« La guerre, c’est la guerre des hommes ; la paix, c’est la guerre des idées. » - Victor Hugo
Un article du journal Le Monde a attiré mon attention, il raconte un cas de conscience d’un militaire américain qui, du fin fond d’une salle climatisée de l’Amérique profonde a décidé de voler la vie d’un enfant à 10.000 km de là en le ciblant « grâce » à un drone prédateur. Naturellement, il n’y eut pas de réaction ou si peu des médias d’habitude si prompts à diaboliser quand il s’agit de jeter l’anathème sur les damnés de la Terre, surtout s’ils sont musulmans. Comme rapporte Théophraste R. dans un billet du site alternatif Le Grand Soir : Quelqu’un disait (...) :
« Les médias ne vous disent pas seulement ce que vous devez penser, mais SUR QUOI vous devez penser. Pensez chaque jour aux petites victimes du tueur fou de Newtown et pas à celles de l’aviateur normal qui bombarde par erreur un village afghan. Jean-Paul Sartre a écrit dans « Qu’est-ce que la littérature ? » : « Le silence est un moment du langage ; se taire ce n’est pas être muet, c’est refuser de parler, donc parler encore. Si donc un écrivain a choisi de se taire sur un aspect quelconque du monde, ou, selon une locution qui dit bien ce qu’elle veut dire de le passer sous silence, on est en droit de lui poser une [...] question : pourquoi as-tu parlé de ceci plutôt que de cela et - puisque tu parles pour changer - pourquoi veux-tu changer ceci plutôt que cela ? ».(1)
J’ai donc voulu savoir comment faisait-on la guerre actuellement par esprit de déconstruction en décortiquant l’information, et en regardant derrière les plis pour voir la « vraie vérité » comme le dit si bien Jacques Prévert. La façon de faire la guerre a changé totalement depuis que les puissances occidentales ne se font plus la guerre entre elles. La doctrine est celle de « zéro mort » chez le puissant et le maximum de morts chez l’adversaire. Pour cela pratiquement un quart de siècle, après la chute de l’empire soviétique, l’hyper-puissance américaine n’ayant plus « l’empire du mal » comme adversaire s’est trouvé un nouveau Satan de rechange, l’Islam. Cela s’est fait concomitamment, avec le tarissement des puits de pétrole et les avancées technologiques. Il y avait donc un triple gain, démolir l’Islam, en démolissant le pays musulman, s’emparer des puits de pétrole et expérimenter au réel les nouvelles armes létales pour voir « leur performance ».
Donner la mort par procuration
Dans cet ordre d’idée , Georges Stanechy écrit :
« Il était une fois...un pays, qui avait à sa tête un dictateur : l’Irak. Ni pire ni meilleur que les pires autocrates féodaux et corrompus des pétromonarchies du coin, reçus en permanence avec tapis rouge et accolades dans nos « vertueuses démocraties ». Mais, il avait eu le tort d’entrer en conflit avec ses protecteurs qui l’avaient installé au pouvoir. Alors, comme dans les films de gangsters, ils ont décidé de le remplacer par des marionnettes interchangeables et plus dociles. Pétrole oblige... « Apporter la Liberté et la Démocratie », affirmaient-ils, la main sur le coeur. Ils avaient une obsession, toutefois : « Renvoyer le pays à l’âge de pierre », disaient-ils. On ne comprenait pas bien : pourquoi chasser un dictateur imposait-il de réduire l’Irak en cendres ?... Ils ont tout rasé. Méthodiquement. Tout ce qui est interdit par les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, ces « Traités internationaux qui contiennent les règles essentielles fixant des limites à la barbarie de la guerre. » Tout : centrales électriques, stations d’épuration d’eau, ponts, ports et aéroports civils, hôpitaux, universités, écoles, usines d’automobiles ou de tracteurs, ateliers mécaniques ou conditionnements de lait et yaourt, fermes d’élevage. Tous les ministères, sauf celui du Pétrole ! « Retour à l’âge de pierre » : mission accomplie. Jusqu’aux musées et sites archéologiques, pillés à l’exemple du sac du palais d’été des empereurs en Chine, en 1860, par les troupes françaises et les britanniques... Détruire, massacrer, piller... Le plus curieux : ils se sont acharnés sur les femmes et les enfants (…) ». (2)
Les sociétés militaires privées
