulevés parce que le pouvoir est au bout du fusil, à cause du Che Guevara. Non, il y a là un mouvement guérillero qui a surgi pour des raisons profondes, qui ont à voir avec tout cela, avec l’anti-démocratie, l’injustice sociale, l’exercice violent du pouvoir par ceux qui l’ont toujours monopolisé et qui le détiennent encore de la même façon aujourd’hui. C’est pour ça qu’on a besoin d’une solution politique de fond.

Remedios Garcà­a : Mais il y a déjà eu des négociations récemment avec le gouvernement précédent, et elles ont échoué. Pourquoi ont-elles échoué ?

Carlos Lozano : Elles ont échoué pour une raison : C’est que l’oligarchie colombienne, ce que nous appelons l’établissement, refuse les changements. C’est-à -dire, ils veulent la paix gratuitement. Ils ont toujours voulu discuter avec la guérilla, non seulement le gouvernement précédent, cela s’est produit à Caracas, à Tlaxcala, cela s’est produit à La Uribe pendant le gouvernement Betancourt. Ils veulent toujours discuter avec la guérilla pour qu’elle dépose les armes, et c’est pour cela qu’ils ont élaboré un modèle de négociation. Ils disent : nous allons négocier, mais d’abord il faut frapper durement la guérilla pour qu’elle arrive vaincue à la table des négociations. Et comme ça a marché dans le passé, dans le cas du M19, l’autre guérilla qui était presque vaincue, ils ont donc adopté cela comme paradigme, comme modèle. Mais le fait est que ce modèle ne peut pas être généralisé. Ce n’est pas un modèle. Cela a marché avec le M19, mais le pays est resté dans le même état. Le M19 a reçu quelques petites choses, qui se sont révélées éphémères et ensuite la majorité de ses membres ont été cooptés par l’établissement. Les autres sont dispersés, certains se trouvent dans des organisations de centre-gauche, demandant pardon à l’établissement pour avoir participé à la lutte armée.

Remedios Garcà­a : Quel est le rôle du Parti communiste colombien dans le processus politique, si on prend en compte les risques que cela signifie dans un pays où on assassine tellement les dirigeants politiques de l’opposition, de la gauche, de la vie syndicale et du mouvement populaire ?

Carlos Lozano : Le Parti communiste colombien est une réalité nationale qui est parvenu à rester actif politiquement malgré la guerre sale et le terrorisme d’Etat. En Colombie il existe une caricature de démocratie et c’est pour cela que l’activité politique et sociale est très risquée sur la scène nationale. Cependant, malgré cela il existe encore des espaces pour persister dans la lutte de masse pour transformer la société. En Colombie les révolutionnaires luttent de toutes les façons les plus diverses dans le but d’élever la conscience et la lutte des masses pour mener à un changement positif. Le Parti communiste joue un rôle très important de ce point de vue, c’est une force considérable dans le mouvement syndical, il fait parti du Front Social et Politique, il essaie d’élargir l’unité et la conformation d’un mouvement alternatif dont ne serait exclue aucune force de gauche, aucune organisation révolutionnaire, y compris les Insurgés, pas plus que les centrales syndicales et d’autres organisations populaires.

Remedios Garcà­a : Comment évaluez-vous la situation internationale ? Quelle en sont les répercussions en Colombie ?

Carlos Lozano : Sans aucun doute la victoire de Bush favorise la politique autoritaire d’Uribe Vélez, comme elle favorise l’interventionnisme yankee et l’exécution du Plan Colombie et du Plan « Patriota » dans notre pays. Mais le monde n’avance pas dans le sens des forces rétrogrades et réactionnaires. En Amérique latine les élections les plus récentes ont favorisé les secteurs de gauche et démocratiques. La Victoire du Frente Amplio en Uruguay est peut-être le cas le plus emblématique, mais il y en a d’autres comme les avancées au Brésil, bien que le PT ait perdu les mairies de Sao Paulo et de Porto Alegre, la large victoire de Chávez au Venezuela, qui renforce la Révolution Bolivarienne, l’avancée des sandinistes au Nicaragua, les résultats de la gauche au Chili, et d’autres. En Europe la dynamique n’est peut-être pas équivalente, même si Aznar a bien été vaincu en Espagne. Cela veut donc dire que la tendance ne favorise pas l’agression contre les peuples et la soumission à l’impérialisme par l’intimidation et la guerre. Il y a une sorte de recomposition à la suite du grand bruit anti-terroriste post-11 Septembre 2001. Bush n’est pas le maître du monde, bien qu’il ait fait une sorte de coup d’Etat contre la planète sous le prétexte du renversement des Tours Jumelles. Le néolibéralisme a causé beaucoup de dégâts. L’humanité est consciente que le capitalisme sauvage qui a succédé à la fin de l’URSS est un modèle inacceptable qui favorise exclusivement le pouvoir financier et les transnationales. De plus en plus de monde se mobilise dans la contestation altermondialiste et antiglobalisation. Il reste encore beaucoup à faire. Surtout, il est nécessaire que ces mouvements, issus de la simple contestation, en arrive à une position beaucoup plus définie en termes politiques et finissent par comprendre que l’option socialiste, et le virage à gauche, c’est la seule chose qui puisse vaincre la dictature du capital et ouvrir l’espace au social et au règlement de la dette historique des riches envers les exploités.

