RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Michel Warschawski : "Israël n’existe que par la guerre"

Alohanews est allé à la rencontre de Michel Warschawski. Sous son allure de peintre des temps modernes, ce journaliste a longtemps contribué à la cause palestinienne en combattant l’occupation et le colonialisme organisé depuis plus de quarante ans par les gouvernements israéliens successifs. Il est notamment le président du Centre d’Information Alternative (AIC) de Jérusalem. Lors de cet entretien, il sera question de la société israélienne, la politique israélienne ainsi que ses rapports avec l’Iran.

Dans le livre Un autre Israël est possible que vous avez co-écrit avec Dominique Vidal, vous mettez en lumière le mouvement des "indignés" de la population israélienne qui a planté ses tentes l’été 2011 à Jérusalem, Haïfa et Tel-Aviv. Quelles étaient leurs revendications ?

Ce mouvement qu’on appelait le mouvement des tentes ou mouvement des indignés de 2011, s’est intentionnellement limité à des revendications d’ordre socio-économiques. Les revendications étaient le droit au logement, le droit à une santé publique gratuite, le droit à l’éducation. Il s’agit de droits et pas d’une marchandise dans le cadre d’une libéralisation et d’un néo-libéralisme débridé. Il a fait l’impasse sur les questions liées au conflit en Palestine et au conflit israélo-arabe en général.

Ce mouvement s’est questionné sur les sujets de société, mais s’est bien gardé de s’exprimer sur les questions politiques bien qu’il y ait une corrélation entre les deux. Les injustices naissent en partie d’une politique ultralibérale sécuritaire qui consacre la majorité de son budget à la Défense. Votre analyse là -dessus ?

Effectivement, cette séparation entre le social d’un coté et le politique de l’autre est une scission totalement artificielle loin de la réalité. Pour satisfaire les revendications du mouvement, il faut faire des choix politiques ! Il faut réduire substantiellement le budget militaire. Il faut arrêter de subventionner les colonies. C’est la faiblesse du mouvement, il fallait lier les deux et ne pas se focaliser sur l’aspect économique. Le mouvement devait dénoncer une classe politique qui a fait le choix de l’occupation coloniale depuis maintenant quarante ans.

Quel est votre rapport à l’État d’Israël ?

Je suis citoyen israélien. Je me sens totalement impliqué comme citoyen, comme père, comme grand-père dans cette société israélienne tout en étant radicalement critique non seulement de la politique menée par les différents gouvernements israéliens depuis qu’il existe, mais aussi envers la nature même de l’État. Israël n’est pas un état normal. Israël selon sa propre définition est un État juif dont l’objectif est de renforcer le caractère juif démographiquement parlant. C’est-à -dire l’État qui considère l’indigène, le Palestinien comme un étranger sur sa terre. Une grande partie a été expulsée de cette terre, ce sont les réfugiés. Et ceux qui sont restés sont perçus comme des locataires tolérés. Sans parler de la population occupée de Cisjordanie et de la bande de Gaza qui n’a aucun droit politique et qui vit sous administration militaire maintenant depuis plus de quarante ans.

Vous êtes président du Centre d’Information Alternative (AIC) de Jérusalem, comment ce projet a vu le jour ?

C’est un projet éminemment politique. Nous étions des militants et c’était une initiative ancienne puisque le centre a été constitué en 1984. Sa spécificité est que ce centre est composé de militants politiques israéliens et palestiniens. C’est une organisation réellement mixte de militants de la gauche palestinienne et militants antisionistes israéliens qui collaboraient depuis bien longtemps dans le combat contre le colonialisme, contre l’occupation coloniale, contre la politique de guerre.

