« Marchandisation » de l’éducation : de quoi parle-t-on ?
Après la victoire étudiante de 2012, suite à des mois de résistance militante contre le gouvernement Charest que les militants ont finalement défait et expédié dans l’opposition, que faut-il entendre quand la « gauche » partisane s’offusque à propos de la « marchandisation » de l’éducation ? Comment les leaders étudiants parviendront-ils à stopper la « marchandisation » de l’université ? Où vont la « gauche » militante et étudiante après le « Printemps Érable » ? (1)
Quelle serait la solution de rechange à la « marchandisation » de l’éducation en société marchande ? Pour résoudre ce dilemme il nous faut auparavant comprendre comment se calcule les salaires d’un employé diplômé et non diplômé et quelle est la cause de la différence salariale entre un diplômé universitaire et un diplômé du secondaire ou du collégial.
Dans toute structure sociale, quelle qu’elle soit, le système d’éducation a pour fonction de produire la force de travail nécessaire, en d’autres termes, d’éduquer et de former les futurs travailleurs, administrateurs, cadres, ouvriers, fonctionnaires, militaires, professionnels et tous les employés requis pour faire fonctionner l’économie…du savoir ou de toute autre espèce ou nature.
L’apparence des choses laisse croire qu’un ingénieur reçoit un salaire supérieur à un soudeur parce qu’il est plus compétent, qu’il a fréquenté l’université élitiste et qu’il accomplit un travail socialement plus important (pseudo économie du savoir) que le soudeur s’échinant sur un chantier.
A contrario, quelques experts font valoir que le soudeur accomplit un travail pénible et risqué pour sa santé et que pour cette raison il devrait gagner plus cher que l’ingénieur. De plus, l’ingénieur débute sa carrière plus tard et il prend sa retraite plus tôt (35 années d’emploi pour une pleine retraite), alors que le soudeur commence plus jeune à payer l’impôt et qu’il est imposé un plus grand nombre d’années (45 ans de travail environ).
L’ensemble de ces éléments n’est pourtant pas la cause de la différence de salaire sur le « marché » de la main-d’oeuvre entre soudeur et ingénieur ; ils en sont plutôt des conséquences.
Valeur de la force de travail
En société capitaliste le salaire ou la rétribution du travail nécessaire, en d’autres termes, la valeur de la force de travail - ou encore le coût du facteur main-d’oeuvre dans le processus de production - est déterminé par le coût social de production et de reproduction de cette marchandise qu’est la force de travail. Il faut vingt ans de formation, dont plusieurs années coûteuses d’université, pour produire la force de travail d’un ingénieur, alors qu’il suffit de douze ou treize années de formation primaire-secondaire moins coûteuse pour produire la force de travail d’un soudeur.
Étant donné qu’en société capitaliste une marchandise se vend en moyenne à sa valeur, voilà pourquoi la marchandise « ingénieur », ayant coûté socialement plus cher à produire, se vend plus cher (salaire plus élevé) sur le marché que la marchandise « soudeur » qui a coûté moins cher socialement à produire. Toute chose étant égale par ailleurs, cette loi générale de la valeur de la force de travail souffre quelques exceptions dans le monde des sports, des arts et des communications par exemple où un sportif, un artiste, un animateur télé reçoit un salaire bien supérieur à sa « valeur de production ». Il faut toutefois se rappeler que la masse des autres employés dans ces secteurs reçoivent souvent moins que leur valeur de production.
Tout ceci n’a absolument rien à voir avec les profits que le capitaliste tirera de l’exploitation de ces forces de travail (ingénieur ou soudeur). Le capitaliste empochera du surtravail (temps de travail non payé ou plus-value) aussi bien du soudeur que de l’ingénieur tous deux salariés. Mais le capitaliste sait que la force de travail de l’ingénieur lui coûtera plus cher à acquérir parce qu’elle coûte plus cher à produire, pas parce qu’elle a une plus grande valeur morale ou sentimentale ou qu’elle est socialement plus importante.
L’université a pour fonction de produire la marchandise « ingénieur » - alors que la formation professionnelle (polyvalente) ainsi que la formation technique (CEGEP) ont pour fonction de produire, à moindres frais, la force de travail pour les usines, les chantiers et les services tertiaires de proximité.
Réduire le coût de la force de travail (travail nécessaire)
Depuis quelques années, particulièrement depuis l’enlisement de la crise économique (2008), la tactique de la classe des propriétaires privés des moyens de production et de commercialisation a été de transférer les coûts de production-formation de la marchandise - « force de travail » (main-d’oeuvre) - directement sur le dos des étudiant(e)s et de leurs parents, alors que les riches refusaient de « faire leur part » et de sacrifier une partie de leurs profits spoliés aux ouvriers pour soutenir la formation de leurs futurs esclaves salariés.
Dans plusieurs pays, dont les États-Unis et le Canada, devant l’augmentation importante des frais de scolarité, plusieurs étudiant(e)s ont abandonné ou renoncé à fréquenter l’université et le collège et se sont lancés rapidement sur le marché du travail - réduisant d’autant le coût social global de production de la marchandise « force de travail » - ce qui a augmenté la concurrence sur le marché de la main-d’oeuvre et réduit les capacités de négociation des syndicats chargés de la vente centralisée de la marchandise - force de travail - sur le marché de l’emploi. Cette tactique est tout bénéfice pour les capitalistes.
Résistance étudiante sur le front économique
Les résistances étudiantes visant à bloquer la hausse des frais de scolarité qui entravent la fréquentation scolaire et provoquent l’abandon universitaire par les fils et les filles de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie paupérisée sont des guerres de résistance de classe contre les prédateurs capitalistes friands de force de travail à bon marché. Ces luttes de résistance enrayent la hausse des frais de scolarité et soutiennent la fréquentation universitaire et collégiale, en plus de maintenir élevé le coût de production de la marchandise « force de travail », et par ricochet les salaires des ouvriers, des techniciens, des employés et des professionnels dont les revenus sans ces luttes chuteraient drastiquement.
Réclamer des étudiant(e)s qu’ils se battent contre la « marchandisation » de l’éducation, c’est leur demander de détruire l’université sans toucher au reste de la société marchande. C’est un non-sens tactique, une fadaise d’intellectuels anarchisants et ignorants des lois de l’économie politique capitaliste.
Combattre la marchandisation de l’éducation c’est réclamer la gratuité de l’enseignement collégial et universitaire de façon à accroître le coût de production de la force de travail ouvrière et professionnelle (travail nécessaire) créant ainsi une pression à la hausse sur les salaires dans l’ensemble de la société marchande.
Bienvenue aux représentants du gouvernement et des marchands de main-d’oeuvre au Sommet de l’enseignement supérieure - 2013. La gratuité scolaire c’est notre affaire à nous étudiants militants !
Que les riches capitalistes et leurs laquais politiques, anciens leaders étudiants, se débrouillent avec leur crise économique et leur dette souveraine, ce n’est pas l’affaire des prolétaires ni de leurs descendants.
robertbibeau@hotmail.com
23.01.2013
(1) Gabriel Nadeau Dubois. Où vont la gauche et le mouvement étudiant québécois après le « Printemps Érable » ? 15.01.2013. http://www.pressegauche.org/spip.php?article12839
ANNONCE
Dans le volume Impérialisme et question nationale (le modèle canadien) (2012) nous présentons l’évolution de la lutte de classe au Québec du soulèvement patriote (1837) jusqu’à aujourd’hui (2012). Le volume est disponible GRATUITEMENT en téléchargement (format PDF Acrobat) à cette adresse : http://www.robertbibeau.ca/imperialisme.pdf