Autres innovations que nous avons déjà rapportées : les sociétés militaires privées. Le vrai mercenariat est du côté de la coalition qui fait la guerre aux peuples irakien et afghan en faisant appel à des mercenaires. Il est né dans le sillage de la « guerre de l’information » et de la doctrine du « zéro mort » suite aux guerres perdues du Vietnam et du Cambodge, expérimenté notamment au Kosovo. Les Etats-Unis sont aujourd’hui déployés dans plus de 50 pays. Les raisons du recours à des sociétés militaires privées sont multiples : politiques : contourner le Parlement américain et éviter la critique populaire. Contourner le contrôle administratif : ne pas irriter l’opinion publique (doctrine de zéro mort). Les morts BW ne sont pas décomptés comme des soldats. A partir des années 2000, parallèlement à la disparition progressive du mercenariat traditionnel, se sont développées les Sociétés militaires privées (SMP) anglo-saxonnes, parfois en renfort d’une milice. Afghanistan et surtout en Irak (Military Professionnal Ressources Inc, Blackwater, Erinys, Aegis) depuis 2003 (...) Blackwater est une multinationale rentable.. ». (3)
« 1 milliard de dollars de contrats avec l’Etat américain. En 2006, le nombre de soldats de Blackwater déployés dans le monde était estimé à 23.000. Le chiffre d’affaires de Blackwater a augmenté de 80,000% entre 2001 et 2006. Entre 2005 et octobre 2007 on a dénombré plus de 195 incidents impliquant Blackwater. Les guerres que mène l’Occident ne sont pas justes et partant, pas morales. Cette guerre dissymétrique de 1 pour 1000 est encore plus amorale quand on utilise les satellites, les drones et les robots. On tue son adversaire sans le connaître à des milliers de kilomètres, à partir d’une salle climatisée du fin fond des Etats-Unis...(3)
Les guerres du futur
Les médias ne tarissent pas d’éloges en décrivant, par le menu, les prouesses des nouvelles armes qui donnent la mort. Cela se fait d’ailleurs dans des kermesses telles que le salon du Bourget, où les marchands de mort viennent fourguer à des roitelets arabes ventripotents les dernières armes toujours en décalage avec l’état de l’art. Il n’est pas question de donner ce qu’il y a de récent. Souvenons-nous du contrat saoudien de plusieurs dizaines de milliards de dollars avec les Etats-Unis. Que va faire l’Arabie Saoudite avec ses armes si ce n’est les retourner contre son peuple ou contre les Bahreinis ?
Avec un rare cynisme les médias occidentaux faisant la promotion des armes écrivent :
« Pour protéger sa vie, le matériel coûteux et éviter l’enlisement, notamment lors de combats en milieu urbain, le fantassin du futur sera bardé d’électronique et relié en réseau avec l’ensemble des blindés et aéronefs. Il ne s’agit plus de science-fiction, mais d’une réalité. Des fantassins en débarquent à couvert. Ils sont équipés d’un gilet bourré d’accessoires électroniques. Grâce à cet équipement, ils sont tous connectés à un réseau informatisé. Chaque combattant dispose d’un écran lui permettant de connaître sa position et celle de ses camarades via GPS. Ils peuvent s’organiser et communiquer entre eux avec un ostéophone, un système qui capte la voix via la résonance des os (...). C’est la poignée avant du fusil mitrailleur (Famas) qui permet de commander la radio. Ainsi, pas besoin d’arrêter un tir pour actionner un interrupteur. Ces mêmes commandes permettent de régler un tir sans se mettre à découvert (...) Ce même dispositif est doté d’options infrarouges, ou de vision de nuit. Le futur, c’est maintenant. Le combattant porte un équipement électronique qui le connecte en réseau avec la troupe, les aéronefs et les véhicules blindés.(...) Le LOCC, Logiciel opérationnel de conduite du combat, est l’outil de suivi des opérations du chef. C’est une sorte de gros iPad façon militaire, qui peut afficher en temps réel l’intégralité des combattants, véhicules et unités sur le terrain. Les positions des ennemis y sont affichées ainsi que les champs de vision et les directions de déplacement des uns et des autres. Dans un blindé, il est présenté sous la forme d’un double écran tactile. Sur le terrain, les chefs de sections sont, quant à eux, équipés d’une tablette tactique de plus petite taille (..) (4)
On le voit ce qui est important, c’est qu’il y ait zéro mort du côté de l’attaquant, que le matériel soit protégé, au besoin en tuant et aussi que le conflit ne s’enlise pas, car c’est de l’argent perdu…
La mort en joystick
Une autre technologique infernale concernant la mort est le drone avec des noms qui font froid dans le dos : drone predator, drones furtifs, drones reapers (faucheuses). Outils favoris des militaires depuis les années 1990, les drones sont de plus en plus utilisés. Ils sont expérimentés sur les faibles qui pensent échapper en vain à l’attaque sans pitié. Nous l’avons vu avec les éliminations des dirigeants palestiniens. Les drones ont, d’ores et déjà , changé la nature de la guerre.