A un certain moment, nous avons été confrontés à un déficit d’informations. Rappelons-nous qu’en Israël, en 1982, c’est la guerre du Liban, un immense mouvement antiguerre se met en place. Plus de 400.000 personnes descendent dans les rues de Tel-Aviv pour condamner les massacres. Nos amis palestiniens avec qui nous étions ensemble dans le combat politique nous disent : "Nous ne comprenons pas ce qui se passe, nous ne nous attendions pas à une telle mobilisation" . Il y avait donc une demande d’intelligibilité, de faire comprendre ce qui se passe en Israël. Et parallèlement en Palestine s’est déroulé à la même époque un nouveau phénomène à savoir l’émergence des mouvements populaires qui deviendra plus tard la première Intifada. Les mouvements de femmes, des syndicats étudiants, des syndicats ouvriers ont pris les devants de la scène. Ces derniers étaient totalement méconnus du côté israélien. Il y avait une volonté dans notre centre de faire connaître la réalité de la société palestinienne aux Israéliens, aux médias israéliens, aux faiseurs d’opinions, aux militants. Et aussi d’expliquer aux Palestiniens, de leur donner des clés de compréhension des évolutions de la société israélienne.

Quelle est votre analyse sur l’actualité entre Israël et l’Iran ?

Israël a besoin d’un ennemi. Il doit être en état de guerre permanent. Sans beaucoup d’exagération, Israël n’existe que par la guerre. Israël n’est soutenu par les États-Unis (3,5 milliards $ par an) que parce qu’il joue un rôle militaire dans la région. La pire catastrophe qui puisse arriver à Israël, c’est qu’il n’y ait pas de guerre, qu’il n’y ait pas d’ennemi, pas de menace. Il s’agit donc toujours d’identifier une nouvelle menace. Nous avons eu le terrorisme qui est devenu le terrorisme islamiste et qui ensuite s’est généralisé à l’Islam. Ce n’est pas suffisant, alors on prend le Hezbollah, mais ce dernier est trop petit. Il faut trouver plus grand, j’irai même à dire qu’il faut vendre à Washington que cet ennemi ne menace pas seulement Israël, mais menace la civilisation judéo-chrétienne tout entière. Nous arrivons à cette équation générale que la civilisation judéo-chrétienne est menacée par l’Islam représenté par la République Islamique d’Iran.

On prend les fanfaronnades, des déclarations qui parfois sont stupides de Mahmoud Ahmadinejad monnaie comptant. Le gouvernement israélien s’insurge en accusant ce dernier de vouloir détruire Israël. Alors que toute analyste sérieux vous dira que ce n’est pas vrai. Faisant d’ailleurs le jeu d’Ahmadinejad qui comme cela peut se présenter comme le seul qui maintient le combat pour défendre le droit des Palestiniens. De ce fait, Israël permet de justifier cette stratégie de guerre permanente et préventive dans la région.

Est-ce qu’au final, Mahmoud Ahmadinejad ne serait pas l’ennemi utile d’Israël ?

Tout d’abord, Mahmoud Ahmadinejad est à la tête d’une puissance régionale. Ce dernier se bat non pas contre Israël, ce n’est pas du tout son objectif. Ce dernier veut assoir la place de l’Iran comme puissance incontournable dans la région. L’ennemi d’Ahmadinejad, le vrai conflit n’est pas du tout avec Israël, mais c’est avec l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe.

Le clivage sunnite-chiite ?

Ce n’est pas essentiellement une question sunnite-chiite. C’est une question d’ordre économique et de pouvoir stratégique dans la région. L’hégémonie dans cette région, notamment dans le détroit d’Ormuz, dans la région du Golfe est extrêmement importante. Mahmoud Ahmadinejad se sert de la question palestinienne et d’une rhétorique radicalement antiisraélienne pour renforcer sa position dans la région. Il veut montrer que ses adversaires arabes en font moins que lui sur la question palestinienne. Là est véritablement l’enjeu d’Ahmadinejad. Ce n’est pas du tout la guerre contre Israël.

Je partage l’opinion des services de renseignements israéliens intelligents qui disent qu’il faut arrêter de considérer l’Iran comme un pouvoir irrationnel, que ce sont des fous, des fanatiques, ce n’est pas tout sérieux comme analyse. En Iran, il y a un agenda politique, il y a des objectifs politiques sur lesquels se greffe cette rhétorique radicale, mais qui est tout à fait rationnelle. D’ailleurs, Barack Obama l’a compris, car il entreprend des négociations avec le gouvernement iranien. C’est ce que veut l’Iran, parlez avec eux et donnez leur la place, arrêtons de les marginaliser.