En Colombie cette situation se présente également. Le pouvoir d’Uribe Vélez s’affaiblit. Il n’a plus la même capacité ni la même force qu’auparavant, on sent percer une crise et cela est le produit de la mobilisation des masses et de la contestation populaire.

Remedios Garcà­a : Il propose sa propre réélection.

Carlos Lozano : Oui, il propose sa réélection. C’est devenu pour lui une obsession. Je ne veux pas dire qu’Uribe Vélez soit déjà vaincu. Nous ne pouvons attendre tranquillement la chute du tyran. Il faut la provoquer avec l’action démocratique et la résistance populaire. C’est pour cela que, face à la perspective de la réélection d’Uribe Vélez, dont la possibilité devrait être approuvée bientôt par le Congrès [ce qui s’est en effet produit, NdT], la gauche et les secteurs démocratiques n’ont pas d’autre alternative que de s’unir, en abandonnant les comportements sectaires et exclusifs. Personne ne peut prétendre être le pôle de l’unité ou de la gauche mais il faut la construire en comprenant que c’est une tâche de tous ceux qui luttent pour la démocratie et la Nouvelle Colombie. Il faut rechercher un candidat unique, avec un programme avancé, politique et social, pour vaincre l’ambition uribiste. Alternative Démocratique et le Front Social et Politique ont proposé la candidature du sénateur Carlos Gaviria Dà­az, ouverte à l’entente et au consensus démocratique. C’est l’engagement historique de la gauche. Le mouvement d’unité c’est pour la solution politique du conflit et pour les accords humanitaires, contre le TLC et contre l’ALCA (Zone de libre-échange des Amériques, ZLEA), en défense de la souveraineté nationale, contre le néolibéralisme et pour un nouveau modèle de développement et pour des réformes politiques et sociales. Il y a de la place pour tous ceux qui partagent ces idées, les seuls qui en sont exclus ce sont les uribistes et les opportunistes qui veulent profiter du sentiment de rejet provoqué par le projet réélectionniste d’Uribe Vélez.

 Source : www.rebelion.org

 Traduction : France Amérique Latine 93

 Transmis par Cuba Solidarity Project

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 Lire aussi :

- Colombie : mobilisation massive contre le néolibéralisme, 26 novembre 2004 http://risal.collectifs.net

 Et aussi :

- Colombie - STOP URIBE : L’argent de l’Union Européenne ne doit pas financer des assassins

- Colombie : un géant pétrolier américain accusé de complicité de massacre

- Colombie : Uribe, l’homme de Washington

- Colombie : Le massacre de Betoyes

- Géopolitique du Plan Colombie

URL de cet article 1951
   
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Que ce soit bien clair : nous avons commis des erreurs, évidemment. Et nous en commettrons d’autres. Mais je peux te dire une chose : jamais nous n’abandonnerons le combat pour un monde meilleur, jamais nous ne baisserons la garde devant l’Empire, jamais nous ne sacrifierons le peuple au profit d’une minorité. Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait non seulement pour nous, mais aussi pour l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie, les générations futures. Nous avons fait tout ce que nous avons pu, et parfois plus, sans rien demander en échange. Rien. Jamais. Alors tu peux dire à tes amis "de gauche" en Europe que leurs critiques ne nous concernent pas, ne nous touchent pas, ne nous impressionnent pas. Nous, nous avons fait une révolution. C’est quoi leur légitimité à ces gens-là, tu peux me le dire ? Qu’ils fassent une révolution chez eux pour commencer. Oh, pas forcément une grande, tout le monde n’a pas les mêmes capacités. Disons une petite, juste assez pour pouvoir prétendre qu’ils savent de quoi ils parlent. Et là, lorsque l’ennemi se déchaînera, lorsque le toit leur tombera sur la tête, ils viendront me voir. Je les attendrai avec une bouteille de rhum.

Ibrahim
Cuba, un soir lors d’une conversation inoubliable.

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