Dans cet ordre, l’histoire que nous allons rapporter est celle d’une bavure parmi des dizaines :
« Brandon Bryant était pilote de drone au sein d’une unité spéciale de l’armée de l’air américaine. Depuis l’Etat du Nouveau-Mexique, il a tué des dizaines de personnes. Jusqu’au jour où il a déclaré forfait. Pendant plus de cinq ans, Brandon Bryant a travaillé dans un container allongé de la taille d’une caravane, sans fenêtres, à température constante de 17 °C, et dont la porte était condamnée par mesure de sécurité. Devant les yeux de Brandon et de ses collègues scintillaient quatorze écrans. Sous leurs doigts, quatre claviers. Il suffisait que Brandon presse un bouton au Nouveau-Mexique pour qu’un homme meure à l’autre bout de la planète. A l’intérieur du container, des ordinateurs ronronnent. C’est le cerveau d’un drone. Dans l’US Air Force, on appelle cette pièce un « cockpit ». A cette différence près que les pilotes du container ne volent pas - ils se contentent de piloter. Brandon était l’un d’entre eux. Il se souvient très précisément des huit que décrivait le Predator dans le ciel afghan, à plus de 10.000 kilomètres de l’endroit où il se trouvait. Dans le réticule du drone, une maison aplatie en terre, avec une étable pour les chèvres, se rappelle-t-il. Lorsque l’ordre de faire feu tombe, Brandon presse un bouton de la main gauche, « marque » le toit au laser, et le pilote assis à côté de lui déclenche le tir à l’aide d’un joystick. Le drone lance un missile de type Hellfire. Il reste alors seize secondes avant l’impact. « Les secondes s’écoulent au ralenti », se souvient Brandon aujourd’hui. Enregistrées au moyen d’une caméra infrarouge orientée vers le sol, les images sont transmises par satellite et apparaissent sur son moniteur avec un décalage de deux à cinq secondes ».(5)
« Plus que sept secondes, pas l’ombre d’un humain. A cet instant, Brandon aurait encore pu détourner le missile roquette. Trois secondes. Brandon scrute le moindre pixel sur l’écran. Soudain, un enfant qui court à l’angle de la maison. Au moment de l’impact, le monde virtuel de Brandon et le monde réel d’un village situé entre Baghlan et Mazar-e Charif se télescopent. Brandon voit une lueur sur l’écran- l’explosion. Des pans du bâtiment s’écroulent. L’enfant a disparu. Brandon a l’estomac noué. « On vient de tuer le gamin ? » demande-t-il à son collègue assis à côté. « Je crois que c’était un gamin », lui répond le pilote. « C’était un gamin ? » continuent-ils de s’interroger dans la fenêtre de messagerie instantanée qui s’affiche sur leur écran. C’est alors que quelqu’un qu’ils ne connaissent pas intervient, quelqu’un qui se trouve quelque part dans un poste de commandement de l’armée et qui a suivi leur attaque : « Non, c’était un chien. » (...) Brandon se souvient de son premier tir de missile : deux hommes meurent sur le coup et il assiste à l’agonie du troisième. L’homme a perdu une jambe, il se tient le moignon, son sang chaud ruisselle sur l’asphalte. La scène dure deux minutes. Un beau jour, Brandon Bryant n’a plus eu qu’une seule envie, partir, faire autre chose. L’espoir d’une guerre confortable, sans séquelles psychologiques, a fait long feu ».(5)
La nouvelle guerre par les « ponctuelles »
La guerre moderne est devenue en théorie d’après les stratèges vendeurs de mort, un tel raffinement que les médias main stream qui nous font la promotion de ces nouvelles formes de suppression de vie, utilisent un langage neutre souvenons nous des « ponctuelles » terminologie utilisée par les commandos deltas qui éliminaient pour le compte de l’OAS, tout ce qui dérangeaient aussi bien les bougnoules, que les pieds noirs « tièdes ». En vendant ces informations ces médias se pâment devant les frappes dites chirurgicales tout en sachant que la chirurgie contrairement à son sens morbide dans ces guerres du XXie siècle, est en principe utilisée pour sauver les vies humaines.
Dans cet ordre, Joe Becker du New York Times démonte la mécanique de mise à mort par les drones.