Quel est l’enjeu réel de la visite de Benjamin Netanyahou dans l’Hexagone ?

Je ne crois pas qu’il y ait d’enjeux importants. C’est une opération de relations publiques. Le gouvernement d’extrême droite israélienne est assez isolé et critiqué y compris par des pays de l’Union européenne, y compris par les États unis bien que ce soit discret, élections présidentielles obligent. Le gouvernement israélien est totalement en porte à faux face aux politiques qui se dessinent en Occident. Ces derniers essayent de se replacer dans la région du Moyen-Orient qui est en pleine mutation. Pendant ce temps-là , de nouvelles puissances s’affirment comme la Russie qui revient, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. Dans ce cadre-là , les États-Unis seront obligés de s’adapter à cette nouvelle réalité. Tandis que du côté du israélien, nous avons un gouvernement qui vit vingt ans en arrière. Ce dernier agit comme si le président était encore George Bush, qui est encore dans la guerre globale et préventive. Ce ne peut être la stratégie américaine d’aujourd’hui parce qu’elle a échoué et leur a couté très cher.

Il y a donc les germes d’une tension, non pas d’une remise en question de l’alliance stratégique qui unit les deux pays, celle-là est malheureusement encore présente pour longtemps. Il y a une question primordiale qui se pose : comment gérer la nouvelle donne internationale et régionale ? Benjamin Netanyahou est totalement isolé. Ce n’est pas le cas en Israël malheureusement, mais nous sommes à contre-courant de la plupart des chefs d’États européens et des Américains. Nous ne pouvons pas continuer comme cela.

Alors on essaie de montrer que tout va bien, on va faire beaucoup de photographies sur le parvis de l’Élysée. C’est une opération assez inutile. Je ne donne aucune importance à cela. Il y a quand même quelque chose d’important, l’Union européenne vient de rehausser le statut d’Israël dans les institutions européennes. Non seulement, il n’y a pas de sanctions, mais on donne une reconnaissance, un bonus à Israël. C’est rendre un très mauvais service à la population israélienne. Je crois que les sanctions, cela permet parfois d’ouvrir les yeux et de réaliser que nous sommes dans le gouffre. Nous sommes en train de nous isoler. Qu’on nous caresse dans le sens du poil quoiqu’on fasse malgré les massacres, malgré la colonisation, malgré le refus de négocier quoi que ce soit. Nous ne faisons que renforcer les mauvaises tendances.

Un mot pour Alohanews ?

Continuez ! Je pense qu’il est extrêmement important d’aider le public à avoir des clés de compréhension. Ce n’est pas l’information qui manque. Moi je ne suis pas de ceux qui lisent les journaux. L’important n’est pas de savoir, mais de comprendre. Ce que beaucoup de citoyens européens n’arrivent pas à comprendre. Qu’est ce que cela veut dire ? Il faut décrypter l’information qu’on nous donne et non l’intérioriser de façon passive.

Propos recueillis par Mouâd Salhi

SOURCE : http://newsaloha.tumblr.com/post/35072528036

Site du Centre d’Information Alternative : Cliquez ici

URL de cet article 18213
   
Même Thème
Être palestinien en Israël – Ségrégation, discrimination et démocratie
Ben WHITE
La Guillotine est heureuse de vous proposer sa deuxième publication. Après Europe-Israël : Une alliance contre-nature de David Cronin, traitant des relations ambivalentes entre l’Europe et Israël, cette fois il s’agit d’une investigation abordant un autre sujet peu éclairé. Alors que les Palestiniens en Israël s’imposent comme une composante incontournable de la réflexion politique et de l’action pour libérer la Palestine de l’apartheid et de la domination militaire sionistes, aucun livre en (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Si notre condition était véritablement heureuse, il ne faudrait pas nous divertir d’y penser.

Blaise PASCAL

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.