« Au fil de son premier mandat écrit-il c’est devenu la spécialité du président américain : Sélectionner les terroristes à abattre et donner son aval à chaque frappe de drones à l’étranger. Une méthode expéditive qui suscite la polémique. (...) En août 2009, le patron de la CIA, Leon Panetta, a fait savoir à John Brennan que l’agence avait Mehsud dans sa ligne de mire. Toutefois, a prévenu Leon Panetta, la liquidation du chef des taliban au Pakistan ne satisfaisait pas aux exigences d’Obama, pour lequel il faut avoir la « quasi-certitude » qu’aucun innocent ne sera tué. De fait, il était certain qu’une opération causerait la mort d’innocents, puisque Mehsud se trouvait en compagnie de son épouse chez sa belle-famille. (...) Mais pas cette fois. Obama a donné son feu vert à la CIA et Mehsud a été tué ainsi que son épouse et, selon certaines informations, d’autres membres de sa famille. (...) Ce n’était pas vraiment le type de frappe chirurgicale que souhaitait Barack Obama. (...) A juste titre ou non, les drones sont devenus le symbole provocateur de la puissance américaine, foulant aux pieds les souverainetés nationales et causant la mort d’innocents. (...) Le bilan d’Obama a fait reculer l’idée selon laquelle les démocrates sont peu performants en matière de sécurité nationale. Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Obama s’est révélé plus prompt à dégainer que Bush. Au Pakistan, depuis 2009, Il y eut 261 attaques avec 1819 taliban morts et 87 civils morts pour Obama contre 38 attaques avec 481 morts dont 94 civils avec Bush. Au Yémen, il y eut 48 attaques par les drones contre deux avec Bush (6)
Conclusion : Qu’est ce qu’une guerre juste ?
Dans une contribution précédente j’avais décortiqué le vocable de guerre juste selon l’Eglise et la charité chrétienne dont se prévalent les semeurs de mort. J’écrivais :
« Si l’on croit la théologie catholique "une guerre juste" doit obéir à trois conditions, (...) La première des trois conditions énoncées par saint Thomas est que la guerre ne peut être légitimement décidée que par l’autorité politique souveraine qui a pour fin principale de connaître et de promouvoir le bien commun de la cité ou société politique parfaite. (...) La deuxième condition de la guerre juste est que la guerre soit entreprise pour une cause juste (..°) La troisième condition de la guerre juste est ainsi la rectitude de l’intention de celui qui fait la guerre. L’autorité politique suprême peut entreprendre une guerre pour une cause juste mais en étant mue principalement par une intention mauvaise. (...) On pourrait ajouter une condition que saint Thomas n’affirme pas explicitement : il faut que le belligérant use de moyens militaires légitimes. Il n’est donc pas permis d’user de n’importe quel moyen militaire pour vaincre son ennemi. Il y a des actes qui sont toujours mauvais en eux-mêmes et il n’est jamais permis de les poser. L’intervention des armées américaines et anglaises en Irak, décidée sans l’assentiment du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies » (3) (7)
Pour Louis Delmas, la guerre n’est plus un affrontement de combattants, même éloignés les uns des autres par l’artillerie ou l’aviation, qui se battent en risquant leurs vies, mais un jeu informatique mortel où des opérateurs confortablement installés à des milliers de kilomètres, assassinent des adversaires en manipulant un clavier. Sous prétexte d’abattre un terroriste, les drones télécommandés envoient à un écran lointain les images de la vie d’une famille qu’ils observent pendant des jours avant de recevoir l’ordre de l’éliminer. Des militaires au chaud dans leur bureau, qui ne connaissent rien d’un champ de bataille, regardent des enfants jouer dans la cour, des femmes faire leur lessive, des vieux jouir du soleil. Jour après jour, la routine d’une existence ordinaire. Puis d’un coup, l’exécution est décidée. L’ordre arrive. Ils appuient sur un bouton. Si la cible est bien ajustée, le terroriste est tué. L’explosion fait le vide. Mission accomplie. Les enfants, femmes, vieillards qu’ils reconnaissaient chaque matin ne sont plus que des cadavres. Difficile à supporter. (...) Qu’est-ce qu’une guerre à zéro mort ? Le robot (...) celui qui tue votre ennemi sans que vous couriez le moindre risque change la face de la guerre. Zéro mort chez l’agresseur, c’est devenu le slogan des nouveaux traîneurs de sabres. Ils disposent désormais d’un moyen de réaliser leur rêve. C’est un encouragement à déclencher des combats qui font impunément des masses de victimes.(8)
Les guerres que mène l’Occident ne sont pas justes et partant pas morales. Quand Bush avait envahi l’Afghanistan, c’était pour délivrer les Afghanes, maintenant c’est pour combattre le terrorisme. Et demain ? Cette guerre dissymétrique de 1 pour 1000 est encore plus amorale quand on utilise les satellites, les drones et les robots. On tue son adversaire sans le connaître à des milliers de kilomètres, à partir d’une salle climatisée du fin fond des Etats-Unis... On rentre chez soi avec la satisfaction du devoir bien fait ,d’avoir été un bon patriote, pendant qu’à des milliers de kms de là , c’est la terreur, le sang, les larmes la désolation, des vies volées et une haine des survivants qui sédimente inexorablement. Que veut dire alors « une guerre juste » ? La question reste posée.
Chems Eddine Chitour